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La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 7 - septembre 2000
“Les traitements hormonaux de la ménopause augmentent le
risque du cancer du sein”. Tel est le titre d’un article paru dans
la grande presse le 29 janvier 2000, dont on trouve l’équiva-
lent dans de nombreux médias, sans parler de la presse pro-
fessionnelle. Ce qui est remarquable, cependant, est bien
qu’un travail scientifique soit ainsi porté à la connaissance du
grand public, susceptible de l’accueillir comme une vérité
indiscutable, et donc d’en tenir compte dans ses comporte-
ments (de fait, les généralistes et les gynécologues ont été lar-
gement interrogés à ce sujet par leurs patientes).
Or, sous cette forme, il s’agit d’une contrevérité résultant
d’une erreur flagrante de raisonnement.
Au départ, il y a un article publié le mercredi 26 janvier 2000
(C. Schairer et al. Menopausal estrogen and estrogen-proges-
tin replacement therapy and breast cancer risk. JAMA 2000 ;
283 : 485-91) rendant compte d’une cohorte de
46 355 femmes ménopausées, suivie de 1980 à 1995. Le
risque relatif de cancer du sein est de 1,2 (IC95 :1,0-1,4) en
cas de traitement substitutif par les estrogènes seuls et de
1,4 (1,1-1,8) sous estroprogestatifs. Le fait que le cancer du
sein soit plus fréquent chez les femmes bénéficiant d’un trai-
tement hormonal substitutif (THS) de la ménopause que chez
celles qui ne sont pas traitées est bien connu. L’apport de l’ar-
ticle est de montrer que l’association de progestatifs aux
estrogènes augmente le risque (alors qu’il diminue celui de
cancer de l’endomètre). Mais ce n’est pas la qualité de la
publication et ses résultats qui sont en cause ici.
Ce qui pose problème, c’est l’interprétation qui en est faite,
notamment pour l’édification du public. En raccourci, “le
THS est responsable de cancers du sein”. Comment cela n’ef-
fraierait-il pas les intéressées ? Or cette présentation est inac-
ceptable, pour au moins trois raisons.
!On oublie, en effet, de préciser la référence par rapport à
laquelle il y a augmentation, à savoir l’état de ménopause. On
sait bien que l’incidence du cancer du sein croît régulièrement
pendant la période d’activité génitale, et que cette croissance se
fait beaucoup moins rapide une fois la ménopause survenue. Le
THS se borne à rétablir l’imprégnation hormonale, l’état qui est
celui de la femme non ménopausée. L’effet sur le sein n’est pas
plus étonnant que celui sur l’os, les vaisseaux, la peau, la libi-
do, etc. De fait, ce ne sont pas les traitements hormonaux de
la ménopause qui augmentent le risque de cancer du sein,
c’est la ménopause qui le diminue à âge égal.
Cette manière de voir est évidemment tout à fait différente de
celle qui conduit, à partir d’un fait exact (le risque de cancer
du sein est plus important à un âge donné chez les femmes en
état d’imprégnation hormonale), à faire peur et à dévaloriser
le THS. Une erreur de logique débouche sur une mauvaise
action, car cela revient à fausser le choix des femmes.
"Une femme qui atteint la ménopause est devant un choix :
#soit ne rien faire (ou quelques traitements palliatifs), et
évoluer vers un état physiologique avec ses avantages (dont le
moindre risque de cancer du sein) et ses inconvénients (bien
connus) ;
#soit opter pour un THS prolongé avec ses avantages (rester
dans un état de jeunesse hormonale, sauf la possibilité de pro-
créer) et ses inconvénients (dont un risque légèrement accru
de cancer du sein).
C’est un choix existentiel, purement individuel, dans lequel
interviennent les convictions religieuses, idéologiques et phi-
losophiques, le passé et le vécu, le présent et l’avenir prévi-
sible. En aucune façon, il n’est médical (sauf contre-indica-
tion majeure). Le médecin n’est là que pour informer (et il
n’est plus la seule source d’information), et informer loyale-
ment, puis pour respecter le choix de la femme.
Il y a là une grande ressemblance avec un autre grand choix
existentiel de la condition féminine, celui de la contraception.
On est frappé par la similitude des arguments utilisés contre
celle-ci (“la pilule donne le cancer”) et, ici, contre le THS.
L’histoire se répète !
$Enfin, et pour mémoire, dévaloriser le THS est laisser le
champ libre aux traitements préventifs de l’ostéoporose dont
on parle beaucoup ces temps-ci. On se réjouit que ces derniers
existent, car on a besoin d’eux, mais ils ne doivent être consi-
dérés que comme une réponse médicale lorsque le choix exis-
tentiel de la femme est de laisser jouer la physiologie, donc le
risque fracturaire.
Et voici la conclusion (scientifique, naturellement) : “the
commonly held belief that aging routinely requires pharma-
cological management has unfortunately led to neglect of
diet and lifestyle as the primary means to achieve healthy
aging. Now is an appropriate time to reassess this emphasis”
(Éditorial, JAMA 2000 ; 283 : 534-5). Le machisme n’est pas
mort.
Quant à la prévention absolue du cancer du sein, elle consiste
dans la castration prépubertaire ou la mammectomie bilatérale.
Vivre, c’est risquer ! %
Une erreur de raisonnement et ses conséquences
À propos du traitement hormonal substitutif de la ménopause et du cancer du sein
&
J. Dangoumau*
*Laboratoire de pharmacologie, université Victor-Ségalen, Bordeaux 2,
33000 Bordeaux.
TRIBUNE