Vices vérités.book Page 11 Mardi, 3. juin 2008 6:20 18 1 Chapitre ÉTHIQUE: LA PUBLICITÉ EST-ELLE MORALE? Choquante, cynique, irrespectueuse, transgressive, perverse, inconséquente, raciste, manipulatrice, provocatrice, esclave zélée du capitalisme… la publicité concentre sur elle toute une litanie de reproches et focalise bien des aigreurs. Reste à savoir si la publicité mérite d’être autant stigmatisée ou bien si, par hypothèse, elle ne ferait pas office de bouc émissaire à des problèmes socioculturels, sociologiques et sociopolitiques d’une tout autre ampleur. Cela étant, dans son souci permanent de se faire remarquer à tout prix, d’obtenir de l’impact, il est clair que la publicité n’hésite pas à utiliser des registres de communication susceptibles de heurter les sensibilités. Or, du fait qu’elle se trouve en contact permanent avec le grand public, la publicité se doit parallèlement de suivre des règles d’éthique qui ne s’avèrent pas toujours observées comme elles devraient l’être. La réceptivité d’une société change d’une époque à l’autre et les codes de la publicité évoluent avec elle. Hier comme aujourd’hui, une publicité choque ou ne choque pas en fonction du contexte global dans lequel se trouve celui qui l’écoute ou la regarde. L’accueil que chacun lui fait dépend de nombreux paramètres, dont l’origine, l’âge, le sexe, les convictions personnelles, la famille, l’éducation, la croyance religieuse, la culture… Bref, c’est toute une histoire de vie qui entre en jeu dans un jugement moral. Placée de par sa fonction en première ligne, il est clair que la publicité n’échappe pas à la règle. 11 Vices vérités.book Page 12 Mardi, 3. juin 2008 6:20 18 Vices et Vertus de la publicité RESPECTER LES LIMITES Cela va de soi: la publicité ne peut pas tout dire, tout faire ni tout montrer. Les publicitaires l’ont compris très tôt et, pour contrer dans un premier temps les mensonges de la réclame puis les dérives de la publicité moderne, ils ont mis eux-mêmes en place des organismes d’autodiscipline et d’autorégulation1, chargés d’encadrer l’exercice de leur profession. Reste à savoir si ces règles déontologiques constituent des contraintes insoutenables pour les créatifs, toujours enclins à bousculer les codes, ou bien si un cadre coercitif peut – contre toute attente? – se révéler propice à la créativité. Si exploiter les tabous d’une société peut effectivement faire office de solution miracle pour un créatif en mal d’inspiration, ce peut être aussi un moyen de secouer les traditions, de déranger le ronronnement médiatique et de faire évoluer les mentalités. Dans cette optique, jusqu’où peut aller la publicité? Lorsqu’elle flirte avec les limites du moralement correct, lorsqu’elle stimule nos désirs ou titille notre libido, il semble bien que la frontière soit ténue entre une utilisation justifiée et l’exploitation pure et simple de nos pulsions. En ce sens, il ne fait aucun doute que certains publicitaires, la fin ne justifiant pas toujours les moyens, vont trop loin. C’est ce que souligne Jean-Pierre Teyssier, aujourd’hui président du BVP: «Lorsque les créatifs publicitaires réclament la même liberté de création que les auteurs de films ou de romans, ils savent bien que ce n’est pas possible. La loi d’ailleurs ne reconnaît pas aux messages publicitaires la même protection juridique qu’aux œuvres audiovisuelles.2 » N’en déplaise aux gardiens zélés de la vertu publique, les publicitaires respectent globalement, par souci d’autodiscipline, le cadre éthique qui leur est imparti. Mais, comme dans toute profession, quelques dissidents prennent ici et là un malin plaisir à exécuter des dérapages savamment programmés et orchestrés. Malheureusement pour la publicité, le grand public va surtout retenir ce type de dérives. 1. BVP (Bureau de vérification de la publicité), CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), AACC (Association des agences conseil en communication). 2. Jean-Pierre Teyssier, Frapper sans heurter, Armand Colin, 2004. 12 Vices vérités.book Page 13 Mardi, 3. juin 2008 6:20 18 Éthique: la publicité est-elle morale? SEXE ET NUDITÉ: DU SHOCKVERTISING AU PORNO CHIC L’une des accusations les plus courantes à l’encontre de la publicité est liée à son exploitation du sexe, plus particulièrement lorsqu’il s’agit de produits aux propriétés libidinales non intrinsèques. De ce point de vue, il est indéniable que des abus flagrants ont existé et existent encore aujourd’hui. Nécessité de se faire remarquer, recherche délibérée d’impact, le sexe et la nudité soutiennent clairement une stratégie de provocation. S’agit-il d’une stratégie valable et efficace? Rien n’est moins sûr, mais les marques qui décident de l’employer le font en toute connaissance de cause et sont donc prêtes à en assumer les conséquences, pour autant qu’elles ne les souhaitent tout simplement pas. L’affaire ne date pas d’aujourd’hui. Dès les années soixante, les bien-pensants se sont bruyamment chargés de dénoncer l’exploitation du statut – mais aussi déjà du corps – de la femme dans la publicité. La fameuse «libération sexuelle» de 1968 n’a aucunement mis un terme aux revendications des femmes pour mettre fin à ces abus. Émancipation: oui, exploitation: non. Ce faisant, les publicitaires ont allègrement continué à se servir de la nudité féminine pour vendre tout et n’importe quoi. Mais c’est surtout à la fin des années quatre-vingt-dix que la provocation sexuelle s’est institutionnalisée dans la publicité avec l’émergence du shockvertising, du glam trash et du porno chic. Stratégie créative exploitant la provocation dans le seul but de créer la polémique, le shockvertising se nourrit de violence, de sexe, de mort et de racisme. Pour sa part, avec des poses volontairement suggestives, le porno chic puise son inspiration dans les codes de soumission, renvoyant à des situations de viols ou de violences conjugales. On remarquera que le porno chic est presque exclusivement utilisé dans le cadre de la communication pour les produits de luxe, estampillés haut de gamme (Dior, Dolce & Gabbana, Gucci, Sisley, Yves Saint Laurent, Versace…). Quant au glam trash, avec ses colliers en or, pendentifs trafiqués, voitures de prestige et quincaillerie de rappeurs, il provient de la culture américaine hip hop. 13 Vices vérités.book Page 14 Mardi, 3. juin 2008 6:20 18 Vices et Vertus de la publicité Pour les besoins de ses photos publicitaires, le glam trash n’hésite pas à faire se rouler dans la boue, l’huile de vidange et le goudron, les mannequins et autres égéries des marques. Déjà dépassées par la nouvelle tendance dite morbi chic, à savoir la mise en scène de l’agonie et de la mort, ces différentes stratégies de provocation suivent un seul et unique objectif: faire parler de la marque. En bien ou en mal, peu importe, le principal étant qu’on en parle. Trois caractéristiques principales définissent une stratégie de provocation: – le thème utilisé, c’est-à-dire l’exploitation des tabous et des sujets sensibles; – la recherche de l’impact à tout prix, dans le but d’accroître la notoriété de la marque; – l’absence de liens objectifs entre la publicité et le produit. Incontestablement, nous retrouvons ces trois présents éléments dans les campagnes réalisées par le photographe Oliviero Toscani pour Benetton. QUAND BENETTON RIMAIT AVEC PROVOCATION Responsable des campagnes Benetton pendant quinze ans, après l’avoir été pour les jeans Jésus, Oliviero Toscani s’est lié d’amitié avec Luciano Benetton en 1983. La saga Benetton débute en 1984 avec des affiches 4×3 représentant des enfants et des adolescents de toutes nationalités, petits drapeaux internationaux à l’appui, sur le fameux concept de la multiethnicité et de l’amitié entre les peuples du monde, concept traduit par la fameuse signature: «United colors of Benetton». Shootée en studio, très produit et très colorée, cette série d’affiches devait installer Oliviero Toscani en tant que photographe officiel de la marque. Jusqu’en 1988, s’ensuivent nombre d’affiches toujours déclinées sur le thème cher à Toscani de l’égalité entre les races, mais aussi quelques hommages appuyés à l’histoire de l’art et à l’histoire tout court, avec des duos aussi improbables que Jeanne d’Arc et Marilyn Monroe, côte à côte. À toutes fins utiles, on notera que les vêtements de la marque Benetton sont encore, pour le moment, très présents sur ces différents clichés. 14