261133F/n°2 20/04/04 D O 17:16 S Page 22 S I E R T H É M A T I Q U E Les propositions des autres... Hormonothérapie substitutive après cancer du sein. Proposition d’une étude multicentrique (FNCLCC) ● Pascale This*, A. de la Rochefordière*, A. Fourquet*, B. Asselain*, Y. De Rycke*, P. de Cremoux*, H. Magdelenat* L es cancérologues se heurtent depuis plusieurs années au problème de la prescription d’un traitement hormonal substitutif de la ménopause (THS) après cancer du sein. L’effet prolifératif des estrogènes sur les cellules mammaires humaines normales et cancéreuses, et l’efficacité des traitements anti-estrogéniques dans le traitement adjuvant et palliatif du cancer du sein sont des arguments contre cette prescription. On peut leur opposer le faible risque de cancer du sein sous THS chez la femme saine, l’absence d’effet péjoratif de la grossesse après cancer du sein traité et le meilleur pronostic des cancers du sein survenant sous THS. THS APRÈS CANCER DU SEIN : QUELLE EST LA QUESTION ? La problématique de la prescription d’un THS après cancer du sein soulève deux questions. – Un THS contenant des estrogènes augmente-t-il le risque de récidive locale, métastatique et controlatérale après cancer du sein et/ou diminue-t-il le délai de leur apparition ? – Après traitement d’un cancer du sein, le bénéfice global d’un THS sera-t-il supérieur aux risques encourus ? Actuellement, il n’existe pas de données scientifiques permettant de répondre à la première question. Les quelques études rétrospectives publiées dans la littérature sont trop limitées pour apporter une réponse précise. On ne sait donc pas si le THS induit une augmentation du risque de rechute et, si tel est le cas, quelle est l’amplitude de celle-ci. Il s’agit là d’un point crucial, car si l’augmentation du risque mammaire est significative mais faible, il est possible toutefois que la somme des bénéfices (coronariens, osseux, qualité de la vie) reste supérieure à celle des risques, au moins pour certains sous-groupes de patientes. La distinction entre ces deux questions est fondamentale, comme l’a magistralement démontré l’essai du NSABP sur la prévention du cancer du sein. Certes, le tamoxifène diminue (ou retarde) l’émergence des cancers du sein *Groupe d’étude des tumeurs mammaires de l’Institut Curie. 22 chez les femmes à haut risque, mais il n’est pas certain que la totalité des bénéfices mammaires et osseux du tamoxifène soit supérieure à celle des risques endométriaux et thromboemboliques. L’arrêt prématuré de l’essai ne permettra pas de répondre à cette question. VERS UN ESSAI THÉRAPEUTIQUE : QUELS FACTEURS D’ÉTUDE ? La nécessité d’un essai thérapeutique sur le THS après cancer du sein s’impose. L’une des difficultés de cet essai réside dans le fait que les risques et les bénéfices sont, pour certains, perceptibles à court terme, quoique difficilement mesurables (l’amélioration de la qualité de la vie, principale demande des femmes) et, pour d’autres, appréciables à moyen voire à long terme : récidive mammaire, fractures ostéoporotiques, événements coronariens. De plus, l’obtention d’un bénéfice coronarien ou osseux nécessite une durée de THS prolongée. Rappelons que l’étude MEDOS a montré qu’un THS pris pendant cinq ans à la ménopause n’est pas efficace sur la prévention du risque de fractures de hanche après 80 ans, pic de fréquence de ces fractures. En termes de prévention du risque fracturaire, le THS doit être prolongé (sept voire dix ans), et sera probablement plus efficace s’il est donné tardivement (vers 70 ans). Ainsi, “l’idéal épidémiologique” serait la mise en place d’un important essai prospectif randomisé, comparant, chez des femmes après un cancer du sein, l’effet d’un THS et d’un placebo sur le risque de récidive locale, métastatique, de cancer du sein controlatéral, sur la mortalité globale et liée au cancer du sein, et sur les bénéfices attendus, par exemple concernant la qualité de vie, les événements coronariens, et les fractures ostéoporotiques. On pourrait ainsi définir des sous-groupes de patientes pour lesquelles le rapport des risques et des bénéfices permettrait de conclure soit à la possibilité de prescription du THS (les bénéfices sont supérieurs aux risques), soit à l’exclusion du THS (les risques sont supérieurs aux bénéfices). Cet essai est irréalisable en pratique. Si des analyses intermédiaires montraient un effet péjoratif du THS sur certains facteurs (par exemple, augmentation des récidives mammaires), une réflexion éthique imposerait d’arrêter aussitôt l’essai, sans toutefois que l’effet global du THS ait été La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998 261133F/n°2 20/04/04 17:16 Page 23 réellement apprécié (comme pour l’essai de prévention par le tamoxifène). Nous pensons donc qu’il est préférable de limiter l’essai à l’étude de l’effet du THS sur le risque mammaire et la correction des effets secondaires de la ménopause chez des patientes demandeuses. THS : QUELLE DURÉE ? Le risque de cancer du sein sous THS chez la femme saine augmente avec chaque année d’utilisation. D’après la récente méta-analyse du Collaborative Group on Hormonal Factors, le risque devient de 1,35 lorsque la durée d’utilisation est supérieure à cinq ans. La durée du THS conditionne donc à la fois l’ampleur des risques et celle des bénéfices. Après un cancer du sein, il paraît prudent de limiter la durée du THS à cinq ans. QUELLES ALTERNATIVES AU THS ? Une étude randomisée THS versus placebo est irréalisable en pratique : il paraît illusoire de proposer à la moitié des patientes demandeuses et motivées par leur qualité de vie un traitement placebo pendant une durée de cinq ans. Une étude THS versus absence de traitement pose les mêmes problèmes (peut-on ne rien prescrire à une patiente suffisamment gênée par sa ménopause pour entrer dans l’étude ?) et exposerait à des prescriptions “sauvages” et hétérogènes dans le groupe sans THS. Une étude THS versus tamoxifène, si l’on se limite aux facteurs de risque mammaire et de qualité de la vie, n’apporterait rien de plus que ce que l’on sait déjà : on peut parier qu’il y aurait moins d’événements mammaires dans le groupe tamoxifène et une meilleure qualité de vie dans le groupe THS ! L’association THS et tamoxifène a été proposée par certains auteurs. Elle est d’autant plus séduisante que la récente métaanalyse de l’EBCTCG a montré que le tamoxifène en adjuvant est également efficace chez les femmes de moins de 50 ans non ménopausées, c’est-à-dire en présence d’une imprégnation estrogénique notable ; toutefois, si le tamoxifène occupe les récepteurs des estrogènes dans le sein, qu’en est-il ailleurs ? Le mécanisme de l’association agoniste/antagoniste n’est pas clair, et rien ne prouve que ce sont les estrogènes qui occupent les récepteurs des autres tissus cibles. Une étude THS versus “nouvel anti-estrogène” serait intéressante : la mise au point de Modulateurs Sélectifs du Récepteur des Estrogènes (SERM), antagoniste sur le sein, agoniste sur l’os et le foie, et sans effet délétère sur l’endomètre s’avère prometteuse. Toutefois, la prescription d’un SERM (comme le raloxifène) dans le cadre d’un essai paraît actuellement prématurée. De plus, le raloxifène ne semble pas être actif sur les bouffées de chaleur. CHEZ QUELLES FEMMES ? Si l’on suppose que le THS induit une augmentation potentielle, mais non chiffrable actuellement, du risque de rechutes, nous pensons qu’il est souhaitable de l’administrer à une population de patientes dont le risque connu d’échec est décroissant ou La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998 stable, de manière à ne s’exposer qu’à un faible nombre absolu de rechutes locales, métastatiques et controlatérales. Il est donc prudent d’exiger un intervalle libre suffisant depuis le traitement du cancer. Par ailleurs, les données de l’EBCTCG, récemment actualisées, concernant l’efficacité du tamoxifène en traitement adjuvant du cancer du sein doivent absolument rester à l’esprit : après un cancer du sein, un traitement adjuvant par le tamoxifène pendant cinq ans améliore nettement la survie globale et sans récidive, et l’effet favorable persiste après l’arrêt du tamoxifène. Dès lors que la tumeur contient des récepteurs aux estrogènes, un traitement de cinq ans est protecteur même chez les patientes sans envahissement ganglionnaire, et même après une chimiothérapie. PROPOSITION D’UN ESSAI THS APRÈS CANCER DU SEIN L’objectif initial sera d’évaluer le risque du THS sur l’évolution de la maladie mammaire en termes de récidive locale, métastatique et controlatérale. Le principal bénéfice attendu ne concernera que la qualité de vie, et sera évalué grâce à un questionnaire spécifique. La durée du THS sera limitée à cinq ans. Une étude rétrospective de l’Institut Curie portant sur 518 patientes traitées par chirurgie limitée et radiothérapie postopératoire de 1960 à 1980 (recul médian de 16,5 ans) montre que le risque annuel de rechute locale passe par un maximum à quatre ans d’évolution, pour atteindre un rythme stable au-delà de sept ans. Par ailleurs, une étude multifactorielle de l’Institut Curie a analysé les facteurs pronostiques de 1 387 patientes traitées pour un cancer du sein en rémission complète, avec un recul minimal de 7 ans : âge au diagnostic, taille tumorale, statut ganglionnaire, statut des récepteurs hormonaux, grade SBR. L’analyse multifactorielle retrouve que seuls la taille de la tumeur (RR : 1,23) et l’envahissement ganglionnaire axillaire (RR : 1,47) conservent une valeur pronostique indépendante sur le risque métastatique au-delà de sept ans d’évolution. Nous proposons de prescrire le THS aux patientes en rémission complète depuis au moins sept ans et présentant un faible risque de récidive, en fonction de critères connus : histologiques (carcinome canalaire in situ ou infiltrant) et pronostiques (taille ≤ 3 cm, N0 N-). Nous proposons de comparer la fréquence des événements observés dans la population sous THS à la fréquence attendue de ces événements dans une population de référence non traitée. Bien sûr, hors du cadre d’un essai thérapeutique non randomisé, la méthodologie d’analyse doit être particulièrement rigoureuse : modélisation du risque de rechute dans la population de référence grâce à un modèle de Weibull, règles d’arrêt strictes et mise en place d’un comité de surveillance indépendant, composé de spécialistes en cancérologie, endocrinologie, gynécologie et statistiques ne participant pas à l’étude, et dont la mission sera d’examiner les résultats des analyses intermédiaires et de donner son avis sur la poursuite ou l’arrêt de l’essai : si le risque d’événements sous THS se situe dans une zone considérée comme inacceptable, l’essai sera interrompu. 23 261133F/n°2 20/04/04 D O 17:16 S Page 24 S I E R T Nous proposons l’inclusion multicentrique de 1 200 patientes sur une durée de trois ans. L’évaluation définitive des résultats de l’essai sera effectuée à huit ans. Concernant la nature du THS, nous proposons d’homogénéiser la nature des traitements pour faciliter l’interprétation des résultats observés, et de choisir un nombre limité de molécules bien tolérées sur le plan vasculaire, ainsi qu’une seule voie d’administration : 17 β estradiol naturel en gel ou patch et progestérone naturelle ou nomégestrol acétate en traitement combiné-continu 20 ou 28 jours/28. La mise en place d’un essai sur THS après cancer du sein est urgente et incontournable. Pour la patiente, la question fondamentale est celle du rapport total entre les risques et les bénéfices du THS, mais, à l’idéal épidémiologique, une réflexion H É M A T I Q U E éthique opposera prudence et réalisme : nous proposons d’étudier l’effet d’un THS sur le risque mammaire d’une population homogène de patientes ayant été traitées pour un cancer du sein à faible risque de récidive et désirant un THS pour améliorer leur qualité de vie. ■ PO U R E N S A V O I R P L U S . . . ❒ Kanis J.A. and the MEDOS Study group. Evidence for efficacy of drugs affecting bone metabolism in preventing hip fractures. Br Med J 1992 ; 305 : 1124-8. ❒ Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. Breast cancer and hormone replacement therapy : collaborative analysis of data from 51 epidemiological studies of 52 705 women with breast cancer and 108 411 women without breast cancer. Lancet 1997 ; 350 : 1047-59. ❒ Early Breast Cancer Trialists’ Collaborative Group. Tamoxifen for early breast cancer : an overview of the randomised trials. Lancet 1998 ; 351 : 1451-67. Schéma de l’étude ➫ Objectifs : Essai prospectif de phase II, non randomisé, avec bénéfice individuel direct. • Objectif initial : Évaluer le risque d’un THS de la ménopause après traitement d’un cancer du sein sur l’évolution, en termes de récidive locale et métastatique, de cancer du sein controlatéral et de survie globale. • Objectif secondaire : Évaluer parallèlement les bénéfices du THS sur la qualité de vie. ➫ Critères d’inclusion : • Ménopause prouvée. • Cancer du sein intracanalaire strict : – résection complète, – rémission > 7 ans. • Cancer du sein invasif : – rémission complète > 7 ans, – taille clinique et histologique ≤ 3 cm, – résection complète, – N0, pN- (pas d’atteinte ganglionnaire histologique), – ER positifs ou négatifs. Pas de contre-indication, notamment cardiovasculaire et thromboembolique, à la mise en route d’un traitement substitutif, et pas de cancer de l’endomètre. ➫ Augmentation progressive des doses : • Estrogène : 17 β E2 par voie percutanée, gel (0,75 –> 1,5 mg) ou patch (25 à 37,5 µg –> 50 µg). • Progestatif : Progestérone naturelle (Utrogestan® 1c./j) ou nomégestrol acétate (Lutényl® 1c./j soit 2,5 mg/j). Traitement combiné-continu, avec ou sans fenêtre thérapeutique. J1 J28 J1 J20 ➫ Durée du THS : 5 ans. ➫ Durée d’inclusion : 3 ans. ➫ Évaluation définitive à 8 ans. 24 La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998