Le cancer du pancre´as devient-il une maladie chimiosensible ?

Le cancer du pancre´as
devient-il une maladie
chimiosensible ?
Does pancreatic cancer
become chemosensitive?
Laetitia Dahan, Jean-Franc¸ois Seitz
H^
opital Timone,
service d’oncologie digestive,
Aix-Marseille Universit
e,
264 rue Saint Pierre,
F-13385 Marseille cedex 5,
France
fr>
Le cancer du pancr
eas, dont l’incidence augmente, est devenu le 10
e
cancer
le plus fr
equent en France (8 000 nouveaux cas annuels depuis 2008) et
repr
esente la 4
e
cause de mortalit
e par cancer dans notre pays : avec une
mortalit
e proche de l’incidence, son taux de survie globale
a 5 ans reste autour de
5 % dans les registres. La chirurgie d’ex
er
ese est le seul traitement curatif mais
seul 20 % des patients peuvent ^
etre op
er
es et parmi eux la plupart rechutent.
Le traitement de ce cancer est donc le plus souvent palliatif et repose sur des
traitements syst
emiques.
Les facteurs invoqu
es pour expliquer la s
ev
erit
e de son pronostic sont d’ordre
anatomique (organe profond, d’accessibilit
e difficile, avec un diagnostic
tardif, proximit
e des vaisseaux, des nerfs et de la graisse) et d’ordre biologique
(faible vascularisation, stroma dense g^
enant l’acc
es des m
edicaments). De plus,
ce cancer est g
en
eralement consid
er
e comme chimio-r
esistant.
Contrairement
a d’autres cancers jug
es eux aussi chimio-r
esistants, comme le
cancer du rein, le carcinome h
epatocellulaire ou les tumeurs stromales digestives,
pour lesquels les progr
es sont venus des bioth
erapies cibl
ees, nous allons
voir que les progr
es enregistr
es
a ce jour dans la prise en charge m
edicale
de l’ad
enocarcinome pancr
eatique viennent de la seule chimioth
erapie
anticanc
ereuse.
‘‘ Les seuls progre`s re´cents viennent de la chimiothe´ rapie
et non des biothe´rapies’’
Le premier pas a
et
e l’introduction de la gemcitabine en 1997 gr^
ace
al
etude
pivotale de Burris et al. [1] permettant de faire passer la m
ediane de survie
des cancers avanc
es de 3
a 6 mois. Il y eut ensuite pr
es de 15 ans d’
etudes de
phase III n
egatives n’arrivant pas
a augmenter de fac¸on statistiquement et/ou
cliniquement significative la survie globale de ces patients, notamment une
douzaine d’essais
evaluant l’adjonction
a la gemcitabine d’une deuxi
eme
mol
ecule de chimioth
erapie (« doublet ») et plusieurs autres essais
evaluant
l’adjonction d’une bioth
erapie cibl
ee comme le cetuximab ou le bevacizumab
par rapport
a la gemcitabine seule. Un essai franc¸ais de strat
egie planifiant une
2
e
ligne (FFCD 0301) a compar
e LV5FU2-CDDP suivi de gemcitabine en cas de
progression
alas
equence inverse : il n’a pas montr
e de diff
erence en termes de
survie sans progression ni de survie globale ; 61 % des patients ont pu recevoir
une deuxi
eme ligne, avec une m
ediane de survie globale respectivement de
6,7 mois et 8,0 mois, un taux de survie
a 1 an autour de 30 % et
a 18 mois de
18 % dans les deux bras [2].
Pour citer cet article : Dahan L, Seitz JF. Le cancer du pancr
eas devient-il une maladie
chimiosensible ? H
epato Gastro 2013 ; 20 : 485-488. doi : 10.1684/hpg.2013.0908
doi: 10.1684/hpg.2013.0908
485
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 20 n87, septembre 2013
ditorialE
´
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Il a fallu attendre les r
esultats d’une
etude franc¸aise intergroupe pour qu’une
trichimioth
erapie (« triplet »), le FOLFIRINOX, d
etr^
one la gemcitabine dans
le sous-groupe des patients m
etastatiques en excellent
etat g
en
eral, de moins
de 76 ans, avec une bilirubine normale, en montrant une augmentation
tr
es significative du taux de r
eponse (32 vs 9 %), de la survie sans progression
(6,4 vs 3,3 mois) et de la survie globale (11,1 vs 6,8 mois) [3]. La gemcitabine
reste utilis
ee chez les autres patients et en 2
e
ligne dans ce sous-groupe
favorable.
‘‘ Il a fallu attendre les re´ sultats d’une e´ tude franc¸aise
intergroupe pour qu’une trichimiothe´ rapie («triplet »),
le FOLFIRINOX, de´troˆne la gemcitabine’’
Une nouvelle
etude de phase III (MPACT) pr
esent
ee
a l’ASCO-GI en janvier 2013
vient de montrer qu’un doublet
a base de gemcitabine am
eliorait la survie par
rapport
a la gemcitabine seule [4]. Il s’agit d’un essai ayant
evalu
e l’association
gemcitabine plus nab-paclitaxel
a la gemcitabine seule chez 842 patients ayant
un cancer m
etastatique du pancr
eas : le taux de r
eponse (23 vs 7 %), la survie
sans progression (5,5 vs 3,7 mois) et la survie globale (8,5 vs 6,7 mois) sont tr
es
significativement am
elior
ees par la bith
erapie. Ces r
esultats paraissent un peu
moins favorables que ceux observ
es avec le FOLFIRINOX, avec un gain sur la
survie m
ediane de 2 mois en valeur absolue contre 4 avec le FOLFIRINOX, et un
hazard ratio pour le d
ec
es de 0,72 contre 0,57, m^
eme si les taux de survie
a18
mois
etaient tr
es proches dans les 2
etudes (respectivement 16 et 18,6 %).
Cependant, il faut noter que les crit
eres d’inclusion n’
etaient pas tout
a fait les
m^
emes et qu’un certain nombre de patients en moins bon
etat g
en
eral (OMS =
2 ; Karnofski = 70) ont
et
e inclus ; en analyse multivari
ee, le b
en
efice
th
erapeutique paraissait au moins aussi bon chez les sujets les plus fatigu
es.
Cette nouvelle association semble avoir une toxicit
eh
ematologique et g
en
erale
un peu moins marqu
ee.
Comme cela est d
etaill
e dans la mise au point de ce m^
eme num
ero sur
«nanoparticules et cancer du pancr
eas », l’utilisation de nanoparticules
d’albumine li
ees au paclitaxel permet d’
eviter l’utilisation de solvants du
paclitaxel, potentiellement toxiques ; l’albumine, un transporteur naturel des
mol
ecules hydrophobes dans l’organisme, favorisant le transport du paclitaxel
a
travers les cellules endoth
eliales, permet un meilleur ciblage de la tumeur et
pr
esente de plus une affinit
e particuli
ere avec une prot
eine du stroma, secr
et
ee
par les fibroblastes activ
es, appel
ee SPARC (secreted protein acid and rich in
cystein). SPARC serait surexprim
ee au niveau des fibroblastes p
eritumoraux dans
30
a 70 % des ad
enocarcinomes pancr
eatiques [5] :ila
et
e montr
e que la
surexpression de SPARC est un facteur pronostique p
ejoratif dans les cancers du
pancr
eas mais que c’
etait aussi un facteur pr
edictif de r
eponse
a l’association
gemcitabine nab-paclitaxel [6]. On attend avec int
er^
et les r
esultats de l’essai
de phase III MPACT en fonction de l’expression de SPARC dans la tumeur :
cette combinaison pourrait devenir le standard de prise en charge dans un sous-
groupe de patients identifi
es par un marqueur biologique au niveau de la
tumeur.
‘‘ La surexpression de SPARC (secreted protein acid and rich in
cystein) est un facteur pronostique pe´ joratif mais e´ galement
un facteur pre´dictif de re´ponse a` l’association gemcitabine
nab-paclitaxel’’
486 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 20 n87, septembre 2013
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
La gemcitabine pourrait
egalement devenir une « chimioth
erapie cibl
ee » avec
la mise en
evidence, en situation adjuvante, de l’importance de l’expression
de son transporteur transmembranaire hENT1 sur la pi
ece de pancr
eatectomie
[7]. Il n’a pas
et
e possible, pour l’instant, d’extrapoler ces r
esultats en
situation m
etastatique. La cytidine-d
eaminase (CDA), enzyme responsable de
l’
elimination h
epatique de la gemcitabine, dont le d
eficit peut en expliquer les
toxicit
es s
ev
eres [8], fait l’objet actuellement d’une
evaluation dans un essai
national (FFCD 1004). Le nab-paclitaxel r
eduirait les taux de CDA chez l’animal et
pourrait ainsi augmenter l’activit
e antitumorale de la gemcitabine [9]
‘‘ La gemcitabine pourrait devenir une «chimiothe´ rapie
cible´e »avec la mise en e´vidence, en situation adjuvante,
de l’importance de l’expression de son transporteur transmembranaire
hENT1 sur la pie`ce de pancre´atectomie’’
En situation adjuvante,
ac
^
ot
e de la gemcitabine, l’association 5FUacide folinique
permet elle aussi de doubler l’esp
erance de survie
a 5 ans (de 10
a20%).La
recherche de facteurs pr
edictifs d’efficacit
e du 5FU est moins avanc
ee que pour la
gemcitabine. L’essai qui vient de d
ebuter en France (PRODIGE 24) compare la
gemcitabine
a la trichimioth
erapie FOLFIRINOX. Les donn
ees rapport
ees sur le
polymorphisme g
en
etique de la thymidine synth
etase et de MTHFR sur l’efficacit
e
et la toxicit
e du 5FU et de l’oxaliplatine dans les cancers colorectaux [10] m
eriteront
d’^
etre analys
ees et confirm
ees dans le cancer du pancr
eas.
Apr
es une longue p
eriode d’accalmie, les progr
es dans les traitements
syst
emiques du cancer du pancr
eas m
etastatique ont repris avec l’av
enement
du FOLFIRINOX en 2011, et cette ann
ee d’une nouvelle association gemcitabine
nab-paclitaxel. Ces progr
es devraient permettre d’am
eliorer les r
esultats en
situation adjuvante. Ces anciennes mol
ecules, gr^
ace
a la description de
marqueurs d’efficacit
e, pourraient entrer dans une nouvelle vie de (chimio)
th
erapie cibl
ee. Il est probable que dans un avenir proche on pourra envisager un
traitement «
a la carte » en fonction des caract
eristiques biologiques de la
tumeur (sensibilit
eour
esistance
a la gemcitabine, au 5FU,
a l’oxaliplatine,
a l’irinotecan ou au nab-paclitaxel, etc.). Pour l’instant, les r
esultats des
bioth
erapies restent d
ecevants.
‘‘ Apre`s une longue pe´riode d’accalmie, les progre`s dans les
traitements syste´miques du cancer du pancre´as me´tastatique
ont repris avec l’ave` nement du FOLFIRINOX en 2011, et cette anne´e
d’une nouvelle association gemcitabine nab-paclitaxel’’
Liens d’int
er^
ets : Les auteurs d
eclarent ne pas avoir de liens d’int
er^
ets en rapport
avec cet article. &
Re´fe´rences
Les r
ef
erences importantes apparaissent en gras.
1. , Burris 3
rd
. HA, Moore MJ, Anderrsen J, et al. Improvements in survival and
clinical benefit with gemcitabine as first-line therapy for patients with advanced
pancreas cancer: a randomized trial. J Clin Oncol 1997 ; 15 : 2403-13.
2. Dahan L, Bonnetain F, Ychou M, et al. F
ed
eration Francophone de
Canc
erologie Digestive. Combination 5-fluorouracil, folinic acid and cisplatin
(LV5FU2-CDDP) followed by gemcitabine or the reverse sequence in metastatic
pancreatic cancer: final results of a randomised strategic phase III trial (FFCD
0301). Gut 2010 ; 59 : 1527-34.
3. Conroy T, Desseigne F, Ychou M, et al. FOLFIRINOX versus gemcita-
bine for metastatic pf lipidancreatic cancer. NEnglJMed2011 ; 364 :
1817-25.
4. Von Hoff DD, Arena FP, Chiorean EG, et al. Randomized phase III
study of weekly nab-paclitaxel plus gemcitabine versus gemcitabine
487
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 20 n87, septembre 2013
Editorial
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
alone in patients with metastatic adenocarcinoma of the pancreas
(MPACT). Gastrointestinal Cancers Symposium 2013 ; Abstract LBA148.
5. Infante JR, Matsubayashi H, Sato N, et al. Peritumoral fibroblast
SPARC expression and patient outcome with resectable pancreatic
adenocarcinoma. J Clin Oncol 2007 ; 25 : 319-25.
6. Von Hoff DD, Ramanathan RK, Borad MJ, et al. Gemcitabine plus nab-
paclitaxel is an active regimen in patients with advanced pancreatic
cancer: a phase I/II trial. J Clin Oncol 2011 ; 29 : 4548-54.
7. Mar
echal R, Bachet JB, Mackey JR, et al. Levels of gemcitabine transports and
metabolism proteins predict survival times of patients treated with gemcitabine
for pancreatic adenocarcinoma. Gastroenterology 2012 ; 143 : 664-74.
8. Ciccolini J, Dahan L, Andr
eN,et al. Cytidine deaminase residual activity in
serum is a predictive marker of early severe toxicities in adults after gemcitabine-
based chemotherapies. J Clin Oncol 2010 ; 28 : 160-5.
9. Frese KK, Neesse A, Cook N, et al. nab-Paclitaxel potentiates
gemcitabine activity by reducing cytidine deaminase levels in a
mouse model of pancreatic cancer. Cancer Discovery 2012 ; 23 :
260-9.
10. Boige V, Mendiboure J, Pignon JP, et al. Pharmacogenetic assesment
of toxicity and outcome in patients with metasttic colorectal cancer treated
with LV5FU2, FOLFOX and FOLFIRI: FFCD 2000-05. JClinOncol2010 ; 28 :
2556-64.
488 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 20 n87, septembre 2013
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
1 / 4 100%