Chez les femmes plus âgées, seul l’effet-âge intervient, et l’effet
protecteur de la ménopause est définitivement occulté.
Si ce raisonnement est exact, il y aurait bien une augmentation
du risque relatif de cancer du sein, par rapport aux femmes qui
ont pu bénéficier de l’effet favorable de la ménopause. Les
femmes sous THS sont donc des femmes qui ont une méno-
pause “retardée”, et il ne serait pas surprenant qu’elles aient un
risque plus élevé que celui des femmes qui ont une ménopause
plus précoce.
Si cette augmentation existe, elle reste cependant modérée, et ne
justifie en rien l’affolement des femmes et des praticiens : elle
n’est pas plus élevée que celle qui est associée à un âge précoce
aux premières règles, à la nulliparité, à un âge tardif au premier
enfant ou à l’obésité. La durée d’utilisation du THS à partir de
laquelle un tel processus pourrait être engagé n’est cependant
pas connue avec certitude, les risques présentés par année d’uti-
lisation n’excédant pas 6 ans dans l’essai WHI.
Le mode d’action des THS serait donc totalement différent de celui
des carcinogènes classiquement étudiés, comme le tabac, l’alcool
ou les radiations. Le THS pourrait tout simplement resituer les
femmes au niveau de risque qu’elles présentaient avant la méno-
pause, l’effet bénéfique de cette dernière étant annulé.
Cancers du sein sous THS : facteurs pronostiques et évolution
Dans l’essai WHI, les cancers du sein invasifs survenant sous
THS étaient plus étendus que les cancers du sein survenant sous
placebo. Ces résultats sont évidemment troublants, la plupart des
études antérieures ayant au contraire observé un phénomène
inverse (15-19). Plusieurs études avaient montré de surcroît que
les femmes traitées avaient une survie plus longue que les
femmes non traitées, après la survenue de leur cancer (20-21).
Ces études restent cependant peu démonstratives. En effet, il
s’agissait toujours d’enquêtes d’observation, dans lesquelles le
nombre de mammographies pouvait être plus fréquent chez les
femmes traitées que chez les femmes non traitées ; dans ce
contexte, les cancers survenant chez les femmes traitées étaient
détectés plus tôt en raison de leur suivi mammographique plus
régulier. Par ailleurs, la majorité de ces études portait sur des
femmes utilisant des estrogènes seuls ; or, il a été montré que
l’augmentation de la densité mammographique était plus impor-
tante chez les femmes utilisant un THS combiné que chez les
femmes utilisant des estrogènes seuls (22). En conséquence, il
n’est pas possible d’extrapoler aux cancers survenant sous THS
combinés les résultats des études établies à partir des cas de can-
cers survenant sous estrogènes seuls. Les données de la littéra-
ture ne sont guère en mesure d’apporter un démenti net aux
résultats de l’essai WHI sur l’existence de cancers du sein plus
évolués chez les femmes sous THS combiné que chez les
femmes sous placebo. Il n’en reste pas moins que, malgré une
augmentation de l’incidence du cancer du sein dans la plupart
des pays, la mortalité reste stable, ou a tendance à décroître (23),
ce qui n’est guère compatible avec une aggravation des cancers
survenus chez les femmes traitées par THS, qui représentent une
fraction importante de la population entre 50 et 64 ans.
Types de THS
Les résultats présentés dans les deux essais étudiés ne peuvent
être appliqués, stricto sensu, qu’aux femmes utilisant le même
type de THS que celui qui a été testé. Il est donc imprudent
d’étendre ces résultats à tous les types de THS utilisés en France,
et à toutes les voies d’administration. Il existe encore peu de
données sur les THS combinés comportant un progestatif pres-
crit de façon séquentielle, ou un progestatif différent du MPA et
des dérivés de la 19-nortestostérone. Les études publiées ne sont
que des enquêtes d’observation, et elles doivent donc être inter-
prétées avec prudence.
Citons toutefois l’étude britannique (12), portant sur plus d’un
million de femmes, et une large étude cas-témoins américaine
(24), portant sur près de 1 000 cas de cancers du sein. Dans ces
deux études, le risque relatif de cancer du sein était multiplié par
deux, après 5 années d’utilisation, que le progestatif soit prescrit
de façon continue ou séquentielle.
En revanche, dans l’étude de Porch et al. (11), l’augmentation
du risque n’était observée que chez les femmes utilisant un
traitement continu. Lorsque le progestatif était donné moins de
14 jours par mois, le risque de cancer du sein n’était pas aug-
menté (RR = 1,04 [0,74-1,46]). Magnusson et al. (25) mettaient
également en évidence un risque de cancer du sein plus élevé
chez les femmes utilisant un THS combiné en continu que chez
les femmes utilisant un THS combiné séquentiel, seuls Ross et al.
(26) ne confirmaient pas ces derniers résultats. Début 2003,
l’étude de cohorte suédoise menée sur plus de 29 000 femmes
relançait la controverse (27), l’augmentation significative du
risque de cancer du sein n’était là encore observée que pour des
traitements combinés continus suivis plus de 5 ans. Enfin, dans une
étude de cohorte réalisée en France, et portant sur 3 175 femmes
(9), le risque relatif de cancer du sein n’était pas augmenté
(RR = 1,08 [IC : 0,68-1,72]), après une durée d’utilisation de
5 années ou plus, avec un THS combiné comportant essentielle-
ment du 17-βestradiol, et dans 58 % des cas, de la progestérone
micronisée. Le MPA n’était utilisé que par 3 % de ces femmes.
Les connaissances concernant la relation entre le risque de
cancer du sein et le type de THS utilisé sont donc encore incer-
taines. Quoi qu’il en soit, la plupart des données de la littérature
tendent à montrer que le risque de cancer du sein est plus élevé
chez les femmes utilisant un THS combiné que chez les femmes
utilisant des estrogènes seuls. Cette augmentation du risque peut
toutefois rester un artefact dû à une détection retardée par la dif-
ficulté d’interpréter certaines images radiologiques dans des
seins de densité plus élevée après THS combinés qu’après estro-
gènes seuls.
Extrapolation des résultats des essais à la population générale
Les deux essais américains ont été réalisés sur une population
de femmes sélectionnées, qui ont été suivies de façon particu-
lièrement attentive, avec le souci constant de n’introduire aucun
biais susceptible de modifier les conclusions. Cette stratégie
n’est aucunement critiquable, mais elle doit conduire à une
réflexion sur l’extrapolation qui peut en être faite en pratique
courante.
DOSSIER
22
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003