L’Illusion comique :
Le théâtre dans le théâtre,
fonctionnement & sens (2)
I. Qu’est-ce que le théâtre dans le théâtre ?
! Une définition simple
" On considère qu’il y a « théâtre dans le théâtre » dès qu’il y a
spectacle interne dans le spectacle : dès qu’un personnage de la
pièce devient spectateur d’une autre représentation, dite
« enchâssée », dans la pièce (qui devient alors la pièce-cadre, ou la
pièce-matrice)
" Le théâtre dans le théâtre peut donc être qualifié de « mise en
abyme » du procédé théâtral (pour reprendre un terme de Gide et
une notion développée par Lucien Dällenbach)
! Des formes très variées
" La façon dont les deux pièces sont liées
Elles peuvent être simplement juxtaposées, l’une suivant l’autre. Le jeu
peut alterner plusieurs fois : passer de la pièce-cadre à la pièce
enchâssée. On peut même voir la représentation enchâssée
« parasitée », entrecoupée par des réflexions des spectateurs de la
pièce-cadre.
" La représentation spatiale de « l’autre scène »
Tantôt, c’est un espace intérieur que rien ne matérialise : l’espace
scénique secondaire est alors à imaginer par le spectateur. Tantôt, la
représentation enchâssée vient envahir la totalité de la scène
théâtrale, les deux espaces se superposent parfaitement. Enfin, dans
une variante sophistiquée appelée « théâtre sur le théâtre », on érige
un véritable espace théâtral, une scène matérielle, visible, sur la scène
de la pièce-cadre.
" Les liens entre les intrigues
La pièce enchâssée peut être sans rapport avec la pièce-cadre.
Parfois, elle reflète symboliquement l’intrigue de la pièce-cadre, où elle
possède des interférences avec celle-ci : en ce cas, il arrive que la
représentation enchâssée possède des répercussions, influe sur le
cours de la pièce-principale, illustrant les pouvoirs de la fiction.
II. Fonctionnement dans l’Illusion comique
! Structure apparente
" Le premier acte appartient entièrement au 1er niveau, celui de la
pièce-cadre. Il a la fonction simple de présenter au spectateur le
procédé d’enchâssement.
" La structure apparente est donc nette. Sous les yeux de Pridamant
et d’Alcandre, à partir de l’Acte II, et dans un espace nettement
délimité par un rideau, vont se dérouler des faits réels en incidence
avec la pièce-cadre : puisque c’est le fils d’un des personnages,
Clindor, dont on va voir les aventures – entrecoupées par les
commentaires émus de son père.
! Des quiproquos multiples
" Tout au long de la pièce, on peut parler d’une véritable
« thématisation » de l’illusion théâtrale (elle devient un thème
récurrent, omniprésent de l’œuvre).
" Les personnages de la pièce enchâssée se livrent à l’espionnage
amoureux. Ils deviennent en quelque sorte spectateurs d’une scène
de galanterie, dont les amants, à leur insu, sont les acteurs : comme
si le phénomène du spectacle se multipliait, s’auto-engendrait.
! Le trompe-l’œil final
Mais c’est dans le dernier acte que se révèle toute la complexité et
l’originalité du procédé, qui, réapproprié par Corneille, s’achève par
un jeu de dupes.
En apparence, la structure demeure inchangée : Pridamant regarde
les aventures « réelles » qui arrivent à son fils Clindor, à l’insu de ce
dernier. Mais la nature réelle des choses se révèle dans la toute
dernière scène : en fait, Pridamant n’assistait pas à des événements
authentiques. C’était bel et bien une « fiction » mettant en scène des
personnages inventés, dont Pridamant était, à son propre insu,
spectateur.
Qui dupe qui ? Clindor finit en quelque sorte par avoir sa revanche
sur son père, puisqu’il l’abuse par son jeu d’acteur ; et le spectateur
réel (ou le lecteur) de la pièce de Corneille n’est pas épargné :
regardant le dernier acte avec, toujours, le regard de Pridamant, il
est également victime de la supercherie.
III. Effet et sens du procédé
! Un procédé typique du baroque
" Duplicité de lieux, de temps, d’action : le théâtre dans le théâtre est
un procédé qui apparente immédiatement la pièce à la veine
baroque, qui envahit le théâtre français dans le premier quart du 17e
siècle avant le triomphe de la norme classique (entre 1630 et 1660).
" Le théâtre cornélien se situe au début de ce triomphe, à la charnière
de deux époques : sa véritable insoumission aux règles classiques
lui vaudra de nombreuses critiques, notamment pour la pièce du Cid
(1637, cf. Mémopage Corneille)
" Dans l’Illusion comique, la sensibilité baroque se manifeste autant
dans l’irrégularité formelle (baroque>barocco, italien : perle
irrégulière) que dans une certaine vision du monde qui exhorte
l’homme à une certaine humilité devant Dieu.
" Les artistes baroques mettent en lumière l’aspect changeant du
monde, la nature trompeuse des apparences, la faiblesse
constitutive de l’homme, être dupe et éphémère : Alcandre par ses
deux discours, introductoires et conclusifs, s’en fait le relai explicite.
! Le topos du theatrum mundi
" En brouillant les frontières entre le réel et la fiction, en les
intervertissant constamment, L’Illusion comique relaie ainsi un topos
(lieu commun) du Moyen-âge, également illustré par Calderon, en
Espagne (La vie est un songe) : l’idée que le monde est un théâtre,
et les hommes de simples acteurs abusés par leurs propres
actions…le tout, créé et mis en scène par Dieu, créateur et
spectateur.
! Un éloge du théâtre
" Mais en plus de la ferme assise religieuse de ce propos, le procédé
employé par Corneille exalte également le théâtre, et l’art de la
feinte.
" Presque égal à Dieu lui-même, l’acteur, à l’exemple de Clindor et sa
troupe, est investi d’un pouvoir véritablement créateur, il produit
l’illusion et peut abuser ses semblables.
MemoPage.com SA © / 2009 / Joséphine Malara
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