DOSSIER THÉMATIQUE Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie) Inhibiteurs de l’aromatase et fonctions cognitives Aromatase inhibitors and cognitive functions E. Le Rhun(1), S. Taillibert(2 et 3), X. Delbeuck(4), J. Bonneterre(5 et 6) L e cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. En France, plus de 49 000 nouveaux cas sont diagnostiqués par an. La mortalité par cancer du sein reste la première cause de décès par cancer en France. Environ 70 % des cancers du sein ont des récepteurs aux estrogènes, et 60 % d’entre eux répondent au traitement hormonal conventionnel. Les traitements hormonaux du cancer du sein sont utilisés depuis les années 1970. Pendant plus de 25 ans, l’hormonothérapie a été dominée par le tamoxifène (TAM), mais les inhibiteurs de l’aromatase (IA), plus récents, seraient plus efficaces dans certaines sous-populations et sont de plus en plus utilisés. Les effets indésirables de ces deux classes de traitement sont différents. Étant donné la fréquence des prescriptions d’IA, il est nécessaire de s’intéresser aux effets de la carence estrogénique profonde qu’ils provoquent. Certains effets indésirables, comme les atteintes osseuses, sont bien connus et sont systématiquement évalués, d’autres, comme le retentissement cognitif, sont plus rarement étudiés bien que le lien entre estrogènes et fonction cognitive soit connu (1). Or les troubles cognitifs peuvent avoir des conséquences importantes sur la qualité de vie des patients et de leur entourage. Par ailleurs, dans le contexte actuel où la maladie d’Alzheimer (MA) représente un problème de santé majeur, il est absolument nécessaire de s’assurer que les traitements ne risquent pas d’augmenter le risque de démence. 1. Centre Oscar-Lambret, neurologie, département de sénologie, Lille. 2. AP-HP, hôpital de la PitiéSalpêtrière, service de neurologie Mazarin, 75651 Paris. 3. AP-HP, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, service de radiothérapie, Paris. 4. CHRU de Lille, centre de la mémoire, service de neurologie C, hôpital Roger-Salengro, Lille. 5. Centre Oscar-Lambret, département de sénologie, Lille. 6. Université de Lille-II, Lille. Rappels anatomiques et rôle des estrogènes Différents récepteurs aux estrogènes (RE) sont présents dans le cerveau : REα et REβ. Chez la femme, on observe une distribution cérébrale large des RE. Ils sont en particulier retrouvés dans les aires impliquées dans les fonctions cognitives, notamment la mémoire : amygdale, cortex cérébral préfrontal, hippocampe et aires corticales associées (2). Les estrogènes auraient différentes actions au niveau du cerveau : neuroprotection (apoptose, stress oxydatif, ischémie, neurotoxicité excitatoire), effets neurotrophiques (synthèse de facteurs de croissance, croissance des neurites, plasticité synaptique), effets sur les neurotransmetteurs (acétylcholine, noradrénaline, sérotonine, dopamine, glutamate), diminution de la formation de dépôts ß-amyloïdes dans le cerveau, effets sur le flux sanguin cérébral, le métabolisme et le transport du glucose, effets sur les marqueurs de l’inflammation et rôles dans la thrombose (3, 4). On peut en particulier noter l’action des estrogènes qui permet d’augmenter la concentration de choline acétyltransférase, enzyme nécessaire à la synthèse d’acétylcholine, neurotransmetteur impliqué dans les fonctions cognitives, notamment mnésiques (3). Cette voie est en effet particulièrement utilisée dans le traitement de la MA. Les estrogènes auraient ainsi un rôle dans les aspects cognitifs (notamment mémoire verbale, mais également attention, raisonnement, vitesse de traitement de l’information, apprentissage et coordination motrice fine) et thymiques (3, 5). Évaluation des fonctions cognitives Les troubles cognitifs sont particulièrement importants à prendre en compte, car ils peuvent retentir dans la vie quotidienne des patients et de leur entourage, et influer sur la qualité de vie. Ils peuvent en effet retentir sur la capacité du patient à s’occuper de lui et sur son autonomie dans la gestion de la vie quotidienne, sur la conduite automobile, sur la reprise du travail ou l’aménagement nécessaire de l’environnement professionnel… Ces troubles restent cependant encore fréquemment sous-estimés et méconnus soit parce qu’ils sont masqués par d’autres symptômes (asthénie, troubles de l’humeur), soit 20 | La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 Séno45dé09.indd 20 15/12/09 14:32 Points forts Mots-clés »» Rôle des estrogènes dans le fonctionnement cognitif. »» Intérêt du traitement hormonal substitutif dans la prévention des troubles cognitifs mais pas en traitement curatif. »» Pas de réponse claire malgré les différentes études sur l’impact des inhibiteurs de l’aromatase sur les fonctions cognitives. »» Précaution dans l’utilisation des IA nécessaire chez les femmes à risque ou présentant des troubles cognitifs et chez les femmes récemment ménopausées, en particulier de façon non naturelle. parce qu’ils sont recherchés par des outils inadaptés. Une étude précise et pertinente de ces troubles nécessite un bilan détaillé et adapté, administré par un neuropsychologue entraîné et répondant à plusieurs critères d’exigence. En effet, de simples tests d’évaluation cognitive globale comme le MMSE ou la mesure du quotient intellectuel ne suffisent pas (6). Par ailleurs, les tests choisis doivent être reproductibles, sensibles et spécifiques, normés selon l’âge, le sexe et le niveau socio-culturel, afin de permettre une interprétation valide des résultats. Des considérations pratiques sont également à prendre en compte pour que les résultats puissent être interprétables : la faisabilité doit être appréciée selon certaines situations, la longueur de l’évaluation cognitive doit être préalablement réfléchie et adaptée à ces patientes fatigables dont les capacités attentionnelles sont souvent significativement altérées, interférant ainsi avec la passation des tests. Lorsqu’un suivi est prévu, les tests comportant des versions parallèles doivent être privilégiés afin de limiter les effets tests-retests. De plus, une évaluation préthérapeutique de référence est nécessaire. Les outils doivent ainsi être sélectionnés selon le type d’atteinte recherchée. Une proposition de batterie neuropsychologique ciblant en particulier les fonctions cortico-sous-corticales préfrontales et adaptée aux patients francophones a été proposée dans la littérature (7). L’état thymique et de qualité de vie doivent systématiquement être évalués en parallèle afin de rechercher une éventuelle corrélation entre la qualité de vie, l’état thymique et l’état cognitif. De plus, cette analyse doit permettre de considérer l’impact réel du stress psychologique sur les fonctions cognitives puisque celui-ci serait à l’origine d’interactions complexes entre cortisolémie, cytokines inflammatoires et structures neuro-anatomiques impliquées dans la mémoire (8, 9). Estrogènes et fonctions cognitives Plusieurs études ont évalué l’effet des estrogènes chez des rats femelles ovariectomisées. Dans l’une d’elles sur des rates de 13 mois, les auteurs constataient un déficit en mémoire de travail dès 4 mois après ovariectomie. La pose d’implants d’estrogènes dès la constatation de ce déficit permettait alors une récupération du trouble (10). La même équipe a ensuite étudié la capacité des estrogènes à contrebalancer l’effet amnésique de la scopolamine (antagoniste muscarinique inhibant le système cholinergique) chez des rates ovariectomisées, d’âge moyen avec cycles réguliers ou âgées sans cycles. L’intérêt de la supplémentation en estrogène n’était retrouvé que dans le groupe des rates d’âge moyen (11). Une autre étude réalisée chez des rates de 12 mois a montré que la supplémentation par implants d’estradiol débutée immédiatement après ovariectomie avait un effet positif sur la mémoire de travail, alors qu’elle restait sans effet si elle était débutée plus tardivement (5 mois après ovariectomie) [12]. Au vu de ces résultats, le risque de troubles cognitifs en rapport avec une carence en estrogène pourrait surtout être important chez les femmes jeunes ayant une ménopause brutale et non suppléée. Au moment de la ménopause, on observe chez la femme une réduction de 90 % du taux d’estrogènes dans le sang, taux correspondant alors à 25 % de celui des hommes. Pour autant, un déclin cognitif plus rapide avec l’âge chez la femme que chez l’homme n’est pas observé (13). Le risque de troubles cognitifs et de démence semble donc plus important en cas de carence prématurée en estrogènes, telle que celle occasionnée par les ovariectomies (5). Estrogènes Inhibiteurs de l’aromatase Bilan neuropsychologique Troubles cognitifs Mémoire verbale Keywords Estrogen Aromatase inhibitors Neuropsychologic check-up Cognitive trouble Verbal memory Estrogènes, troubles cognitifs et maladies neurodégénératives Il semblerait que l’exposition aux estrogènes endogènes ait une importance sur les fonctions cognitives : âge des premières règles, durée de la période reproductive, âge à la naissance du premier enfant (14). Plusieurs études observationnelles ont également suggéré que le traitement hormonal substitutif (THS) par estrogène et progestérone pouvait protéger les femmes ménopausées du risque de déclin cognitif et retarder le début d’une MA (2, 3, 15-17). L’action du THS serait particulièrement bénéfique sur la mémoire verbale (2, 3, 5, 14). Le THS permettrait ainsi de réduire de 29 à 34 % le risque de développer La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 | 21 Séno45dé09.indd 21 15/12/09 14:32 DOSSIER THÉMATIQUE Références bibliographiques 1. Shilling V, Jenkins V, Fallowfield L, Howell T. The effects of hormone therapy on cognition in breast cancer. J Steroid Biochem Mol Biol 2003;86(3-6):405-12. 2. Shilling V, Jenkins L, Fallowfield L, Howell A. The effects of estrogens and anti-estrogens on cognition. The breast 2001;10:484-91. 3. Sherwin BB. Estrogen and cognitive functioning in women. Endocrine reviews 2003;24:133-51. 4. Henderson VW. Estrogen-containing hormone therapy and alzheimer’s disease risk: understanding discrepant inferences from observational and experimental research. Neurosci 2006;138(3):1031-9. 5. Hogervorst E, Williams J, Budge M, Riedel W, Jolles J. The nature of the effect of female gonadal hormone replacement therapy on cognitive function in post-menopausal women: a meta-analysis. Neuroscience 2000;101(3):485512. 6. Meyers CA, Brown PD. Role and relevance of neurocognitive assessment in clinical trials for patients with CNS tumors. J Clin Oncol 2006;24:1305-9. 7. Taillibert S, Voillery D, BernardMarty C. Chemobrain: is systemic chemotherapy neurotoxic? Curr Opin Oncol2007;19,623-7. 8. Maier SF. Bi-directional immunebrain communication: Implications for understanding stress, pain, and cognition. Brain Behav Immun 2003;17:69-85. 9. Miller AH, Ancoli-Israel S, Bower JR, Capuron L, Irwin MR. Neuroendocrine-Immune Mechanisms of Behavioral Comorbidities in Patients With Cancer. J Clin Oncol 2008; 26:971-82. 10. Markowska AL, Savonenko AV. The effectiveness of oestrogen replacement in restoration of cognitive function after long-term oestrogen withdrawal in aging rats. J Neurosci 2002;22(24);10985-95. 11. Savonenko AV, Markowska AL. The cognitive effects of ovariectomy and oestrogen replacement are modulated by aging. Neuroscience 2003;119(3):821-30. 12. Daniel JM, Hulst JL, Berbling JL. Estradiol replacement enhances working memory in middle-aged rats when initiated immediately after ovariectomy, but not after a long-tem period of ovarian hormone. Endocrinology 2006; 147(1):607-14. 13. Barret Connor E. Endogenous and exogenous estrogen, cognitive function and dementia in postmenopausal women: Evidence from epidemiologic studies and clinical trials. Semin Reprod Med 2009;27(3):275-82. Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie) une MA (18). Il faut toutefois noter que le THS est souvent pris par des femmes de niveau socio-culturel plus élevé, et dont les facteurs de risque vasculaires sont généralement mieux contrôlés (facteurs pour lesquels un effet protecteur sur le développement de la MA est également décrit). Cet effet du THS est cependant parfois discuté dans certaines études. L’étude WHIMS (Women’s Health Initiative Memory Study), souvent citée, est randomisée, multicentrique, en double aveugle contre placebo évaluant l’intérêt du THS chez les femmes ménopausées. Cette étude a été interrompue de façon prématurée en raison d’une augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC), de pathologie coronaire, de cancer du sein et d’embolie pulmonaire (19). Une étude cognitive ancillaire a été réalisée chez 7 479 femmes âgées de plus de 65 ans, et a mis en évidence une relative tendance à une augmentation du risque de troubles cognitifs et de démence (p = 0,18) sous THS (18, 19). Quelques remarques sont à prendre en compte dans cette étude : 40 % des données n’ont pas été incluses car incomplètes, 55 % des participantes n’ont pas été compliantes. Par ailleurs, on notait plus d’HTA dans le groupe estrogène que dans le groupe placebo. Les troubles vasculaires pourraient ainsi être responsables de troubles cognitifs, contrecarrant le bénéfice du THS (18). Enfin, dans cette étude, le THS était débuté plusieurs années après la ménopause. Dans les études observationnelles, l’âge des femmes est généralement le même, mais une distinction est faite entre “déjà exposée” et “jamais exposée” au THS (4). Ainsi, différentes études montrent l’absence d’intérêt du THS sur les troubles cognitifs si celui-ci est débuté tardivement après le début de la ménopause. Un essai randomisé contre placebo chez 60 femmes récemment ménopausées âgées de 32,8 à 64,9 ans montrant de meilleurs résultats dans le groupe recevant des estrogènes par rapport au groupe placebo (20). Par ailleurs, l’étude Cache County Study confirme l’intérêt de la prise de THS dès l’installation de la ménopause, permettant d’obtenir de meilleurs résultats cognitifs et un déclin moins rapide des fonctions cognitives (13, 15). Ainsi, la période de postménopause immédiate paraît être la période critique pour initier un THS et avoir un effet protecteur maximal contre le déclin cognitif et le risque de démence (3, 18). Il semble donc particulièrement important de commencer, en l’absence de contre-indication, le THS de façon précoce après une ménopause chirurgicale. Enfin, bien que le THS paraisse avoir un intérêt thérapeutique complémentaire et prophylactique, les études randomisées réalisées chez les patientes présentant des troubles cognitifs ou une démence n’ont pas montré d’effets bénéfiques du THS (1, 3, 16, 17). Inhibiteurs de l’aromatase et troubles cognitifs Les IA inhibent la conversion par l’aromatase des androgènes (testostérone et androstènedione) en estrogènes (respectivement estradiol et estrone) dans les tissus adipeux, les tissus de soutien, les muscles, le foie et le cerveau. Cette aromatisation produit la source d’estrogènes chez la femme ménopausée. Les IA vont donc entraîner une diminution très importante de l’imprégnation estrogénique chez la femme ménopausée, avec des taux d’estrogènes circulants devenant non mesurables dans la plupart des cas. On distingue des inhibiteurs de type I stéroïdiens, à liaison irréversible au site catalytique de l’enzyme (formestane et exémestane), et de type II non stéroïdiens (anastrozole et létrozole) à liaison réversible sur le complexe enzymatique du cytochrome p450. Tous les IA agissent également sur la production intratumorale d’estrogènes. Leurs effets secondaires sont différents de ceux du TAM, avec en particulier une incidence significativement plus élevée de douleurs articulaires et osseuses (dorsalgies). Généralement, l’humeur, les fonctions cognitives et la qualité de vie ne sont pas évaluées dans les essais qui s’intéressent plus souvent aux effets secondaires cardiaques ou osseux. Dans l’étude ATAC, l’intérêt de l’administration d’une hormonothérapie adjuvante du cancer du sein localisé pendant une durée de 5 ans par anastrozole seul, TAM seul ou combinaison anastrozole-TAM était évalué chez 9 366 patientes en postménopause. Une étude ancillaire cognitive a pu être réalisée chez 94 participantes n’ayant pas reçu de chimiothérapie après 36 mois d’hormonothérapie. Les résultats ont été comparés à ceux d’un groupe de 34 témoins sans cancer du sein appariés sur l’âge. Les patientes du groupe sous hormonothérapie (quelle qu’elle soit) étaient déficitaires en vitesse de traitement de l’information (p = 0,026) et avaient des difficultés en mémoire immédiate verbale (p = 0,032) [1, 19]. Les résultats en mémoire verbale étaient corrélés au taux d’estradiol sérique (1). Cependant, étant donné que le TAM n’entraîne pas de diminution du taux d’estrogènes circulants mais a un effet agoniste-antagoniste sur les cellules cibles, on peut se demander si les effets secondaires cognitifs sont identiques ou non à ceux des IA. 22 | La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 Séno45dé09.indd 22 15/12/09 14:32 DOSSIER THÉMATIQUE Dans l’étude TEAM, évaluant l’intérêt d’une hormonothérapie par TAM ou exémestane, en situation adjuvante après chimiothérapie, l’évaluation cognitive réalisée 2 ans après la fin de la chimiothérapie mettait en évidence plus de difficultés chez les patientes traitées que chez les témoins, avec une tendance à plus de difficultés verbales dans le groupe TAM et une tendance à plus de difficultés de la motricité fine dans le groupe exémestane (21). Un autre essai a comparé l’évolution des fonctions cognitives dans deux groupes de patientes, âgées en moyenne de 52,8 ans (anastrozole [57,4 ans] versus TAM [48,2 ans]), après 3 mois d’hormonothérapie (anastrozole [14,3 mois] versus TAM [23,8 mois]) : anastrozole (15 patientes) et TAM (16 patientes). Les résultats montraient des troubles cognitifs plus sévères sur les mesures d’apprentissage et de mémoire verbale et visuelle dans le groupe anastrozole que dans le groupe TAM, après ajustement sur l’âge, le niveau socio-culturel, la durée de l’hormonothérapie, la présence de troubles anxio-dépressifs ou d’une asthénie (22). Il faut cependant noter dans cette étude que l’âge médian dans le groupe anastrozole était significativement plus élevé que celui du groupe TAM (p < 0,01). Or, la fréquence des maladies neurodégénératives augmente avec l’âge. Enfin, une évaluation ancillaire cognitive a été réalisée chez 227 participantes dans l’étude IBIS II, qui est un essai en double aveugle contre placebo, évaluant l’intérêt de l’anastrozole chez les femmes postménopausées à haut risque de développer un cancer du sein. Le bilan cognitif était réalisé avant initiation du traitement, puis à 6 mois et 2 ans. Aucune différence entre les scores cognitifs entre les deux groupes n’a été observée. L’âge médian des patientes était de 57 ans, 45 % n’avaient jamais pris de THS avant l’essai et 41 % avaient déjà pris un THS pendant plus de 12 mois. Les participantes du groupe placebo avaient pris davantage de THS (66 % versus 42 %). Enfin, ces résultats à 2 ans, ne préjugent cependant pas de l’effet à long terme (23). En conclusion, les résultats des différentes études sont très variables et il serait nécessaire de tenir compte, dans les futures études évaluant l’effet des IA sur les fonctions cognitives, du type et de l’âge de survenue de la ménopause et de la prise ou non de THS. Prise en charge des troubles cognitifs Dans tous les cas, si des troubles cognitifs sont soupçonnés ou constatés, il est nécessaire de les prendre en charge. Les patientes doivent être adressées pour un suivi à une équipe spécialisée en cognitif afin de caractériser par un bilan adapté les troubles et les accompagner au mieux dans leur vie quotidienne. Quelques molécules (méthylphénidate, donézépil, etc.) ont en effet montré un certain intérêt dans le cadre de certaines tumeurs solides. Mais, surtout, des revalidations ou des réévaluations des difficultés cognitives du patient peuvent être discutées sur la base de l’évaluation neuropsychologique, afin de préciser de manière détaillée les difficultés cognitives et les capacités préservées pour choisir la méthode de revalidation ou de soutien (agendas et alarmes électroniques, carnets, etc.) la plus adaptée à la situation individuelle de la patiente. Les capacités préservées sont en effet utilisées pour compenser les déficits cognitifs. Conclusion En conclusion, il est nécessaire de continuer à s’intéresser aux effets cognitifs d’une carence sévère et prolongée en estrogènes, même si les troubles observés semblent peu fréquents et modérés lors des évaluations précoces dans les différentes études. En effet, leur retentissement clinique n’en est pas moins réel et ne devrait pas être sous-estimé compte tenu des fonctions impliquées (attention, mémoire de travail, vitesse de traitement de l’information) qui apparaissent essentielles à un bon fonctionnement quotidien et entraînent de ce fait des mécanismes de compensation cognitifs à l’origine d’une fatigue chronique et de plaintes cognitives subjectives même en l’absence d’atteinte objectivable (24). Le délai d’instauration de l’hormonothérapie après installation de la ménopause semble particulièrement important, et il convient d’être prudent chez les patientes récemment ménopausées, notamment de façon non naturelle. La volonté de préservation de facultés cognitives optimales ajoute un degré de difficulté au choix actuellement très controversé de la mise en place d’un THS dans la population ménopausée générale ainsi qu’au choix des molécules utilisées à visée adjuvante en cas de cancer du sein hormonodépendant. L’incidence du cancer du sein et de la MA étant en augmentation, une attention particulière doit également être portée aux patientes présentant déjà des troubles cognitifs. Il est nécessaire en particulier dans ces deux populations, et notamment dans le cadre de traitements adjuvants préventifs, de rechercher systématiquement à l’interrogatoire des troubles cognitifs et d’évaluer leur évolution, en ayant recours à un bilan neuropsychologique adapté au moindre doute et éventuellement à des techniques d’imagerie fonctionnelle. ■ Références bibliographiques 14. Ryan J, Carrière I, Scali J, Ritchie K, Ancelin ML. Life-time estrogen, exposure and cognitive functioning after life. Psychoneuroendocrinlogy 2009;34:287-98. 15. Carlson MC, Zandi PP, Plassman BL et al. for the Cache County Study Group. Hormone replacement therapy and reduced cognitive decline in older women. Neurology 2001;57:2210-6. 16. Eberling JL, WU C, TongTurnbeaugh R, Jagust W. 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