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La Lettre du Sénologue - n° 23 - janvier/février/mars 2004
RUMEURS
●
M. Escoute*
Revue de presse grand public
E
t je vous fiche mon billet que, certainement, c’est le
plus fréquemment posé ; curieusement, le moins sou-
vent erroné et malheureusement le plus incurable !
Certes, quelquefois, il peut nécessiter quelques finesses sémio-
logiques mais nul besoin de longues veillées à la chandelle sur
quelques grimoires obscurs emplis d’écorchés rosâtres ou de
fastidieuses et austères études, pour en saisir toutes les infinies
nuances. C’est un diagnostic aisé, rond, bien en bouche, parfois
gouleyant ou capiteux, âpre ou madérisé, parfois susurré ou
marmonné, vociféré ou claquant, tour à tour éblouissant de
simplicité et atterrant de pronostic… mais fâcheusement moins
efficace qu’une balle dum-dum. Bien compensé, fort heureuse-
ment, par cette délicieuse dilatation interne, ce petit rire argentin
et apaisant du diagnostic pertinent devant un ensemble de signes
finalement fort éloquents.
Mais quel est ce raptus ? Quelle origine à ce doux délire ? Étant
sensée écrire une revue de presse et non un plaidoyer pour un
diagnostic. Les vagabondages d’un esprit, face à une presse
catastrophiste pléthorique, sont parfois surprenants. Très
curieuse association d’idées.
Car à peu près aussi sempiternels et ennuyeux que les emplois
fictifs et les financements occultes des partis politiques, on
retrouve les Garcia-Marquez de la typographie et leur “chro-
nique d’une mort annoncée” avec : “Traitement hormonal
substitutif : attention danger” (Marie Claire) ; “Ménopause : le
traitement hormonal recadré” (Ouest France) ; “Ménopause : les
traitements substitutifs tuent” (Santé Pratique) ; “Traitement
hormonal : un risque confirmé” (Prima) ; “Baisse énorme des
prescriptions aux États-Unis” (Le Moniteur des pharmacies) ;
“Traitement de la ménopause : prudence” (Le Progrès, l’Est
Éclair, l’Union, Nice Matin, la Provence, la Dépêche du Midi)
etc. Et chacun d’y aller de ses chiffres : “41 % d’accidents vas-
culaires cérébraux, 29 % de crises cardiaques, 50 % de phlé-
bites… 6 cas de cancer du sein pour 1 000 femmes sous THS…
8 cas pour 10 000… 20 000 cancers du sein supplémentaires liés
aux THS en Angleterre… 30 occurrences supplémentaires pour
10 000… 19 pour 1 000 après 10 ans… si les 2 millions de fran-
çaises avaient pris leur THS pendant 10 ans c’est 32 000 nou-
veaux cas…” Que disait Churchill déjà ? Ah oui : “Ne croyez
aucune statistique que vous n’ayez falsifiée vous-même”. Parce
que lorsque l’on voit cette avalanche de chiffres abscons, on peut
se demander si les experts, en tapant sur leurs petites calculettes,
n’étaient pas en pleine poussée d’arthrite digitale ! Alors imaginez
la sémillante quinquagénaire face à ces chiffres terroristes ! De
quoi se mettre à psalmodier le De Profundis ou déclamer dans
un sursaut beaudelairien “et de longs corbillards sans tambours
ni musique défilent lentement dans mon âme ; l’espoir, vaincu,
pleure, et l’angoisse, atroce, despotique, sur mon crâne incliné
plante son drapeau noir”. Et si, en plus, on a à faire à une comp-
table, il ne lui faudra pas 10 ans pour chausser ses demi-lunes,
poser 2 et retenir 3, et en arriver à la somme effarante de 15 à
20 000 cancers du sein supplémentaires, si l’on se tient à 6/1 000
et 2,5 millions de femmes sous THS ! Franchement quand on
sait que seulement 19 % des femmes ont arrêté leur traitement à
cette annonce (enquête Sofres AFEM 2003) (Elle, Marie Claire,
Top Santé, 60 millions de consommateurs), Jacques Chirac peut
être fier de ses françaises, on ne les effarouche pas comme ça !
(ou alors un c… – cf. plus haut – a encore faussé les statistiques
concernant l’illettrisme et les malentendantes). Seul L’Est Répu-
blicain, aussi sonore qu’un couac dans un solo de clarinette, titre
“Cancer du sein et THS : moindre mortalité”, où il est rapporté
que l’on retrouve plus facilement des carcinomes lobulaires sous
THS et que le pronostic serait meilleur. Mais le mot, ou plutôt
le dessin, de la fin est donné par le Monde où l’humoriste Pes-
sin fait dire à un médecin face à une patiente : “Si cela peut
vous rassurer, avec ce médicament, le risque de procès est plus
grand que le risque de cancer”.
Mais basta du traitement hormonal substitutif ! La pile d’articles
journalistiques d’épaisseur similaire, si ce n’est supérieure,
concerne, je vous le donne en mille… la mise en route du dépis-
tage organisé des cancers du sein ! Au secours, assez ! me direz-
vous... Je sais, je sais... Je vous ferais grâce de la charge de la
cavalerie légère (d’autant que c’est le Bucéphale de notre cher
J.F.M. adoré, Aaaaah, je défaille...) mais je ne peux m’empêcher
de vous rapporter le titre étincelant et iconoclaste de Science et
Vie paru le 1er janvier 2004 : “Cancer : le dépistage précoce est-il
si utile ?” Dans cet article sont exposés tous les doutes bien
connus sur l’efficacité réelle des dépistages (surtraitement ou
décès inévitable d’un petit cancer dépisté avec années-maladie
supplémentaires) et leurs effets délétères (faux positif et ses exa-
mens inutiles ou faux négatif et retard au diagnostic). Il fallait
oser, surtout un lendemain de réveillon après divers excès taba-
giques, gastronomiques, alcooliques-z-et sexuels, expliquer que
le dépistage n’absolvait en rien les conduites orgiaques et les
bacchanales frénétiques !
Dans l’Alsace, Métro, le Progrès, l’Écho républicain, on apprend
qu’avec “une simple prise de sang pour détecter le cancer du
sein”, la PME Diagénic (Oslo) a trouvé une méthode de détec-
tion des cancers du sein avant leur apparition radiographique
grâce à la présence d’un “jeu” de gènes présent chez les femmes
atteintes (vous venez d’investir dans un mammographe numé-
rique ? Dommage…). Mais, comme il est précisé, il leur reste
encore à vérifier si ce jeu de gènes est spécifique aux cancers
“Traiter son prochain de con
n’est pas un outrage, c’est un diagnostic ”
F. Dard
* Clinique Sainte-Catherine, Avignon.