Cancer du pancréas : quoi de neuf ? DOSSIER THÉMATIQUE

La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 79
DOSSIER THÉMATIQUE
Cancer du pancréas :
quoi de neuf ?
Pancreatic adenocarcinoma: what’s new?
P. Hammel*
* Service de gastroentérologie-
pancréatologie, hôpital Beaujon,
Clichy.
Cancer métastatique
Depuis la première lueur d’espoir en 1997 avec
l’étude de H.A. Burris et al., qui apportait des preuves
minces en faveur de l’efficacité de la gemcitabine,
on attendait un progrès significatif (1). Puis ce fut
une litanie d’échecs de presque toutes les tentatives
d’association de celle-ci avec une autre molécule.
Certes, il y eut l’association gemcitabine-erlotinib,
qui semblait apporter un petit plus, avec un gain
médian de survie globale de 2 semaines dans la
population traitée (26 jours dans le sous-groupe
avec tumeur métastatique). Certains patients en
tirèrent bénéfice, probablement ceux ayant une toxi-
cité cutanée marquée. Mais l’absence de critères
moléculaires prédictifs d’efficacité a justifié le choix
d’un non-remboursement de l’erlotinib dans cette
indication par les autorités de santé françaises, en
raison du ratio bénéfice-coût, estimé insuffisant.
Le pari du FOLFIRINOX était audacieux. À la suite
d’une étude de phase II concluante dont les résul-
tats ont été publiés dans le Journal of Clinical Onco-
logy, les investigateurs du monde entier attendaient
la phase III. Le comité d’experts indépendants
surveillant l’étude a demandé son arrêt précoce à
l’automne 2009. La confirmation définitive a été
apportée à l’ASCO en 2010, et ce fut “le” scoop dans
le domaine des cancers digestifs. Aucune contes-
tation ne s’est opposée aux modalités de cette
étude bien faite, aux résultats très clairs, rando-
misée, qui, suivant des critères d’inclusion stricts,
comportait un nombre suffisant de malades (342
au total, 171 dans chaque bras) pour répondre aux
hypothèses posées. On attendait une toxicité : elle
est survenue, certes (près de 1 malade sur 2 a eu
une toxicité hématologique de grade 3-4), mais
n’a pas entraîné de décès. Le taux “inhabituel” de
localisations corporéo-caudales du cancer a été
souligné par les modérateurs de la présentation.
Il était clairement lié au fait que les cancers de la
tête du pancréas s’accompagnent fréquemment d’un
ictère pas toujours rapidement ni complètement
résolutif après drainage par prothèse, et que, ainsi,
une proportion importante de malades ayant une
tumeur de cette localisation n’a sans doute pas été
incluse.
Les résultats frappants, à retenir, sont le quasi-
doublement de la survie sans progression (6,4 mois
versus 3,3 mois) et, surtout, l’augmentation très
significative de la survie globale sous FOLFIRINOX
versus gemcitabine : 11,1 mois (IC95 : 9-13,1) versus
6,8 mois (IC95 : 5,5-7,6 ; HR = 0,57 ; p < 0,0001).
Jamais, dans une étude de phase III randomisée, la
survie globale n’avait dépassé 10 mois. Les survies à
1 an (48,4 % versus 20,6 %) et 2 ans (18,6 % versus
6 %) étaient également impressionnantes.
Bien sûr, cette étude pose beaucoup de nouvelles
questions. Pour éviter une toxicité dangereuse, il
faut strictement respecter les critères de sélection :
malades en très bon état général et sans cholestase.
Le passage d’une étude de phase III très surveillée
à la “vraie vie” dans nos unités comporte un risque
d’augmentation mécanique du nombre d’accidents
sérieux. Il ne faudra pas tomber dans le piège clas-
sique d’un choix “limite” de cette chimiothérapie
dans le cas d’un malade jeune pour lequel on veut
en faire plus, s’il présente des critères prédictifs de
mauvaise tolérance au traitement (par exemple,
score OMS > 2). En revanche, on pourra sans doute
contourner le problème d’une cholestase modérée
par l’administration de facteurs de croissance héma-
topoïétiques. Pour l’heure, il ne faut pas sortir de
l’indication princeps : cancer métastatique. Il est
entendu qu’on s’intéressera à tester cette chimio-
thérapie dans des cancers moins évolués, localement
avancés ou d’opérabilité limite (borderline), voire en
80 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011
Points forts
»
L’association FOLFIRINOX est l’événement de l’année 2011. Cependant, il faut souligner les précautions
d’utilisation (sélection des malades) et la seule indication validée (cancer métastatique). La gemcitabine
a encore son intérêt, chez les patients non éligibles pour le FOLFIRINOX et en deuxième ligne, peut-être.
»
L’amélioration des connaissances en biologie moléculaire permettra de mieux “cibler” la population
qui tirera le meilleur bénéfice de ce produit (hENT-1, hCNT3) avec le moins de toxicité possible (étude du
polymorphisme de CDA).
»Il faut explorer d’autres voies de signalisation à inhiber pour tenter d’améliorer l’efficacité des traite-
ments médicaux.
»
Des protocoles sont déjà proposés en France ou en cours de préparation pour les traitements adjuvants et
néo-adjuvants. Il sera important d’y participer pour essayer de répondre à d’importantes questions pratiques.
Mots-clés
Pancréas
Cancer
Chimiothérapie
Gemcitabine
Oxaliplatine
Irinotécan
5 fluoro-uracile
Keywords
Pancreas
Cancer
Chemotherapy
Gemcitabin
Oxaliplatin
Irinotecan
5-fluorouracil
situation adjuvante (voir plus loin). Mais il n’est pas
question de “s’aventurer” en dehors d’études contrô-
lées. On imagine qu’un accident grave de chimio-
thérapie “hors piste” qui, chez un malade ayant une
tumeur borderline, empêcherait la chirurgie consti-
tuerait une inacceptable perte de chance.
Une autre question est celle de la deuxième ligne
à administrer une fois utilisées les 3 molécules du
FOLFIRINOX. La gemcitabine est candidate, bien
sûr. Le groupe PRODIGE réfléchit à un protocole
qui comparerait l’ordre d’administration des chimio-
trapies : gemcitabine puis FOLFIRINOX, ou la
séquence inverse. Autre piste possible, l’adminis-
tration “progressive” et consécutive des chimio-
thérapies, à l’instar de ce qui a été testé pour le
cancer colorectal métastatique : première ligne par
FOLFOX ou FOLFIRI, puis, en cas de progression,
utilisation de l’autre (schéma qui sera sans doute
prochainement testé dans certains pays).
Après les résultats de l’étude FOLFIRINOX, cette
association doit-elle être le nouveau standard
pour les essais évaluant les nouvelles molécules ?
Jusqu’à présent, l’utilisation de la gemcitabine était
commode”, car celle-ci était, en monothérapie ou
en association, assez peu toxique. Les industriels
vont faire montre de prudence pour associer leur
nouvelle molécule au FOLFIRINOX.
S’il faut se jouir d’un progrès médical aussi net dans
le cancer du pancréas, en cerner les limites actuelles
importe également : le FOLFIRINOX ne peut, pour
le moment, être administré qu’à une proportion
limitée de malades parmi ceux vus pour la première
fois en consultation pour un cancer du pancréas
(tous stades confondus : 15 à 20 % ?), dont l’état
général est encore bien conservé. À noter que cette
population sera également recherchée pour l’inclu-
sion dans les études de phases I et II. Et il ne faudra
bien sûr pas délaisser la recherche pour les autres
malades en moins bon état général au diagnostic
(les plus nombreux !).
Mais la gemcitabine peut encore nous réserver des
surprises. Cette molécule d’administration simple a
rendu, et rendra encore, des services à des patients
atteints de cancer du pancréas. Il apparaît main-
tenant assez clairement qu’elle va devenir une
“thérapie ciblée”. Les transporteurs hENT-1 (Human
Equilibrative Nucleoside Transporter 1) ou hCNT3
(Human Concentrative Nucleoside Transporter 3)
jouent un rôle important dans la pénétration de la
gemcitabine dans la cellule tumorale. L’expression
de ces transporteurs est favorable (forte) chez un
tiers des patients environ. Dès que la disponibi-
lité commerciale de l’anticorps anti-hENT-1 sera
effective – ce qui ne saurait tarder –, on sera en
mesure de mieux prédire l’efficacité de la gemcita-
bine et de la réserver, à l’instar des anti-EGFR dans
les cancers du côlon en fonction du statut KRAS,
aux patients au profil adéquat. Encore faut-il que
l’expression d’hENT-1 en immunohistochimie soit
bien standardisée. Comme pour l’expression de
HER2, une période d’apprentissage sera néces-
saire. Enfin, de nouvelles formulations chimiques
de la gemcitabine sont à l’étude, qui pourraient
contourner la dépendance vis-à-vis de hENT-1 en
pénétrant dans la cellule tumorale indépendam-
ment du niveau d’expression de l’enzyme. Létude
de la désoxycytidine kinase, qui intervient dans le
catabolisme de la gemcitabine, pourrait avoir un
intérêt pronostique. Autre enzyme qui intervient
dans le métabolisme de la gemcitabine, la cytidine
désaminase (CDA) est l’objet d’études. En effet, la
détoxification de la molécule est sous la dépen-
dance d’une CDA hépatique. Celle-ci est soumise
à un polymorphisme génétique, avec une grande
variabilité de fonctionnalité enzymatique (défi-
cience ou hypermétabolisation). Cette variabilité
peut expliquer la survenue de toxicités inattendues
de la gemcitabine, si le patient présente un défaut
constitutionnel de production de CDA. Ailleurs, un
métabolisme excessif conduit à une diminution de
l’efficacité de la molécule, trop rapidement inactivée.
Nos collègues marseillais proposent de définir un
typage pour améliorer l’administration de gemcita-
bine à l’échelon individuel. Une étude multicentrique
française est sur le point de débuter.
Pour le 5-FU, l’étude des histones H3K4me2 et
H3K18ac, et de la thymidylate synthase, et, pour
les sels de platine, celle d’ERCC1 GSTP/T/M1 (poly-
morphisme) pourraient permettre d’améliorer l’uti-
lisation de ces molécules, ce qui est très intéressant,
en théorie, dans le cadre de l’utilisation du schéma
FOLFIRINOX.
D’autres cibles moléculaires sont candidates
pour le développement de nouvelles molécules :
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XIV - n° 2 - mars-avril 2011 | 81
DOSSIER THÉMATIQUE
TGFβ (responsable de la prolifération, de la migra-
tion et de la transition épithélio-mésenchyma-
teuse), SMAD4/DPC4 (diffusion métastatique),
CXCR4 (cytokine couplée à CXCL12/SDF-1, qui
contrôle l’angiogenèse et la diffusion métas-
tatique), S100A2 (qui serait un facteur de bon
pronostic), etc.
Les protéines kinases MEK1 et MEK2 (Mitogen-
Activated Extracellular Signal Regulated Kinase)
occupent aussi une place centrale dans la voie
de signalisation RAS-RAF-MEK-ERK-MAP kinases.
Elles ont une double activité sérine thréonine
kinase et tyrosine kinase. Ce sont les seuls subs-
trats enzymatiques connus des RAF kinases. Elles
ont une ts grande spécificité de substrat, ERK
étant l’unique substrat connu de ces enzymes.
De plus, ERK est fréquemment activé dans les
lignées cellulaires et les tumeurs. Lensemble de
ces observations font de MEK une cible thérapeu-
tique de choix pour le développement de théra-
pies ciblées, car, à la différence des anti-EGFR,
les molécules agissant sur cette cible située en
aval de KRAS pourraient permettre de s’affran-
chir du problème des mutations activatrices très
fréquentes de ce gène dans le cancer du pancréas.
Plusieurs inhibiteurs de MEK sont actuellement
à l’étude. L’inhibition de cette voie, éventuelle-
ment combinée avec l’action de la gemcitabine
ou l’inhibition de la voie Pi3K-AKT-mTOR, est une
option thérapeutique dont on attend avec intérêt
les premiers résultats.
D’autres cibles moléculaires sont testées : la
voie Hedgehog, Src, Stat, Jak, Ras, Hsp 90,
HDAC, etc.
Cancer localement avancé
À ce jour, 363 malades sur les 902 attendus ont
été inclus dans l’essai LAP 07 (298 en France, 36 en
Belgique, 17 en Australie et en Nouvelle-Zélande et
12 en Suède). Parmi eux, 191 ont atteint la seconde
randomisation (poursuite de la chimiothérapie versus
chimio-radiothérapie), ce qui est l’objectif principal
de l’étude (600 patients requis). On attend la parti-
cipation du Canada.
Traitements adjuvants
et néo-adjuvants
Pour le traitement adjuvant, l’essai ESPAC-4 a été
ouvert en France (GERCOR-FRENCH) et les premiers
malades ont été inclus. Il compare l’administration
de gemcitabine à celle de l’association gemcitabine-
capécitabine pendant 6 mois. L’association FOLFI-
RINOX devrait également être testée en situations
néo-adjuvante et adjuvante (essais en préparation
avec le groupe PRODIGE).
Burris HA 3rd, Moore MJ,
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Pour en savoir plus…
Lab’infos
L’entécavir (Baraclude®) était déjà autorisé pour traiter
l’infection chronique à VHB en cas de maladie hépatique
compensée.
Cette nouvelle autorisation a été obtenue après une étude
ouverte, randomisée chez 191malades en comparant
entécavir (1mg/j) à adéfovir (10mg/j).
Le critère principal d’efffi cacité (baisse de l’ADN du VHB
à 24semaines) était supérieur dans le bras entécavir
(– 4,48 versus – 3,40 ; p < 0,0001).
À noter que la tolérance de ces traitements est moins
bonne qu’en l’absence de décompensation hépatique,
avec un risque d’acidose lactique ou de syndrome hépa-
torénal. Une surveillance clinique ou biologique étroite
est donc nécessaire chez ces malades.
Rappelons qu’on estime qu’environ 300 000personnes
sont atteintes d’hépatite B chronique en France, dont
la moitié l’ignore.
L’entécavir reçoit une autorisation pour les patients
présentant une maladie hépatique décompensée
à virus B
Confl it d’intérêts. L’auteur déclare avoir un confl it d’intérêts
avec Pfi zer (sans lien direct avec cet article).
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