EVIDENCE-BASED MEDICINE Cancérologie Chimiothérapie des cancers du pancréas métastatiques L. Choné (Nancy) Ce qu’il faut retenir La plupart des patients atteints d’un cancer du pancréas présentent des métastases au moment du diagnostic. La gemcitabine, qui ne permet d’espérer des taux de réponse que de l’ordre de 5 à 10 %, est restée pendant plus de 10 ans la molécule de référence dans cette situation. Très récemment, le protocole FOLFIRINOX (5-FU, oxaliplatine et irinotécan) a permis d’obtenir des taux de réponse de plus de 30 % associés à une augmentation de la survie sans progression et pour la première fois de la survie globale. Ce protocole est actuellement le traitement de référence chez les patients métastatiques en bon état général et avec un taux de bilirubine proche de la normale. niveau de preuve 1b L e pronostic du cancer du pancréas reste très sombre, avec une survie relative à 1 an de 23 % et de 6 % à 5 ans. La plupart des patients (85 à 90 %) sont inopérables au moment du diagnostic, avec une survie dans ces situations de 6 à 10 mois chez les patients présentant une maladie localement avancée et de 3 à 6 mois en situation métastatique (60 % des patients). Le 5-FU est resté pendant plus de 20 ans le seul traitement actif dans le cancer du pancréas avancé, jusqu’à la publication de H.A. Burris et al., en 1997, qui a permis de consacrer la gemcitabine comme traitement de référence dans ces situations (1). Questions non résolues »» Les résultats du protocole FOLFIRINOX sont-ils transposables aux cancers du pancréas en situation localement avancée, qui ont un pronostic spontané légèrement plus favorable que celui des adénocarcinomes métastatiques ? »» Le pronostic des patients opérés est également médiocre, avec une survie globale à 5 ans ne dépassant guère 20 %. Le protocole FOLFIRINOX a-t-il une place en situation adjuvante ou néoadjuvante ? (Un essai va prochainement tenter de répondre à cette question.) »» Peut-on améliorer les résultats de la chimiothérapie chez les patients qui ne sont pas en mesure de recevoir un traitement par FOLFIRINOX ? 46 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012 Les résultats de ce traitement étaient cependant modestes, avec un taux de réponse de 5 à 10 % et une médiane de survie globale de l’ordre de 6 mois. De multiples études de phase III ont par la suite comparé la gemcitabine seule à la gemcitabine associée à d’autres molécules sans réussir à en améliorer les résultats. En 2007, l’association erlotinib + gemcitabine a cependant réussi à montrer une amélioration statistiquement significative de la survie globale et de la survie sans progression chez les patients en maladie métastatique sans amélioration des taux de réponse par rapport à la gemcitabine seule (2). Mais le bénéfice clinique de l’association restant tout à fait modeste (survie globale passant de 5,91 à 6,24 mois), la gemcitabine seule est restée un traitement de référence. En 2009, l’association gemcitabine + capécitabine s’est révélée dans un essai de phase III également supérieure à la gemcitabine seule en termes de taux de réponse (19,1 % versus 12,4 %, p = 0,03) et de survie sans progression, mais sans amélioration de la survie globale (3). Cependant, l’année 2011 aura été celle d’une avancée majeure dans le traitement de l’adénocarcinome pancréatique métastatique avec la publication par T. Conroy et al. d’une étude de phase III comparant le traitement de référence par gemcitabine à une polychimiothérapie associant oxaliplatine + irinotécan + 5-FU (FOLFIRINOX) [4]. La chimiothérapie par FOLFIRINOX a permis pour la première fois d’augmenter significativement la survie globale (médiane de 11,1 mois versus 6,8 mois ; HR = 0,57 ; IC95 : 0,45-0,73 ; p < 0,001). La médiane de survie sans progression était également augmentée, passant de 3,3 à 6,4 mois (HR = 0,47 ; IC95 : 0,370,59 ; p < 0,001), de même que le taux de réponse (9,4 versus 31,6 % ; p = 0,001). La survie à 1 an était de 48,4 % dans le bras FOLFIRINOX versus 20,6 % dans le bras gemcitabine. La polychimiothérapie était cependant plus toxique, avec significativement plus de neutropénies fébriles (5,4 versus 1,2 %), de diarrhées (12,7 versus 1,8 %), de nausées (14,5 versus 8,3 %) et de neuropathies périphériques (9 versus 0 %). Néanmoins à 6 mois, les patients sous FOLFIRINOX avaient une qualité de vie significa- Cancérologie tivement préservée par rapport aux patients sous gemcitabine (détérioration de la qualité de vie de 31 versus 66 % ; HR = 0,47 ; IC95 : 0,3-0,7 ; p < 0,001). La polychimiothérapie retardait la dégradation de la qualité de vie dans tous les domaines. Ces résultats exceptionnels font du FOLFIRINOX le nouveau standard de traitement du cancer du pancréas métastatique chez les patients en bon état général (OMS 0/1), avec une bilirubine inférieure à 1,5 N. EVIDENCE-BASED MEDICINE Références bibliographiques 1. Burris HA 3rd, Moore MJ, Andersen J et al. Improvements in survival and clinical benefit with gemcitabine as first-line therapy for patients with advanced pancreas cancer: a randomized trial. J Clin Oncol 1997;15(6):2403-13. 2. Moore MJ, Goldstein D, Hamm J et al. Erlotinib plus gemcitabine compared with gemcitabine alone in patients with advanced pancreatic cancer: a phase III trial of the National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. J Clin Oncol 2007;25:1960-6. 3. Cunningham D, Chau I, Stocken DD et al. Phase III randomized comparison of gemcitabine versus gemcitabine plus capecitabine in patients with advanced pancreatic cancer. J Clin Oncol 2009;27:5513-8. 4. Conroy T, Desseigne F, Ychou M et al. FOLFIRINOX versus gemcitabine for metastatic pancreatic cancer. N Engl J Med 2011;364:1817-25. Thérapies ciblées dans les tumeurs neuroendocrines pancréatiques bien différenciées C. Lepère (Paris) Ce qu’il faut retenir Les tumeurs neuroendocrines pancréatiques (TNEP) bien différenciées correspondent dans la nouvelle classification OMS 2010, fondée sur le grade tumoral, aux TNEP de grade 1 (index de prolifération cellulaire Ki 67 ≤ 2 % ou indice mitotique < 2) et de grade 2 (Ki 67 3-20% ou indice mitotique 2-20). Ce sont des tumeurs rares, le plus souvent non fonctionnelles et métastatiques au moment du diagnostic. Le traitement symptomatique des tumeurs fonctionnelles est fondé sur les analogues de la somatostatine (glucagonome, VIPome) et les inhibiteurs de la pompe à protons à forte dose (syndrome de Zollinger-Ellison). Le traitement de référence est la chirurgie qui doit être discutée, même au stade métastatique. En cas de TNEP bien différenciée à Ki 67 bas, chez un patient asymptomatique avec métastases hépatiques non résé- cables mais envahissement peu important, une abstention thérapeutique sous surveillance est licite en absence de localisations osseuses. Un traitement antitumoral sera indiqué en cas d’évolutivité. En cas de métastases hépatiques exclusives ou prédominantes évolutives, la chimioembolisation constitue un traitement de choix. La chimiothérapie de référence dans les formes avancées est la streptozotocine associée à la doxorubicine (ou au 5-FU) [1]. En cas d’échappement, il existe 2 nouvelles possibilités thérapeutiques dans les TNEP différenciées, avancées et progressives : le sunitinib (antityrosine-kinase multicible) et l’évérolimus (inhibiteur de m-Tor), thérapies ciblées qui ont des propriétés antiangiogéniques et antiprolifératives. Dans cette situation, ces 2 molécules ont montré leur efficacité en améliorant significativement la survie sans progression. 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