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Prescription d'un THS après cancer du sein traité
● Jean-Louis Bobin*, S. Saez**
L
a connaissance de l’histoire naturelle du cancer du sein
nous a enseigné, sans équivoque, qu’en l’absence
d’estrogènes, il n’apparaît pas de cancer du sein. Toutefois, elle a aussi montré, et il ne faudrait pas l’oublier, que ce ne
sont pas les estrogènes qui “font la tumeur”, et que la distance est
grande entre une lésion génique carcinogène et l’apparition d’une
tumeur anatomique. Les estrogènes sont, si l’on ose dire, les promoteurs privilégiés et obligatoires qui font démarrer le système (le
“kick”, comme dit Marc Loppman). Celui-ci se développe ensuite
à un rythme variable, suivant les capacités locales et générales à
favoriser l’extension ou à s’y opposer. Il est d’autant plus activé
que les estrogènes sont présents en permanence, fût-ce en faible
quantité. Les tumeurs, qui sont toutes hormonodépendantes à leur
début, le demeurent pendant une durée variable. Les mécanismes
moléculaires de cette extrême sensibilité ne sont pas connus, mais
on sait qu’ils sont connectés au réseau des signaux intercellulaires
potentiellement “transformants”. On le sait aussi, ces débordements se mettent en place de façon tout à fait silencieuse et s’étalent parfois sur des durées très prolongées. Dès que le stade anatomiquement perceptible est atteint, on ne peut plus être certain de
contrôler totalement la progression. C’est ce qui justifie le dépistage.
Logiquement, ce qui vaut pour le traitement initial vaut aussi pour
celui, décalé dans le temps, des cellules tumorales qui ont pu
migrer précocement en dehors du champ du traitement locorégional. C’est ce qui justifie, au minimum, la vigilance du suivi prolongé, ou, à un degré supérieur, le principe du traitement adjuvant.
Les bases du traitement du cancer du sein, au-delà du geste locorégional, reposent sur le principe de la suppression de l’activité
estrogénique (au niveau des sources anatomiques, des stimulines
hypophysaires, de la production extragonadale ou de la cible cellulaire). On ne commentera ici ni les modalités possibles de ces
traitements ni les approximations qui ont pu être instaurées. On
retient que l’application de ce principe a permis, il y a plus de
trente ans, de passer de l’empirique au rationnel dans l’organisation du traitement du cancer du sein.
Face à ce tableau historique, la perspective d’un traitement hormonal de substitution chez des femmes ménopausées antérieurement
traitées pour cancer du sein paraît a priori incongrue. Il faut cependant prendre en compte le fait que le profil des femmes atteintes de
cancer du sein a progressivement évolué au cours des dernières
décennies : elles sont en moyenne plus jeunes et se présentent avec
des tumeurs de stade plus précoce. S’il s’ensuit une espérance de
vie prolongée en bon état général, on comprend le souci croissant
d’amélioration de la qualité de la vie.
Objectivement, l’intérêt incontesté du THS est la prévention du
risque coronarien (30 % de mortalité cardiovasculaire en postménopause, identique au pourcentage chez les hommes) et de
*Centre hospitalier Lyon-Sud, Lyon.
**Centre Léon-Bérard, Lyon.
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l’ostéoporose, ainsi que la réduction des inconvénients physiques
et neuropsychiques de la ménopause. Toutefois, pour de multiples
raisons, ces manifestations du vieillissement sont exprimées et
reçues de façon très diverse suivant les sujets.
Les estrogènes améliorent effectivement le profil lipidique des
sujets à risque coronarien et sont l’un des facteurs de la minéralisation osseuse. Cependant, en France, le risque coronarien semble
moins élevé qu’aux États-Unis, par exemple, où il est un argument important en faveur du THS. Par ailleurs, les effets des
estrogènes sur le métabolisme osseux n’empêchent pas la déminéralisation des sujets jeunes immobilisés. À l’exception de certains
cas particuliers, le maintien d’une activité musculaire régulière,
un apport suffisant en calcium et un précurseur de la vitamine D
sont très efficaces et ne comportent aucun risque. Toute la question
est de connaître la demande réelle des patientes et de savoir si l’on
peut, et dans quelles limites, transgresser les principes de base du
traitement du cancer du sein sans augmenter le risque de reprise
évolutive. Tel a été le sujet de réflexion d’un groupe de travail
réuni à l’initiative de l’Institut Curie, proposant une étude prospective fédérative. Nous n’en reprendrons pas le détail, qui est présenté par ailleurs dans cette revue, mais nous nous inscrivons dans
cette démarche.
Il s’agit d’un essai non randomisé dont on attend un bénéfice
direct pour les malades. Les modalités du protocole s’appuient sur
des informations documentées de l’endocrinologie et de la biologie du cancer du sein et sur des arguments proprement cancérologiques.
Il ne concerne que les femmes dont le risque de récidive est statistiquement faible : tumeur initiale T0 à T2 pN0 après un délai de
sept ans de survie sans récidive. Le THS est administré pendant
cinq ans. Sont exclus les tumeurs lobulaires, les sujets à risque
familial de cancer du sein et ceux à risque thromboembolique.
La formule hormonale exclut une fenêtre estrogénique seule. Un
progestatif est administré pendant le même temps que l’estrogène.
Les effets des deux produits utilisés sont bien documentés. Leurs
doses sont ajustées à chaque sujet. Des examens biologiques
appropriés accompagnent la mise en route et le suivi clinique du
traitement.
Le suivi général est attentif et prévoit une analyse huit ans après le
début de l’essai, soit cinq ans après la période d’inclusion des
malades, qui a duré trois ans.
Il nous paraît évident que l’on ne peut donner une réponse globale
simple à la question de l’opportunité d’un THS chez les femmes
antérieurement traitées, à moins de répondre par la négative pour
ne courir aucun risque. Cependant, si l’on tient compte des modifications décrites, de la morbidité du cancer du sein, de l’environnement social et d’une demande des malades qui commence à
apparaître, la réflexion doit être très clairement argumentée. Le
bénéfice attendu mérite que l’essai soit entrepris, mais à condition
de ne pas transgresser les contre-indications raisonnables précédemment admises.
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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
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