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Les propositions des autres...
Hormonothérapie substitutive après cancer du sein. Proposition d’une
étude multicentrique (FNCLCC)
● Pascale This*, A. de la Rochefordière*, A. Fourquet*, B. Asselain*, Y. De Rycke*, P. de Cremoux*, H. Magdelenat*
L
es cancérologues se heurtent depuis plusieurs années
au problème de la prescription d’un traitement hormonal substitutif de la ménopause (THS) après cancer du sein.
L’effet prolifératif des estrogènes sur les cellules mammaires
humaines normales et cancéreuses, et l’efficacité des traitements anti-estrogéniques dans le traitement adjuvant et palliatif du cancer du sein sont des arguments contre cette prescription.
On peut leur opposer le faible risque de cancer du sein sous
THS chez la femme saine, l’absence d’effet péjoratif de la
grossesse après cancer du sein traité et le meilleur pronostic
des cancers du sein survenant sous THS.
THS APRÈS CANCER DU SEIN : QUELLE EST LA QUESTION ?
La problématique de la prescription d’un THS après cancer du
sein soulève deux questions.
– Un THS contenant des estrogènes augmente-t-il le risque de
récidive locale, métastatique et controlatérale après cancer du
sein et/ou diminue-t-il le délai de leur apparition ?
– Après traitement d’un cancer du sein, le bénéfice global d’un
THS sera-t-il supérieur aux risques encourus ?
Actuellement, il n’existe pas de données scientifiques permettant de répondre à la première question. Les quelques études
rétrospectives publiées dans la littérature sont trop limitées
pour apporter une réponse précise. On ne sait donc pas si le
THS induit une augmentation du risque de rechute et, si tel est
le cas, quelle est l’amplitude de celle-ci. Il s’agit là d’un point
crucial, car si l’augmentation du risque mammaire est significative mais faible, il est possible toutefois que la somme des
bénéfices (coronariens, osseux, qualité de la vie) reste supérieure à celle des risques, au moins pour certains sous-groupes
de patientes. La distinction entre ces deux questions est fondamentale, comme l’a magistralement démontré l’essai du
NSABP sur la prévention du cancer du sein. Certes, le tamoxifène diminue (ou retarde) l’émergence des cancers du sein
*Groupe d’étude des tumeurs mammaires de l’Institut Curie.
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chez les femmes à haut risque, mais il n’est pas certain que la
totalité des bénéfices mammaires et osseux du tamoxifène soit
supérieure à celle des risques endométriaux et thromboemboliques. L’arrêt prématuré de l’essai ne permettra pas de
répondre à cette question.
VERS UN ESSAI THÉRAPEUTIQUE : QUELS FACTEURS
D’ÉTUDE ?
La nécessité d’un essai thérapeutique sur le THS après cancer
du sein s’impose. L’une des difficultés de cet essai réside dans
le fait que les risques et les bénéfices sont, pour certains, perceptibles à court terme, quoique difficilement mesurables
(l’amélioration de la qualité de la vie, principale demande des
femmes) et, pour d’autres, appréciables à moyen voire à long
terme : récidive mammaire, fractures ostéoporotiques, événements coronariens. De plus, l’obtention d’un bénéfice coronarien ou osseux nécessite une durée de THS prolongée. Rappelons que l’étude MEDOS a montré qu’un THS pris pendant
cinq ans à la ménopause n’est pas efficace sur la prévention du
risque de fractures de hanche après 80 ans, pic de fréquence de
ces fractures. En termes de prévention du risque fracturaire, le
THS doit être prolongé (sept voire dix ans), et sera probablement plus efficace s’il est donné tardivement (vers 70 ans).
Ainsi, “l’idéal épidémiologique” serait la mise en place d’un
important essai prospectif randomisé, comparant, chez des
femmes après un cancer du sein, l’effet d’un THS et d’un placebo sur le risque de récidive locale, métastatique, de cancer
du sein controlatéral, sur la mortalité globale et liée au cancer
du sein, et sur les bénéfices attendus, par exemple concernant
la qualité de vie, les événements coronariens, et les fractures
ostéoporotiques. On pourrait ainsi définir des sous-groupes de
patientes pour lesquelles le rapport des risques et des bénéfices
permettrait de conclure soit à la possibilité de prescription du
THS (les bénéfices sont supérieurs aux risques), soit à l’exclusion du THS (les risques sont supérieurs aux bénéfices).
Cet essai est irréalisable en pratique.
Si des analyses intermédiaires montraient un effet péjoratif du
THS sur certains facteurs (par exemple, augmentation des récidives mammaires), une réflexion éthique imposerait d’arrêter
aussitôt l’essai, sans toutefois que l’effet global du THS ait été
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réellement apprécié (comme pour l’essai de prévention par le
tamoxifène).
Nous pensons donc qu’il est préférable de limiter l’essai à
l’étude de l’effet du THS sur le risque mammaire et la correction des effets secondaires de la ménopause chez des patientes
demandeuses.
THS : QUELLE DURÉE ?
Le risque de cancer du sein sous THS chez la femme saine
augmente avec chaque année d’utilisation. D’après la récente
méta-analyse du Collaborative Group on Hormonal Factors, le
risque devient de 1,35 lorsque la durée d’utilisation est supérieure à cinq ans. La durée du THS conditionne donc à la fois
l’ampleur des risques et celle des bénéfices. Après un cancer
du sein, il paraît prudent de limiter la durée du THS à cinq ans.
QUELLES ALTERNATIVES AU THS ?
Une étude randomisée THS versus placebo est irréalisable en
pratique : il paraît illusoire de proposer à la moitié des
patientes demandeuses et motivées par leur qualité de vie un
traitement placebo pendant une durée de cinq ans.
Une étude THS versus absence de traitement pose les mêmes
problèmes (peut-on ne rien prescrire à une patiente suffisamment gênée par sa ménopause pour entrer dans l’étude ?) et
exposerait à des prescriptions “sauvages” et hétérogènes dans
le groupe sans THS.
Une étude THS versus tamoxifène, si l’on se limite aux facteurs de risque mammaire et de qualité de la vie, n’apporterait
rien de plus que ce que l’on sait déjà : on peut parier qu’il y
aurait moins d’événements mammaires dans le groupe tamoxifène et une meilleure qualité de vie dans le groupe THS !
L’association THS et tamoxifène a été proposée par certains
auteurs. Elle est d’autant plus séduisante que la récente métaanalyse de l’EBCTCG a montré que le tamoxifène en adjuvant
est également efficace chez les femmes de moins de 50 ans non
ménopausées, c’est-à-dire en présence d’une imprégnation
estrogénique notable ; toutefois, si le tamoxifène occupe les
récepteurs des estrogènes dans le sein, qu’en est-il ailleurs ? Le
mécanisme de l’association agoniste/antagoniste n’est pas
clair, et rien ne prouve que ce sont les estrogènes qui occupent
les récepteurs des autres tissus cibles.
Une étude THS versus “nouvel anti-estrogène” serait intéressante : la mise au point de Modulateurs Sélectifs du Récepteur
des Estrogènes (SERM), antagoniste sur le sein, agoniste sur
l’os et le foie, et sans effet délétère sur l’endomètre s’avère
prometteuse. Toutefois, la prescription d’un SERM (comme le
raloxifène) dans le cadre d’un essai paraît actuellement prématurée. De plus, le raloxifène ne semble pas être actif sur les
bouffées de chaleur.
CHEZ QUELLES FEMMES ?
Si l’on suppose que le THS induit une augmentation potentielle,
mais non chiffrable actuellement, du risque de rechutes, nous
pensons qu’il est souhaitable de l’administrer à une population
de patientes dont le risque connu d’échec est décroissant ou
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stable, de manière à ne s’exposer qu’à un faible nombre absolu
de rechutes locales, métastatiques et controlatérales. Il est donc
prudent d’exiger un intervalle libre suffisant depuis le traitement du cancer.
Par ailleurs, les données de l’EBCTCG, récemment actualisées,
concernant l’efficacité du tamoxifène en traitement adjuvant
du cancer du sein doivent absolument rester à l’esprit : après
un cancer du sein, un traitement adjuvant par le tamoxifène
pendant cinq ans améliore nettement la survie globale et sans
récidive, et l’effet favorable persiste après l’arrêt du tamoxifène.
Dès lors que la tumeur contient des récepteurs aux estrogènes,
un traitement de cinq ans est protecteur même chez les
patientes sans envahissement ganglionnaire, et même après
une chimiothérapie.
PROPOSITION D’UN ESSAI THS APRÈS CANCER DU SEIN
L’objectif initial sera d’évaluer le risque du THS sur l’évolution de la maladie mammaire en termes de récidive locale,
métastatique et controlatérale. Le principal bénéfice attendu ne
concernera que la qualité de vie, et sera évalué grâce à un
questionnaire spécifique. La durée du THS sera limitée à cinq
ans.
Une étude rétrospective de l’Institut Curie portant sur
518 patientes traitées par chirurgie limitée et radiothérapie
postopératoire de 1960 à 1980 (recul médian de 16,5 ans)
montre que le risque annuel de rechute locale passe par un
maximum à quatre ans d’évolution, pour atteindre un rythme
stable au-delà de sept ans.
Par ailleurs, une étude multifactorielle de l’Institut Curie a
analysé les facteurs pronostiques de 1 387 patientes traitées
pour un cancer du sein en rémission complète, avec un recul
minimal de 7 ans : âge au diagnostic, taille tumorale, statut
ganglionnaire, statut des récepteurs hormonaux, grade SBR.
L’analyse multifactorielle retrouve que seuls la taille de la
tumeur (RR : 1,23) et l’envahissement ganglionnaire axillaire
(RR : 1,47) conservent une valeur pronostique indépendante
sur le risque métastatique au-delà de sept ans d’évolution.
Nous proposons de prescrire le THS aux patientes en rémission complète depuis au moins sept ans et présentant un faible
risque de récidive, en fonction de critères connus : histologiques (carcinome canalaire in situ ou infiltrant) et pronostiques (taille ≤ 3 cm, N0 N-).
Nous proposons de comparer la fréquence des événements
observés dans la population sous THS à la fréquence attendue
de ces événements dans une population de référence non traitée.
Bien sûr, hors du cadre d’un essai thérapeutique non randomisé,
la méthodologie d’analyse doit être particulièrement rigoureuse :
modélisation du risque de rechute dans la population de référence grâce à un modèle de Weibull, règles d’arrêt strictes et
mise en place d’un comité de surveillance indépendant, composé de spécialistes en cancérologie, endocrinologie, gynécologie et statistiques ne participant pas à l’étude, et dont la mission sera d’examiner les résultats des analyses intermédiaires
et de donner son avis sur la poursuite ou l’arrêt de l’essai : si le
risque d’événements sous THS se situe dans une zone considérée comme inacceptable, l’essai sera interrompu.
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Nous proposons l’inclusion multicentrique de 1 200 patientes
sur une durée de trois ans. L’évaluation définitive des résultats
de l’essai sera effectuée à huit ans.
Concernant la nature du THS, nous proposons d’homogénéiser
la nature des traitements pour faciliter l’interprétation des
résultats observés, et de choisir un nombre limité de molécules
bien tolérées sur le plan vasculaire, ainsi qu’une seule voie
d’administration : 17 β estradiol naturel en gel ou patch et progestérone naturelle ou nomégestrol acétate en traitement combiné-continu 20 ou 28 jours/28.
La mise en place d’un essai sur THS après cancer du sein est
urgente et incontournable. Pour la patiente, la question fondamentale est celle du rapport total entre les risques et les bénéfices du THS, mais, à l’idéal épidémiologique, une réflexion
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éthique opposera prudence et réalisme : nous proposons d’étudier l’effet d’un THS sur le risque mammaire d’une population
homogène de patientes ayant été traitées pour un cancer du
sein à faible risque de récidive et désirant un THS pour améliorer leur qualité de vie.
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❒ Kanis J.A. and the MEDOS Study group. Evidence for efficacy of drugs affecting
bone metabolism in preventing hip fractures. Br Med J 1992 ; 305 : 1124-8.
❒ Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast cancer
and hormone replacement therapy : collaborative analysis of data from 51
epidemiological studies of 52 705 women with breast cancer and 108 411
women without breast cancer. Lancet 1997 ; 350 : 1047-59.
❒ Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group. Tamoxifen for early breast
cancer : an overview of the randomised trials. Lancet 1998 ; 351 : 1451-67.
Schéma de l’étude
➫ Objectifs :
Essai prospectif de phase II, non randomisé, avec bénéfice individuel direct.
• Objectif initial : Évaluer le risque d’un THS de la ménopause après traitement d’un cancer du sein sur
l’évolution, en termes de récidive locale et métastatique, de cancer du sein controlatéral et de survie
globale.
• Objectif secondaire : Évaluer parallèlement les bénéfices du THS sur la qualité de vie.
➫ Critères d’inclusion :
• Ménopause prouvée.
• Cancer du sein intracanalaire strict :
– résection complète,
– rémission > 7 ans.
• Cancer du sein invasif :
– rémission complète > 7 ans,
– taille clinique et histologique ≤ 3 cm,
– résection complète,
– N0, pN- (pas d’atteinte ganglionnaire histologique),
– ER positifs ou négatifs.
Pas de contre-indication, notamment cardiovasculaire et thromboembolique, à la mise en route d’un
traitement substitutif, et pas de cancer de l’endomètre.
➫ Augmentation progressive des doses :
• Estrogène : 17 β E2 par voie percutanée,
gel (0,75 –> 1,5 mg) ou patch (25 à 37,5 µg –> 50 µg).
• Progestatif : Progestérone naturelle (Utrogestan® 1c./j)
ou nomégestrol acétate (Lutényl® 1c./j soit 2,5 mg/j).
Traitement combiné-continu, avec ou sans fenêtre thérapeutique.
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J20
➫ Durée du THS : 5 ans.
➫ Durée d’inclusion : 3 ans.
➫ Évaluation définitive à 8 ans.
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