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Le THS : entre décision individuelle
et décision de santé publique
HRT: individual versus public health decision making
A. Alpérovitch*, F. de Bels**
a publication des premiers résultats d’études de grande
taille sur les bénéfices et les risques du traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause, et notamment ceux d’un essai contrôlé conduit aux États-Unis (Women’s
Health Initiative [WHI]) a suscité ces deux dernières années
beaucoup de débats au niveau professionnel et de questions
inquiètes parmi les femmes concernées, questions largement
reprises par les médias. Fin 2003, les agences du médicament,
française (AFSSAPS) et européenne (EMEA), révisaient dans
un sens restrictif les indications des traitements substitutifs de la
ménopause. L’académie de médecine avait rédigé la veille un
avis en accord avec ces nouvelles recommandations. Loin de
calmer le débat, ces recommandations conduisaient la communauté médicale à faire part de ses interrogations et de ses
réserves et à pointer l’absence de débat, certains points de vue
en son sein différant sensiblement et vivement de ces recommandations (Lesur A. De la difficulté d’une “information éclairée” sur le traitement hormonal de la ménopause... La Lettre du
Sénologue 2004;23:3-5). Parallèlement, de nouveaux résultats
conduisaient, au premier trimestre 2004, à interrompre le dernier volet de l’essai WHI : le comité de surveillance de l’essai
avait jugé le rapport bénéfices/risques défavorable au THS,
quelles que soient les modalités thérapeutiques (association
estroprogestative ou estrogène seul).
Dans ce contexte, le Directeur général de la santé saisissait
l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
(ANAES) afin d’organiser, en liaison avec l’AFSSAPS, un
débat public sur le THS. Cette séance s’est tenue le 27 avril
2004, une commission d’audition se réunissant ensuite pendant
trois jours afin de proposer un rapport d’orientation et de formuler des messages clairs à destination des professionnels et des
femmes concernées. L’intégralité du rapport de la commission
d’audition est disponible sur le site de l’ANAES (www.anaes.fr)
depuis le 12 mai 2004.
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L’analyse consensuelle de la commission d’audition semble
avoir été partagée par les destinataires des recommandations. Ce
rapport n’a pas suscité de critiques majeures et les médias, grand
public aussi bien que médicaux, en ont fait un résumé fidèle, ce
qui laisse penser que les recommandations et messages étaient
assez clairs et fondés sur un argumentaire scientifique suffisamment objectif et convaincant.
* INSERM U360, hôpital de la Salpêtrière, Paris.
** ANAES, Saint-Denis-la-Plaine.
La Lettre du Sénologue - n° 25 - juillet/août/septembre 2004
Premier point – fondamental – de consensus : le THS est un
médicament. Comme tout médicament, il a donc des indications
et des contre-indications. La principale indication reconnue à la
suite de l’audition publique des experts et du travail de la commission est représentée par les troubles du climatère (bouffées de
chaleur et sécheresse vaginale). À la ménopause, une femme se
plaignant de tels troubles peut, si elle les juge sévères, bénéficier,
à sa demande et après information, d’un THS à la dose minimale
efficace, comme cela était déjà indiqué dans les recommandations
de l’AFSSAPS. S’il est impossible de définir une durée limite
applicable à toutes les femmes, les données disponibles indiquent
que la durée moyenne d’utilisation est de 2 à 3 ans. Le THS pourrait être interrompu une fois par an afin de juger si les troubles ont
cessé de constituer une gêne pour la femme.
Dans l’analyse bénéfices/risques réalisée par la commission et
les recommandations qui en ont résulté, la place du THS dans la
prévention des fractures ostéoporotiques a été examinée avec
soin. Il n’est pas inutile de rappeler que la prévention des fractures osseuses a été et reste considérée comme l’un des bénéfices apportés par le THS. La commission a estimé, sur la base
des données dont elle disposait, que chez les femmes de 45 à 60
ans, ni la prévention des fractures ostéoporotiques, dont l’incidence est très faible à cet âge, ni celle de la perte osseuse ne correspondaient à une indication du THS, sauf cas très particuliers.
L’intérêt potentiel de la calcithérapie, de la vitamine D et des
règles hygiéno-diététiques susceptibles de prévenir une carence
calcique était souligné. Pour les femmes plus âgées ayant une
ostéoporose et/ou à risque élevé de fracture, différentes alternatives thérapeutiques efficaces (biphosphonates, raloxifène)
étaient préconisées en première intention. Cette analyse conduisait à repositionner l’ostéodensitométrie, essentielle dans l’estimation du risque osseux, relativement aux différents facteurs de
risque de fracture.
Le bénéfice majeur des THS justifiant leur prescription au
moment de la ménopause est donc la possibilité d’amélioration,
voire de disparition, de troubles du climatère jugés sévères.
L’impact de ces troubles sur la qualité de vie des femmes n’a pas
été sous-estimé par la commission, qui a cependant regretté le
manque de données épidémiologiques et surtout d’études médicoéconomiques sur ce sujet. Face à ce bénéfice, les risques de cancer et de maladie vasculaire sont bien établis (cancer du sein, cancer de l’endomètre sous traitement par estrogène seul, thrombose
veineuse et embolie pulmonaire, accident vasculaire cérébral) ou
possibles (cancer de l’ovaire, infarctus du myocarde). Qu’il
s’agisse de cancer ou de maladie vasculaire, la commission a
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considéré que, pour une femme n’ayant aucun facteur de risque
de cancer du sein ou de pathologie vasculaire (et, a fortiori, aucun
antécédent de cancer du sein ou de maladie vasculaire), l’augmentation de risque liée au THS ne justifiait pas, au niveau individuel, de ne pas prescrire de THS, sous réserve que celui-ci soit
prescrit dans les conditions indiquées précédemment et que les
sur-risques soient acceptés par la femme.
Les antécédents de cancer du sein constituent une contreindication absolue et définitive au THS. Les utilisatrices de
THS, plus fortement encore que les autres, doivent être incitées à participer régulièrement au dépistage organisé du
cancer du sein par mammographie. Les femmes prenant un
THS ont un peu plus fréquemment que les autres des seins
denses, ce qui peut rendre difficile l’interprétation de la mammographie. Les stratégies susceptibles de pallier cette difficulté
(échographie complémentaire, réduction de l’intervalle entre
deux mammographies) n’ont cependant pas été évaluées.
Chez une femme sans antécédent de pathologie cardiovasculaire, les facteurs de risque vasculaire peuvent ne constituer
qu’une contre-indication transitoire, s’ils sont correctement pris
en charge. Dans le domaine vasculaire, il existe des critères
internationalement reconnus définissant des niveaux de risque.
Il est important d’estimer ce risque avant de prescrire un THS.
Beaucoup de cliniciens le faisaient déjà, mais le THS étant supposé réduire le risque cardiovasculaire – les risques thromboemboliques veineux du THS sont connus depuis plusieurs
années –, l’existence de facteurs de risque ne constituait pas une
contre-indication au traitement. En ce qui concerne le risque
vasculaire, la commission n’a pas fait siens les arguments invoqués pour considérer que les résultats de l’essai WHI n’étaient
pas applicables à la population française. Ces arguments concernaient surtout les événements cardio- et cérébrovasculaires car
– et il n’est pas inutile de le rappeler – les autres risques retrouvés dans l’étude WHI étaient déjà connus. À l’exception de
l’indice de corpulence, la distribution des facteurs de risque vasculaire des femmes incluses dans la WHI est proche de celle des
femmes françaises de même âge. L’incidence des événements
coronaires dans le groupe placebo est faible, si l’on se réfère aux
critères internationaux évoqués précédemment ; celle des accidents vasculaires cérébraux est, en revanche, plus élevée que
celle observée dans l’étude Monica.
D’un point de vue scientifique, il est strictement vrai que les
résultats d’une étude ne sont transposables qu’à une population
identique à celle incluse dans cette étude. En pratique, l’application générale de cette règle reviendrait à invalider les résultats
de la plupart des grands essais internationaux. Plus généralement, qu’il s’agisse de malades ou de personnes en bonne santé,
les personnes acceptant de participer à une recherche (essai thérapeutique, étude de cohorte, etc.) ne sont pas représentatives de
l’ensemble de la population. L’attitude vis-à-vis des résultats de
la WHI n’a aucune raison de se distinguer de celle que l’on
adopterait pour une autre étude.
La commission d’audition n’a pas jugé non plus qu’elle disposait de données scientifiques suffisamment solides pour différencier les effets du THS en fonction de sa nature ou de son
mode d’administration. Si des études suggèrent que les risques
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de cancer du sein ou de maladie vasculaire pourraient être plus
faibles respectivement dans le cas d’utilisation de progestérone
micronisée ou pour les estrogènes administrés par voie extradigestive, ces résultats doivent être confirmés.
Second point – tout aussi fondamental et naturellement de règle
dans la profession – avant toute prescription d’un THS, la femme
doit être préalablement correctement et objectivement informée
des bénéfices et des risques de ce traitement. Les recommandations et messages, relayés par médecins et médias, devraient permettre aux femmes utilisatrices et ex-utilisatrices de mieux évaluer les risques encourus et donc, vraisemblablement, apaiser
leurs inquiétudes vis-à-vis du THS. Les femmes arrivant à l’âge
de la ménopause prendront, avec leur médecin, une décision
éclairée relativisant les bénéfices et les risques encourus avec ou
sans THS. Il apparaît en filigrane qu’il ne faudrait pas pour
autant que les femmes qui décident de ne pas prendre de THS ou
l’arrêtent se considèrent à l’abri de tout risque de cancer ou de
maladie vasculaire. Les messages insistent donc fortement sur
leur survenue possible, même après arrêt ou en l’absence de traitement et rappellent que la ménopause marque l’entrée dans une
période de la vie des femmes caractérisée par une forte augmentation de l’incidence du cancer du sein et des maladies vasculaires, que les femmes soient ou non sous THS.
CONCLUSION
Au final, les THS illustrent à nouveau la complexité d’un sujet
sur lequel beaucoup a déjà été dit et écrit, et pas seulement en
médecine : décision individuelle versus décision collective. Il
est vraisemblable que beaucoup de femmes correctement informées sur les risques du THS pourront juger les sur-risques
faibles et acceptables, sur une échelle subjective individuelle, et
donc considérer que les effets positifs du traitement sont supérieurs à ces effets négatifs. Pourtant, si un nombre non négligeable des femmes de 50 à 60 ans adoptait cette même attitude
de non-aversion au risque, il en résulterait sur l’ensemble de la
population plusieurs centaines de cas supplémentaires de cancer
ou de maladie vasculaire – dont une part mortels – que les bénéfices attendus en termes d’amélioration des troubles du climatère : prévention des fractures voire prévention des cancers colorectaux ne semblent pas à même de contrebalancer. La
commission d’audition publique, sur la base des modestes
chiffres dont elle disposait, a fait une première estimation, sommaire, du bilan des bénéfices et des risques à l’échelle de la
population. En complément de leur intérêt informatif pour les
professionnels et les femmes concernées, ces chiffres, qui n’ont
de valeur qu’indicative, peuvent alimenter la réflexion des responsables de santé publique. Ils soulignent la nécessité d’un
débat profond, dépassant le cadre des seuls THS, entre l’acceptabilité d’un risque au niveau individuel et l’évaluation collective de ce risque, entre les attentes individuelles et l’utilité collective d’une action médicale, qu’elle soit thérapeutique ou
diagnostique. Cette réflexion ne saurait concerner seulement les
responsables de santé. Elle ne peut aboutir que si professionnels
et patients s’y engagent aussi activement.
La Lettre du Sénologue - n° 25 - juillet/août/septembre 2004
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