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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
es effets bénéfiques du traitement hormonal substitu-
tif (THS) de la ménopause sont connus de tous. Son
intérêt est tel, et ses bénéfices immédiats sont telle-
ment évidents, que de nombreuses femmes le réclament, y
compris des femmes traitées antérieurement pour un cancer du
sein. Pour certaines d’entre elles, les risques de rechute sont
faibles, et il est tentant de leur prescrire un traitement qui leur
apportera rapidement des effets bénéfiques. Avant de leur pro-
poser un traitement hormonal substitutif, il est de notre devoir
de définir les risques et les bénéfices de cette prescription, puis
de déterminer les populations pour lesquelles les bénéfices
seront supérieurs aux risques. Enfin, nous devons regarder s’il
n’existe pas une alternative, un autre traitement ayant un
meilleur rapport risque/bénéfice, même avec des bénéfices
moindres, voire différents.
LES BÉNÉFICES DU THS
Les bénéfices immédiats du THS sont les plus évidents : dispa-
rition des bouffées de chaleur, maintien de la libido et diminu-
tion de la sensation de fatigue. En l’absence de traitement hor-
monal, les désordres vasomoteurs liés à la privation d’estro-
gènes sont mal combattus par les traitements symptomatiques
à notre disposition. Autoriser le THS aux cancers du sein gué-
ris leur serait bénéfique de ce point de vue.
Le THS a un rôle préventif démontré dans l’ostéoporose. Des
études cas-témoins ont montré que l’estrogénothérapie dimi-
nuait de 50 % le risque de fracture du col du fémur. Une étude
randomisée prospective a montré que ce traitement était
capable d’augmenter la masse osseuse. L’ostéoporose doit-elle
être le prix à payer pour la guérison du cancer du sein ?
Les études épidémiologiques montrent que le THS réduit les
accidents coronariens de 45 %.
Les estrogènes ont un effet favorable démontré sur les lipides,
avec une baisse du LDL cholestérol, une augmentation des tri-
glycérides et du HDL cholestérol.
Le THS lutte efficacement contre l’atrophie et la sécheresse
vaginale, ce qui peut être obtenu avec le même succès par un
traitement local.
LES RISQUES DU THS
Le THS comporte aussi des risques, qu’il est nécessaire d’éva-
luer le plus précisément possible avant de le prescrire aux
femmes traitées pour un cancer du sein.
Le THS entraîne un risque accru de thrombophlébites. Ce
risque est jugé suffisamment mineur pour ne pas en limiter
l’indication dans la population générale.
Les risques liés au cancer du sein sont supposés importants,
puisque le cancer du sein reste une contre-indication absolue
au THS. Cette contre-indication existe de longue date. Elle est
fondée essentiellement sur des données expérimentales, qui ont
montré le rôle des estrogènes dans la cancérogenèse, et sur des
données cliniques anciennes, qui relatent des stimulations, par
l’estradiol, de cancers du sein évolués. Cependant, les données
précises sur l’effet du THS après cancer du sein font défaut.
De nombreuses études se sont intéressées à l’augmentation
éventuelle du risque de cancer du sein après THS. Plusieurs
méta-analyses ont été réalisées sur ce sujet. La méta-analyse
d’Oxford montre une augmentation faible du risque de cancer
du sein sous THS et une corrélation entre la durée de traite-
ment et le risque de cancer du sein.
Quelle serait la conséquence d’une augmentation modérée du
risque chez des femmes déjà prédisposées ? L’augmentation
modérée du risque de développer un cancer du sein sous THS
ne représente-t-elle pas, en fait, une moyenne entre une aug-
mentation faible dans une population non sensible et une aug-
mentation élevée dans une population à risque ? Les femmes
qui ont déjà développé un cancer du sein font évidemment par-
tie de la population à risque.
En dehors de l’augmentation du risque de développer un cancer
du sein, les risques potentiels du THS sur le cancer du sein lui-
même nous sont totalement inconnus : apparition plus rapide de
rechutes de la maladie qui seraient de toute façon survenues
plus tard en son absence, stimulation de cellules quiescentes
qui n’auraient jamais proliféré, ou absence de conséquence ?
Du point de vue clinique, faut-il craindre une augmentation
des rechutes, des rechutes plus évolutives, une modification si
minime qu’elle passerait inaperçue, voire aucune modification
de l’évolution dans une population bien choisie ?
Proposer le THS aux femmes traitées antérieurement pour un
cancer du sein sans avoir au préalable réalisé un essai rando-
misé bien conduit revient à admettre que l’on connaît le méca-
nisme d’action des estrogènes sur d’éventuelles rechutes, et
donc qu’il est possible, dès maintenant, de définir une popula-
tion hors d’atteinte. C’est au moment de la définition de cette
population que les choses deviennent délicates. Définir une
population de cancers du sein pour laquelle les estrogènes
n’auraient pas d’effet délétère revient probablement à définir
une population pour laquelle le tamoxifène n’aurait aucun
effet bénéfique. Ce pourrait être le cas des femmes traitées
pour un cancer du sein sans envahissement ganglionnaire, qui,
après plusieurs années de surveillance, peuvent être considé-
rées comme guéries.
Plaidoyer pour un essai randomisé
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Thierry Delozier*
*Centre Baclesse, route Lion-sur-Mer, 14021 Caen.
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