
170 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 3 - mars 2011
Résumé
Le cancer du pancréas exocrine est un des cancers ayant le plus mauvais pronostic. Le seul traitement curatif
est la résection chirurgicale, mais moins de 20 % des patients présentent une tumeur résécable au moment
du diagnostic. Jusqu’à très récemment, le traitement palliatif du cancer du pancréas avancé reposait sur la
gemcitabine, qui était le standard depuis qu’une étude avait montré un bénéfice clinique par rapport au
traitement par 5-FU, il y a plus de 10 ans. Depuis, de nombreux essais ont tenté d’améliorer le pronostic du
cancer du pancréas en explorant la pharmacocinétique et le métabolisme de la gemcitabine ou en l’associant
à d’autres chimiothérapies, la plupart de ces essais étaient malheureusement négatifs. Ce n’est qu’en 2010
qu’un essai a montré une amélioration significative du pronostic du cancer du pancréas avancé avec une
association de chimiothérapie sans gemcitabine : le FOLFIRINOX. Parallèlement, de nombreuses molécules
appartenant à la nouvelle classe des biothérapies sont en cours d’évaluation, certaines semblant très promet-
teuses. Après 10 ans sans grand progrès, le FOLFIRINOX donne enfin un espoir d’amélioration dans la prise
en charge palliative du cancer du pancréas.
Mots-clés
Adénocarcinome
pancréatique
Chimiothérapie
Traitement palliatif
Summary
Exocrine pancreatic cancer
has a very bad prognosis.
Pancreatectomy is still the only
potentially curative approach,
but most patients have an
incurable disease by the time
they are diagnosed, and fewer
than 20% are candidates for
surgery. Until recently, in the
palliative setting, gemcitabine
has been a standard treatment
for advanced pancreatic cancer
since it was shown a decade
ago to result in a superior
clinical benefit response and
survival compared with bolus
5-fluorouracil. Since then,
clinical trials have explored the
pharmacokinetic modulation
of gemcitabine by fixed dose
administration and the combi-
nation of gemcitabine with
other cytotoxic chemotherapies,
but most of these trials have
had negative results. It is only
this year when a study showed
a significant improvement of
the prognosis of advanced
pancreatic cancer with an
association of chemothera-
pies without gemcitabine: the
FOLFIRINOX. At the same time,
a lot of novel target agents
are under evaluation, some
seeming very promising. After
10 years without significant
progress in the care of pancre-
atic cancer, the FOLFIRINOX
regimen finally gives hopes of
improvement of the prognosis
of this cancer.
Keywords
Pancreatic adenocarcinoma
Chemotherapy
Palliative treatment
résécables, bien que les résultats des essais prélimi-
naires soient prometteurs. D’autres études complé-
mentaires sont nécessaires. Pour le traitement
adjuvant, la gemcitabine est actuellement le
traitement de référence après résection d’un CP. Elle
permet une amélioration de la SSR et de la SG, même
après une résection R1. En cas de contre-indication
à la gemcitabine, le 5-FU peut être une alternative.
L’essai ESPAC-4, actuellement en cours, compare la
gemcitabine à l’association gemcitabine + capéci-
tabine dans le traitement adjuvant des CP après
résection R0 ou R1. Un essai évaluant le FOLFIRINOX
(5-FU, acide folinique, irinotécan, oxaliplatine) en
adjuvant devrait débuter prochainement, après les
résultats encourageants de ce protocole dans le
traitement palliatif des CP métastatiques.
Chimiothérapie palliative
Gemcitabine
La gemcitabine est un analogue nucléosidique ayant
une structure similaire à celle de la cytarabine. Elle
est devenue le traitement de référence du CP avancé
depuis l’étude de H.A. Burris et al., qui montrait une
amélioration modeste de la survie et, surtout, un
bénéfice clinique de la gemcitabine par rapport au
5-FU bolus (9).
La gemcitabine est une prodrogue qui doit être
d’abord phosphorylée par la désoxycytidine
kinase (dCK) en gemcitabine monophosphate,
puis diphosphate et triphosphate. La phospho-
rylation en gemcitabine monophosphate est l’étape
limitant l’accumulation des métabolites actifs bi-
et tri-phosphorés. Pour cette raison, une adminis-
tration à taux fixe (“Fixed-Dose Rate” [FDR]) a été
proposée afin de modifier la pharmacocinétique et
d’augmenter les taux plasmatiques et intracellu-
laires de métabolites actifs. Ainsi, M. Tempero et
al. ont randomisé 92 patients avec un CP avancé
dans 2 groupes de traitement par gemcitabine :
2 200 mg/ m² en administration i.v. sur 30 minutes
ou 1 500 mg/m² administrés à un taux fixe de
10 mg/ m²/mn pour le bras FDR. L’objectif principal
était la survie sans progression (SSP), identique dans
les 2 bras. La SG était meilleure dans le bras FDR
(8 versus 5 mois ; p = 0,013), mais au prix d’une
toxicité plus importante (48,8 % de toxicités de
grade 3-4 dans le bras FDR versus 26,5 % dans le
bras contrôle) [10].
La gemcitabine est caractérisée par un index théra-
peutique étroit. Son élimination hépatique dépend
de la cytidine désaminase (CDA), enzyme clé de
son métabolisme. Une étude récente a montré que
les patients qui présentaient des toxicités sévères
avaient une activité CDA plus basse que ceux ne
présentant pas de toxicité ; elle a conclu qu’un dosage
Tableau I. Principaux essais randomisés évaluant la chimiothérapie adjuvante dans le CP.
Objectif
principal
n Taux
R1/
N+ (%)
Schéma Survie globale médiane
(mois)
Survie
à 5 ans
(%)
Significativité
ESPAC-1
J.P. Neoptolemos et al.,
2004
(5)
Survie
à 2 ans
289 18/59 CT
(CT ou RCT + CT)
versus pas de CT
CT (5-FU) : 21,6
RCT : 12,2
RCT + CT : 19,9
Pas de traitement adjuvant : 13,6
29,0
12,2
13,0
11,0
CT > pas de CT
p = 0,009
CONKO-001
H. Oettle et al.,
2007
(6)
Survie
sans
récidive
368 19/71 Gemcitabine
versus
pas de traitement
22,1
20,2
22,5
11,5
p < 0,001
RTOG 9704
W.F. Regine et al.,
2008
(7)
Survie
globale
538 60/65 5-FU + RCT
versus
gemcitabine + RCT
16,9
20,5
16,0
21,0
p = 0,34
ESPAC-3
J. Neoptolemos et al.,
2009
(8)
Survie
globale
1 088 35/71 FUFOL
versus
gemcitabine
23,0
23,6
NA
NA
p = 0,39
CT : chimiothérapie ; NA : non atteinte ; RCT : radio-chimiothérapie ; RT : radiothérapie.