pouvoir. Un an après L’Illusion Comique, la fameuse querelle du Cid sera menée
contre Corneille à l’instigation du même Richelieu.
I. 3 La question des genres
Il faut interroger l’hybridation des genres dans la pièce, dont Corneille était
parfaitement conscient ; il parle en effet d’ " étrange monstre " dès la dédicace de
1639 (le terme de monstre désigne bien un être fantastique composé de la réunion
en un sel corps de parties empruntées à des organismes différents).
On se contente trop souvent d’imputer cette hybridation au caractère baroque dont
on crédite L’Illusion Comique. Corneille est conscient de la distinction des genres
prônée par Aristote et comme surpris, voire embarrassé, par la nature de sa propre
création. S’il appelle " prologue " le premier acte et fait du cinquième une
" tragédie " à la fois dans la dédicace et dans l’Examen, il éprouve des difficultés à
caractériser les trois autres actes: il les appelle " comédie imparfaite " dans la
dédicace et avoue ne pas savoir les nommer dans l’Examen puisque, dit-il, " style et
personnage sont entièrement de la comédie " mais " le succès [comprenons l’issue,
le dénouement] en est tragique " ; en effet, il y a péril de mort pour le héros et mort
du rival.
Il nous est donné d’assister ici à un instant du jaillissement créateur d’un art
doublé d’une pratique autoréflexive. Corneille est, à moins de trente ans, un auteur
à succès qui tient à jouer un rôle majeur dans l’explosion théâtrale de cette
première moitié du XVIIème que l’histoire littéraire a longtemps négligée. Qui
connaît encore Boisrobert, L’Estoille Mairet, Rotrou et bien d’autres ? Les
tragicomédies à la mode, sombrées dans l’oubli le plus total, multiplient à l’excès
les péripéties dont le public épris de romanesque raffole. Entre désir de plaire à ses
contemporains et volonté de hausser la dignité du texte dramatique au statut de
grand texte, donc d’en référer à l’autorité des anciens et en premier lieu d’Aristote,
s’installe une tension qui informe tout l’oeuvre de Corneille, comme en témoignent
ses passionnants Discours sur le Poème Dramatique.
L’Illusion Comique suit de près les comédies de Corneille et précède d’encore plus
près Le Cid dont la querelle contribuera à pousser Corneille du côté des tragédies
romaines : Horace, Cinna, La mort de Pompée, qu’il fait néanmoins suivre d’une
nouvelle comédie : Le Menteur. A cette place charnière.L’Illusion Comique offre un
point de vue privilégié pour appréhender une œuvre dans son époque.
On s’accorde aujourd’hui pour dater la naissance du drame au XVIIème . Il s’agit
du drame au sens aristotélicien du terme, c'est-à-dire de la pièce de théâtre bien
délimitée, avec un début, un milieu, une fin, n’excédant pas une certaine longueur,
fonctionnant comme une machine bien huilée où l’action progresse de cause en fait
et conséquence, dans une unité théorisée et réglementée par la fameuse loi classique
des trois unités. A l’opposé du concept de drame ainsi rapidement esquissé, la
catégorie de l’épique au théâtre ressortit du discontinu, du disjoint, du désir de dire
le monde dans sa durée et son épaisseur, de l’art du rhapsode qui coud ensemble
des morceaux divers. Le théâtre épique de Brecht naturellement, mais aussi la
plupart des textes de théâtre contemporains ressortissent de cette catégorie de
l’épique au théâtre. C’est pourquoi L’Illusion Comique qui coud ensemble des
morceaux génériquement disparates, a une résonance très moderne, même si cette
couture est magnifiquement maîtrisée. " Tout cela cousu ensemble fait une
comédie " écrit Corneille.
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