L’exponentielle de matrice comme polynôme
Jean-François BURNOL, février 2017
Soit V =Cnmuni de sa base canonique et M une matrice n×nà coefficients complexes
et ϕl’endomorphisme associé agissant sur V.
Cette fiche va faire un usage intensif de la notion de polynôme d’endomorphisme et de
matrice.
Soit T C[X] le polynôme minimal unitaire de M, de degré t, soit λi, 1 ÉiÉpses racines,
qui sont les valeurs propres de M, et m1, ..., mpleurs multiplicités dans T.
On a nécessairement tÊ1... sauf si n=0, et on suppose donc par la suite que V n’est pas
l’espace vectoriel nul!
Théorème 1. Un polynôme Lvérifie
eM=L(M)
si et seulement si il satisfait aux conditions d’interpolation
1ÉiÉp=L(k)(λi)=eλi,0 Ék<mi
Il existe un unique polynôme L0de degré au plus t 1vérifiant ces conditions.
Les autres polynômes satisfaisant eM=L(M) sont ceux qui sont congrus à L0modulo le
polynôme minimal Tde la matrice M.
Je vais commencer par une preuve intelligente qui montre comme on découvre ce genre
de théorème. Puis je ferai la preuve idiote plus courte et qu’il faudra connaître à l’avenir pour
réussir les oraux de concours de bachotage.
Preuve.Je laisse en exercice le fait que le problème d’interpolation a bien une (unique) so-
lution de degré strictement inférieur à tet que les autres polynômes interpolateurs lui sont
congrus modulo T.
Il existe une décomposition en éléments simples :
1
i(X λi)mi
=
i
Ui
(X λi)mi
avec les Uides polynômes de degrés au plus les mi1. En fait ils sont pour cette fraction
rationnelle de degrés exactement égaux aux mi1 (exercice).
Posons Bi=L/(X λi)mi, on obtient l’identité polynomiale :
1=
i
UiBi
Posons Pi=UiBi(son degré est exactement t1) et considérons maintenant les polynômes
d’endormorphismes Pi(ϕ).
Comme il est bien connu, V est la somme directe des espaces caractéristiques Viassociés
aux valeurs propres λi. L’endomorphisme (ϕλ1Id)m1est identiquement nul sur V1, puisque
1
T(ϕ)=0 or les facteurs de T autres que (ϕλ1Id)m1créent sur V1des endomorphismes in-
jectifs, puisque ϕλjId est injectif sur V1, puisque λj̸= λ1et que λ1est la seule valeur propre
sur V1. Ainsi sur V1les Pi(ϕ), i>1 sont identiquement nuls, car (Xλ1)m1divise Pipour i>1.
Bref, il en resulte que sur V1, alors P1(ϕ) agit comme l’identité. Et il agit comme l’endor-
morphisme nul sur les autres espaces caractéristiques donc P1(ϕ) n’est autre que la projec-
tion sur V1parallèlement aux autres et est un idempotent (P1(ϕ)2=P1(ϕ)), et de même pour
les Pi(ϕ). Par ailleurs Pi(ϕ)Pj(ϕ)=0 pour i̸= jcar PiPjest un multiple de T pour i̸= j.
On a la décomposition
Id =
i
Pi(ϕ)
et donc aussi
ϕ=
i
ϕPi(ϕ)
puis en revenant à la matrice M
M=
i
MPi(M)
Toutes ces matrices commutent donc
eM=
i
exp(MPi(M))
eM=
i
exp(Mλi)Pi(M)exp(λiPi(M))
Bon je reviens aux endomorphismes et je note que (ϕλiId)Pi(ϕ) est nilpotent, et, en
rappelant que Pi(ϕ) est un idempotent, que son exponentielle vaut
e(ϕλiId)Pi(ϕ)=Id+
1Ék<mi
(ϕλiId)k
k!Pi(ϕ)
Par ailleurs exp(λiPi(ϕ)) =Id+(eλi1)Pi(ϕ) donc Pi(ϕ)exp(λiPi(ϕ)) =eλiPi(ϕ), puis
exp(ϕλiId)Pi(ϕ)·exp(λiPi(ϕ)) =exp(λiPi(ϕ))+
1Ék<mi
(ϕλiId)k
k!eλiPi(ϕ)
=Id+Id+eλi
0Ék<mi
(ϕλiId)k
k!Pi(ϕ)
Il s’agit maintenant de faire le produit sur tous les i, mais les termes croisés sont tous nuls
par Pi(ϕ)Pj(ϕ)=0, donc on obtient simplement :
eϕ=Id+
iId+eλi
0Ék<mi
(ϕλiId)k
k!Pi(ϕ)
À ce stade il est naturel de définir le polynôme1
L=1+
i1+eλi
0Ék<mi
(X λi)k
k!Pi
1. comme iPi=1, il vaut aussi i0Ék<mieλi(Xλi)k
k!Piqui se comprend peut-être plus facilement.
2
et de rappeler que Pj=UjL
(Xλj)mjs’annule avec au moins multiplicité mien λipour tout
j̸= i, et que Pi=1j̸=iPj=1+O((X λi)mi). Donc pour calculer L et ses dérivées jusqu’à
l’ordre mi1 en λi, on est ramené à étudier la fonction polynomiale
fi(z)=1+1+eλi
0Ék<mi
(zλi)k
k!=
0Ék<mi
(zλi)k
k!eλi
qui n’est autre que le polynôme de Taylor à l’ordre mi(ou mi1 suivant la convention) de
la fonction exponentielle, au point λi. Ainsi f(k)
i(λi)=eλipour 0 Ék<miet par conséquent
L(k)(λi)=eλi, pour 0 Ék<mi.
Donc ce L est à la fois solution du problème d’interpolation et tel que eM=L(M), mais il
est peut-être de degré trop grand. Qu’à cela ne tienne, on le remplace par son reste L0dans la
division euclidienne par le polynôme minimal T. Alors L(M) =L0(M) =eMet L0vérifie aussi
les conditions d’interpolation.
Le résultat désiré a été obtenu.
Voici maintenant la preuve idiote car pour la trouver il faut déjà connaître l’énoncé ...
alors que l’autre preuve construit l’énoncé.
Seconde preuve.Soit L le polynôme d’interpolation défini dans l’énoncé du théorème. Il
existe une série entière de rayon de convergence infini avec ezL(z)=T(z)S(z). En effet on
sait que toute série entière (de rayon de convergence infini) est la somme de sa série de Taylor
en tout point (avec rayon de convergence infini), et ezL(z) développée au point z=λ1n’a
des termes qu’à partir de (zλ1)m1, donc est de la forme (zλ1)m1S0(zλ1)=(zλ1)m1S1(z),
puis on itère : car l’annulation de ezL(z) et de ses dérivées aux λ2,...,λtse transfère à S1.
Finalement on remplace zpar la matrice M et on obtient
eML(M) =T(M)S(M) =0
et c’est fini!
C’est si simple et évident!
Sauf qu’il fallait connaître la solution avant!
On peut aussi deviner l’énoncé dans le cas diagonalisable, mais il faut un peu d’imagina-
tion pour en extraire l’énoncé général avec des multiplicités.
Si l’on résout le problème d’interpolation avec les multiplicités du polynôme caractéris-
tique, il y aura une solution L1de degré strictement inférieur à n. Cette solution sera a fortiori
une solution (pas de degré minimal, peut-être) du problème d’interpolation n’utilisant que
les multiplicités du polynôme minimal. Et donc en tout cas la formule eM=L1(M) sera as-
surée. On peut d’ailleurs faire directement la seconde preuve en y remplaçant le polynôme
minimal par le polynôme caractéristique.
Le point d’algèbre qui ressort du truc, c’est que la connaissance du polynôme caractéris-
tique (plus précisément : de ses racines et multiplicités!) suffit à déterminer un polynôme L1
avec eM=L1(M), alors que le polynôme caractéristique ne donne pas tous les invariants de
similitude de M.
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