L D THS après cancer du sein : la réalisation d'un essai... encore possible ?

DOSSIER THÉMATIQUE
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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
e cancer du sein est actuellement, dans les pays
industrialisés, le cancer le plus fréquent chez la
femme, et son incidence est encore en augmentation.
Cette augmentation, plus nette pour les stades pré-
coces, est la conséquence directe des campagnes de dépistage.
Quoi qu’il en soit, les femmes atteintes, ménopausées lors du
diagnostic de leur cancer ou préménopausées au diagnostic,
mais que la chimiothérapie va ménopauser de façon précoce,
ne peuvent aujourd’hui bénéficier d’un traitement hormonal
substitutif, de crainte qu’un tel traitement ne stimule une éven-
tuelle cellule cancéreuse résiduelle.
THS ET RISQUE DE CANCER DU SEIN
Il n’y a pas, dans la littérature, malgré la publication depuis
1971 de près de 50 études épidémiologiques, d’arguments per-
mettant de conclure définitivement sur l’implication des estro-
gènes dans la genèse du cancer du sein (leur rôle potentiel
dans la promotion des cancers préexistants ne peut en
revanche être nié).
La plupart de ces études sont des études cas-témoins, et la
majorité d’entre elles ne retrouvent pas de relation entre la sur-
venue d’un cancer du sein et l’utilisation d’estrogènes en post-
ménopause, à l’exception peut-être des traitements par estro-
gènes au long cours (utilisation supérieure à dix ans). L’inter-
prétation de ces études est difficile pour plusieurs raisons :
THS après cancer du sein : la réalisation d'un essai randomisé est-elle
encore possible ?
Nadine Dohollou*
*Clinique de Bordeaux-Nord, Bordeaux.
L
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– la première est que, dans ces études cas-témoins, les cas
contrôles sont des patientes hospitalisées ;
– la deuxième raison est l’évolution des prescriptions dans le
temps (type d’estrogènes, de la dose ou du schéma d’adminis-
tration) ;
– la troisième raison tient au fait que les patientes présentant
une ménopause artificielle (chirurgicale en général) ne sont
pas distinguées de celles qui ont une ménopause naturelle.
Enfin, soulignons que les femmes pré- et postménopausées
présentant un cancer du sein ne sont pas analysées séparément.
Par ailleurs, la plupart de ces études manquent d’un suivi à
long terme, et d’importantes variables ne sont pas précisées,
telles que la parité, l’obésité, l’âge à la première grossesse et
l’utilisation ou non d’une contraception orale.
Devant l’impossibilité de conclure précisément à partir de ces
études, cinq méta-analyses ont été réalisées, dont la plus connue,
celle de Colditz ; publiée en 1993 et portant sur 31 études, n’a
retrouvé qu’une légère augmentation du risque de survenue du
cancer du sein après 10 à 15 ans d’utilisation d’un THS.
Ces résultats ont été confirmés par la publication récente dans
The Lancet (17 octobre 1997) d’une cinquième méta-analyse
portant sur 51 études menées dans 21 pays et concernant plus
de 100 000 femmes qui retrouvait une petite augmentation du
risque de cancer du sein après 5 ans de traitement, ce risque
dispairaissant à l’arrêt du THS.
Pour interpréter l’ensemble des données présentées en termes
de causalité, il faut acquérir la certitude que les groupes traités
et non traités sont comparables pour tous les facteurs connus
ou inconnus qui sont liés à la maladie (ou à la rechute dans le
cas du THS après cancer du sein). Cette condition est le plus
souvent remplie dans les essais thérapeutiques, le traitement
étant attribué par tirage au sort. Dans les enquêtes épidémiolo-
giques, cette condition n’est jamais remplie.
THS APRÈS CANCER DU SEIN
Parallèlement à ces études épidémiologiques, on retrouve, dans
la littérature, la publication de quelques études monocentriques
non randomisées qui relatent l’expérience de la prescription de
THS à des femmes ayant un antécédent personnel de cancer du
sein. Les critères de gravité des cancers du sein ne sont pas
appréciés de la même façon par les différentes équipes ; cer-
taines prescrivent un THS aux femmes ayant eu un cancer du
sein hormonodépendant, car elles estiment que ces cancers
sont spontanément de meilleur pronostic ; les autres, au
contraire, prescrivent ce THS aux patientes ayant un antécé-
dent de cancer hormono-indépendant, de crainte de stimuler
une éventuelle cellule tumorale restante et hormonodépendante.
Toutes ces études sont, bien sûr, sans valeur sur le plan statis-
tique, une réponse définitive quant à l’innocuité du THS ne
pouvant être fournie que par la réalisation d’un essai randomisé.
Il existe actuellement deux essais thérapeutiques randomisés
en cours.
Le plus ancien est un essai américain de Vassilopoulou-Sellin
et Thériault, qui a débuté il y a trois ans. Il inclut des cancers
du sein de stades I et II. Les femmes ayant des récepteurs hor-
monaux positifs (RH+) sont exclues ; si les RH sont négatifs,
le THS est débuté après deux ans d’intervalle libre ; si les RH
sont inconnus, un délai de dix ans après le traitement initial est
demandé. La durée de prescription du THS est de cinq ans ; il
s’agit d’estrogènes conjugués (Prémarin®) à 0,625 mg/j J1 J25.
Le deuxième essai est suédois ; réalisé par le Dr Holmberg,
il a débuté en 1997 ; il concerne les patientes de stade 0-II
puisque les carcinomes intracanalaires peuvent également
être inclus. Les RH peuvent être positifs ou négatifs. Les
patientes peuvent être sous tamoxifène. La durée de pres-
cription du THS est de deux ans. L’intervalle libre depuis le
traitement initial n’est pas précisé. Le traitement consiste en
une combinaison estroprogestative continue ou séquentielle,
ou en des estrogènes seuls chez la femme hystérectomisée.
Ces deux essais ont beaucoup de difficultés à inclure des
patientes : les inclusions concernant uniquement les femmes
demandeuses, celles-ci sont prêtes à changer d’équipe soi-
gnante lorsqu’elles se trouvent placées, après randomisation,
dans le bras sans traitement. Une solution serait peut-être de
ne pas restreindre ces études aux patientes demandeuses, mais
de les proposer à toute patiente éligible pour un tel traitement.
Une autre difficulté est apparue devant l’élargissement des
indications du tamoxifène depuis la publication de la méta-
analye de Peto (prescription faite pour 5 ans) dans le fait que
les indications du tamoxifène en adjuvant sont beaucoup plus
larges.
Est-il raisonnable de prescrire, dans ce cas, un estrogène asso-
cié à un anti-estrogène sans avoir de certitude sur les méca-
nismes biologiques et les interactions possibles ? Powles en a
cependant déjà l’expérience, depuis plusieurs années, dans
l’essai de prévention du Royal Marsden Hospital autorisant les
estrogènes pour les troubles climatériques.
La réalisation d’un essai randomisé, si elle est encore possible,
reste le seul moyen de répondre de façon indiscutable à nos
interrogations. Cependant, s’investir dans un essai randomisé
nécessite de pouvoir le mener à terme, afin de donner une
réponse définitive, non entachée d’incertitudes, aux interroga-
tions de nos patientes. En effet, il n’est rien de pire qu’un essai
randomisé qui s’éternise dans le temps et dont, faute d’inclu-
sions, on ne tirera aucune conclusion.
Toutefois, peut-être sommes-nous, aujourd’hui, dans une situa-
tion d’attente, et la solution viendra probablement, dans un
avenir proche, de la mise à disposition d’anti-estrogènes plus
sélectifs, ayant moins d’effets secondaires à type de troubles
climatériques, mais présentant une action estrogen-like sur les
métabolismes lipidiques et osseux, tout en conservant son effet
anti-estrogène du point de vue carcinologique.
Quoi qu’il en soit, ces doutes persistent et, dans l’attente d’un
traitement plus sélectif, la prescription anarchique et hors de
tout contrôle d’un THS à une femme ayant un antécédent per-
sonnel de cancer du sein n’est pas permise.
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