À ▼ THS et cancer du sein : l’évidence est-elle biaisée ? D

DOSSIER
42
La Lettre du Gynécologue - n° 256 - novembre 2000
la suite d’une publication dans le Journal of the
American Medical Association (JAMA) d’un article
de C. Schairer faisant état d’un risque accru de sur-
venue de cancer du sein chez les femmes prenant un traitement
hormonal de la ménopause, la presse quotidienne (Le Monde,
Le Figaro…) a publié des articles très alarmants.
Qu’en est-il en fait ?
On sait que l’on va diagnostiquer un peu plus de cancers du
sein chez les femmes qui prennent un traitement hormonal
substitutif de la ménopause (THS). On estime en effet que
pour 1 000 femmes traitées pendant dix ans, on va diagnosti-
quer 6 cancers du sein supplémentaires par rapport à
1000 femmes non traitées.
Cette constatation ne veut pas dire que le THS va créer des
cancers du sein supplémentaires : ce n’est pas parce que l’on
observe une association qu’elle est causale. Il existe en effet de
nombreuses possibilités de biais. Tout d’abord, un biais de sur-
veillance : les femmes traitées vont avoir davantage de mam-
mographies et d’examens cliniques par leur gynécologue ou
leur généraliste que les femmes non traitées, et l’on va donc
découvrir leur cancer du sein plus tôt. Par ailleurs, les études
épidémiologiques sont des études menées le plus souvent par
téléphone, et font appel à la mémoire des femmes. Lorsque
l’on a un cancer du sein, on en cherche toujours la cause, et les
femmes atteintes vont donc plus facilement se souvenir de la
prise d’hormones que les femmes qui n’ont pas développé de
cancer.
THS et cancer du sein : l’évidence est-elle biaisée ?
M. Espié*
* Hôpital Saint-Louis, 1, av Claude-Vellefaux, 75475 Paris Cedex 10.
À
.../...
Enfin, pour envisager que le THS soit la cause du cancer du
sein, il faut que cela soit compatible avec ce que l’on connaît
de la cancérogenèse. Or, dans la très grande majorité des
études, l’excès de cancers du sein est observé chez les femmes
en cours de traitement ou qui se trouvent dans les quatre
années suivant son arrêt, c’est-à-dire beaucoup trop tôt par rap-
port au temps qu’il faut pour créer un cancer du sein. De plus,
il n’a jamais été clairement démontré un effet-dose. Au plus,
ces traitements pourraient accélérer la croissance de cancers
préexistants non décelables cliniquement. Les risques décrits
sont des risques faibles, avec des risques relatifs de 1,2 à 1,4,
ce qui signifie bien 20 à 40 % de risques en plus, mais 20 à
40 % de quoi ? Si l’on prend l’association tabac-cancer du
poumon, le risque relatif est, suivant les études, de 10 à 30, ce
qui va correspondre à 100 % à 300 % d’élévation du risque :
un effet-dose a été clairement mis en évidence. En outre, ce ne
sont pas les mêmes femmes qui vont ou qui ne vont pas
prendre un THS, et leurs autres facteurs de risque de dévelop-
per un cancer du sein ne seront pas identiques. Les femmes qui
prennent un THS sont souvent d’un milieu socio-économique
plus “élevé”, ce qui est en soi un facteur de risque de dévelop-
per un cancer du sein.
On sait par ailleurs que les patientes qui vont développer un
cancer du sein sous THS ont une réduction de la mortalité par
cancer du sein par rapport aux femmes non traitées, cette
réduction allant, suivant les études, de 20 à 40 %. Cela ne veut
pas non plus dire que le THS est directement responsable de
cette réduction de mortalité, mais probablement que, grâce au
diagnostic plus précoce mentionné plus haut, les cancers du
sein vont être découverts à un plus petit stade, et seront donc
moins évolutifs.
Il convient de se souvenir que, même si l’expression “cancer
du sein” fait peur, les maladies cardiovasculaires sont respon-
sables d’un bien plus grand nombre de décès chez les femmes
après la ménopause que le cancer du sein. Lorsque l’on prend
en compte un THS, il faut peser les avantages et les risques
potentiels au cas par cas. Le THS réduit le risque ostéo-
porotique, protège des maladies cardiovasculaires, et
certaines études montrent une moindre incidence de la maladie
d’Alzheimer chez les femmes traitées. On observe moins de
cancers du côlon et, si l’on s’exprimait comme dans Le Monde
ou Le Figaro, on dirait que le THS réduit de 30 à 50 % le
risque de survenue d’un cancer du côlon chez les femmes en
cours de traitement. Là encore, aucun lien causal ne peut être
démontré actuellement.
On connaît par ailleurs, en termes de qualité de vie, l’efficacité
du THS sur les bouffées de chaleur, la sécheresse cutanée, la
sécheresse vaginale, certains symptômes urinaires et certains
états dépressifs…
Lorsque l’on s’intéresse à la mortalité toutes causes confon-
dues, elle est moindre chez les femmes traitées que chez les
femmes non traitées, et ce de manière significative, mais là
encore ce ne sont probablement pas les mêmes femmes, et
seules des études comparatives nous donneront davantage de
certitudes. Les résultats de ces études sont attendus pour les
années 2003-2005.
Il faut enfin rappeler que toutes ces données ne concernent
pas les traitements hormonaux tels qu’ils sont prescrits en
France, car nous utilisons des hormones différentes de celles
utilisées aux États-Unis et dans les pays scandinaves, où ont
été menés la quasi-totalité des travaux épidémiologiques à
notre disposition.
POUR EN SAVOIR PLUS...
Schairer C, Lubin J, Troisi R et al. Menopausal estrogen and estrogen-pro-
gestin replacement therapy and breast cancer risk. JAMA 2000 ; 283 (26) : 485-
91.
Bergkvist L, Adami HO, Persson I et al. The risk of breast cancer after estro-
gen progestin replacement. N Engl J Med 1989 ; 32 : 1293-7.
Ewertz M. Influence of non contraceptive exogenous and estrogenous sex
hormones on breast cancer risk in Denmark. Int J Cancer 1988 ; 42 : 832-8.
Yang CP, Daling JR, Band PR et al. Non contraceptive hormone use and risk
of breast cancer. Cancer Causes Control 1992 ; 3 : 475-9.
Colditz GA, Egan KM, Stampfer MJ. Hormone replacement therapy and risk
of breast cancer : results from epidemiological studies. Am J Obstet Gynecol
1993 ; 168 : 1473-80.
Stanford JL, Weiss NS, Voight et al. Combined estrogen and progestin hor-
mone replacement therapy in relation to risk of breast cancer in middle-aged
women. JAMA 1995 ; 274 : 137-42.
Risch H, Howe G. Menopausal hormone usage and breast cancer in Saskat-
chewan : a record-linkage cohort study. J Natl Cancer Inst 1994 ; 139 : 670-83.
Colditz G, Rosnier B. Use of estrogen plus progestin is associated with grea-
ter increase in breast cancer risk than estrogen. Am J Epidemiol 1998 ; 147 :
S64.
Magnusson C, Baron JA, Correia N et al. Breast-cancer risk following long-
term oestrogen-progestin-replacement therapy. Int J Cancer 1999 ; 81 : 339-44.
Ross RK, Paganini-Hill A, Wan PC, Pike MC. Effect of hormone replacement
therapy on breast cancer risk : estrogen versus estrogen plus progestin. J Natl
Cancer Inst 2000 ; 92 : 328-32.
DOSSIER
44
La Lettre du Gynécologue - n° 256 - novembre 2000
.../...
Les articles publiés dans “La Lettre du Gynécologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© janvier 1984 ÉDIMARK S.A.
Imprimé en France - DIFFERDANGE - 95100 Sannois - Dépôt légal 4etrimestre 2000.
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !