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Coup de projecteur sur L’Illusion Comique de Corneille
Ce document a été réalisé par Madame Anne-Marie BONNABEL, agrégée de Lettres Modernes,
chargée de l’enseignement théâtre en CPGE et en lycée.
L’actualité théâtrale et un outil pédagogique récent nous invitent à travailler avec
les élèves sur L’Illusion comique et à réfléchir aux bonnes raisons de le faire. Les
lignes qui suivent ne sauraient constituer une séquence ou résumer l’outil
pédagogique à la disposition de tous. Elles se contentent de signaler sans s’y
attarder les thèmes traditionnellement attachés à l’étude de L’Illusion Comique,
pour suggérer des pistes moins explorées et susceptibles d’alimenter des séquences
transversales, dans le cadre des Objets d’Etude et Perspectives: en première,
Théâtre :Texte et Représentation, Mouvement littéraire et culture ; en seconde Le
Théâtre : Genres et Registres, Le travail de l’Ecriture..
L’actualité du théâtre
Un jeune metteur en scène bulgare, Galin Stoev, a été invité par Muriel Mayette,
administratrice de la Comédie Française, à monter L’Illusion Comique au Français.
Ce spectacle, qu’on peut voir encore cette saison, déconcerta, lors de sa création
en 2008, prouvant, s’il en était besoin, que l’œuvre de Corneille, loin d’être figée
dans la tradition, s’enrichit de la confrontation avec une esthétique contemporaine,
suscite des polémiques et reste bien vivante.
Un document pédagogique de qualité
La pièce de Corneille a été mise au programme de la classe de terminale L - Théâtre
à la rentrée 2008, ce qui a donné lieu à l’édition par le Sceren CNDP d’un ouvrage
d’une grande richesse, tout à fait exploitable dans le cours de français : Le Théâtre
dans le Théâtre. L’Illusion Comique. Pierre Corneille, baccalauréat Théâtre. Sceren
[CNDP] 2009.
Il contient un premier DVD qui comporte dans son intégralité le téléfilm L’Illusion
Comique réalisé par Robert Maurice en 1970.Un deuxième DVD met en parallèle
quatre mises en scène différentes de moments de la pièce regroupés en cinq thèmes :
Ouverture et fermeture, Clindor et le jeu amoureux, La comédie de Matamore,
Prestiges de l’illusion, Mourir au théâtre. Le livret accompagne systématiquement
les scènes sélectionnées dans le DVD,. d’analyses dramaturgiques comparées
Des articles d’universitaires proposent un approfondissement de la réflexion sur la
thématique baroque du Theatrum Mundi, sur les figures de l’illusion, sur les grandes
mises en scène historiques, celle de la création au Théâtre du Marais en 1635, celle
de Louis Jouvet en 1937, celle de Giorgio Strehler en 1984.
Des interviews de jeunes metteurs en scène, Frederic Fisbach et Galin Stoev,
complètent le livret. Ce travail très documenté et très approfondi, à l’intérieur
duquel chaque enseignant devra faire ses choix, outrepasse largement la dimension
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d’une séquence et est à même de nourrir diverses problématiques.
En complément de recherches, on peut citer l’excellent dossier de Georges
Forestier dans le livre de poche, Le Héros et l’Etat de M Prigent PUF
, Corneille de A. Niderst Fayard, Corneille dramaturge de B Dort L’Arche, Moi
Pierre Corneille de Christian Biet Découverte Gallimard.
Quelques bonnes raisons d’étudier L’Illusion Comique au
lycée.
I. Une oeuvre précieuse pour l’Histoire du théâtre
On peut imaginer entrer dans L’illusion Comique en privilégiant l’histoire littéraire.
I. 1 La représentation avant la publication
Il est intéressant de faire remarquer aux élèves que la pièce a d’abord été jouée
avant d’être publiée, pratique ordinaire d’une époque dont nous avons pourtant
l’habitude de penser qu’elle privilégie le texte sur la représentation et fait du texte
de théâtre une œuvre littéraire à part entière. En fait, au XVII ° siècle, l’auteur est
un " tâcheron " à la solde des directeurs de troupes.
L’auteur n’est rémunéré que lors de la première série de représentations de sa pièce
mais il ne l’est plus lorsque la pièce est reprise. Ainsi les troupes ont l’habitude de
ne jouer que très peu de fois une pièce à sa création pour la reprendre quelques mois
ou semaines plus tard, au grand dam de l’auteur qui ne peut qu’espérer toucher des
droits d’auteur, par l’intermédiaire de son " libraire ", c'est-à-dire de son éditeur,
une fois la pièce publiée. C’est dire l’importance économique de la publication.
Corneille mènera le combat pour émanciper l’auteur de théâtre de sa dépendance
financière envers les troupes Très tôt, il se bat pour affirmer l’autorité, la dignité de
l’auteur et la préséance du texte sur le spectacle. C’est dans cette optique qu’il
entreprend de son vivant l’édition de ses Œuvres Complètes, faisant suivre chaque
pièce d’un Examen
I. 2 Les deux versions
Il suffira de simplement s’interroger sur les deux versions de la pièce, celle de 1639,
première édition et celle de 1660. Georges Forestier dans ses commentaires (Edition
du livre de poche), résume l’essentiel des transformations que Corneille a opérées. Il
faut également mettre en regard la dédicace de 1639 et L’Examen de la pièce
précédant sa réédition en 1660. On découvre très vite combien le poids des règles
classiques s’est imposé à l’auteur, même pour une pièce classée sans ambiguïté sous
l’étiquette " baroque ". On y voit également une nette édulcoration du propos dans
le sens d’une moralisation des moeurs amoureuses.
Voilà l’occasion de rechercher ce qui a pu se passer dans les vingt cinq ans qui
séparent la première écriture (si nous retenons 1635, date de la création de la pièce
au Marais) de sa réécriture (1660) et de montrer comment la dramaturgie classique
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et le classicisme comme mouvement esthétique et culturel, s’imposent, parallèlement
à l’emprise du pouvoir royal sur l’agitation nobiliaire de La Fronde. On recherchera
aussi les événements de la vie de Corneille, de sa jeunesse pleine d’espoir sur le rôle
que peut jouer un écrivain de théâtre (ce que la fin optimiste de L’Illusion
Comique et l’hommage qu’il rend à la politique de développement du théâtre de
Richelieu révèlent clairement) à son âge mûr marqué par la désillusion au plan
politique et la résignation aux impératifs des doctes soutenus par le pouvoir. Un an
après L’Illusion Comique, la fameuse querelle du Cid sera menée contre Corneille à
l’instigation du même Richelieu.
I. 3 La question des genres
Il faut interroger l’hybridation des genres dans la pièce, dont Corneille était
parfaitement conscient ; il parle en effet d’ " étrange monstre " dès la dédicace de
1639 (le terme de monstre désigne bien un être fantastique composé de la réunion en
un sel corps de parties empruntées à des organismes différents).
On se contente trop souvent d’imputer cette hybridation au caractère baroque dont
on crédite L’Illusion Comique. Corneille est conscient de la distinction des genres
prônée par Aristote et comme surpris, voire embarrassé, par la nature de sa propre
création. S’il appelle " prologue " le premier acte et fait du cinquième une
" tragédie " à la fois dans la dédicace et dans l’Examen, il éprouve des difficultés à
caractériser les trois autres actes: il les appelle " comédie imparfaite " dans la
dédicace et avoue ne pas savoir les nommer dans l’Examen puisque, dit-il, " style et
personnage sont entièrement de la comédie " mais " le succès [comprenons l’issue,
le dénouement] en est tragique " ; en effet, il y a péril de mort pour le héros et mort
du rival.
Il nous est donné d’assister ici à un instant du jaillissement créateur d’un art doublé
d’une pratique autoréflexive. Corneille est, à moins de trente ans, un auteur à
succès qui tient à jouer un rôle majeur dans l’explosion théâtrale de cette première
moitié du XVIIème que l’histoire littéraire a longtemps négligée. Qui connaît encore
Boisrobert, L’Estoille Mairet, Rotrou et bien d’autres ? Les tragicomédies à la
mode, sombrées dans l’oubli le plus total, multiplient à l’excès les péripéties dont le
public épris de romanesque raffole. Entre désir de plaire à ses contemporains et
volonté de hausser la dignité du texte dramatique au statut de grand texte, donc
d’en référer à l’autorité des anciens et en premier lieu d’Aristote, s’installe une
tension qui informe tout l’oeuvre de Corneille, comme en témoignent ses
passionnants Discours sur le Poème Dramatique.
L’Illusion Comique suit de près les comédies de Corneille et précède d’encore plus
près Le Cid dont la querelle contribuera à pousser Corneille du côté des tragédies
romaines : Horace, Cinna, La mort de Pompée, qu’il fait néanmoins suivre d’une
nouvelle comédie : Le Menteur. A cette place charnière.L’Illusion Comique offre un
point de vue privilégié pour appréhender une œuvre dans son époque.
On s’accorde aujourd’hui pour dater la naissance du drame au XVIIème . Il s’agit
du drame au sens aristotélicien du terme, c'est-à-dire de la pièce de théâtre bien
délimitée, avec un début, un milieu, une fin, n’excédant pas une certaine longueur,
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fonctionnant comme une machine bien huilée où l’action progresse de cause en fait
et conséquence, dans une unité théorisée et réglementée par la fameuse loi classique
des trois unités. A l’opposé du concept de drame ainsi rapidement esquissé, la
catégorie de l’épique au théâtre ressortit du discontinu, du disjoint, du désir de dire
le monde dans sa durée et son épaisseur, de l’art du rhapsode qui coud ensemble
des morceaux divers. Le théâtre épique de Brecht naturellement, mais aussi la
plupart des textes de théâtre contemporains ressortissent de cette catégorie de
l’épique au théâtre. C’est pourquoi L’Illusion Comique qui coud ensemble des
morceaux génériquement disparates, a une résonance très moderne, même si cette
couture est magnifiquement maîtrisée. " Tout cela cousu ensemble fait une
comédie " écrit Corneille.
I. 4 Le cas Matamore
Ce personnage est problématique pour Corneille lui-même : " Il y en a même un qui
n’a d’être que dans l’imagination, inventé exprès pour faire rire, et dont il ne se
trouve point d’original parme les hommes. " (Examen).
Matamore est un type et peut donc servir à une réflexion sur la notion de type au
théâtre qui se distingue du personnage défini comme entité psychologique
individualisée. En tant que type, il perdure dans le temps, chaque époque
l’investissant à sa manière, pour un effet comique garanti. Matamore, c’est le Miles
Gloriosus de Plaute, c’est le Capitan de la Commedia dell’arte, dans lequel les
Italiens du XVI°daubaient le figure de l’envahisseur espagnol.
C’est précisément parce que Bellemore, un acteur spécialisé dans le rôle de capitan,
venait d’être engagé au Théâtre du Marais que son directeur, Montdory, passa
commande du Matamore à Corneille, tant il est vrai qu’au théâtre, les plus belles
réussites naissent souvent de contraintes matérielles ou économiques.
II. Les visages de l’amour
Un choix de scènes de la pièce peut heureusement figurer dans une séquence
consacrée à la scène d’amour, plus précisément encore à la figure de l’amoureuse au
théâtre qui se décline en trois personnages.
Lyse, la servante d’Isabelle, qu’on nommerait suivante si on était dans une tragédie,
commande toute l’intrigue. Instigatrice par dépit amoureux du piège dans lequel
tombe Clindor, elle le sauve in fine, acceptant de le laisser à Isabelle et d’épouser,
afin d’obtenir de lui l’évasion de Clindor, le geôlier qui la rebute. Est-ce un geste
d’amour désintéressé, un effet du remords ou le démiurgique plaisir de faire et
défaire le destin de son amant ? Subtil personnage d’amoureuse, Lyse décline son
parcours aux scènes 5 et 6 de l’acte III et 2 et 3.de l’acte IV.
Isabelle est l’amoureuse totale, aventureuse, quittant son père et sa fortune pour
suivre Clindor qui n’est alors que valet de Matamore, scènes 3, 5 de l’acte II, 8 de
l’acte III, 1 de l’acte IV.
Quand elle joue le rôle d’Hyppolite, elle révèle un personnage de femme mariée,
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surprenante de lucidité sur le couple et le désir, mais aussi extrême et passionnée
dans sa maturité que le fut Isabelle dans sa jeunesse. L’incroyable scène 3 de l’acte
V est un morceau d’anthologie sur l’amour conjugal dont la modernité reste totale.
Rosine, qui, comme Isabelle-Hyppolite-, appartient au seul acte V, scènes 4 et 5 et
que Giorgio Strehler faisait jouer par l’actrice qui jouait Lyse, est une femme
adultère mue par le désir et la passion, bafouant son honneur qu’elle traite de "
vaines chimères/ Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères " ; elle serait
une Phèdre ardente dénuée de culpabilité et apparaît d’une étonnante force jusque
dans la mort. Rien d’étonnant que le Corneille de 1660 supprime totalement la scène
et le personnage sous le prétexte formel qu’un nouveau personnage ne peut
apparaître au dernier acte, mais sans doute aussi pour satisfaire à une morale plus
sourcilleuse.
III. Le Théâtre dans le théâtre pour ne parler que de théâtre
III. 1 L’espace du théâtre
L’espace de la fiction dans la pièce est une mise en abyme de l’ensemble du lieu
théâtral puisque l’enchâssement d’une pièce dans une pièce cadre - enchâssement à
la puissance deux car les personnages de la pièce enchâssée deviennent les acteurs
d’une nouvelle pièce enchâssée – figure le théâtre avec ses spectateurs toujours
présents et ses acteurs en train de jouer. La structure même de L’Illusion
comique est en relation étroite avec les récents progrès de la perspective en
peinture, en architecture et tout spécialement dans le décor de théâtre. Derrière le
rideau du mage, dans la grotte obscure, c’est toute la perspective d’un théâtre à
l’italienne dévoilant peu à peu son décor que révèle Alcandre aux yeux ébahis de
Pridament.
On trouvera dans le document du CRDP de nombreux éléments sur la question de
l’espace et ses différentes représentations.
III. 2 A la gloire du théâtre
On cite régulièrement la dernière scène comme un hymne à la gloire du théâtre. Il est
intéressant de l’analyser pour y remarquer l’importance accordée au plaisir du Roi
et du peuple, mais aussi à l’aspect économique de " l’entreprise " théâtrale.
Au niveau structurel, on peut remarquer combien cette célèbre apologie n’est pas
une tirade ajoutée pour la bonne cause à la fin de la pièce, mais au contraire combien
elle est l’aboutissement de son thème essentiel, à savoir une vraie interrogation sur
le théâtre, une création entièrement autoréflexive.
La condition d’acteur est interrogée. Qu’est ce qui pousse des jeunes gens vers le
théâtre ? Quels bénéfices en retirent-ils ? Plus subtilement qu’est ce qui appartient
à la fiction et qu’est ce qui appartient à la réalité ? En effet la fiction que jouent
Isabelle et Clindor dans leur nouvel état de comédiens a tant à voir avec leur
existence antérieure qu’on la prendrait volontiers pour sa suite.
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La condition de spectateur est également interrogée. Le spectateur dans la salle,
loin d’avoir la position surplombante traditionnelle de la comédie, qui le fait jouir de
l’ignorance et des erreurs des personnages sur scène, est exactement au même
endroit que Pridament, spectateur dans la pièce cadre ; il n’en sait pas plus que lui
et est autant surpris de voir se relever les morts.
La fonction de l’auteur de théâtre, qui crée un monde fictif si semblable au réel
sensible que tout le monde y croit, est interrogée dans le personnage du magicien
omnipotent.
Après la lecture de la dernière scène, il est bon de relire la première en jouant à
substituer, dans les deux tirades de Dorante, le mot théâtre, voire auteur de théâtre,
au mot " Mage ". On assiste alors à une véritable analyse du phénomène théâtral
dans son aspect spectaculaire de théâtre à machine que Corneille semble ne pas
revendiquer (" Je ne vous dirai pas qu’il commande au tonnerre/ Qu’il fait enfler les
mers, qu’il fait trembler la terre), comme dans sa capacité à percer les mystères de
l’universel cœur humain (Rien n’est secret pour lui dans tout cet Univers/ Et pour
lui nos destins sont des livres ouverts).
Dans cette mise en scène de la théâtralité, Corneille s’adonne à l’usage
éminemment baroque du théâtre dans le théâtre et écrit une pièce très voisine dans
ses préoccupations de bon nombre de nos pièces contemporaines qui placent le
théâtre au centre de leur écriture.
IV. L’Illusion comique et l’esthétique baroque
Dans le cadre de l’étude du mouvement baroque, la pièce de Corneille est
incontournable. La plupart des éléments que nous avons relevés au cours de cette
approche (perception illusoire, théâtre dans le théâtre, irrégularité, discontinuité) y
conduisent, sans qu’il paraisse utile de s’étendre davantage sur le topos baroque du
Théâtrum Mundi, largement exploité dans divers ouvrages de référence.
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