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Chapitre1
ÉTHIQUE:
LA PUBLICITÉ EST-ELLE MORALE?
Choquante, cynique, irrespectueuse, transgressive, perverse, incon-
séquente, raciste, manipulatrice, provocatrice, esclave zélée du
capitalisme… la publicité concentre sur elle toute une litanie de
reproches et focalise bien des aigreurs. Reste à savoir si la publicité
mérite d’être autant stigmatisée ou bien si, par hypothèse, elle ne
ferait pas office de bouc émissaire à des problèmes socioculturels,
sociologiques et sociopolitiques d’une tout autre ampleur.
Cela étant, dans son souci permanent de se faire remarquer à tout
prix, d’obtenir de l’impact, il est clair que la publicité n’hésite pas à
utiliser des registres de communication susceptibles de heurter les
sensibilités. Or, du fait qu’elle se trouve en contact permanent avec
le grand public, la publicité se doit parallèlement de suivre des règles
d’éthique qui ne s’avèrent pas toujours observées comme elles
devraient l’être.
La réceptivité d’une société change d’une époque à l’autre et les
codes de la publicité évoluent avec elle. Hier comme aujourd’hui,
une publicité choque ou ne choque pas en fonction du contexte glo-
bal dans lequel se trouve celui qui l’écoute ou la regarde. L’accueil
que chacun lui fait dépend de nombreux paramètres, dont l’origine,
l’âge, le sexe, les convictions personnelles, la famille, l’éducation, la
croyance religieuse, la culture… Bref, c’est toute une histoire de vie
qui entre en jeu dans un jugement moral. Placée de par sa fonction
en première ligne, il est clair que la publicité n’échappe pas à la règle.
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Vices et Vertus de la publicité
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RESPECTER LES LIMITES
Cela va de soi: la publicité ne peut pas tout dire, tout faire ni tout
montrer. Les publicitaires l’ont compris très tôt et, pour contrer
dans un premier temps les mensonges de la réclame puis les déri-
ves de la publicité moderne, ils ont mis eux-mêmes en place des
organismes d’autodiscipline et d’autorégulation1, chargés d’enca-
drer l’exercice de leur profession. Reste à savoir si ces règles déon-
tologiques constituent des contraintes insoutenables pour les
créatifs, toujours enclins à bousculer les codes, ou bien si un cadre
coercitif peut – contre toute attente? – se révéler propice à la créa-
tivité. Si exploiter les tabous d’une société peut effectivement faire
office de solution miracle pour un créatif en mal d’inspiration, ce
peut être aussi un moyen de secouer les traditions, de déranger le
ronronnement médiatique et de faire évoluer les mentalités.
Dans cette optique, jusqu’où peut aller la publicité? Lorsqu’elle flirte
avec les limites du moralement correct, lorsqu’elle stimule nos désirs
ou titille notre libido, il semble bien que la frontière soit ténue entre
une utilisation justifiée et l’exploitation pure et simple de nos pul-
sions. En ce sens, il ne fait aucun doute que certains publicitaires, la
fin ne justifiant pas toujours les moyens, vont trop loin. C’est ce que
souligne Jean-Pierre Teyssier, aujourd’hui président du BVP:
«Lorsque les créatifs publicitaires réclament la même liberté de créa-
tion que les auteurs de films ou de romans, ils savent bien que ce n’est
pas possible. La loi d’ailleurs ne reconnaît pas aux messages publici-
taires la même protection juridique qu’aux œuvres audiovisuelles.
2
»
N’en déplaise aux gardiens zélés de la vertu publique, les publici-
taires respectent globalement, par souci d’autodiscipline, le cadre
éthique qui leur est imparti. Mais, comme dans toute profession,
quelques dissidents prennent ici et là un malin plaisir à exécuter
des dérapages savamment programmés et orchestrés. Malheureu-
sement pour la publicité, le grand public va surtout retenir ce type
de dérives.
1. BVP (Bureau de vérification de la publicité), CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel),
AACC (Association des agences conseil en communication).
2. Jean-Pierre Teyssier, Frapper sans heurter, Armand Colin, 2004.
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Éthique: la publicité est-elle morale?
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SEXE ET NUDITÉ: DU SHOCKVERTISING
AU PORNO CHIC
L’une des accusations les plus courantes à l’encontre de la publicité
est liée à son exploitation du sexe, plus particulièrement lorsqu’il
s’agit de produits aux propriétés libidinales non intrinsèques. De ce
point de vue, il est indéniable que des abus flagrants ont existé et
existent encore aujourd’hui. Nécessité de se faire remarquer, recher-
che délibérée d’impact, le sexe et la nudité soutiennent clairement
une stratégie de provocation. Sagit-il d’une stratégie valable et
efficace? Rien n’est moins sûr, mais les marques qui décident de
l’employer le font en toute connaissance de cause et sont donc prêtes
à en assumer les conséquences, pour autant qu’elles ne les souhai-
tent tout simplement pas.
L’affaire ne date pas d’aujourd’hui. Dès les années soixante, les
bien-pensants se sont bruyamment chargés de dénoncer l’exploita-
tion du statut – mais aussi déjà du corps – de la femme dans la
publicité. La fameuse «libération sexuelle» de 1968 n’a aucunement
mis un terme aux revendications des femmes pour mettre fin à ces
abus. Émancipation: oui, exploitation: non. Ce faisant, les publici-
taires ont allègrement continué à se servir de la nudité féminine
pour vendre tout et n’importe quoi. Mais c’est surtout à la fin des
années quatre-vingt-dix que la provocation sexuelle s’est institu-
tionnalisée dans la publicité avec l’émergence du shockvertising, du
glam trash et du porno chic.
Stratégie créative exploitant la provocation dans le seul but de créer
la polémique, le shockvertising se nourrit de violence, de sexe, de
mort et de racisme. Pour sa part, avec des poses volontairement
suggestives, le porno chic puise son inspiration dans les codes de
soumission, renvoyant à des situations de viols ou de violences con-
jugales. On remarquera que le porno chic est presque exclusive-
ment utilisé dans le cadre de la communication pour les produits de
luxe, estampillés haut de gamme (Dior, Dolce & Gabbana, Gucci,
Sisley, Yves Saint Laurent, Versace…). Quant au glam trash, avec
ses colliers en or, pendentifs trafiqués, voitures de prestige et quin-
caillerie de rappeurs, il provient de la culture américaine hip hop.
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Vices et Vertus de la publicité
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Pour les besoins de ses photos publicitaires, le glam trash n’hésite
pas à faire se rouler dans la boue, l’huile de vidange et le goudron,
les mannequins et autres égéries des marques. Déjà dépassées par la
nouvelle tendance dite morbi chic, à savoir la mise en scène de
l’agonie et de la mort, ces différentes stratégies de provocation sui-
vent un seul et unique objectif: faire parler de la marque. En bien ou
en mal, peu importe, le principal étant qu’on en parle.
Trois caractéristiques principales définissent une stratégie de
provocation:
le thème utilisé, c’est-à-dire lexploitation des tabous et des
sujets sensibles;
la recherche de l’impact à tout prix, dans le but daccroître la
notoriété de la marque;
labsence de liens objectifs entre la publicité et le produit.
Incontestablement, nous retrouvons ces trois présents éléments
dans les campagnes réalisées par le photographe Oliviero Toscani
pour Benetton.
QUAND BENETTON RIMAIT AVEC PROVOCATION
Responsable des campagnes Benetton pendant quinze ans, après
l’avoir été pour les jeans Jésus, Oliviero Toscani s’est lié d’amitié
avec Luciano Benetton en 1983. La saga Benetton débute en 1984
avec des affiches 4×3 représentant des enfants et des adolescents de
toutes nationalités, petits drapeaux internationaux à l’appui, sur le
fameux concept de la multiethnicité et de l’amitié entre les peuples
du monde, concept traduit par la fameuse signature: «United colors
of Benetton». Shootée en studio, très produit et très colorée, cette
série d’affiches devait installer Oliviero Toscani en tant que photo-
graphe officiel de la marque. Jusqu’en 1988, s’ensuivent nombre
d’affiches toujours déclinées sur le thème cher à Toscani de l’égalité
entre les races, mais aussi quelques hommages appuyés à l’histoire
de l’art et à l’histoire tout court, avec des duos aussi improbables
que Jeanne d’Arc et Marilyn Monroe, côte à côte. À toutes fins uti-
les, on notera que les vêtements de la marque Benetton sont encore,
pour le moment, très présents sur ces différents clichés.
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