ans le genre serpent de mer, voici un bien beau

publicité
É
D
I
T
O
R
I
A
L
Cancer du sein et hormonothérapie substitutive :
encore et toujours…
● C. Jamin*
D
ans le genre serpent de mer, voici un bien beau
spécimen ! Depuis des décennies, ce sujet fait
recette avec analyses et contre-analyses, preuves et
contre-preuves, certitudes et doutes. Un nouvel épisode a eu lieu
cet été avec les résultats de l’étude WHI (Women Health Initiative). La voilà enfin venue, l’étude que tout le monde attendait,
celle dont chacun déplorait l’absence et qui allait donner la
conclusion finale aux milliers d’articles déjà consacrés au sujet :
je veux parler de l’étude randomisée THS versus placebo.
De quoi s’agit-il ? En 1985, les autorités de santé aux États-Unis
décident d’évaluer les différentes possibilités de prévention des
grandes pathologies de la femme de plus de 50 ans et prévoient
d’inclure dans ce vaste programme 160 000 femmes. L’un des
bras de cette évaluation correspond à cette étude et concerne
16 600 femmes : plus de 8 000 par groupe, placebo ou 0,625 mg
d’estrogènes conjugués équins (ECE) associés à 2,5 mg de
médroxy-progestérone acétate (MPA) en combiné continu,
durée prévue 8,5 ans. Les femmes ont 63 ans en moyenne, sont
plutôt obèses (BMI moyen 28), très souvent hypertendues
(35 %), et certaines ont déjà reçu un THS. Il s’agit donc d’une
population tout venant, plutôt à risques multiples. Finis les biais
d’inclusion et les biais de surveillance, une mammographie par
an pour chaque femme dans les deux groupes. L’étude a été
interrompue après 5 ans du fait d’un nombre plus important
d’événements graves survenus dans le groupes traité, à savoir un
surplus de 19/10 000 femmes par an.
Considérons d’abord les bonnes nouvelles : le THS confirme son
effet préventif sur les fractures en général et sur celles du col
fémoral en particulier ; on observe aussi un risque de cancer du
côlon plus faible dans le groupe THS RR = 0,63 (0,43-0,92). Le
THS devient ainsi le premier traitement ayant démontré au
niveau fémoral une efficacité préventive dans une population
non sélectionnée. Maintenant les mauvaises nouvelles : on
observe une augmentation statistiquement significative des phlébites RR = 2, des embolies pulmonaires RR = 2,13, des
accidents coronariens RR = 1,29, des accidents vasculaires
cérébraux RR = 1,41, bref des événements cardiovasculaires RR
= 1,22. Ce bien piètre résultat n’est en réalité une surprise que
pour les tenants de l’optimisme à tout crin et confirme les résultats avec le même traitement de l’autre étude randomisée HERS
de prévention secondaire, ainsi que nombre d’effets pharmaco-
* Service de gynécologie-obstétrique (Pr Madelenat), hôpital Bichat, Paris.
La Lettre du Sénologue - n° 17 - juillet/août/septembre 2002
logiques de ce type de traitement connus pour être défavorables.
Ainsi ces résultats ne sont pas extrapolables aux traitements utilisant un autre progestatif et une voie non orale d’administration
des estrogènes. Qui, en Europe, oserait donner un tel traitement
à des femmes de 63 ans, obèses et hypertendues ?
Les résultats sur le cancer du sein confirment globalement la
méta-analyse de 1997 du Lancet RR = 1,26 (1,00-1,59), ce qui
ici, représente 38 cancers dans le groupe ECE + MPA versus
30 dans le groupe placebo, pour 10 000 femmes et par an. Enfin,
la mortalité est identique dans les deux groupes, quelle qu’en
soit la cause (il n’y a que deux morts par groupe de cancer du
sein). Entrons davantage dans les détails pour ce qui est du cancer
du sein. C’est après 3 ans de traitement que le surrisque apparaît, ce sont principalement, si ce n’est uniquement, les femmes
qui avaient reçu auparavant un THS qui voient leur risque augmenter, et ce d’autant que le traitement antérieur et le traitement
actuel ont été plus longs. Il n’existe pas d’autres sous-groupes
identifiés, en particulier, contrairement à ce qui avait été observé
antérieurement, ce ne sont pas uniquement les femmes minces
qui sont concernées et les antécédents familiaux n’influencent
pas l’effet du THS, et enfin ce ne sont que les cancers invasifs
qui sont augmentés, alors qu’on n’observe rien pour les cancers
in situ. Ainsi l’effet délétère des estroprogestatifs administrés en
postménopause est confirmé sur le risque de découverte de cancer
du sein. Il semblerait donc, et c’est une surprise – la seule – que
la sélection des patientes recevant un THS et la meilleure surveillance des patientes aient été sans influence sur les résultats
des études antérieures.
Pour autant, la messe est-elle dite ? Certes non. Par exemple,
nous n’avons pas les résultats de l’étude comportant des estrogènes seuls, alors que nous savons que les progestatifs, suivant
leur structure, ont des effets différents sur le sein avec en particulier des affinités différentes sur les sous-types de récepteurs
de la progestérone A et B, que les cancers du sein sous THS ont
des caractéristiques histologiques et pronostiques différentes des
autres avec une mortalité plus faible, que les estrogènes influent
sur l’adhésivité et les capacités métastatiques des cellules…
Quelle est l’influence de tout cela sur la réalité clinique ?
En d’autre termes, nous ne savons pas si ce résultat est extrapolable aux autres types de THS ou à la tibolone, nous ne savons
pas s’il s’agit, comme cela est probable, d’une simple avance au
diagnostic, ni si cela est préjudiciable, et nous ne savons toujours
pas quel est le poids induit par ces diagnostics de cancer du sein
dans le rapport bénéfice-risque du THS.
En revanche, nous savons (avec quel bonheur !) que nous avons
des décennies de discussions acharnées devant nous…
■
3
Téléchargement