Quelques réflexions sur le cancer du sein métastatique : en cancérologie ?

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ÉDITORIAL
Quelques réflexions
sur le cancer du sein métastatique :
d’où vient le progrès thérapeutique
en cancérologie ?
Some reflections on metastatic breast cancer as a
model of therapeutic progress in oncology
“
L
Laurent Zelek
Service d'oncologie médicale,
hôpital Avicenne, Bobigny.
e cancer du sein est l’une des premières tumeurs solides à bénéficier de la
chimiothérapie avec presque un demi siècle d’expérience, mais c’est aussi
une des deux tumeurs solides à bénéficier de l’hormonothérapie, pratiquée
initialement avec des traitements ablatifs, de la chirurgie puis de la radiothérapie,
dès la fin du xixe siècle.
L’histoire s’est ensuite accélérée à partir des années 1970 avec l’utilisation des
anthracyclines et du tamoxifène, dynamique qui n’a eu de cesse de progresser mais à
un rythme cependant fluctuant. En effet, en matière de chimiothérapie, la deuxième
et peut-être la seule étape véritablement marquante est l’arrivée des taxanes au début
des années 1990. La capécitabine rend certes d’importants services, mais elle ne s’est
pas imposée comme cytotoxique majeur de première ligne, pas plus que la vinorelbine
et d’autres. D’autres molécules ont connu des échecs plus ou moins cinglants comme
l’ixabépilone, dont le rapport bénéfice/risque a été considéré comme
défavorable en Europe, ou le nab-paclitaxel, cette fois pour une absence d’accord
– scandaleuse d’ailleurs – sur les modalités de remboursement.
L’hormonothérapie, quant à elle, a évolué avec l’arrivée des inhibiteurs
de l’aromatase à la même période, mais cela ne concerne que les patientes
ménopausées. Enfin, la dernière avancée de taille est le trastuzumab qui, s’il ne
concerne qu’une minorité de patientes surexprimant HER2, a représenté un concept
extrêmement fécond. Il est cependant inexact de dire qu’il s’agit de la première thérapeutique ciblée du cancer du sein : cette antériorité revient à l’hormonothérapie, à ceci
près qu’on a dû attendre les années 1970, avec la mise en évidence des récepteurs aux
estrogènes, pour en comprendre les mécanismes d’action, alors que pour
le trastuzumab, le concept a précédé la mise en œuvre pratique du traitement.
Depuis, la recherche clinique a connu des succès divers avec des thérapeutiques ciblées
comme le bévacizumab, sujet davantage polémique aux États-Unis qu’en Europe,
ou les anti-PARP dans les tumeurs triple-négatives, qui, eux, sont presque revenus au
point mort. En dehors du trastuzumab, les traitements dits “ciblés” peinent à trouver
leur cible : pour l’instant les 2 seuls facteurs prédictifs d’efficacité validés sont, et
restent, les récepteurs hormonaux et HER2… L’exémestane pâtira encore longtemps
d’être arrivé dans la bataille après les autres anti-aromatases, ce qui a pour conséquence
de le reléguer au rang d’hormonothérapie de rattrapage. Le fulvestrant est, quant à lui,
un exemple assez caricatural de développement raté dès les premiers essais cliniques
par manque d’intérêt (la priorité étant alors au développement de l’anastrozole, notamment en adjuvant) et par méconnaissance de la pharmacologie (le schéma d’administration optimal a mis près d’une décennie avant d’être défini).
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ÉDITORIAL
On viendrait presque parfois à paraphraser Clémenceau : “Le traitement du cancer !
C’est une chose trop grave pour la confier à…”
Surtout, on peut légitimement se demander comment la survie des cancers du sein
métastatiques a pu augmenter au cours des deux dernières décennies. Car cela est un
fait désormais admis, mais qui n’allait pas encore de soi il y a une dizaine d’années. On
considère communément que la médiane de survie des cancers du sein, qui était de
l’ordre de 24 mois dans le meilleur des cas, est actuellement plutôt autour de 36 mois,
selon les séries et les centres. De surcroît, il n’est pas exceptionnel de rencontrer des
patientes encore en vie au-delà de la cinquième année avec des localisations viscérales.
Cela, auparavant, était l’apanage pratiquement exclusif des formes hormonosensibles
avec métastases osseuses isolées.
Ces acquis ne sont sans doute pas à attribuer aux seuls mérites du traitement
antitumoral et à l’amélioration des taux de réponse. En effet, il ne faut pas méconnaître
l’essor considérable des soins de support aux cours de la dernière décennie. Comme me
le disait dans un congrès, avec une fausse candeur, un interniste d’expérience :
“Ce qu’il y a de bien maintenant avec vous les chimiothérapeutes, c’est que vous
commencez à vous intéresser au patient qui est autour de la tumeur.” La phrase est
certes provocatrice, mais elle illustre à quel point le traitement du cancer se complexifie
au-delà du traitement antitumoral, qui est une condition certes nécessaire, mais
désormais non suffisante à une prise en charge conforme aux standards modernes. À
l’oncologie se substitue donc insensiblement la médecine oncologique et il ne paraît pas
exagéré de dire que le cancer du sein métastatique est l’une des pathologies tumorales
où ces concepts ont été développés le plus précocement.
”
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