DOSSIER THÉMATIQUE Cancer du pancréas : quoi de neuf ? Pancreatic adenocarcinoma: what’s new? P. Hammel* Cancer métastatique Depuis la première lueur d’espoir en 1997 avec l’étude de H.A. Burris et al., qui apportait des preuves minces en faveur de l’efficacité de la gemcitabine, on attendait un progrès significatif (1). Puis ce fut une litanie d’échecs de presque toutes les tentatives d’association de celle-ci avec une autre molécule. Certes, il y eut l’association gemcitabine-erlotinib, qui semblait apporter un petit plus, avec un gain médian de survie globale de 2 semaines dans la population traitée (26 jours dans le sous-groupe avec tumeur métastatique). Certains patients en tirèrent bénéfice, probablement ceux ayant une toxicité cutanée marquée. Mais l’absence de critères moléculaires prédictifs d’efficacité a justifié le choix d’un non-remboursement de l’erlotinib dans cette indication par les autorités de santé françaises, en raison du ratio bénéfice-coût, estimé insuffisant. Le pari du FOLFIRINOX était audacieux. À la suite d’une étude de phase II concluante dont les résultats ont été publiés dans le Journal of Clinical Oncology, les investigateurs du monde entier attendaient la phase III. Le comité d’experts indépendants surveillant l’étude a demandé son arrêt précoce à l’automne 2009. La confirmation définitive a été apportée à l’ASCO en 2010, et ce fut “le” scoop dans le domaine des cancers digestifs. Aucune contestation ne s’est opposée aux modalités de cette étude bien faite, aux résultats très clairs, randomisée, qui, suivant des critères d’inclusion stricts, comportait un nombre suffisant de malades (342 au total, 171 dans chaque bras) pour répondre aux hypothèses posées. On attendait une toxicité : elle est survenue, certes (près de 1 malade sur 2 a eu une toxicité hématologique de grade 3-4), mais n’a pas entraîné de décès. Le taux “inhabituel” de localisations corporéo-caudales du cancer a été souligné par les modérateurs de la présentation. Il était clairement lié au fait que les cancers de la tête du pancréas s’accompagnent fréquemment d’un ictère pas toujours rapidement ni complètement résolutif après drainage par prothèse, et que, ainsi, une proportion importante de malades ayant une tumeur de cette localisation n’a sans doute pas été incluse. Les résultats frappants, à retenir, sont le quasidoublement de la survie sans progression (6,4 mois versus 3,3 mois) et, surtout, l’augmentation très significative de la survie globale sous FOLFIRINOX versus gemcitabine : 11,1 mois (IC95 : 9-13,1) versus 6,8 mois (IC95 : 5,5-7,6 ; HR = 0,57 ; p < 0,0001). Jamais, dans une étude de phase III randomisée, la survie globale n’avait dépassé 10 mois. Les survies à 1 an (48,4 % versus 20,6 %) et 2 ans (18,6 % versus 6 %) étaient également impressionnantes. Bien sûr, cette étude pose beaucoup de nouvelles questions. Pour éviter une toxicité dangereuse, il faut strictement respecter les critères de sélection : malades en très bon état général et sans cholestase. Le passage d’une étude de phase III très surveillée à la “vraie vie” dans nos unités comporte un risque d’augmentation mécanique du nombre d’accidents sérieux. Il ne faudra pas tomber dans le piège classique d’un choix “limite” de cette chimiothérapie dans le cas d’un malade jeune pour lequel on veut en faire plus, s’il présente des critères prédictifs de mauvaise tolérance au traitement (par exemple, score OMS > 2). En revanche, on pourra sans doute contourner le problème d’une cholestase modérée par l’administration de facteurs de croissance hématopoïétiques. Pour l’heure, il ne faut pas sortir de l’indication princeps : cancer métastatique. Il est entendu qu’on s’intéressera à tester cette chimiothérapie dans des cancers moins évolués, localement avancés ou d’opérabilité limite (borderline), voire en * Service de gastroentérologiepancréatologie, hôpital Beaujon, Clichy. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 79 Mots-clés Points forts Pancréas Cancer Chimiothérapie Gemcitabine Oxaliplatine Irinotécan 5 fluoro-uracile »» L’association FOLFIRINOX est l’événement de l’année 2011. Cependant, il faut souligner les précautions d’utilisation (sélection des malades) et la seule indication validée (cancer métastatique). La gemcitabine a encore son intérêt, chez les patients non éligibles pour le FOLFIRINOX et en deuxième ligne, peut-être. »» L’amélioration des connaissances en biologie moléculaire permettra de mieux “cibler” la population qui tirera le meilleur bénéfice de ce produit (hENT-1, hCNT3) avec le moins de toxicité possible (étude du polymorphisme de CDA). »» Il faut explorer d’autres voies de signalisation à inhiber pour tenter d’améliorer l’efficacité des traitements médicaux. »» Des protocoles sont déjà proposés en France ou en cours de préparation pour les traitements adjuvants et néo-adjuvants. Il sera important d’y participer pour essayer de répondre à d’importantes questions pratiques. Keywords situation adjuvante (voir plus loin). Mais il n’est pas question de “s’aventurer” en dehors d’études contrôlées. On imagine qu’un accident grave de chimiothérapie “hors piste” qui, chez un malade ayant une tumeur borderline, empêcherait la chirurgie constituerait une inacceptable perte de chance. Une autre question est celle de la deuxième ligne à administrer une fois utilisées les 3 molécules du FOLFIRINOX. La gemcitabine est candidate, bien sûr. Le groupe PRODIGE réfléchit à un protocole qui comparerait l’ordre d’administration des chimiothérapies : gemcitabine puis FOLFIRINOX, ou la séquence inverse. Autre piste possible, l’administration “progressive” et consécutive des chimio­ thérapies, à l’instar de ce qui a été testé pour le cancer colorectal métastatique : première ligne par FOLFOX ou FOLFIRI, puis, en cas de progression, utilisation de l’autre (schéma qui sera sans doute prochainement testé dans certains pays). Après les résultats de l’étude FOLFIRINOX, cette association doit-elle être le nouveau standard pour les essais évaluant les nouvelles molécules ? Jusqu’à présent, l’utilisation de la gemcitabine était “commode”, car celle-ci était, en monothérapie ou en association, assez peu toxique. Les industriels vont faire montre de prudence pour associer leur nouvelle molécule au FOLFIRINOX. S’il faut se réjouir d’un progrès médical aussi net dans le cancer du pancréas, en cerner les limites actuelles importe également : le FOLFIRINOX ne peut, pour le moment, être administré qu’à une proportion limitée de malades parmi ceux vus pour la première fois en consultation pour un cancer du pancréas (tous stades confondus : 15 à 20 % ?), dont l’état général est encore bien conservé. À noter que cette population sera également recherchée pour l’inclusion dans les études de phases I et II. Et il ne faudra bien sûr pas délaisser la recherche pour les autres malades en moins bon état général au diagnostic (les plus nombreux !). Mais la gemcitabine peut encore nous réserver des surprises. Cette molécule d’administration simple a rendu, et rendra encore, des services à des patients atteints de cancer du pancréas. Il apparaît maintenant assez clairement qu’elle va devenir une “thérapie ciblée”. Les transporteurs hENT-1 (Human Equilibrative Nucleoside Transporter 1) ou hCNT3 Pancreas Cancer Chemotherapy Gemcitabin Oxaliplatin Irinotecan 5-fluorouracil 80 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 (Human Concentrative Nucleoside Transporter 3) jouent un rôle important dans la pénétration de la gemcitabine dans la cellule tumorale. L’expression de ces transporteurs est favorable (forte) chez un tiers des patients environ. Dès que la disponibilité commerciale de l’anticorps anti-hENT-1 sera effective – ce qui ne saurait tarder –, on sera en mesure de mieux prédire l’efficacité de la gemcitabine et de la réserver, à l’instar des anti-EGFR dans les cancers du côlon en fonction du statut KRAS, aux patients au profil adéquat. Encore faut-il que l’expression d’hENT-1 en immunohistochimie soit bien standardisée. Comme pour l’expression de HER2, une période d’apprentissage sera nécessaire. Enfin, de nouvelles formulations chimiques de la gemcitabine sont à l’étude, qui pourraient contourner la dépendance vis-à-vis de hENT-1 en pénétrant dans la cellule tumorale indépendamment du niveau d’expression de l’enzyme. L’étude de la désoxycytidine kinase, qui intervient dans le catabolisme de la gemcitabine, pourrait avoir un intérêt pronostique. Autre enzyme qui intervient dans le métabolisme de la gemcitabine, la cytidine désaminase (CDA) est l’objet d’études. En effet, la détoxification de la molécule est sous la dépendance d’une CDA hépatique. Celle-ci est soumise à un polymorphisme génétique, avec une grande variabilité de fonctionnalité enzymatique (déficience ou hypermétabolisation). Cette variabilité peut expliquer la survenue de toxicités inattendues de la gemcitabine, si le patient présente un défaut constitutionnel de production de CDA. Ailleurs, un métabolisme excessif conduit à une diminution de l’efficacité de la molécule, trop rapidement inactivée. Nos collègues marseillais proposent de définir un typage pour améliorer l’administration de gemcitabine à l’échelon individuel. Une étude multicentrique française est sur le point de débuter. Pour le 5-FU, l’étude des histones H3K4me2 et H3K18ac, et de la thymidylate synthase, et, pour les sels de platine, celle d’ERCC1 GSTP/T/M1 (polymorphisme) pourraient permettre d’améliorer l’utilisation de ces molécules, ce qui est très intéressant, en théorie, dans le cadre de l’utilisation du schéma FOLFIRINOX. D’autres cibles moléculaires sont candidates pour le développement de nouvelles molécules : DOSSIER THÉMATIQUE TGFβ (responsable de la prolifération, de la migration et de la transition épithélio-mésenchymateuse), SMAD4/DPC4 (diffusion métastatique), CXCR4 (cytokine couplée à CXCL12/SDF-1, qui contrôle l’angiogenèse et la diffusion métastatique), S100A2 (qui serait un facteur de bon pronostic), etc. Les protéines kinases MEK1 et MEK2 (MitogenActivated Extracellular Signal Regulated Kinase) occupent aussi une place centrale dans la voie de signalisation RAS-RAF-MEK-ERK-MAP kinases. Elles ont une double activité sérine thréonine kinase et tyrosine kinase. Ce sont les seuls substrats enzymatiques connus des RAF kinases. Elles ont une très grande spécificité de substrat, ERK étant l’unique substrat connu de ces enzymes. De plus, ERK est fréquemment activé dans les lignées cellulaires et les tumeurs. L’ensemble de ces observations font de MEK une cible thérapeutique de choix pour le développement de thérapies ciblées, car, à la différence des anti-EGFR, les molécules agissant sur cette cible située en aval de KRAS pourraient permettre de s’affranchir du problème des mutations activatrices très fréquentes de ce gène dans le cancer du pancréas. Plusieurs inhibiteurs de MEK sont actuellement à l’étude. L’inhibition de cette voie, éventuellement combinée avec l’action de la gemcitabine ou l’inhibition de la voie Pi3K-AKT-mTOR, est une option thérapeutique dont on attend avec intérêt les premiers résultats. D’autres cibles moléculaires sont testées : la voie Hedgehog, Src, Stat, Jak, Ras, Hsp 90, HDAC, etc. Cancer localement avancé À ce jour, 363 malades sur les 902 attendus ont été inclus dans l’essai LAP 07 (298 en France, 36 en Belgique, 17 en Australie et en Nouvelle-Zélande et 12 en Suède). Parmi eux, 191 ont atteint la seconde randomisation (poursuite de la chimiothérapie versus chimio-radiothérapie), ce qui est l’objectif principal de l’étude (600 patients requis). On attend la participation du Canada. Traitements adjuvants et néo-adjuvants Pour le traitement adjuvant, l’essai ESPAC-4 a été ouvert en France (GERCOR-FRENCH) et les premiers malades ont été inclus. Il compare l’administration de gemcitabine à celle de l’association gemcitabinecapécitabine pendant 6 mois. L’association FOLFIRINOX devrait également être testée en situations néo-adjuvante et adjuvante (essais en préparation avec le groupe PRODIGE). ■ Conflit d’intérêts. L’auteur déclare avoir un conflit d’intérêts avec Pfizer (sans lien direct avec cet article). Lab’infos L’entécavir reçoit une autorisation pour les patients présentant une maladie hépatique décompensée à virus B L’entécavir (Baraclude®) était déjà autorisé pour traiter l’infection chronique à VHB en cas de maladie hépatique compensée. Cette nouvelle autorisation a été obtenue après une étude ouverte, randomisée chez 191 malades en comparant entécavir (1 mg/j) à adéfovir (10 mg/j). Le critère principal d’effficacité (baisse de l’ADN du VHB à 24 semaines) était supérieur dans le bras entécavir (– 4,48 versus – 3,40 ; p < 0,0001). À noter que la tolérance de ces traitements est moins bonne qu’en l’absence de décompensation hépatique, avec un risque d’acidose lactique ou de syndrome hépatorénal. Une surveillance clinique ou biologique étroite est donc nécessaire chez ces malades. Rappelons qu’on estime qu’environ 300 000 personnes sont atteintes d’hépatite B chronique en France, dont la moitié l’ignore. Pour en savoir plus… • B urris HA 3rd, Moore MJ, Andersen J et al. Improvements in survival and clinical benefit with gemcitabine as firstline therapy for patients with advanced pancreas cancer: a randomized trial. J Clin Oncol 1997;15(6):2403-13. • Conroy T, Desseigne F, Ychou M et al. FNCLCC-FFCD PRODIGE group. Randomized phase II trial comparing FOLFIRINOX (F : 5FU/leucovorin [LV], irinotecan [I], and oxaliplatin ([O]) versus gemcitabine (G) as firstline treatment for metastatic pancreatic adenocarcinoma (MPA): preplanned interim analysis results of the PRODIGE4/ ACCORD11 trial. J Clin Oncol 2010;28(Suppl.15):abstract 4010. • B achet JB, Maréchal R, van Laethem JL. Treatment of pancreatic cancer: what can we really predict today? Cancers 2010 ; sous presse. • Farrell JJ, Elsaleh H, Garcia M et al. Human equilibrative nucleoside transporter 1 levels predict response to gemcitabine in patients with pancreatic cancer. Gastroenterology 2009;136:187-95. • Maréchal R, Mackey JR, Lai R et al. Deoxycitidine kinase is associated with prolonged survival after adjuvant gemcitabine for resected pancreatic adenocarcinoma. Cancer 2010;116:5200-6. • Ciccolini J, Dahan L, André N et al. 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