DOSSIER THÉMATIQUE
58
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006
L
e cancer du pancréas montre une incidence croissante
ces dernières années et son pronostic demeure gravis-
sime.
La survie globale à 5 ans est inférieure à 5 % et même après résec-
tion curative, celle-ci reste décevante, aux environs de 10-15 %.
La survie médiane aux stades de maladie localement avancée et
métastatique est, respectivement de 6 et 10 mois.
Depuis la publication de H.A. Burris en 1997 (1), la gemcitabine
est, et demeure, traitement de choix, offrant un taux de réponse
de 10-15 % et une survie médiane de 6 mois. Le mérite princi-
pal de cette étude fut d’introduire un des paramètres clés repris
depuis pour évaluer de nouveaux traitements : le taux de béné-
fice clinique observé.
TRAITEMENT ADJUVANT
Jusqu’à récemment, la chirurgie seule restait le traitement de réfé-
rence. Aucune étude n’avait montré significativement un béné-
fice réel en survie d’un traitement adjuvant par radio-chimiothé-
rapie (étude EORTC 40891), cette dernière n’étant appliquée
qu’au cas par cas. L’étude ESPAC-1, malgré des faiblesses
méthodologiques indéniables, a montré un bénéfice de la chi-
miothérapie (5-FU + acide folinique de type Mayo), la survie à
5 ans passant de 10 à 20 % (2). Renforçant cette impression,
l’étude allemande CONKO 001 (n = 368) a montré des résultats
impressionnants en adjuvant en utilisant la gemcitabine en mono-
thérapie versus une observation seule, la survie sans récidive
(SSR) passant de 7,46 à 14,6 mois (3). Les résultats définitifs,
notamment en terme de survie sont attendus pour 2006 mais
d’ores et déjà, on évolue progressivement vers l’idée d’adminis-
trer une chimiothérapie adjuvante de manière standardisée.
L’étude ESPAC-3 évalue en phase III le bénéfice d’administrer
en adjuvant la gemcitabine versus le 5-FU + acide folinique.
La place et le bénéfice réel d’adjoindre encore une radiothérapie
adjuvante de qualité (conformationnelle) demeurent incertains et
l’étude EORTC 40013/FFCD (www.eortc.be) devrait y répondre
puisqu’on compare la chimiothérapie standard du cancer du pan-
créas (gemcitabine) seule à une radiochimiothérapie continue à
base de gemcitabine.
TRAITEMENT DU STADE MÉTASTATIQUE
La gemcitabine seule a été challengée par de nombreuses drogues
et combinaisons ces dernières années, la plupart de ces phases III
se révélant négatives en termes de bénéfice de survie.
Ce fut encore le cas à l’ASCO 2005 où 2 phases III se sont révé-
lées négatives, évaluant la gemcitabine seule versus gemcitabine
+ 5-FU infusionnel (4) et versus capécitabine + gemcitabine (5).
Seul un léger bénéfice de survie était observé dans un sous-groupe
de patients avec un PS à 0.
Deux autres études apportent des données susceptibles de faire
évoluer le traitement standard du cancer du pancréas, mais les
résultats ont ouvert de nombreux débats. L’oxaliplatine semblait,
jusqu’à peu, le seul agent chimiothérapique pouvant renforcer
l’effet de la gemcitabine (6). Le régime GEMOX a ainsi montré
une supériorité par rapport à la gemcitabine seule en termes de
taux de réponse, de bénéfice clinique et de survie sans progres-
sion, alors que l’avantage en survie n’atteignait pas la significa-
tion statistique sans doute pour trois raisons majeures : une
assomption statistique insuffisante, une population mélangeant
des stades localement avancés et métastatiques et le nombre élevé
de traitements associés, soit de radiothérapie, soit de chimiothé-
rapie de seconde ligne. Pour ces raisons, le sort de l’oxaliplatine,
potentiellement bénéfique dans le cancer du pancréas, devra
attendre les résultats de l’étude US (protocole ECOG 6201, résul-
tats en 2006) qui évalue également le rôle de la gemcitabine infu-
sée à dose fixée (10 mg/m2/mn). On notera aussi des résultats
prometteurs (taux de réponses radiologiques et cliniques, TTP
[délai jusqu’à progression]) concernant l’utilisation des régimes
GEMOX (7) et 5-FU + oxaliplatine (8) après échec de la gemci-
tabine standard. Les résultats de l’autre phase III présentée à
l’ASCO 2005 par le groupe canadien de M.J. Moore (9) soulè-
vent beaucoup de questions quant à sa relevance clinique : l’asso-
ciation de l’erlotinib (inhibiteur oral de la tyrosine-kinase du
récepteur à EGF) à la gemcitabine a montré un gain statistique-
ment significatif en survie médiane et à 1 an, mais très marginal
(5,9 versus 6,4 mois et 17 versus 24 %, respectivement). On
notera que les patients présentant un rash cutané plus important
avaient une survie plus longue et cela est probablement la don-
née la plus significative dans un contexte où la thérapie ciblée
devrait idéalement se reposer sur des facteurs prédictifs de
réponse et de survie. Le concept d’adjoindre un agent biologique
à la gemcitabine est probablement prometteur, mais il est encore
Cancer du pancréas : va-t-on vers de nouveaux standards
au-delà de la gemcitabine ?
Pancreatic cancer
●
Jean-Luc Van Laethem*
* Clinique d’oncologie digestive, service de gastro-entérologie, hôpital
Erasme-ULB-Bruxelles.