T R I B U N E Une erreur de raisonnement et ses conséquences À propos du traitement hormonal substitutif de la ménopause et du cancer du sein & J. Dangoumau* L “ es traitements hormonaux de la ménopause augmentent le risque du cancer du sein”. Tel est le titre d’un article paru dans la grande presse le 29 janvier 2000, dont on trouve l’équivalent dans de nombreux médias, sans parler de la presse professionnelle. Ce qui est remarquable, cependant, est bien qu’un travail scientifique soit ainsi porté à la connaissance du grand public, susceptible de l’accueillir comme une vérité indiscutable, et donc d’en tenir compte dans ses comportements (de fait, les généralistes et les gynécologues ont été largement interrogés à ce sujet par leurs patientes). Or, sous cette forme, il s’agit d’une contrevérité résultant d’une erreur flagrante de raisonnement. Au départ, il y a un article publié le mercredi 26 janvier 2000 (C. Schairer et al. Menopausal estrogen and estrogen-progestin replacement therapy and breast cancer risk. JAMA 2000 ; 283 : 485-91) rendant compte d’une cohorte de 46 355 femmes ménopausées, suivie de 1980 à 1995. Le risque relatif de cancer du sein est de 1,2 (IC95 : 1,0-1,4) en cas de traitement substitutif par les estrogènes seuls et de 1,4 (1,1-1,8) sous estroprogestatifs. Le fait que le cancer du sein soit plus fréquent chez les femmes bénéficiant d’un traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause que chez celles qui ne sont pas traitées est bien connu. L’apport de l’article est de montrer que l’association de progestatifs aux estrogènes augmente le risque (alors qu’il diminue celui de cancer de l’endomètre). Mais ce n’est pas la qualité de la publication et ses résultats qui sont en cause ici. Ce qui pose problème, c’est l’interprétation qui en est faite, notamment pour l’édification du public. En raccourci, “le THS est responsable de cancers du sein”. Comment cela n’effraierait-il pas les intéressées ? Or cette présentation est inacceptable, pour au moins trois raisons. ! On oublie, en effet, de préciser la référence par rapport à laquelle il y a augmentation, à savoir l’état de ménopause. On sait bien que l’incidence du cancer du sein croît régulièrement pendant la période d’activité génitale, et que cette croissance se fait beaucoup moins rapide une fois la ménopause survenue. Le THS se borne à rétablir l’imprégnation hormonale, l’état qui est celui de la femme non ménopausée. L’effet sur le sein n’est pas plus étonnant que celui sur l’os, les vaisseaux, la peau, la libido, etc. De fait, ce ne sont pas les traitements hormonaux de la ménopause qui augmentent le risque de cancer du sein, c’est la ménopause qui le diminue à âge égal. * Laboratoire de pharmacologie, université Victor-Ségalen, Bordeaux 2, 33000 Bordeaux. 176 Cette manière de voir est évidemment tout à fait différente de celle qui conduit, à partir d’un fait exact (le risque de cancer du sein est plus important à un âge donné chez les femmes en état d’imprégnation hormonale), à faire peur et à dévaloriser le THS. Une erreur de logique débouche sur une mauvaise action, car cela revient à fausser le choix des femmes. " Une femme qui atteint la ménopause est devant un choix : # soit ne rien faire (ou quelques traitements palliatifs), et évoluer vers un état physiologique avec ses avantages (dont le moindre risque de cancer du sein) et ses inconvénients (bien connus) ; # soit opter pour un THS prolongé avec ses avantages (rester dans un état de jeunesse hormonale, sauf la possibilité de procréer) et ses inconvénients (dont un risque légèrement accru de cancer du sein). C’est un choix existentiel, purement individuel, dans lequel interviennent les convictions religieuses, idéologiques et philosophiques, le passé et le vécu, le présent et l’avenir prévisible. En aucune façon, il n’est médical (sauf contre-indication majeure). Le médecin n’est là que pour informer (et il n’est plus la seule source d’information), et informer loyalement, puis pour respecter le choix de la femme. Il y a là une grande ressemblance avec un autre grand choix existentiel de la condition féminine, celui de la contraception. On est frappé par la similitude des arguments utilisés contre celle-ci (“la pilule donne le cancer”) et, ici, contre le THS. L’histoire se répète ! $ Enfin, et pour mémoire, dévaloriser le THS est laisser le champ libre aux traitements préventifs de l’ostéoporose dont on parle beaucoup ces temps-ci. On se réjouit que ces derniers existent, car on a besoin d’eux, mais ils ne doivent être considérés que comme une réponse médicale lorsque le choix existentiel de la femme est de laisser jouer la physiologie, donc le risque fracturaire. Et voici la conclusion (scientifique, naturellement) : “the commonly held belief that aging routinely requires pharmacological management has unfortunately led to neglect of diet and lifestyle as the primary means to achieve healthy aging. Now is an appropriate time to reassess this emphasis” (Éditorial, JAMA 2000 ; 283 : 534-5). Le machisme n’est pas mort. Quant à la prévention absolue du cancer du sein, elle consiste dans la castration prépubertaire ou la mammectomie bilatérale. Vivre, c’est risquer ! % La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 7 - septembre 2000