DU CÔTÉ DES PATIENTES
près le traitement locorégional d’un cancer du sein,
une hormonothérapie adjuvante est maintenant systé-
matiquement prescrite en cas de récepteurs positifs,
car elle diminue le risque de rechute et augmente la survie globale.
Chez la femme non ménopausée, le tamoxifène reste la molécule de
choix, parfois associé à une suppression de la fonction ovarienne par
un agoniste de la LH-RH. En revanche, chez la femme ménopausée,
si le tamoxifène a longtemps été la molécule de référence, il est
aujourd’hui moins prescrit que les anti-aromatases (AA) car celles-ci,
prescrites d’emblée ou en relais de l’antiestrogène, améliorent signi-
ficativement la survie sans récidive. De plus, il est souvent écrit que
“la tolérance immédiate des AA est bonne et qu’elle est même globa-
lement meilleure que celle du tamoxifène”.
Confortés par ces données et s’appuyant sur ces affirmations, la plu-
part des cliniciens prescrivent à leurs patientes une hormonothérapie
adjuvante en évoquant souvent trop rapidement avec elles, ou à
demi-mot, les effets secondaires possibles, qui sont d’ailleurs sou-
vent ressentis comme “souhaitable” par le médecin. “Moins vous
aurez d’estrogènes, mieux ce sera pour votre maladie !”
Pourtant, si nous prenons le temps en consultation d’écouter la
femme qui se dissimule derrière chaque patiente, nous pouvons
constater que ces traitements perturbent leur vie quotidienne dans
un nombre non négligeable de cas. Par exemple, les bouffées de
chaleur constituent une plainte régulièrement exprimée et leur
retentissement sur la qualité de vie est parfois importante : incon-
fort, insomnie, interférence avec la vie sociale ou professionnelle.
De plus, la carence en estrogène induit une sécheresse parfois cuta-
née, oculaire (notamment avec les AA), et plus souvent vaginale,
cause de vaginite et de dyspareunie. Certaines femmes avouent
également une diminution de leur libido ou se plaignent d’une dété-
rioration plus ou moins importante de leur fonction neurocognitive
(troubles de la mémoire, difficultés de concentration, etc.). Tout
cela entraîne parfois une perte de confiance en soi, une dépression
plus ou moins latente, voire des problèmes relationnels dans le
couple. Enfin, les AA, plus souvent que le tamoxifène, sont respon-
sables de douleurs mal étiquetées, migratrices, à type d’arthralgies,
de myalgies, d’entésopathies, souvent de caractère inflammatoire et
parfois très invalidantes, limitant les déplacements, les activités
sportives et retentissant donc sur leur vie familiale, sociale, voire
professionnelle.
Ces effets indésirables sont d’autant plus mal vécu, qu’ils se sur-
ajoutent aux effets secondaires des autres traitements anti-cancé-
reux (chirurgie et chimiothérapie). Ils sont, chez certaines
femmes, ressentis comme une agression supplémentaire au
schéma corporel et à la féminité et ce, d’autant plus qu’ils sur-
viennent au moment où les patientes, malgré ce que leur a imposé
la maladie, veulent redevenir la femme qu’elles étaient avant.
Une femme qui se sente aimée et, pour cela, il faut avant tout
s’aimer soi-même, capable de réflexion, de pensée personnelle,
une femme capable d’activité sportive, etc. Certaines de vos
patientes vous ont sûrement déjà avoué, combien il était impor-
tant pour elles, après le traitement locorégional de leur cancer du
sein et surtout après une chimiothérapie, de retrouver au plus vite
leur corps, leur féminité, leurs habitudes de vie professionnelle ou
personnelle. Elles voient là une sorte de revanche sur le cancer,
un objectif à atteindre pour se sentir “guérie”.
L’impact physique et moral de ces effets secondaires sur la vie quo-
tidienne des femmes est, sans aucun doute, plus ou moins important
et le retentissement est vécu de manière très différente, selon leur
caractère, leur histoire personnelle, notamment familiale, leur degré
d’anxiété par rapport à la rechute, leur entourage, etc. Si certaines
décident d’interrompre le traitement hormonal en raison des effets
secondaires qu’elles jugent trop invalidants, d’autres nous disent :
“Ce n’est pas un souci, je peux bien les supporter, je vis avec main-
tenant, ce qui compte c’est la guérison et je ne veux pas avoir à
regretter un jour d’avoir interrompu mon traitement.”
Dans un certains nombre de cas, si les effets secondaires et leurs
conséquences étaient plus systématiquement et mieux explicités,
lors des consultations initiales par les praticiens, les patientes pour-
raient peut-être anticiper mentalement et, éventuellement, prendre
quelques dispositions.
Il faut enfin souligner que les effets indésirables de l’hormonothé-
rapie retentissent probablement moins sur la qualité de vie des
patientes traitées pour une maladie métastatique, non seulement
parce qu’ils sont parfois mêlés à tout un cortège de signes fonction-
nels, mais aussi parce les patientes les considèrent négligeables
face à une maladie qui met en jeu leur durée de vie à plus ou moins
court terme.
Au fond, après le traitement locorégional d’un cancer du sein, que
nous demande nos patientes ? Très souvent qu’on les guérissent
bien sûr, mais aussi qu’on leur permette de mener la vie la plus nor-
male possible dans laquelle elles tiennent leur place de femme à
part entière, aimante, aimée, optimiste et gaie, apte à assumer de
nombreux rôles, apte à être au même niveau que les autres tant
dans leur vie professionnelle que dans leurs loisirs. La perte de
cette qualité de vie, quand elle existe, est-elle toujours justifiée dans
la recherche d’une survie peut-être plus longue, mais moins riche
et moins “vivante” ? ■
© Lettre du Sénologue, n° 31, janvier-février-mars 2006.
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La Lettre du Gynécologue - n° 312 - mai 2006
GYNÉCO ET SOCIÉTÉ
Hormonothérapie après cancer du sein et qualité de vie :
les plaintes des patientes lors des consultations de suivi
●F. Dalenc*
* Oncologue médical, Institut Claudius Regaud, 20, rue du Pont-Saint-Pierre,
31052 Toulouse.
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