La Lettre du Sénologue - n° 25 - juillet/août/septembre 2004
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a publication des premiers résultats d’études de grande
taille sur les bénéfices et les risques du traitement hor-
monal substitutif (THS) de la ménopause, et notam-
ment ceux d’un essai contrôlé conduit aux États-Unis (Women’s
Health Initiative [WHI]) a suscité ces deux dernières années
beaucoup de débats au niveau professionnel et de questions
inquiètes parmi les femmes concernées, questions largement
reprises par les médias. Fin 2003, les agences du médicament,
française (AFSSAPS) et européenne (EMEA), révisaient dans
un sens restrictif les indications des traitements substitutifs de la
ménopause. L’académie de médecine avait rédigé la veille un
avis en accord avec ces nouvelles recommandations. Loin de
calmer le débat, ces recommandations conduisaient la commu-
nauté dicale à faire part de ses interrogations et de ses
réserves et à pointer l’absence de débat, certains points de vue
en son sein différant sensiblement et vivement de ces recom-
mandations (Lesur A. De la difficulté d’une information éclai-
rée” sur le traitement hormonal de la ménopause... La Lettre du
Sénologue 2004;23:3-5). Parallèlement, de nouveaux résultats
conduisaient, au premier trimestre 2004, à interrompre le der-
nier volet de l’essai WHI : le comité de surveillance de l’essai
avait jugé le rapport bénéfices/risques favorable au THS,
quelles que soient les modalités thérapeutiques (association
estroprogestative ou estrogène seul).
Dans ce contexte, le Directeur général de la san saisissait
l’Agence nationale d’accréditation et dévaluation en santé
(ANAES) afin d’organiser, en liaison avec l’AFSSAPS, un
bat public sur le THS. Cette ance sest tenue le 27 avril
2004, une commission d’audition se réunissant ensuite pendant
trois jours afin de proposer un rapport d’orientation et de for-
muler des messages clairs à destination des professionnels et des
femmes concernées. L’intégralité du rapport de la commission
d’audition est disponible sur le site de l’ANAES (w w w . a n a e s . f r)
depuis le 12 mai 2004.
L’analyse consensuelle de la commission d’audition semble
avoir été partagée par les destinataires des recommandations. Ce
rapport n’a pas suscité de critiques majeures et les médias, grand
public aussi bien que médicaux, en ont fait un résumé fidèle, ce
qui laisse penser que les recommandations et messages étaient
assez clairs et fondés sur un argumentaire scientifique suffi-
samment objectif et convaincant.
Premier point fondamental – de consensus : le THS est un
médicament. Comme tout médicament, il a donc des indications
et des contre-indications. La principale indication reconnue à la
suite de l’audition publique des experts et du travail de la com-
mission est représentée par les troubles du climatère (bouffées de
chaleur et sécheresse vaginale). À la ménopause, une femme se
plaignant de tels troubles peut, si elle les juge sévères, bénéficier,
à sa demande et après information, d’un THS à la dose minimale
efficace, comme cela était déjà indiqué dans les recommandations
de l’AFSSAPS. S’il est impossible definir une durée limite
applicable à toutes les femmes, les données disponibles indiquent
que la durée moyenne d’utilisation est de 2 à 3 ans. Le THS pour-
rait être interrompu une fois par an afin de juger si les troubles ont
cessé de constituer une gêne pour la femme.
Dans l’analyse bénéfices/risques réalisée par la commission et
les recommandations qui en ont résulté, la place du THS dans la
prévention des fractures ostéoporotiques a éexaminée avec
soin. Il n’est pas inutile de rappeler que la prévention des frac-
tures osseuses a été et reste considérée comme l’un des béné-
fices apportés par le THS. La commission a estimé, sur la base
des données dont elle disposait, que chez les femmes de 45 à 60
ans, ni la prévention des fractures ostéoporotiques, dont l’inci-
dence est très faible à cet âge, ni celle de la perte osseuse ne cor-
respondaient à une indication du THS, sauf cas très particuliers.
L’intérêt potentiel de la calcithérapie, de la vitamine D et des
règles hygiéno-diététiques susceptibles de prévenir une carence
calcique était soulig. Pour les femmes plus âgées ayant une
ostéoporose et/ou à risque élevé de fracture, différentes alterna-
tives thérapeutiques efficaces (biphosphonates, raloxifène)
étaient préconisées en première intention. Cette analyse condui-
sait à repositionner l’ostéodensitométrie, essentielle dans l’esti-
mation du risque osseux, relativement aux différents facteurs de
risque de fracture.
Le bénéfice majeur des THS justifiant leur prescription au
moment de la ménopause est donc la possibilité d’amélioration,
voire de disparition, de troubles du climatère jus res.
L’impact de ces troubles sur la qualité de vie des femmes n’a pas
été sous-estimé par la commission, qui a cependant regretté le
manque de données épidémiologiques et surtout d’études médico-
économiques sur ce sujet. Face à ce bénéfice, les risques de can-
cer et de maladie vasculaire sont bien établis (cancer du sein, can-
cer de l’endomètre sous traitement par estrogène seul, thrombose
veineuse et embolie pulmonaire, accident vasculaire cérébral) ou
possibles (cancer de l’ovaire, infarctus du myocarde). Qu’il
s’agisse de cancer ou de maladie vasculaire, la commission a
É
D I T O R I A L
Le THS : entre décision individuelle
et décision de santé publique
HRT: individual versus public health decision making
A. Alpérovitch*, F. de Bels**
* INSERM U360, hôpital de la Salpêtrière, Paris.
** ANAES, Saint-Denis-la-Plaine.
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La Lettre du Sénologue - n° 25 - juillet/août/septembre 2004
considéré que, pour une femme n’ayant aucun facteur de risque
de cancer du sein ou de pathologie vasculaire (et, a fortiori, aucun
antécédent de cancer du sein ou de maladie vasculaire), l’aug-
mentation de risque liée au THS ne justifiait pas, au niveau indi-
viduel, de ne pas prescrire de THS, sous réserve que celui-ci soit
prescrit dans les conditions indiquées précédemment et que les
sur-risques soient acceptés par la femme.
Les antécédents de cancer du sein constituent une contre-
indication absolue et définitive au THS. Les utilisatrices de
THS, plus fortement encore que les autres, doivent être inci-
es à participer gulièrement au pistage organisé du
cancer du sein par mammographie. Les femmes prenant un
THS ont un peu plus fréquemment que les autres des seins
denses, ce qui peut rendre difficile l’interprétation de la mam-
mographie. Les stratégies susceptibles de pallier cette difficulté
chographie complémentaire, duction de l’intervalle entre
deux mammographies) n’ont cependant pas été évaluées.
Chez une femme sans andent de pathologie cardiovascu-
laire, les facteurs de risque vasculaire peuvent ne constituer
qu’une contre-indication transitoire, s’ils sont correctement pris
en charge. Dans le domaine vasculaire, il existe des critères
internationalement reconnus définissant des niveaux de risque.
Il est important d’estimer ce risque avant de prescrire un THS.
Beaucoup de cliniciens le faisaient déjà, mais le THS étant sup-
posé réduire le risque cardiovasculaire les risques throm-
boemboliques veineux du THS sont connus depuis plusieurs
a n n é e s –, l’existence de facteurs de risque ne constituait pas une
contre-indication au traitement. En ce qui concerne le risque
vasculaire, la commission n’a pas fait siens les arguments invo-
qués pour considérer que les résultats de l’essai WHI n’étaient
pas applicables à la population française. Ces arguments concer-
naient surtout les événements cardio- et cérébrovasculaires car
– et il n’est pas inutile de le rappeler – les autres risques retrou-
vés dans l’étude WHI étaient déjà connus. À l’exception de
l’indice de corpulence, la distribution des facteurs de risque vas-
culaire des femmes incluses dans la WHI est proche de celle des
femmes françaises de même âge. L’incidence des événements
coronaires dans le groupe placebo est faible, si l’on se réfère aux
critères internationaux évoqués précédemment ; celle des acci-
dents vasculaires braux est, en revanche, plus élevée que
celle observée dans l’étude Monica.
D’un point de vue scientifique, il est strictement vrai que les
résultats d’une étude ne sont transposables qu’à une population
identique à celle incluse dans cette étude. En pratique, l’appli-
cation générale de cette règle reviendrait à invalider les résultats
de la plupart des grands essais internationaux. Plus générale-
ment, qu’il s’agisse de malades ou de personnes en bonne santé,
les personnes acceptant de participer à une recherche (essai thé-
rapeutique, étude de cohorte, etc.) ne sont pas représentatives de
l’ensemble de la population. L’attitude vis-à-vis des résultats de
la WHI n’a aucune raison de se distinguer de celle que l’on
adopterait pour une autre étude.
La commission d’audition n’a pas jugé non plus qu’elle dispo-
sait de données scientifiques suffisamment solides pour diffé-
rencier les effets du THS en fonction de sa nature ou de son
mode d’administration. Si des études suggèrent que les risques
de cancer du sein ou de maladie vasculaire pourraient être plus
faibles respectivement dans le cas d’utilisation de progestérone
micronisée ou pour les estrogènes administrés par voie extradi-
gestive, ces résultats doivent être confirmés.
Second point – tout aussi fondamental et naturellement de règle
dans la profession avant toute prescription d’un THS, la femme
doit être préalablement correctement et objectivement informée
des bénéfices et des risques de ce traitement. Les recommanda-
tions et messages, relayés par médecins et médias, devraient per-
mettre aux femmes utilisatrices et ex-utilisatrices de mieux éva-
luer les risques encourus et donc, vraisemblablement, apaiser
leurs inquiétudes vis-à-vis du THS. Les femmes arrivant à l’âge
de la nopause prendront, avec leur decin, une décision
éclairée relativisant les bénéfices et les risques encourus avec ou
sans THS. Il apparaît en filigrane qu’il ne faudrait pas pour
autant que les femmes qui décident de ne pas prendre de THS ou
l’arrêtent se considèrent à l’abri de tout risque de cancer ou de
maladie vasculaire. Les messages insistent donc fortement sur
leur survenue possible, même après arrêt ou en l’absence de trai-
tement et rappellent que la ménopause marque l’entrée dans une
période de la vie des femmes caractérisée par une forte augmen-
tation de l’incidence du cancer du sein et des maladies vascu-
laires, que les femmes soient ou non sous THS.
CONCLUSION
Au final, les THS illustrent à nouveau la complexité d’un sujet
sur lequel beaucoup a déjà été dit et écrit, et pas seulement en
decine : décision individuelle versus décision collective. Il
est vraisemblable que beaucoup de femmes correctement infor-
mées sur les risques du THS pourront juger les sur-risques
faibles et acceptables, sur une échelle subjective individuelle, et
donc considérer que les effets positifs du traitement sont supé-
rieurs à ces effets négatifs. Pourtant, si un nombre non négli-
geable des femmes de 50 à 60 ans adoptait cette même attitude
de non-aversion au risque, il en résulterait sur l’ensemble de la
population plusieurs centaines de cas supplémentaires de cancer
ou de maladie vasculaire – dont une part mortels – que les béné-
fices attendus en termes d’amélioration des troubles du clima-
t è r e : prévention des fractures voire prévention des cancers colo-
rectaux ne semblent pas à même de contrebalancer. La
commission daudition publique, sur la base des modestes
chiffres dont elle disposait, a fait une première estimation, som-
maire, du bilan des bénéfices et des risques à l’échelle de la
population. En complément de leur intérêt informatif pour les
professionnels et les femmes concernées, ces chiffres, qui n’ont
de valeur qu’indicative, peuvent alimenter la réflexion des res-
ponsables de san publique. Ils soulignent la nécessité d’un
débat profond, dépassant le cadre des seuls THS, entre l’accep-
tabilité d’un risque au niveau individuel et l’évaluation collec-
tive de ce risque, entre les attentes individuelles et l’utilité col-
lective d’une action médicale, quelle soit thérapeutique ou
diagnostique. Cette réflexion ne saurait concerner seulement les
responsables de santé. Elle ne peut aboutir que si professionnels
et patients s’y engagent aussi activement.
É
D I T O R I A L
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