ÉDITORIAL Le cancer du sein, encore et toujours ! Breast cancer, still and always! C. Jamin* "E ncore et toujours le cancer du sein !" vont penser certains. En effet, le fatalisme touche beaucoup d’entre nous, avec l'augmentation inexorable de l’incidence, les progrès thérapeutiques à la marge, la compréhension de la maladie qui n’avance guère, et aussi les faux "scoops" et les vrais désespoirs. Mais cette constatation désolante ne doit pas être de mise : non pas qu’une grande révolution conceptuelle ou thérapeutique soit entrevue, mais parce que, enfin, des pans entiers du "médicalement correct" se fissurent ; des approches thérapeutiques innovantes commencent à être utilisées dans les traitements courants et, surtout, un espoir de personnalisation des traitements se fait jour. Pour le médicalement correct, le mythe du tout-estrogènes a vécu. On abandonne enfin le syllogisme : "pas de cancer du sein sans estrogènes", certaines situations sont associées à un excès d’estrogènes ou à une durée d’imprégnation par les estrogènes trop longue, donc ces situations sont à risque plus élevé de cancer du sein. Tout d’abord, la relecture de l’épidémiologie permet de se détacher de l'idée qu’il faut obligatoirement chercher un lien entre un marqueur de risque de cancer du sein authentifié et un excès d’estrogènes. Ainsi, si les situations de longues hypoestrogénies s’accompagnent d’une baisse modeste du risque de cancer du sein, la majorité des autres imputations du surrisque attribuées à un excès d’estrogènes sont en passe d’être abandonnées. Ainsi, si la grossesse s’accompagne bien d’une augmentation transitoire du risque et d’un moins bon pronostic, c'est probablement du fait de phénomènes inflammatoires et immunologiques et pas nécessairement stéroïdes-dépendants. L’utilisation d’une contraception estroprogestative, donc d’estrogènes à doses pharmacologiques, n’implique pas d’augmentation du risque, et le traitement de la ménopause par estrogènes seuls diminuerait plutôt le risque (modestement) sur le long terme (10 ans). Les grossesses menées à terme ont un effet biphasique sur le risque : augmentation provisoire du risque, dont la traduction sera d’autant plus forte que le risque spontané (lié à l’âge) est lui-même important. Puis vient une diminution du risque par différenciation cellulaire, qui sera in fine d’autant plus marquée que le temps qui reste à vivre est long, donc que la grossesse a été plus précoce. Un nouveau coupable est apparu : le progestatif, qui faisait encore office de gardien du risque il y a peu. Il s’agit d’un promoteur direct ou indirect par l’intermédiaire des facteurs de croissance qu’il génère, notamment l’insuline et l’IGF-1. Ainsi, des anti-insulines et des anti- progestérones sont en toute logique en cours de développement. Déjà utilisés dans l’interruption de grossesse et la contraception de rattrapage, ce sont peut-être les traitements de demain des fibromes de l’endométriose ou des ménométrorragies, et pourraient devenir la contraception idéale qui empêche la fécondation tout prévenant le cancer du sein ; ou alors devenir la contraception des femmes ayant déjà eu ce cancer ou considérées comme à très haut risque (femmes mutées et/ou à risque familial fort). Quant aux antiestrogènes, il ne faut pas nier pour autant leur importance : en privant la tumeur de son "fuel" estrogène, ils en ralentissent l’évolution sans malheureusement modifier le risque d’issue fatale. Le premier d’entre eux, le tamoxifène, a été et reste un traitement extrêmement utile, mais il trouve sa limite dans sa durée d’utilisation de 5 ans. Quid de ses successeurs, les inhibiteurs de l’aromatase, en termes de durée et d’efficacité à long terme ? Nous n’aborderons pas dans cette revue le progrès considérable que représente le développement d’anticorps ciblant telle ou telle protéine spécifique du cancer ou de sa promotion. Ils peuvent s’attaquer à la tumeur elle-même, soit entraver la néovascularisation nécessaire à son développement, soit encore servir de vecteur à nos cytolytiques classiques qui ne s’attaqueraient plus qu'aux cellules porteuses de la protéine ciblée. Un mot sur un sujet nouveau : le rapport entre système osseux et cancer du sein. Le système RANK ligand, dont on connaît le rôle dans l’homéostasie osseuse, semble être fortement impliqué dans la promotion des tumeurs mammaires : peut-être faut-il voir là une explication à l’effet bénéfique inattendu des bisphosphonates et autres traitements de l’ostéoporose dans la cancérogenèse mammaire. Enfin, mais cette liste est loin d’être exhaustive, la puissance antitumorale de nos traitements avait jusqu’à présent pour objectif d’améliorer le pronostic des patientes de dans tel ou tel groupe déterminé par des items de classification probablement grossiers. Ainsi, pour faire protéger l’ensemble du groupe, on surtraitait la majorité des patientes appartenant par malchance à celui-ci. L’analyse fine de la composition protéique des tumeurs va peut-être nous permettre de fractionner ces groupes différemment pour individualiser davantage les traitements, en particulier en épargnant des chimiothérapies pénibles et délétères à certaines femmes (protéomique). Ainsi, oui, l’apparent surplace de notre approche du cancer du sein peut en désespérer certains, mais à tort, car des dogmes tombent * Président de l'Association francophone de l'après-cancer du sein (AFACS), 169, bd Haussmann, 75008 Paris. et de nouveaux concepts prennent de la vigueur, et ce n’est que par ces révolutions mentales que les progrès viendront. ■ 4 | La Lettre du Gynécologue • n° 363 - juin 2011 LG 2011-06.indd 4 07/06/11 09:45