D O S S I E R T H É M A T I Q U E Cancer du pancréas : va-t-on vers de nouveaux standards au-delà de la gemcitabine ? Pancreatic cancer ● J.L. Van Laethem* e cancer du pancréas montre une incidence croissante ces derL nières années et son pronostic demeure gravissime. La survie globale à 5 ans est inférieure à 5 % et même après résection curative, celle-ci reste décevante, aux environs de 10-15 %. La survie médiane aux stades de maladie localement avancée et métastatique est, respectivement de 6 et 10 mois. Depuis la publication de H.A. Burris en 1997 (1), la gemcitabine est, et demeure, traitement de choix, offrant un taux de réponse de 10-15 % et une survie médiane de 6 mois. Le mérite principal de cette étude fut d’introduire un des paramètres clés repris depuis pour évaluer de nouveaux traitements : le taux de bénéfice clinique observé. TRAITEMENT ADJUVANT Jusqu’à récemment, la chirurgie seule restait le traitement de référence. Aucune étude n’avait montré significativement un bénéfice réel en survie d’un traitement adjuvant par radio-chimiothérapie (étude EORTC 40891), cette dernière n’étant appliquée qu’au cas par cas. L’étude ESPAC-1, malgré des faiblesses méthodologiques indéniables, a montré un bénéfice de la chimiothérapie (5-FU + acide folinique de type Mayo), la survie à 5 ans passant de 10 à 20 % (2). Renforçant cette impression, l’étude allemande CONKO 001 (n = 368) a montré des résultats impressionnants en adjuvant en utilisant la gemcitabine en monothérapie versus une observation seule, la survie sans récidive (SSR) passant de 7,46 à 14,6 mois (3). Les résultats définitifs, notamment en terme de survie sont attendus pour 2006 mais d’ores et déjà, on évolue progressivement vers l’idée d’administrer une chimiothérapie adjuvante de manière standardisée. L’étude ESPAC3 évalue en phase III le bénéfice d’administrer en adjuvant la gemcitabine versus le 5-FU + acide folinique. La place et le bénéfice réel d’adjoindre encore une radiothérapie adjuvante de qualité (conformationnelle) demeurent incertains et l’étude EORTC 40013/FFCD (www.eortc.be) devrait y répondre puisqu’on compare la chimiothérapie standard du cancer du pancréas (gemcitabine) seule à une radiochimiothérapie continue à base de gemcitabine. * Clinique d’oncologie digestive, service de gastro-entérologie, hôpital ErasmeULB-Bruxelles. © La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 2 - mars-avril 2006. TRAITEMENT DU STADE MÉTASTATIQUE La gemcitabine seule a été challengée par de nombreuses drogues et combinaisons ces dernières années, la plupart de ces phases III se révélant négatives en termes de bénéfice de survie. Ce fut encore le cas à l’ASCO 2005 où 2 phases III se sont révélées négatives, évaluant la gemcitabine seule versus gemcitabine + 5-FU infusionnel (4) et versus capécitabine + gemcitabine (5). Seul un léger bénéfice de survie était observé dans un sous-groupe de patients avec un PS à 0. Deux autres études apportent des données susceptibles de faire évoluer le traitement standard du cancer du pancréas, mais les résultats ont ouvert de nombreux débats. L’oxaliplatine semblait, jusqu’à peu, le seul agent chimiothérapique pouvant renforcer l’effet de la gemcitabine (6). Le régime GEMOX a ainsi montré une supériorité par rapport à la gemcitabine seule en termes de taux de réponse, de bénéfice clinique et de survie sans progression, alors que l’avantage en survie n’atteignait pas la signification statistique sans doute pour trois raisons majeures : une assomption statistique insuffisante, une population mélangeant des stades localement avancés et métastatiques et le nombre élevé de traitements associés, soit de radiothérapie, soit de chimiothérapie de seconde ligne. Pour ces raisons, le sort de l’oxaliplatine, potentiellement bénéfique dans le cancer du pancréas, devra attendre les résultats de l’étude US (protocole ECOG 6201, résultats en 2006) qui évalue également le rôle de la gemcitabine infusée à dose fixée (10 mg/m2/mn). On notera aussi des résultats prometteurs (taux de réponses radiologiques et cliniques, TTP [délai jusqu’à progression]) concernant l’utilisation des régimes GEMOX (7) et 5-FU + oxaliplatine (8) après échec de la gemcitabine standard. Les résultats de l’autre phase III présentée à l’ASCO 2005 par le groupe canadien de M.J. Moore (9) soulèvent beaucoup de questions quant à sa relevance clinique : l’association de l’erlotinib (inhibiteur oral de la tyrosine-kinase du récepteur à EGF) à la gemcitabine a montré un gain statistiquement significatif en survie médiane et à 1 an, mais très marginal (5,9 versus 6,4 mois et 17 versus 24 %, respectivement). On notera que les patients présentant un rash cutané plus important avaient une survie plus longue et cela est probablement la donnée la plus significative dans un contexte où la thérapie ciblée devrait idéalement se reposer sur des facteurs prédictifs de réponse et de survie. Le concept d’adjoindre un agent biologique à la gemcitabine est probablement prometteur, mais il est encore trop tôt pour évo.../... 144 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006 D O S S I E R T H É M A T I Q U E .../... quer dans ce cas un nouveau standard thérapeutique ; cette étude donne cependant un signal positif sur l’usage des thérapies ciblées dans le cancer du pancréas comme coacteurs de la gemcitabine. On notera cependant que la FDA (Food and Drug Administration) vient d’enregistrer Tarceva® (erlotinib) dans cette indication. Dans la foulée de ces données, une large étude de phase III (AVITA-Roche) va évaluer cette combinaison avec ou sans le bevacizumab qui est l’autre voie majeure (antiangiogénique) susceptible d’améliorer la survie du cancer du pancréas. Cette étude a le grand mérite de se focaliser uniquement sur les formes métastatiques, ce qui représente le seul moyen de tester adéquatement un nouveau régime. Elle va aussi dans la continuité des données prometteuses de phase II rapportées par l’association gemcitabine + bevacizumab (survie médiane de 9 mois) [10]. Récemment présentée à l’ECCO 2005, une étude de phase III (n = 533 patients) a montré une amélioration significative en survie pour l’association gemcitabine + capécitabine versus gemcitabine seule (7,4 versus 6 mois ; HR = 0,8) et relance le rôle de la capécitabine dans le cancer du pancréas (11). Le tableau résume les données actuelles de phase III. tés par cette séquence (12). L’essai randomisé FFCD/SFRO 200001 (gemcitabine versus radiochimiothérapie) devrait apporter une réponse. Par ailleurs, de nombreux essais sont en cours, évaluant des combinaisons entre radiothérapie, cytotoxiques et agents biologiques (bevacizumab, cetuximab et erlotinib). RECHERCHE FONDAMENTALE Le développement majeur de nouvelles thérapies rend nécessaire une meilleure connaissance de biomarqueurs prédisant une réponse ou non au traitement et définissant le devenir d’une tumeur. Plusieurs travaux rapportent l’analyse protéomique de tumeurs du pancréas et identifient des profils spécifiques de protéines au cancer (13). De même, le rôle de récepteurs aux chémokines (CXCR-4) dans le potentiel métastatique des tumeurs du pancréas offre également des pistes intéressantes (14). CONCLUSION La gemcitabine reste le traitement standard de base dans les formes avancées et pourrait être confirmée bénéfique en adjuvant. La combinaison avec un agent chimiothérapique comme l’oxaliplatine ou la capécitabine et un, voire deux agents biologiques pourrait se révéler prometteuse et bénéfique. Néanmoins, si l’avènement des agents biologiques se confirme, il paraîtra primordial et indispensable de définir des biomarqueurs prédictifs d’un quelconque bénéfice chez certains patients. C’est seulement avec cette réserve nécessaire que l’on pourra raisonnablement proposer ce type de thérapie coûteuse à nos patients. ■ TRAITEMENT DU STADE LOCALEMENT AVANCÉ L’inclusion de ces stades dans les différentes phases III explique probablement la difficulté d’interpréter des résultats presque toujours négatifs. Un traitement par chimiothérapie seule peut se justifier mais pourrait être complété, après un traitement initial, par une radiochimiothérapie, notamment chez les patients répondeurs à la chimiothérapie et en bon état de santé en général. Les données, non randomisées, du groupe GERCOR, supportent cette attitude avec un gain en survie de 4-5 mois pour les patients traiTableau. Principales phases III dans le cancer du pancréas. Schéma d’administration Auteurs Survie globale (mois) RR (%) Délai jusqu’à progression (mois) GEM 5-FU H.A. Burris et al. 1997 5,6* 4,41 5,4* 0 2,5 0,9 GEM GEMOX C. Louvet et al. 2005 7,1 9,0 16,7 28,7* 3,7 5,8 GEM GEM-exatecan E. O’Reilly et al. 2004 6,2 6,7 6,3 8,2 3,8 3,7 GEM GEM-CPT11 C.M. Rocha Lima et al. 2004 6,6 6,3 4,4 16,1* 3,0 3,4 GEM GEM-CDDP V. Heinemann et al. 2003 6,0 8,3 GEM GEM + pemetrexed D. Richards et al. 2004 6,3 6,2 9,1 18,3* 3,6 5,2* GEM GEM + erlotinib M.J. Moore et al. 2005 5,9 6,4 * 8,0 9,0 3,55 3,75 D. Cunningham et al. 2005 6,0 7,4* 7,0 14,0 – – GEM GEM + capécitabine 2,5 4,6 * p significatif ; GEM : gemcitabine. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006 145 D R É O F É R E S N C E S S B I I B L E I O G R R A P T H I Q U E S 1. Burris HA, Moore MJ, Andersen J. Improvements in survival and clinical benefit with gemcitabine as first-line therapy for patients with advanced pancreas cancer: a randomized trial. J Clin Oncol 1997;15:2403-13. H É M A T I Q U E 8. Oettle H, Pelzer U, Stieler J et al. Oxaliplatin/folinic acid/5fluorouracil (24h) (off) plus best supportive care versus best supportive acre alone (BSC) in second line therapy of gemcitabine-refractory adavanced pancreatic cancer (CONKO 003). Proc ASCO 2005, JCO;23:315S;Abstr. 4031. creatic Cancer. A randomized trial of chemoradiotherapy and chemotherapy after resection of pancreatic cancer. N Engl J Med 2004;350:1249-51. 9. Moore MJ, Goldstein D, Hamm J et al. Erlotinib plus gemcitabine compared to gemcitabine alone in patients with advanced pancreatic cancer. A phase III trial of the National Cancer Institute of Canada Clinical Trial Group (NCICCTG). Proc ASCO 2005, JCO;23:1S;Abstr. 1. 3. Neuhaus P, Oettle H, Post S et al. A randomized, prospective, multicenter, phase III 10. Kindler HL, Friberg G, Singh DA et al. Phase II trial of bevacizumab plus trial of adjuvant chemotherapy with gemcitabine versus observation in patients with resected pancreatic cancer. Proc ASCO 2005, JCO;23:311S ; Abstr. 4013. gemcitabine in patients with advanced pancreatic cancer. J Clin Oncol 2005;23:8033-40. 4. Riess H, Helm A, Niedergethmann M et al. A randomized, prospective, multi- 11. Cunningham D, Chau I, Stocken D et al. Phase III randomized comparison 2. Neoptolemos JP, Stocken DD, Friess H et al. European Study Group for Pan- center, phase III trial of gemcitabine, 5-fluoro-uracile (5-FU) folinic acid versus gemcitabine alone in patients with advanced pancreatic cancer. Proc ASCO 2005, JCO;23:310S;Abstr. 4009. of gemcitabine (GEM) versus gemcitabine plus capecitabine (GEM-CAP) in patients with advanced pancreatic cancer. EJC 2005;3: Abstr. ESMO. 5. Hermann R, Bodoky G, Ruhstaller T et al. Gemcitabine (G) plus capecitabine (C) versus G alone in locally advanced or metastatic pancreatic cancer. A randomized phase III study of the Swiss group for Clinical Cancer Research (SAKK) and the Central European Cooperative Oncology Group (CECOG). Proc ASCO 2005, JCO;23:310;Abstr. 4010. 12. Huguet F, André T, Hammel P et al. Chemotherapy (CRT) after chemo-radio- 6. Louvet C, Labianca R, Hammel P et al. GERCOR; GISCAD. Gemcitabine in 13. Chen R, Yi EC, Donohoe S et al. Pancreatic cancer proteome: the proteins that underlie invasion, metastasis, and immunologic escape. Gastroenterology 2005;129:1187-97. combination with oxaliplatin compared with gemcitabine alone in locally advanced or metastatic pancreatic cancer: results of a GERCOR and GISCAD phase III trial. J Clin Oncol 2005;23:3509-16. 7. Demols A, Peeters M, Polus M et al. Pancreatic cancer: towards new standards beyond gemcitabine. Br J Cancer 2006;94(4):481-5 therapy (CT) improves survival for locally-advanced (LA) pancreatic cancer patients: retrospective analysis of 181 patients enrolled in prospective phases II and III GERCIR studies. Proc ASCO 2005, JCO;23:331S;Abstr. 4095. 14. Saur D, Seidler B, Schneider G et al. CXCR4 expression increases liver and lung metastasis in a mouse model of pancreatic cancer. Gastroenterology 2005;129:1237-50. Lab’infos Fujinon révolutionne l’exploration du grêle avec l’entéroscopie à double ballon. examen endoscopique du grêle a été amélioré depuis la mise à disposition de la vidéocapsule endoscopique, mais le déplacement de cette capsule n’est pas contrôlé, ce qui rend aléatoire l’exploration, et aucun geste biopsique ou thérapeutique n’est possible. L’endoscope poussé par voie haute ou par voie basse ne permet que l’exploration des segments proximaux et distaux du grêle. L’endoscope à double ballon, mis au point par Fujinon, mesure 2 m de longueur pour un diamètre de 8,5 mm. L’examen se fait en pla- L’ 146 çant autour de l’endoscope un overtube flexible qui coulisse autour de celui-ci. Deux ballons sont placés à l’extrémité de l’endoscope et à celle de l’overtube. Le gonflage alternatif des ballons permet la progression aussi bien par voie haute que par voie basse dans le grêle. L’exploration totale du grêle est en principe réalisable. Les biopsies, l’électrocoagulation, l’extraction de corps étrangers sont possibles. L’examen sera particulièrement indiqué en cas de diagnostic hésitant de maladie de Crohn, de maladie cœliaque réfractaire au régime sans gluten et de saignement digestif inexpliqué par les autres méthodes. L’endoscope à double ballon est également utile en cas de coloscopie difficile, en raison d’adhérences ou pour accéder à une papille d’accès impossible avec un endoscope conventionnel après chirurgie digestive. Fujinon a également mis au point le système Fice (Fuji Intelligent Chrono Endoscopy), qui améliore les performances de l’endoscopie conventionnelle. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006