Conséquences endocriniennes et métaboliques du stress dossier thématique Avant-propos Stress et cortisol : des liens multiples et complexes Stress and cortisol: multiple and complex links Jean-Marc Kuhn * L e stress, anglicisme adopté par la langue française, correspond à une forte tension mentale ou physique que l’organisme humain perçoit comme un facteur le plus souvent agressif lorsqu’il est subit et non recherché. Cela l’oppose à la “décharge d’adrénaline“ qui fait partie du jeu de certaines activités ludiques et/ou sportives, comme le saut à l’élastique ou le parachutisme. Qu’il soit unique, aigu et intense (stress post-traumatique) ou, au contraire, plus sournois et répétitif (harcèlement), le stress retentit sur l’équilibre psychologique, endocrinien et métabolique. Les différents volets du dossier thématique intitulé Conséquences endocriniennes et métaboliques du stress abordent 3 des aspects de son retentissement. L’activation du système hypothalamo-hypophyso-surrénalien, et plus précisément les effets tissulaires du cortisol, constitue le fil rouge commun à ces différentes répercussions du stress. Tel le naufrage du Costa Concordia, le stress post-traumatique succède à un événement grave menaçant l’intégrité physique de l’individu ou celle d’autrui et est inducteur d’une peur intense ou d’un sentiment d’impuissance ou d’horreur. Outre ses répercussions psychologiques récurrentes, le stress post-traumatique s’associe à des modifications de l’équilibre endocrinien, ou en est la cause. Le système hypothalamo-hypophyso-surrénalien est impliqué en première ligne. À la mise en jeu aiguë initiale du système de contrôle de la sécrétion d’hormones glucocorticoïdes suit, lorsque le stress post-traumatique se pérennise, une phase d’adaptation du système hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Elle est responsable d’un nouvel équilibre où intervient une hypersensibilité tissulaire au cortisol dans laquelle est impliqué le récepteur glucocorticoïde, avec consécutivement une baisse de la cortisolémie. Les données recueillies au cours d’études cliniques utilisant les outils pharmacologiques classiques d’évaluation de la fonction de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, l’étude de l’expression de certains gènes impliqués dans la sensibilité tissulaire aux glucocorticoïdes et l’utilisation, sur des modèles intensément stressés, d’antagonistes des récepteurs de la CorticotropinReleasing Hormone (CRH) ou du récepteur des glucocorticoïdes viennent à l’appui des hypothèses détaillées dans l’article de Magalie Garcia et al. : “Cortisol et état de stress posttraumatique”. * Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU de Rouen. 18 L’observation a été maintes fois faite selon laquelle l’apport alimentaire, – qui se fait le plus souvent sous forme d’un grignotage d’aliments riches en glucides – , exerce un effet compensatoire antistress. Cet effet s’exercerait notamment par des relais sérotoninergiques centraux. L’effet bénéfique immédiat est contrebalancé par une cohorte d’inconvénients Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - nos 1-2 - janvier-février 2012 Stress et cortisol : des liens multiples et complexes au premier rang desquels on retrouve certains facteurs majeurs du risque cardiovasculaire : obésité abdominale, hypertension artérielle, syndrome métabolique ou diabète sucré. L’un des mécanismes impliqués dans ces indésirables conséquences des ingestats “antistress” semble emprunter le relais d’une activation du système hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Il est bien connu que le cortisol est l’agent hormonal qui s’oppose le plus puissamment à l’insuline et que son excès chronique s’accompagne d’une redistribution du tissu adipeux. La sécrétion de cortisol est stimulée par le stress. Il s’agit donc d’un candidat très plausible au rôle de relais entre stress et conséquences métaboliques. Plus que la cortisolémie elle-même, ce serait la teneur en cortisol tissulaire qui en serait le marqueur. L’intervention de la 11-β hydroxy-stéroïde déshydrogénase de type 1 (11-β HSD1), enzyme exprimée dans le tissu adipeux et qui transforme in situ la cortisone inactive en cortisol, est étayée par des études expérimentales et par les effets métaboliques bénéfiques du blocage de son activité, elle-même contrôlée par des influences génétiques ou épigénétiques et l’action stimulante de cytokines pro-inflammatoires. La revue de Jean-Michel Lecerf fait le point sur les connaissances actuelles et permet d’entrevoir des perspectives thérapeutiques contre les conséquences métaboliques nocives du stress. Le cortisol est également l’acteur central du troisième volet du dossier thématique. Bérangère Valtat et Bertrand Blondeau y abordent le rôle direct du glucocorticoïde sur le développement, in utero, des cellules β pancréatiques. Le nombre et la capacité d’insulinosécrétion de ces cellules représentent en effet des facteurs déterminants du risque de développement d’un diabète de type 2 à l’âge adulte. À titre d’exemple de la “programmation fœtale” de maladies survenant à l’âge adulte, il est bien établi que le retard de croissance intra-utérin (RCIU) s’associe à un risque accru d’apparition ultérieure d’une obésité ou d’un diabète de type 2. Les auteurs soulignent bien le lien, démontré sur des modèles animaux, qui existe entre RCIU, inflation du taux maternel et fœtal de glucocorticoïde et masse insulaire β pancréatique. Sur d’élégants modèles murins d’inactivation du gène codant pour le récepteur glucocorticoïde, et ce spécifiquement au sein des précurseurs des cellules β pancréatiques, ils montrent clairement l’implication de ce récepteur, acteur distal du système hypothalamo-hypophyso-surrénalien, comme relais de l’effet néfaste de la sous-nutrition maternelle sur le développement des cellules insulinosécrétrices. Toute la chaîne des intervenants du système hypothalamo-­ hypophyso-surrénalien, de la commande hypothalamique à la réception tissulaire, apparaît donc impliquée dans les conséquences métaboliques du stress, aussi bien pendant la vie embryonnaire qu’après la naissance. Les progrès effectués dans la compréhension de l’intimité de ces mécanismes ouvrent la porte vers de potentielles perspectives thérapeutiques qui permettraient d’en limiter la fréquence ou l’intensité. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - nos 1-2 - janvier-février 2012 19