4
La Lettre du Sénologue - n° 23 - janvier/février/mars 2004
un produit, à une autre population d’âges différents, de caracté-
ristiques épidémiologiques différentes, traitée avec d’autres pro-
duits. Ce serait très hasardeux, et c’est pourtant ce qui a été fait
à partir des résultats de la WHI.
L’âge moyen des patientes de la WHI est de 63,2 ans, ce qui cor-
respond à 66,6 % de femmes ayant plus de 60 ans, et étant donc
ménopausées depuis de nombreuses années. La réintroduction
hormonale initiée dans le bras traité de l’essai, chez ces
patientes, ne peut se prévaloir du titre de prévention primaire.
On connaît les caractéristiques de cette population, dont une
grande partie eût constitué des contre-indications pour un pres-
cripteur français, et l’on sait la mauvaise tolérance métabolique
des hormones utilisées, non naturelles, et à fortes doses (sans
compter leur effet sur la densité mammaire radiologique !). Et il
faudrait transposer les résultats de toxicité à la population fran-
çaise traitée, qui a cinquante ans en moyenne, chez qui il n’y a
quasi aucun délai entre l’installation de la ménopause naturelle
et le relais pris par des hormones naturelles, superposables à
celles secrétées par des ovaires fonctionnels (10, 11) ?
Pour mémoire, les données de tolérance sur ces produits existent,
elles ne proviennent pas d’études randomisées en double
aveugle, certes, et elles ont surtout la malchance d’avoir été
publiées le même jour et dans le même journal que la MWS (12).
Plus curieux encore dans la transmission de l’information...
Toute personne s’étant donnée la peine de lire en détail l’article
publié dans le JAMA n’a pas été sans remarquer en bas de la
page 328 : “Pour les femmes n’ayant jamais utilisé de traite-
ment de la ménopause avant de rentrer dans l’essai thérapeu-
tique, et totalisant donc cinq ans de traitement, le risque relatif
était de 1,06”, non significatif. N’est-ce pas ce risque relatif qui
devrait être publié puisqu’il correspond réellement à une durée
d’utilisation du THS de 5 ans en moyenne ?
La WHI comprenait un bras testant les estrogènes seuls contre
placebo chez les femmes hystérectomisées. Ce bras n’a pas été
arrêté en juillet 2002, n’ayant pas d’effets délétères : n’est-ce pas
une bonne nouvelle que de savoir que les estrogènes, même
introduits tardivement chez des femmes ménopausées après une
utilisation de cinq ans en moyenne, sont innocentés ? Pourquoi
dans ce cas “diaboliser” les estrogènes et centrer le risque de
cancer du sein sur leur existence ? Comment comprendre qu’il
ne soit pas retenu au rang des bénéfices attribuables au traite-
ment, la diminution du risque de cancer du côlon, maladie dont
la survie est plus courte que celle observée après un cancer du
sein...
À article égal, il y a donc plusieurs lectures possibles...
C’est alors que les statisticiens épidémiologistes nous rappellent
qu’en dehors d’un essai randomisé en double aveugle, il n’y a
point de salut (13). Où est-il cet essai que nous attendons tous,
avec notre population et nos produits ? Vu du côté des chiffres,
c’est “la” question, vu du côté des patientes au quotidien, la réa-
lisation d’un essai randomisé en double aveugle en France, chez
les femmes ménopausées, s’imagine très difficilement, à moins
d’interdire purement et simplement le THS et de supprimer la
protection sociale : en effet, pourquoi des femmes convaincues
de la toxicité des hormones prendraient-elles le risque de se trai-
ter après un tirage au sort ? Pourquoi des femmes réellement
gênées par des troubles importants s’astreindraient-elles à
prendre, pendant cinq ans, un traitement inefficace ? Quel inté-
rêt y trouveraient-elles ? N’ont-elles pas une protection sociale
et médicale de qualité ? Comment comparer la précarité d’une
grande partie de la population américaine à notre système de
santé dont le déficit est certes abyssal, mais qui permet indénia-
blement l’accès aux soins à tous ? Comment, dans ces condi-
tions, réunir les quelques 20 000 patientes nécessaires pour des
résultats représentatifs, statistiquement valides ?... et détail mer-
cantile, qui financera les centaines de millions de dollars qu’a
coûtées la WHI ?
On en revient donc à une prescription individuelle du THS, qui
obéit à la règle de prescription de tout traitement, principe hérité
d’Hippocrate : la balance bénéfice/risque. Cela est vrai au quo-
tidien pour chaque ordonnance qu’un médecin établit : donne-t-
on la pilule à une patiente qui fume, du tamoxifène à une femme
qui a un risque thromboembolique, des anti-inflammatoires à un
patient à risque d’ulcère... d’où la nécessité, à nouveau, d’une
information éclairée afin de s’orienter vers une décision parta-
gée. Un certain nombre de critères sont utiles à connaître lors de
la lecture de ces études ; beaucoup plus que les chiffres qui ont
pour but d’effrayer, un certain nombre de paramètres doivent
être bien établis : le temps écoulé depuis la ménopause naturelle,
la dose utilisée, le taux d’incidence du cancer du sein dans la
population considérée et la tranche d’âge concernée (14). Le
cancer du sein est un cancer fréquent, dont le facteur de risque
majeur n’est certes pas hormonal, mais bien lié à l’âge et à l’his-
toire familiale. Le risque lié au THS, positionné comme étant
celui d’une ménopause tardive, est bien minime en regard de ces
deux autres risques. Et contrairement à ce qu’on a pu lire, ces
deux études, la WHI et la MWS, n’ont rien apporté de nouveau
en termes de risque de cancer du sein, risque qui avait été étu-
dié lors de la méta-analyse de 97 (15). Ces deux études ne per-
mettent en aucun cas d’affirmer que les estrogènes cutanés natu-
rels ont perdu leurs bénéfices espérés sur la pathologie
cardiovasculaire, alors qu’ils sont donnés immédiatement à la
ménopause, dans une population dont on a éliminé les contre-
indications (16). Il n’est pas exact de dire que la balance
risque/bénéfice est actuellement négative, il est inadéquat de
transposer les résultats de la WHI à la population française.
Ce que l’on peut cependant affirmer, c’est que la consultation
nécessaire à la prescription du THS avait l’avantage de prendre
en compte la femme dans son entièreté à la cinquantaine et de
faire un bilan sénologique qui comporte un examen mammaire
et une mammographie, gestes simples, qui malheureusement
n’ont rien de systématique.
Le message martelé de la disparition du “sur”-risque à l’arrêt
du THS est assimilé dans le grand public à la disparition pure
et simple du risque de cancer du sein, s’il n’y a pas de recours
aux hormones, alors qu’à cet âge le risque de cancer du sein est
maximum en dehors de toute prise de THS. L’hypothèse d’une
prescription hormonale à la ménopause avait donné aux
femmes l’accès à la sénologie, comme la contraception au
ÉDITORIAL