Sommaire Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Les destinées d’une campagne de publicité . . . . . . . . . . . . . 10 Des publicités provocantes, une stratégie commerciale gagnante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Quand Benetton s’empare du sida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Deux parcours judiciaires parallèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Des traditions juridiques surprises à fronts renversés ? . . . . 26 Contrastes sur l’inviolabilité de la dignité humaine . . . . . . . 27 La publicité protégée par la liberté d’expression ? . . . . . . . . . 34 Les acteurs de la lutte juridique autour des affiches Benetton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Les instigateurs du drame judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 En arrière-plan, la médiatisation inégale du sida . . . . . . . . . 50 Une caisse de résonance pour les débats sur la publicité . . . . 54 Le discours des juges et ses destinataires . . . . . . . . . . . . . . . . 58 La loi invisible des juges français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Les juges pris dans une controverse constitutionnelle en Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 Un cas difficile, un précédent historique ? . . . . . . . . . . . . . . 74 Un litige hors du commun ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Un litige sans suite ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Documents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Introduction Sous le nom d’« affaire Benetton », cet ouvrage désigne les procès intentés en France et en Allemagne, à partir de 1993, contre des affiches publicitaires de la marque Benetton réalisées par Oliviero Toscani sur le thème des personnes séropositives, c’est-à-dire porteuses du virus HIV. Ces affiches ont donné lieu à deux séries de jugements en France et en Allemagne : une série de deux décisions, du tribunal de grande instance et de la cour d’appel de Paris, en France et une série de cinq décisions, du tribunal de Francfort, de la Cour fédérale de justice et de la Cour constitutionnelle, en Allemagne. Dans les deux pays, l’atteinte à la dignité humaine a été invoquée contre la liberté d’expression du publicitaire. La procédure s’est terminée en France par la condamnation de Benetton, tandis qu’en Allemagne la Cour constitutionnelle a fait prévaloir la liberté d’expression sur l’atteinte aux droits d’autrui. L’objet du livre n’est pas de dire qui avait raison dans cette affaire. Il ne s’agit pas de présenter une thèse prescriptive de la part de l’auteur. Chacun se fera une opinion, à la lecture des arguments présentés, en faveur ou à l’encontre de cette campagne publicitaire. Chacun pensera s’il était ou non utile que les juges allemands et français aient à se prononcer sur un tel conflit et si celuici relevait ou non du droit et de la justice. Il ne s’agit pas non plus de faire une analyse comparée, au sens classique et dogmatique, des différences et des points de contact entre droit allemand et droit français sur la question de la liberté publicitaire et de ses limites. Les lecteurs comprendront assez rapidement que les droits des deux pays voisins, bien que différents, présentent de nombreuses similitudes sur le sujet étudié et que des arguments semblables ont pu être utilisés dans les deux pays, alors même que l’issue finale des procès a été opposée. L’affaire Benetton est ici analysée comme un exemple révélateur (dans la mesure où ce sont les mêmes affiches qui sont concernées) de problématiques communes à des décisions de justice dans 7 L’affaire Benetton ou une querelle d’affichage entre la France et l’Allemagne plusieurs ordres juridiques, particulièrement en Europe. Le point de vue, relevant de la sociologie du droit ou de l’histoire contemporaine du droit (pour des faits remontant à une période située entre 13 et 23 ans derrière nous), est celui de l’étude du « droit en action » à propos d’une controverse provoquée par les mêmes faits, en l’occurrence une campagne publicitaire développée dans plusieurs pays. Voir comment cette affaire a été traitée en Allemagne et en France, c’est d’abord rendre compte des réactions suscitées à chaud, par le déclenchement d’actions judiciaires mais aussi à travers des articles de presse ou des interviews, par les affiches « HIV Positive » de Benetton. Puis, une deuxième partie envisage comment ont été invoqués des « grands principes » ou des droits fondamentaux, la liberté d’expression et la dignité humaine, qui présentent des configurations et des histoires distinctes en Allemagne et en France. La question est alors de déterminer dans quelle mesure des normes anciennes, ou de prétendues traditions nationales, peuvent suffire à régler des cas liés à de nouvelles questions, en l’occurrence la pandémie du sida et l’usage de publicités provocantes. Une troisième partie présente les acteurs de ces procès, en insistant sur le fait que l’action a été portée en Allemagne par une association d’entrepreneurs luttant contre la concurrence déloyale et en France par des malades du sida. Des entretiens avec les avocats des parties, comme l’analyse de la presse, ont permis de compléter les points de vue livrés par les jugements eux-mêmes. L’argumentaire utilisé par les différents juges dans cette affaire fait l’objet de la quatrième partie : à qui s’adressent ces juges et avec quels types de justifications ? La cinquième partie se pose enfin la question de la portée de ces « cas difficiles » (hard cases) dont l’affaire Benetton serait un exemple. À travers ces cinq perspectives sur l’« affaire Benetton », mêlant événements factuels, technique juridique, examen de la presse, réflexion historique et analyse contextuelle dans deux pays voisins, le lecteur est invité à s’interroger sur la portée de ce que les théoriciens du droit appellent une « norme individuelle ». Une norme individuelle ne s’impose qu’aux parties concernées, en l’occurrence la société Benetton et les demandeurs qui l’ont attaquée en justice. À propos d’une décision judiciaire ou d’une série de décisions qui a « fait du bruit », on peut se demander si elle a donné naissance à 8 Introduction une jurisprudence, c’est-à-dire à une norme générale susceptible de s’appliquer à d’autres personnes et à d’autres cas. On peut aussi s’interroger sur une « querelle d’affichage », fournissant l’occasion aux juges d’afficher leurs préférences. 9