À ▼ THS et cancer du sein : l’évidence est-elle biaisée ? D

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▼ THS et cancer du sein : l’évidence est-elle biaisée ?
● M. Espié*
la suite d’une publication dans le Journal of the
American Medical Association (JAMA) d’un article
de C. Schairer faisant état d’un risque accru de survenue de cancer du sein chez les femmes prenant un traitement
hormonal de la ménopause, la presse quotidienne (Le Monde,
Le Figaro…) a publié des articles très alarmants.
Qu’en est-il en fait ?
On sait que l’on va diagnostiquer un peu plus de cancers du
sein chez les femmes qui prennent un traitement hormonal
substitutif de la ménopause (THS). On estime en effet que
pour 1 000 femmes traitées pendant dix ans, on va diagnosti-
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* Hôpital Saint-Louis, 1, av Claude-Vellefaux, 75475 Paris Cedex 10.
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quer 6 cancers du sein supplémentaires par rapport à
1 000 femmes non traitées.
Cette constatation ne veut pas dire que le THS va créer des
cancers du sein supplémentaires : ce n’est pas parce que l’on
observe une association qu’elle est causale. Il existe en effet de
nombreuses possibilités de biais. Tout d’abord, un biais de surveillance : les femmes traitées vont avoir davantage de mammographies et d’examens cliniques par leur gynécologue ou
leur généraliste que les femmes non traitées, et l’on va donc
découvrir leur cancer du sein plus tôt. Par ailleurs, les études
épidémiologiques sont des études menées le plus souvent par
téléphone, et font appel à la mémoire des femmes. Lorsque
l’on a un cancer du sein, on en cherche toujours la cause, et les
femmes atteintes vont donc plus facilement se souvenir de la
prise d’hormones que les femmes qui n’ont pas développé de
cancer.
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La Lettre du Gynécologue - n° 256 - novembre 2000
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Enfin, pour envisager que le THS soit la cause du cancer du
sein, il faut que cela soit compatible avec ce que l’on connaît
de la cancérogenèse. Or, dans la très grande majorité des
études, l’excès de cancers du sein est observé chez les femmes
en cours de traitement ou qui se trouvent dans les quatre
années suivant son arrêt, c’est-à-dire beaucoup trop tôt par rapport au temps qu’il faut pour créer un cancer du sein. De plus,
il n’a jamais été clairement démontré un effet-dose. Au plus,
ces traitements pourraient accélérer la croissance de cancers
préexistants non décelables cliniquement. Les risques décrits
sont des risques faibles, avec des risques relatifs de 1,2 à 1,4,
ce qui signifie bien 20 à 40 % de risques en plus, mais 20 à
40 % de quoi ? Si l’on prend l’association tabac-cancer du
poumon, le risque relatif est, suivant les études, de 10 à 30, ce
qui va correspondre à 100 % à 300 % d’élévation du risque :
un effet-dose a été clairement mis en évidence. En outre, ce ne
sont pas les mêmes femmes qui vont ou qui ne vont pas
prendre un THS, et leurs autres facteurs de risque de développer un cancer du sein ne seront pas identiques. Les femmes qui
prennent un THS sont souvent d’un milieu socio-économique
plus “élevé”, ce qui est en soi un facteur de risque de développer un cancer du sein.
On sait par ailleurs que les patientes qui vont développer un
cancer du sein sous THS ont une réduction de la mortalité par
cancer du sein par rapport aux femmes non traitées, cette
réduction allant, suivant les études, de 20 à 40 %. Cela ne veut
pas non plus dire que le THS est directement responsable de
cette réduction de mortalité, mais probablement que, grâce au
diagnostic plus précoce mentionné plus haut, les cancers du
sein vont être découverts à un plus petit stade, et seront donc
moins évolutifs.
Il convient de se souvenir que, même si l’expression “cancer
du sein” fait peur, les maladies cardiovasculaires sont responsables d’un bien plus grand nombre de décès chez les femmes
après la ménopause que le cancer du sein. Lorsque l’on prend
en compte un THS, il faut peser les avantages et les risques
potentiels au cas par cas. Le THS réduit le risque ostéoporotique, protège des maladies cardiovasculaires, et
certaines études montrent une moindre incidence de la maladie
d’Alzheimer chez les femmes traitées. On observe moins de
cancers du côlon et, si l’on s’exprimait comme dans Le Monde
ou Le Figaro, on dirait que le THS réduit de 30 à 50 % le
risque de survenue d’un cancer du côlon chez les femmes en
cours de traitement. Là encore, aucun lien causal ne peut être
démontré actuellement.
On connaît par ailleurs, en termes de qualité de vie, l’efficacité
du THS sur les bouffées de chaleur, la sécheresse cutanée, la
sécheresse vaginale, certains symptômes urinaires et certains
états dépressifs…
Lorsque l’on s’intéresse à la mortalité toutes causes confondues, elle est moindre chez les femmes traitées que chez les
femmes non traitées, et ce de manière significative, mais là
encore ce ne sont probablement pas les mêmes femmes, et
seules des études comparatives nous donneront davantage de
certitudes. Les résultats de ces études sont attendus pour les
années 2003-2005.
Il faut enfin rappeler que toutes ces données ne concernent
pas les traitements hormonaux tels qu’ils sont prescrits en
France, car nous utilisons des hormones différentes de celles
utilisées aux États-Unis et dans les pays scandinaves, où ont
été menés la quasi-totalité des travaux épidémiologiques à
notre disposition.
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© janvier 1984 ÉDIMARK S.A.
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