261133F/n°2 21/04/04 D O 9:57 S Page 26 S I E R T H É M A T I Q U E THS après cancer du sein : la réalisation d'un essai randomisé est-elle encore possible ? ● Nadine Dohollou* e cancer du sein est actuellement, dans les pays industrialisés, le cancer le plus fréquent chez la femme, et son incidence est encore en augmentation. Cette augmentation, plus nette pour les stades précoces, est la conséquence directe des campagnes de dépistage. Quoi qu’il en soit, les femmes atteintes, ménopausées lors du diagnostic de leur cancer ou préménopausées au diagnostic, mais que la chimiothérapie va ménopauser de façon précoce, ne peuvent aujourd’hui bénéficier d’un traitement hormonal substitutif, de crainte qu’un tel traitement ne stimule une éventuelle cellule cancéreuse résiduelle. L *Clinique de Bordeaux-Nord, Bordeaux. 26 THS ET RISQUE DE CANCER DU SEIN Il n’y a pas, dans la littérature, malgré la publication depuis 1971 de près de 50 études épidémiologiques, d’arguments permettant de conclure définitivement sur l’implication des estrogènes dans la genèse du cancer du sein (leur rôle potentiel dans la promotion des cancers préexistants ne peut en revanche être nié). La plupart de ces études sont des études cas-témoins, et la majorité d’entre elles ne retrouvent pas de relation entre la survenue d’un cancer du sein et l’utilisation d’estrogènes en postménopause, à l’exception peut-être des traitements par estrogènes au long cours (utilisation supérieure à dix ans). L’interprétation de ces études est difficile pour plusieurs raisons : La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998 261133F/n°2 21/04/04 9:57 Page 27 – la première est que, dans ces études cas-témoins, les cas contrôles sont des patientes hospitalisées ; – la deuxième raison est l’évolution des prescriptions dans le temps (type d’estrogènes, de la dose ou du schéma d’administration) ; – la troisième raison tient au fait que les patientes présentant une ménopause artificielle (chirurgicale en général) ne sont pas distinguées de celles qui ont une ménopause naturelle. Enfin, soulignons que les femmes pré- et postménopausées présentant un cancer du sein ne sont pas analysées séparément. Par ailleurs, la plupart de ces études manquent d’un suivi à long terme, et d’importantes variables ne sont pas précisées, telles que la parité, l’obésité, l’âge à la première grossesse et l’utilisation ou non d’une contraception orale. Devant l’impossibilité de conclure précisément à partir de ces études, cinq méta-analyses ont été réalisées, dont la plus connue, celle de Colditz ; publiée en 1993 et portant sur 31 études, n’a retrouvé qu’une légère augmentation du risque de survenue du cancer du sein après 10 à 15 ans d’utilisation d’un THS. Ces résultats ont été confirmés par la publication récente dans The Lancet (17 octobre 1997) d’une cinquième méta-analyse portant sur 51 études menées dans 21 pays et concernant plus de 100 000 femmes qui retrouvait une petite augmentation du risque de cancer du sein après 5 ans de traitement, ce risque dispairaissant à l’arrêt du THS. Pour interpréter l’ensemble des données présentées en termes de causalité, il faut acquérir la certitude que les groupes traités et non traités sont comparables pour tous les facteurs connus ou inconnus qui sont liés à la maladie (ou à la rechute dans le cas du THS après cancer du sein). Cette condition est le plus souvent remplie dans les essais thérapeutiques, le traitement étant attribué par tirage au sort. Dans les enquêtes épidémiologiques, cette condition n’est jamais remplie. monaux positifs (RH+) sont exclues ; si les RH sont négatifs, le THS est débuté après deux ans d’intervalle libre ; si les RH sont inconnus, un délai de dix ans après le traitement initial est demandé. La durée de prescription du THS est de cinq ans ; il s’agit d’estrogènes conjugués (Prémarin®) à 0,625 mg/j J1 J25. Le deuxième essai est suédois ; réalisé par le Dr Holmberg, il a débuté en 1997 ; il concerne les patientes de stade 0-II puisque les carcinomes intracanalaires peuvent également être inclus. Les RH peuvent être positifs ou négatifs. Les patientes peuvent être sous tamoxifène. La durée de prescription du THS est de deux ans. L’intervalle libre depuis le traitement initial n’est pas précisé. Le traitement consiste en une combinaison estroprogestative continue ou séquentielle, ou en des estrogènes seuls chez la femme hystérectomisée. Ces deux essais ont beaucoup de difficultés à inclure des patientes : les inclusions concernant uniquement les femmes demandeuses, celles-ci sont prêtes à changer d’équipe soignante lorsqu’elles se trouvent placées, après randomisation, dans le bras sans traitement. Une solution serait peut-être de ne pas restreindre ces études aux patientes demandeuses, mais de les proposer à toute patiente éligible pour un tel traitement. Une autre difficulté est apparue devant l’élargissement des indications du tamoxifène depuis la publication de la métaanalye de Peto (prescription faite pour 5 ans) dans le fait que les indications du tamoxifène en adjuvant sont beaucoup plus larges. Est-il raisonnable de prescrire, dans ce cas, un estrogène associé à un anti-estrogène sans avoir de certitude sur les mécanismes biologiques et les interactions possibles ? Powles en a cependant déjà l’expérience, depuis plusieurs années, dans l’essai de prévention du Royal Marsden Hospital autorisant les estrogènes pour les troubles climatériques. THS APRÈS CANCER DU SEIN Parallèlement à ces études épidémiologiques, on retrouve, dans la littérature, la publication de quelques études monocentriques non randomisées qui relatent l’expérience de la prescription de THS à des femmes ayant un antécédent personnel de cancer du sein. Les critères de gravité des cancers du sein ne sont pas appréciés de la même façon par les différentes équipes ; certaines prescrivent un THS aux femmes ayant eu un cancer du sein hormonodépendant, car elles estiment que ces cancers sont spontanément de meilleur pronostic ; les autres, au contraire, prescrivent ce THS aux patientes ayant un antécédent de cancer hormono-indépendant, de crainte de stimuler une éventuelle cellule tumorale restante et hormonodépendante. Toutes ces études sont, bien sûr, sans valeur sur le plan statistique, une réponse définitive quant à l’innocuité du THS ne pouvant être fournie que par la réalisation d’un essai randomisé. Il existe actuellement deux essais thérapeutiques randomisés en cours. Le plus ancien est un essai américain de Vassilopoulou-Sellin et Thériault, qui a débuté il y a trois ans. Il inclut des cancers du sein de stades I et II. Les femmes ayant des récepteurs horLa Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998 La réalisation d’un essai randomisé, si elle est encore possible, reste le seul moyen de répondre de façon indiscutable à nos interrogations. Cependant, s’investir dans un essai randomisé nécessite de pouvoir le mener à terme, afin de donner une réponse définitive, non entachée d’incertitudes, aux interrogations de nos patientes. En effet, il n’est rien de pire qu’un essai randomisé qui s’éternise dans le temps et dont, faute d’inclusions, on ne tirera aucune conclusion. Toutefois, peut-être sommes-nous, aujourd’hui, dans une situation d’attente, et la solution viendra probablement, dans un avenir proche, de la mise à disposition d’anti-estrogènes plus sélectifs, ayant moins d’effets secondaires à type de troubles climatériques, mais présentant une action estrogen-like sur les métabolismes lipidiques et osseux, tout en conservant son effet anti-estrogène du point de vue carcinologique. Quoi qu’il en soit, ces doutes persistent et, dans l’attente d’un traitement plus sélectif, la prescription anarchique et hors de tout contrôle d’un THS à une femme ayant un antécédent personnel de cancer du sein n’est pas permise. ■ 27