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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
réellement apprécié (comme pour l’essai de prévention par le
tamoxifène).
Nous pensons donc qu’il est préférable de limiter l’essai à
l’étude de l’effet du THS sur le risque mammaire et la correc-
tion des effets secondaires de la ménopause chez des patientes
demandeuses.
THS : QUELLE DURÉE ?
Le risque de cancer du sein sous THS chez la femme saine
augmente avec chaque année d’utilisation. D’après la récente
méta-analyse du Collaborative Group on Hormonal Factors, le
risque devient de 1,35 lorsque la durée d’utilisation est supé-
rieure à cinq ans. La durée du THS conditionne donc à la fois
l’ampleur des risques et celle des bénéfices. Après un cancer
du sein, il paraît prudent de limiter la durée du THS à cinq ans.
QUELLES ALTERNATIVES AU THS ?
Une étude randomisée THS versus placebo est irréalisable en
pratique : il paraît illusoire de proposer à la moitié des
patientes demandeuses et motivées par leur qualité de vie un
traitement placebo pendant une durée de cinq ans.
Une étude THS versus absence de traitement pose les mêmes
problèmes (peut-on ne rien prescrire à une patiente suffisam-
ment gênée par sa ménopause pour entrer dans l’étude ?) et
exposerait à des prescriptions “sauvages” et hétérogènes dans
le groupe sans THS.
Une étude THS versus tamoxifène, si l’on se limite aux fac-
teurs de risque mammaire et de qualité de la vie, n’apporterait
rien de plus que ce que l’on sait déjà : on peut parier qu’il y
aurait moins d’événements mammaires dans le groupe tamoxi-
fène et une meilleure qualité de vie dans le groupe THS !
L’association THS et tamoxifène a été proposée par certains
auteurs. Elle est d’autant plus séduisante que la récente méta-
analyse de l’EBCTCG a montré que le tamoxifène en adjuvant
est également efficace chez les femmes de moins de 50 ans non
ménopausées, c’est-à-dire en présence d’une imprégnation
estrogénique notable ; toutefois, si le tamoxifène occupe les
récepteurs des estrogènes dans le sein, qu’en est-il ailleurs ? Le
mécanisme de l’association agoniste/antagoniste n’est pas
clair, et rien ne prouve que ce sont les estrogènes qui occupent
les récepteurs des autres tissus cibles.
Une étude THS versus “nouvel anti-estrogène” serait intéres-
sante : la mise au point de Modulateurs Sélectifs du Récepteur
des Estrogènes (SERM), antagoniste sur le sein, agoniste sur
l’os et le foie, et sans effet délétère sur l’endomètre s’avère
prometteuse. Toutefois, la prescription d’un SERM (comme le
raloxifène) dans le cadre d’un essai paraît actuellement préma-
turée. De plus, le raloxifène ne semble pas être actif sur les
bouffées de chaleur.
CHEZ QUELLES FEMMES ?
Si l’on suppose que le THS induit une augmentation potentielle,
mais non chiffrable actuellement, du risque de rechutes, nous
pensons qu’il est souhaitable de l’administrer à une population
de patientes dont le risque connu d’échec est décroissant ou
stable, de manière à ne s’exposer qu’à un faible nombre absolu
de rechutes locales, métastatiques et controlatérales. Il est donc
prudent d’exiger un intervalle libre suffisant depuis le traite-
ment du cancer.
Par ailleurs, les données de l’EBCTCG, récemment actualisées,
concernant l’efficacité du tamoxifène en traitement adjuvant
du cancer du sein doivent absolument rester à l’esprit : après
un cancer du sein, un traitement adjuvant par le tamoxifène
pendant cinq ans améliore nettement la survie globale et sans
récidive, et l’effet favorable persiste après l’arrêt du tamoxifène.
Dès lors que la tumeur contient des récepteurs aux estrogènes,
un traitement de cinq ans est protecteur même chez les
patientes sans envahissement ganglionnaire, et même après
une chimiothérapie.
PROPOSITION D’UN ESSAI THS APRÈS CANCER DU SEIN
L’objectif initial sera d’évaluer le risque du THS sur l’évolu-
tion de la maladie mammaire en termes de récidive locale,
métastatique et controlatérale. Le principal bénéfice attendu ne
concernera que la qualité de vie, et sera évalué grâce à un
questionnaire spécifique. La durée du THS sera limitée à cinq
ans.
Une étude rétrospective de l’Institut Curie portant sur
518 patientes traitées par chirurgie limitée et radiothérapie
postopératoire de 1960 à 1980 (recul médian de 16,5 ans)
montre que le risque annuel de rechute locale passe par un
maximum à quatre ans d’évolution, pour atteindre un rythme
stable au-delà de sept ans.
Par ailleurs, une étude multifactorielle de l’Institut Curie a
analysé les facteurs pronostiques de 1 387 patientes traitées
pour un cancer du sein en rémission complète, avec un recul
minimal de 7 ans : âge au diagnostic, taille tumorale, statut
ganglionnaire, statut des récepteurs hormonaux, grade SBR.
L’analyse multifactorielle retrouve que seuls la taille de la
tumeur (RR : 1,23) et l’envahissement ganglionnaire axillaire
(RR : 1,47) conservent une valeur pronostique indépendante
sur le risque métastatique au-delà de sept ans d’évolution.
Nous proposons de prescrire le THS aux patientes en rémis-
sion complète depuis au moins sept ans et présentant un faible
risque de récidive, en fonction de critères connus : histolo-
giques (carcinome canalaire in situ ou infiltrant) et pronos-
tiques (taille ≤3 cm, N0 N-).
Nous proposons de comparer la fréquence des événements
observés dans la population sous THS à la fréquence attendue
de ces événements dans une population de référence non traitée.
Bien sûr, hors du cadre d’un essai thérapeutique non randomisé,
la méthodologie d’analyse doit être particulièrement rigoureuse :
modélisation du risque de rechute dans la population de réfé-
rence grâce à un modèle de Weibull, règles d’arrêt strictes et
mise en place d’un comité de surveillance indépendant, com-
posé de spécialistes en cancérologie, endocrinologie, gynéco-
logie et statistiques ne participant pas à l’étude, et dont la mis-
sion sera d’examiner les résultats des analyses intermédiaires
et de donner son avis sur la poursuite ou l’arrêt de l’essai : si le
risque d’événements sous THS se situe dans une zone considé-
rée comme inacceptable, l’essai sera interrompu.