É D I T O R I A L De la difficulté d’une “information éclairée” sur le traitement hormonal de la ménopause... Difficulties about objective information of patients, on hormone replacement therapy ● A. Lesur* C ela commence par l’appellation THS (ou HRT pour les Anglais)… On aimerait imaginer que derrière ce sigle utilisé par tous (revues scientifiques, médias, médecins, profanes, etc.) se cache une molécule unique telle l’aspirine, dont on débattrait sans fin des vertus et des dangers. L’illusion s’arrête là : si outre-Atlantique, le Prempro® a monopolisé le marché, en France, le traitement de la ménopause se décline en une entité plurielle faite de plusieurs voies (cutanée, orale, nasale), plusieurs modalités (gel, patch, spray, comprimé), plusieurs modes d’association de molécules différentes à plusieurs dosages. Le cauchemar des radiologues renseignant leurs fiches de mammographie avec le traitement pris est cependant centré sur des produits naturels, associant essentiellement en France le 17ß-estradiol (micronisé si voie orale), à une progestérone naturelle ou assimilée. Sur le plan métabolique, nous sommes loin de l’estrogène équin et de la MPA (acétate de médroxyprogestérone), qui bénéficient de la même appellation THS (traitement hormonal substitutif)… La confusion se poursuit par la définition de la ménopause : estce une préménopause qui s’éternise, une aménorrhée toute récente, un arrêt des règles depuis deux mois, deux ans ou plus de dix ans ? Il va de soi que le traitement introduit à ces différentes phases ne peut avoir le même effet sur le plan mammaire, ni sur la sphère cardiovasculaire ! Mais il n’y a pas que les définitions qui prêtent à confusion... Il y a l’éclairage avec lequel la question est envisagée : à article identique, lecture différente en fonction de la spécialité du lecteur. La Women’s Health Initiative (WHI) (1) et la Million Women Study (MWS) (2) ont balayé toutes les autres publications sur ce sujet (3), antérieures ou synchrones, et elles ont entraîné les débordements que l’on connaît : éditoriaux alarmants, articles en tout genre sur cancer et hormones... (4-7). Ainsi, à chacun d’utiliser les chiffres à sa façon : comment, sans une initiation sérieuse, passer des 8 cas de cancer du sein supplémentaires pour 10 000 femmes par an de la WHI aux 20 000 cancers du sein attribuables au THS au cours des dix dernières années en Grande-Bretagne ? Comment certains auteurs peuvent-ils prévoir le nombre de nouveaux cas de cancer du sein dus au THS dans les années à venir, * Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre-lès-Nancy. La Lettre du Sénologue - n° 23 - janvier/février/mars 2004 alors même qu’il y a encore quelques années, personne n’était capable d’évaluer le taux exact de femmes ménopausées utilisant le THS ? L’estimation de ce taux n’a jamais dépassé, même dans les évaluations les plus optimistes, les 30 %, ce qui correspond, à quelques pourcentages près, à la population ménopausée réellement gênée par les troubles climatériques. Que les médias dans une quête de sensationnel aient recours à ces chiffres, cela se conçoit, que cela soit l’occasion d’accuser les médecins de mercantilisme et d’irresponsabilité, cela est dans l’air du temps. Que le grand public et les médias suspectent les gynécologues d’être à la solde des laboratoires et de vivre du traitement de la ménopause, cela aussi est connu… Curieusement, alors que le traitement de la ménopause est accusé des maux les plus terribles, les gynécologues répondent massivement “oui” à la question “vous traiteriez-vous, vous-même ?” : jusqu’où va leur dévouement à l’industrie pharmaceutique ! Ce refrain des médecins otages des laboratoires n’atteint pas seulement les gynécologues, aucune spécialité n’est à l’abri ! Mais que les médecins et les experts ne s’y retrouvent pas et ne sachent plus qui croire est plus grave, surtout quand ils doivent renseigner leurs patientes de façon “éclairée”, c’est-à-dire en fonction de l’état de l’art et non en fonction de convictions personnelles, non scientifiquement validées (8). Certes, la prescription du THS a connu des excès lors des dernières décennies dans l’enthousiasme d’un combat gagné sur la vieillesse ; il a été prescrit sans modération, en oubliant le principe fondamental “risque/bénéfice” et en simplifiant à l’extrême ce qui aurait dû être une information éclairée de qualité. Mais si cet excès était condamnable, la tendance actuelle, en sens inverse, l’est tout autant et le principe de précaution derrière lequel se réfugient médecins et institutions peut avoir des effets pervers. En effet, cette grande confusion caractérisant la communication au sujet du THS est préjudiciable à tous. L’AFSSAPS a publié un nouveau communiqué en décembre 2003 (www.afssaps.sante.fr), d’une prudence extrême reposant sur deux études, dont l’une ne concerne ni la population française, ni les produits utilisés, quand l’autre est d’une méthodologie assez contestable. Les auteurs ayant formulé ces critiques ont été accusés de xénophobie et d’ostracisme (9). Jugez vousmême : la recherche clinique a des règles bien établies depuis des années : il n’est pas licite de transposer les résultats d’une étude randomisée en double aveugle, menée sur une population avec 3 É D I T O R I A un produit, à une autre population d’âges différents, de caractéristiques épidémiologiques différentes, traitée avec d’autres produits. Ce serait très hasardeux, et c’est pourtant ce qui a été fait à partir des résultats de la WHI. L’âge moyen des patientes de la WHI est de 63,2 ans, ce qui correspond à 66,6 % de femmes ayant plus de 60 ans, et étant donc ménopausées depuis de nombreuses années. La réintroduction hormonale initiée dans le bras traité de l’essai, chez ces patientes, ne peut se prévaloir du titre de prévention primaire. On connaît les caractéristiques de cette population, dont une grande partie eût constitué des contre-indications pour un prescripteur français, et l’on sait la mauvaise tolérance métabolique des hormones utilisées, non naturelles, et à fortes doses (sans compter leur effet sur la densité mammaire radiologique !). Et il faudrait transposer les résultats de toxicité à la population française traitée, qui a cinquante ans en moyenne, chez qui il n’y a quasi aucun délai entre l’installation de la ménopause naturelle et le relais pris par des hormones naturelles, superposables à celles secrétées par des ovaires fonctionnels (10, 11) ? Pour mémoire, les données de tolérance sur ces produits existent, elles ne proviennent pas d’études randomisées en double aveugle, certes, et elles ont surtout la malchance d’avoir été publiées le même jour et dans le même journal que la MWS (12). Plus curieux encore dans la transmission de l’information... Toute personne s’étant donnée la peine de lire en détail l’article publié dans le JAMA n’a pas été sans remarquer en bas de la page 328 : “Pour les femmes n’ayant jamais utilisé de traitement de la ménopause avant de rentrer dans l’essai thérapeutique, et totalisant donc cinq ans de traitement, le risque relatif était de 1,06”, non significatif. N’est-ce pas ce risque relatif qui devrait être publié puisqu’il correspond réellement à une durée d’utilisation du THS de 5 ans en moyenne ? La WHI comprenait un bras testant les estrogènes seuls contre placebo chez les femmes hystérectomisées. Ce bras n’a pas été arrêté en juillet 2002, n’ayant pas d’effets délétères : n’est-ce pas une bonne nouvelle que de savoir que les estrogènes, même introduits tardivement chez des femmes ménopausées après une utilisation de cinq ans en moyenne, sont innocentés ? Pourquoi dans ce cas “diaboliser” les estrogènes et centrer le risque de cancer du sein sur leur existence ? Comment comprendre qu’il ne soit pas retenu au rang des bénéfices attribuables au traitement, la diminution du risque de cancer du côlon, maladie dont la survie est plus courte que celle observée après un cancer du sein... À article égal, il y a donc plusieurs lectures possibles... C’est alors que les statisticiens épidémiologistes nous rappellent qu’en dehors d’un essai randomisé en double aveugle, il n’y a point de salut (13). Où est-il cet essai que nous attendons tous, avec notre population et nos produits ? Vu du côté des chiffres, c’est “la” question, vu du côté des patientes au quotidien, la réalisation d’un essai randomisé en double aveugle en France, chez les femmes ménopausées, s’imagine très difficilement, à moins d’interdire purement et simplement le THS et de supprimer la protection sociale : en effet, pourquoi des femmes convaincues de la toxicité des hormones prendraient-elles le risque de se trai4 L ter après un tirage au sort ? Pourquoi des femmes réellement gênées par des troubles importants s’astreindraient-elles à prendre, pendant cinq ans, un traitement inefficace ? Quel intérêt y trouveraient-elles ? N’ont-elles pas une protection sociale et médicale de qualité ? Comment comparer la précarité d’une grande partie de la population américaine à notre système de santé dont le déficit est certes abyssal, mais qui permet indéniablement l’accès aux soins à tous ? Comment, dans ces conditions, réunir les quelques 20 000 patientes nécessaires pour des résultats représentatifs, statistiquement valides ?... et détail mercantile, qui financera les centaines de millions de dollars qu’a coûtées la WHI ? On en revient donc à une prescription individuelle du THS, qui obéit à la règle de prescription de tout traitement, principe hérité d’Hippocrate : la balance bénéfice/risque. Cela est vrai au quotidien pour chaque ordonnance qu’un médecin établit : donne-ton la pilule à une patiente qui fume, du tamoxifène à une femme qui a un risque thromboembolique, des anti-inflammatoires à un patient à risque d’ulcère... d’où la nécessité, à nouveau, d’une information éclairée afin de s’orienter vers une décision partagée. Un certain nombre de critères sont utiles à connaître lors de la lecture de ces études ; beaucoup plus que les chiffres qui ont pour but d’effrayer, un certain nombre de paramètres doivent être bien établis : le temps écoulé depuis la ménopause naturelle, la dose utilisée, le taux d’incidence du cancer du sein dans la population considérée et la tranche d’âge concernée (14). Le cancer du sein est un cancer fréquent, dont le facteur de risque majeur n’est certes pas hormonal, mais bien lié à l’âge et à l’histoire familiale. Le risque lié au THS, positionné comme étant celui d’une ménopause tardive, est bien minime en regard de ces deux autres risques. Et contrairement à ce qu’on a pu lire, ces deux études, la WHI et la MWS, n’ont rien apporté de nouveau en termes de risque de cancer du sein, risque qui avait été étudié lors de la méta-analyse de 97 (15). Ces deux études ne permettent en aucun cas d’affirmer que les estrogènes cutanés naturels ont perdu leurs bénéfices espérés sur la pathologie cardiovasculaire, alors qu’ils sont donnés immédiatement à la ménopause, dans une population dont on a éliminé les contreindications (16). Il n’est pas exact de dire que la balance risque/bénéfice est actuellement négative, il est inadéquat de transposer les résultats de la WHI à la population française. Ce que l’on peut cependant affirmer, c’est que la consultation nécessaire à la prescription du THS avait l’avantage de prendre en compte la femme dans son entièreté à la cinquantaine et de faire un bilan sénologique qui comporte un examen mammaire et une mammographie, gestes simples, qui malheureusement n’ont rien de systématique. Le message martelé de la disparition du “sur”-risque à l’arrêt du THS est assimilé dans le grand public à la disparition pure et simple du risque de cancer du sein, s’il n’y a pas de recours aux hormones, alors qu’à cet âge le risque de cancer du sein est maximum en dehors de toute prise de THS. L’hypothèse d’une prescription hormonale à la ménopause avait donné aux femmes l’accès à la sénologie, comme la contraception au La Lettre du Sénologue - n° 23 - janvier/février/mars 2004