Chapitre 19 Réduction des endomorphismes et des matrices

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Chapitre 19
Réduction des endomorphismes et des
matrices carrées
19.1 Changements de bases
Le but de ce paragraphe est d’établir des formules de changement de base, pour des vecteurs ou des applications linéaires, à l’aide du calcul matriciel.
19.1.1 Matrices de passage
On se donne E un K-ev de dimension finie égale à n ∈ N∗ .
Définition 19.1 Matrice de passage d’un base à une autre
Soient B1 et B2 deux bases de E. On appelle matrice de passage de B1 à B2 la matrice :
P B1 −→B2 = MatB1 (B2 ) ∈ Mn (K)
Si B1 = (e 1 , . . . , e n ), B2 = (ε1 , . . . , εn ) et P = ((p i j ))1≤i ,j ≤n on a donc :
ε1
↓

p 11
 ..
 .
P B1 −→B2 = 
 pi 1

 ..
 .
p n1
...
εj
↓
p 1j
..
.
...
...
pi j
..
.
...
...
pn j
...
...
et en particulier :
...
εn
↓

p 1n ←
.. 
. 

pi n 
 ←
.. 
. 
e1
..
.
←
en
p nn
ei
..
.
n
∀ j ∈ 1, n ,
εj =
.
pi j ei
i =1
Remarquons qu’une matrice de passage est inversible. Réciproquement toute matrice
inversible est une matrice de passage.
Exemple : Si B est une base de E, on a : P B−→B = I n .
411
412
CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
Exemple : Si E = R3 [X ], B1 =(1, X , X 2 , X 3 et B2 = 1, X − 1, (X − 1)2 , (X − 1)3 alors
1 −1 1 −1


0
1 −2 3 

P B1 −→B2 = 
.
1 −3
0 0
0 0
0
1
Voici le résultat principal du paragraphe.
Théorème 19.2 Interprétation d’une matrice de passage
En considérant l’application linéaire idE : (E, B2 ) −→ (E, B1 ), on a :
P B1 −→B2 = Mat(idE , B2 , B1 )
On en déduit deux résultats très importants.
Corollaire 19.3 Produit de matrices passages
1. Soient B1 , B2 et B3 trois bases de E. Alors :
P B1 −→B3 = P
B1 −→ B2
×P
B2 −→B3
2. Soient B1 et B2 deux bases de E. Alors P B1 −→B2 est inversible et :
P B1 −→B2
−1
= P B2 −→B1
19.1.2 Formules de changement de bases
Commençons par le cas d’une famille de vecteurs.
Théorème 19.4 Formule de changement de base pour une famille de vecteurs
On se donne E un K-espace vectoriel de dimension finie, et B1 , B2 deux bases de E.
1. Cas d’un vecteur. Si x ∈ E, on pose X = Mat(x), X ′ = Mat(x) et P = P B1 −→B2 . Alors :
B1
X =P ×X′
B2
X ′ = P −1 × X
2. Cas d’une famille de vecteurs. Si F est une famille de vecteurs de E, on pose
M = Mat(F ), M ′ = Mat(F ) et P = P B1 −→B2 . Alors :
B1
B2
M = P × M′
M ′ = P −1 × M
Étudions maintenant la cas d’une application linéaire.
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19.1. CHANGEMENTS DE BASES
413
Théorème 19.5 Formule de changement de base pour une application linéaire
On se donne E et F deux K-espaces vectoriels de dimension finie, et B1 , B2 (resp. C 1 , C 2 )
deux bases de E (resp. de F).
1. Cas général. Si f ∈ L (E, F), on pose A = Mat( f , B1 , C 1 ), A ′ = Mat( f , B2 , C 2 ),
P = P B1 −→B2 et Q = P C 1 −→C 2 . Alors :
A = P × A ′ ×Q −1
et
A ′ = P −1 × A ×Q
Cas d’un endomorphisme. Si f ∈ L (E, F), on pose A = Mat( f ), A ′ = Mat( f ) et
B1
P = P B1 −→B2 . Alors :
A = P × A ′ × P −1
et
B2
A ′ = P −1 × A × P
19.1.3 Matrices carrées semblables
Définition 19.6 Matrices carrées semblables
Soient A, B ∈ Mn (K). On dit que A est semblable à B, lorsqu’il existe P ∈ Mn (K) inversible
telle que :
A = P BP −1
Si A et B ∈ Mnp (K) vérifient A = P BQ −1 où P ∈ Mn (K) et Q ∈ Mp (K) sont inversibles, on
dit que A est équivalente à B. Cette notion n’est pas au programme d’ECS et ne sera donc
pas étudiée ici.
Proposition 19.7 Interprétation de la similitude de deux matrices
Soient A, B ∈ Mn (K). Alors :
A et B sont semblables ⇐⇒ A et B représentent le même endomorphisme dans
des bases différentes
Proposition 19.8 Propriétés élémentaires de la relation de similitude
Soient A, B et C ∈ Mn (K).
1. Réfléxivité. A est semblable à A
2. Symétrie A est semblable à B ⇐⇒ B est semblable à A.
On peut donc dire que A et B sont semblables.
3. Transitivité A semblable à B et B semblable à C =⇒ A semblable à C .
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414
CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
Théorème 19.9 Produit matriciel et matrices semblables
Soient A, B ∈ Mn (K) semblables. On se donne P ∈ Mn (K) inversible telle que A = P ×B ×P −1 .
1. On a :
∀k ∈ N,
A k = P × B × P −1
k
= P × B k × P −1
donc pour tout k ∈ N, A k et B k sont semblables.
2. A est inversible ⇐⇒ B est inversible.
k
Dans ce cas, on a : ∀k ∈ Z, A k = P × B × P −1 = P × B k × P −1 .
Et donc pour tout k ∈ Z, A k et B k sont semblables.
� ATTENTION : la relation de similitude n’est pas stable par addition ou produit matriciel. . .
19.2 Réduction des endomorphismes et des matrices carées
Soient E un K-espace vectoriel de dimension finie n ∈ N∗ et f ∈ L (E).
On aimerait trouver une base B = (e 1 , . . . , e n ) de E telle que Mat( f ) est diagonale (ie la
B
plus simple possible !).
Remarquons que si une telle base existe, alors Mat( f ) = Diag(λ1 , . . . , λn ) et on a :
B
∀i ∈ 1, n ,
f (e i ) = λi .e i
Cette remarque motive les définitions du paragraphe suivant. Les λi seront appelées valeurs propres de f , et les e i vecteurs propres de f .
19.2.1 Éléments propres d’un endomorphisme
Définition 19.10 Valeur propre, spectre, vecteur propre, sous-espace propre
1. Valeur propre. Soit λ ∈ K. On dit que λ est valeur propre de f lorsqu’il existe x ∈ E tel
que :
f (x) = λ.x et x = 0E
L’ensemble des valeurs propres de f est appelé spectre de f . On le note Sp( f ).
2. Vecteur propre. Soit λ une valeur propre de f . On appelle vecteur propre de f associé
à λ, tout x ∈ E tel que :
f (x) = λ.x et x = 0E
3. Sous-espace propre. Si λ est une valeur propre de f , on appelle sous-espace propre de
f associé à λ :
Eλ ( f ) = Ker( f − λ.idE ) = x ∈ E f (x) = λ.x
C’est un sous-espace vectoriel de E, composé du vecteur nul et de tous les vecteurs
propres de f associés à la même valeur propre λ.
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19.2. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARÉES
415
Exemple : Soit f ∈ L (R3 ) défini par f (x, y, z) = (x + y, x + z, y + z). On a f (1, 1, 1) = 2.(1, 1, 1)
donc 2 ∈ Sp( f ), et on voit facilement que 0 ∉ Sp( f ).
Exemple : Si n ∈ N et D est l’endomorphisme de dérivation de Kn [X ], on a Sp(D) = {0} et
E 0 (D) = K0 [X ].
Exemple : Pour tout λ. ∈ K, Sp(λ.idE ) = {λ}.
En particulier Sp(idE ) = {1} et Sp(0L (E) ) = {0K }.
Exemple : Si p est un projecteur de E, alors Sp(p) ⊆ {0, 1}.
Théorème 19.11 Caractérisation des valeurs propres
Soit λ ∈ K. On a équivalence des propositions :
(i) λ ∈ Sp( f )
(ii) Ker( f − λ.idE ) = {0E }
(iii) dim Ker( f − λ.idE ) ≥ 1
(iv) f − λ.idE n’est pas un automorphisme de E
(v) rg( f − λ.idE ) < n
Proposition 19.12 Cas particulier de la valeur propre 0
On a :
0 est valeur propre de f ⇐⇒ f est un automorphisme de E
et dans ce cas E0 ( f ) = Ker( f ).
Étudions maintenant les liens reliants des sous-espaces propres associés à des valeurs
propres différentes.
Théorème 19.13 Propriétés de sous-espaces propres associés à des valeurs propres
différentes
1. Si (λ, µ) ∈ K2 sont tels que λ = µ, alors Ker f − λ.idE ∩ Ker f − µ.idE = {0E }.
En particulier si λ et µ sont deux valeurs propres de f distinctes, alors Eλ ( f ) ∩ Eµ ( f ) =
{0E }. Deux sous-espaces propres associés à deux valeurs propres distinctes sont donc
en somme directe.
2. Si x 1 , . . . , x p sont des vecteurs de f associés à des valeurs propres deux à deux distinctes, alors la famille (x 1 , . . . , x p ) est libre.
On en déduit un résultat très important sur le nombre de valeurs propres d’un endomorphisme (en dimension finie).
Corollaire 19.14 Cardinal du spectre d’un endomorphisme
Sp( f ) est un ensemble fini et :
Card Sp( f ) ≤ dim(E)
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CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
� ATTENTION : ce résultat est faux en dimension infinie. Considérer le R-espace vectoriel des fonction dérivables sur R et l’endomorphisme D de dérivation. Alors Sp(D) = R.
Le résultat suivant sera admis.
Théorème 19.15 Juxtaposition de bases de sous-espaces propres associés à des valeurs
propres distinctes
Si λ1 , . . . , λp sont des valeurs propres de f deux à deux distinctes, et si B1 , . . . , Bp sont des
bases respectives des sous-espaces propres Eλ1 ( f ), . . . , Eλp ( f ), alors la famille B1 ∪ B2 ∪ · · · ∪
Bp est libre.
On en déduit une propriété très importante sur la dimension des sous-espaces propres
associés à un un endomorphisme (en dimension finie).
Corollaire 19.16 Dimension des sous-espaces propres
On a :
Card Sp( f ) ≤
dim Eλ ( f ) ≤ dim(E)
λ∈Sp( f )
Autrement dit, si Sp( f ) = {λ1 , . . . , λp }, alors :
p
p≤
k=1
dim Eλk ( f ) ≤ dim(E)
19.2.2 Endomorphismes diagonalisables
Définition 19.17 Endomorphismes diagonalisables
f est dit diagonalisable lorsqu’il existe une base B de E dans laquelle Mat( f ) est diagonale.
B
Une telle base B est dite base de diagonalisation de f . On dit aussi que B diagonalise f .
Exemple : Pour tout λ ∈ K, l’endomorphisme λ.idE est diagonalisable.
Exemple : Si p est un projecteur de E, alors E est diagonalisable.
Rappelons la remarque faite en début de section.
Proposition 19.18 Propriétés d’une base de diagonalisation
Si B est une base de E qui diagonalise f alors les vecteurs de la famille caB sont des vecteurs
propres de f , et les coefficients diagonaux de Mat( f ) sont des valeurs propres de f .
B
Ce résultat est en fait une équivalence.
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19.2. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARÉES
417
Théorème 19.19 Critère de diagonalisabilité
f est diagonalisable si, et seulement si, il existe B base de E formée de vecteurs propres de
f.
Ce n’est pas au programme de première année : si E est de dimension infinie, on dira que
f ∈ L (E) est diagonalisable lorsqu’il existe B base de E formée de vecteurs propres de f (on
ne peut pas utiliser de matrice en dimension infinie. . .).
En pratique, on doit donc déterminer les vecteurs propres de f , et en exhiber une base
diagonalisante. Pour ce point, les calculs sont longs, on préfère donc utiliser le critère suivant
basé sur la dimension.
Théorème 19.20 Second critère de diagonalisabilité
f est diagonalisable si, et seulement si :
dim Eλ ( f ) = dim(E)
λ∈Sp( f )
Autrement dit, si Sp( f ) = {λ1 , . . . , λp }, alors f est diagonalisable si, et seulement si :
p
k=1
dim Eλk ( f ) = dim(E)
Dans ce cas, une base diagonalisante est obtenue en juxtaposant une base de chaque sousespace propre.
En pratique, on procède donc ainsi :
- on détermine les valeurs propres de f ;
- pour chaque valeur propre on calcule la dimension du sous-espace propre associé ;
- on conclut si f est diagonalisable ou ne l’est pas ;
- si ou, la juxtaposition d’une base de chaque sous-espace propre donne une base de diagonalisation de f (il ne faut pas le démontrer, cela a été fait dans le théorème précédent).
Les calculs restent tout de même longs. . .On se place donc souvent dans le cas particulier
suivant, qui abrège les calculs.
Corollaire 19.21 Condition suffisante de diagonalisabilité
Si n = dim(E) et si Card Sp( f ) = n, ie f a n valeurs propres distinctes, alors f est diagonalisable, et ses sous-espaces propres sont des droites vectorielles.
Exemple : f ∈ L (C2 ) défini par f (x, y) = (3x + y, x + 3y) (calculer f (1, 1) et f (1, −1)).
Terminons par le cas des endomorphismes n’ayant qu’une seule valeur propre.
Proposition 19.22 Endomorphisme n’ayant qu’une seule valeur propre
Si Sp( f ) = {λ}, alors f est diagonalisable si, et seulement si, f = λ.idE .
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CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
� ATTENTION : à priori, il est possible de trouver un endomorphisme f ∈ L (E) qui n’ait
aucune valeur propre, c’est-à-dire tel que Sp( f ) = .
Pour un R-ev c’est possible en dimension finie :
considérer f ∈ L (R2 ) défini par f (x, y) = (y, −x).
Pour un C-ev ce n’est possible qu’en dimension infinie :
considérer f ∈ L (C[X ]) défini par f (P ) = X .P .
L’existence d’une valeur propre dans le cas d’un C-ev de dimension finie est traitée dans le
paragraphe suivant.
19.2.3 Éléments propres d’une matrice carrée
Définition 19.23 Éléments propres d’une matrice carrée
Soit A ∈ Mn (K).
1. Valeur propre. Soit λ ∈ K. On dit que λ est valeur propre de A lorsqu’il existe X ∈
Mn,1 (K) tel que :
AX = λ.X et X = 0n,1
L’ensemble des valeurs propres de A est appelé spectre de A. On le note Sp(A).
2. Vecteur propre. Soit λ une valeur propre de A. On appelle matrice colonne propre de
A associé à λ, tout X ∈ Mn,1 (K) tel que :
AX = λ.X
et X = 0n,1
3. Sous-espace propre. Si λ est une valeur propre de A, on appelle sous-espace propre de
A associé à λ :
Eλ (A) = Ker(A − λ.I n ) = X ∈ Mn,1 (K) AX = λ.X
C’est un sous-espace vectoriel de Mn,1 (K), composé de la matrice colonne nulle et de
toutes les matrices colonnes propres de A associés à la même valeur propre λ.
Examinons le lien avec les éléments propres d’un endomorphisme.
Proposition 19.24 Lien avec les éléments propres d’un endomorphisme
Soit A ∈ Mn (K), B une base de E et f ∈ L (E) tels que n = dim(E) et A = Mat( f ).
B
1. Si λ ∈ K, alors :
λ est valeur propre de A ⇐⇒ λ est valeur propre de f
On a donc : Sp(A) = Sp( f ).
2. Soit λ ∈ Sp(A). Si X ∈ Mn1 (K) on note x le vecteur de E tel que X = Mat(x). Alors :
B
X est vecteur propre de A associé à la valeur propre λ
⇐⇒ x est vecteur propre de f associé à la valeur propre λ
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19.2. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARÉES
419
Le point fort de ce résultat est qu’il est vrai dans toute base B de E. La plupart du temps,
f est l’endomorphisme canoniquement associé à A, ie E = Kn et B est la base canonique de
Kn .
Pour alléger les notations, on considère parfois que Kn = Mn,1 (K) en identifiant vecteurs
et matrices colonnes. Dans cas, on peut dire que Eλ(A) = Eλ ( f ). Dans ce cours, nous ne ferons
pas ce genre d’identification pour éviter toute confusion.
Puisque Mn (R) ⊆ Mn (C), on a donc deux notions de spectre pour une matrice A de
Mn (R) : le spectre réel noté SpR (A) et le spectre complexe noté SpC (A). Ils vérifient :
SpR (A) ⊆ SpC (A)
Donnons les résultats principaux sur le nombre de valeurs propres d’une matrice.
Théorème 19.25 Nombre de valeurs propres d’une matrice
1. Toute matrice de Mn (K) admet au plus n valeurs propres.
2. Tout matrice de Mn (C) admet au moins une valeur propre complexe.
En particulier toute matrice de Mn (R) admet au moins une valeur propre complexe.
Si A ∈ Mn (R) on a donc SpC (A) = .
� ATTENTION : si A ∈ Mn (R) on peut avoir SpR (A) =
0 1
.
−1 0
. Considérer par exemple A =
Nous en déduisons un résultat déjà énoncé sur les endomorphismes d’un C-ev de dimension finie.
Corollaire 19.26 Existence de valeur propres pour un endomorphisme sur un C-ev de
dimension finie
Si E est un C-ev de dimension finie et si f ∈ L (E), alors Sp( f ) = .
Donnons maintenant le résultat qui permet de déterminer en pratique les éléments propres
d’une matrice.
Théorème 19.27 Caractérisation des valeurs propres
Soient λ ∈ K et A ∈ Mn (K). On a équivalence des propositions :
(i) λ ∈ Sp(A)
(ii) Ker(A − λ.I n ) = {0n,1 }
(iii) dim Ker(A − λ.I n ) ≥ 1
(iv) A − λ.I n n’est pas inversible
(v) rg(A − λ.I n ) < n
En pratique ce sont les points (i v ) et (v ) qui sont généralement utilisés.
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420
CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
Proposition 19.28 Cas particulier de la valeur propre 0
Soit A ∈ Mn (K). On a :
0 est valeur propre de A ⇐⇒ A est inversible
et dans ce cas E0 (A) = Ker(A).
On en déduit le résultat très important suivant, qui permet de déterminer le spectre d’une
matrice triangulaire sans aucun calcul.
Corollaire 19.29 Spectre d’une matrice triangulaire
Si A ∈ Mn (K) est triangulaire, alors son spectre coïncide avec ses coefficients diagonaux.
Exemple : Déterminer le spectre de l’endomorphisme de dérivation sur Kn [X ].
Un dernier résultat sur le spectre de deux matrices semblables.
Théorème 19.30 Spectre de deux matrices semblables
Deux matrices semblables ont le même spectre.
� ATTENTION : par contre elles n’ont pas les mêmes vecteurs propres associés (et donc
n’ont pas non plus les mêmes sous-espaces propres associés).




−1 0 1
2 0 1
Exemple : A =  0 2 1 et B = 0 −1 1 ne sont pas semblables.
0 0 0
0 0 2
19.2.4 Matrices carrées diagonalisables
Dans cette section, on fixe A ∈ Mn (K).
Définition 19.31 Matrice carrée diagonalisable
On dit que A est diagonalisable lorsqu’elle est semblable à une matrice diagonale, ie lorsque
A = P DP −1 où D ∈ Mn (K) est diagonale et P ∈ Mn (K) est inversible.
Dans ce cas, les coefficients diagonaux de D sont valeurs propres de A, et les colonnes de
P sont matrices colonnes propres de A.
Voici le principal résultat.
Théorème 19.32 Lien entre matrice et endomorphisme diagonalisable
Soit B une base de E, et f ∈ L (E) tels que n = dim(E) et Mat( f ) = A. Alors :
B
A est diagonalisable ⇐⇒ f est diagonalisable
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19.2. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARÉES
421
Notons que la base de E peut être choisie quelconque.
Donnons le résultat permettant de diagonaliser une matrice.
Théorème 19.33 Critère de diagonalisabilité d’une matrice carrée
1. On a :
dim Eλ (A) ≤ n
λ∈Sp(A)
2. A est diagonalisable si, et seulement si :
dim Eλ (A) = n
λ∈Sp(A)
Autrement dit, si Sp(A) = {λ1 , . . . , λp }, alors A est diagonalisable si, et seulement si :
p
k=1
dim Eλk (A) = n
Dans ce cas, une matrice inversible P telle que P −1 AP est diagonale est obtenue en
juxtaposant sur ses colonnes une base de chaque sous-espace propre. La matrice diagonale D = P −1 AP est alors obtenu en plaçant sur la diagonale les valeurs propres,
dans le même ordre que les vecteurs propres ont été placés sur les colonnes de P . Une
valeur propre λk est donc répétée νk = dim Eλk (A) fois.
Corollaire 19.34 Condition suffisante de diagonalisabilité
Si A ∈ Mn (K) et si Card Sp(A) = n, ie A a n valeurs propres distinctes, alors A est diagonalisable, et ses sous-espaces propres sont des droites vectorielles.
Exemple : L’endomorphisme ϕ de Rn [X ] défini par ϕ(P ) = (X − 1)P ′ est diagonalisable.
19.2.5 Méthodes pratiques de réduction
19.2.5.1 Méthode brutale
Si f ∈ L (E), on fixe B base de E et on pose A = Mat( f ). On est donc ramenée à la réducB
tion d’une matrice carrée A ∈ Mn (K).
1. On commence par déterminer Sp(A) : pour cela on détermine rg(A − λ.I n ) en fonction de
λ ∈ K. Les valeurs propres sont les valeurs de λ pour lesquelles rg(A − λ.I n ) = n.
2. Pour chaque λ ∈ K, on détermine une base de
λ (A). Cela revient à résoudre le système
 E
x1
 .. 
linéaire homogène (A − λ.I n ).X = 0n,1 avec X =  . . On donne une base de l’ensemble des
solutions.
xn
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422
CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
3. Les calculs sont terminés ; il reste à conclure. Le point 2. donne aussi dim Eλ (A) . On
dim Eλ (A) . Si on trouve un nombre strictement inférieur à n, alors A
calcule donc
λ∈Sp(A)
n’est pas diagonalisable. Si on trouve que ce nombre vaut n, alors A est diagonalisable et on
continue.
4. Dans le cas où A est diagonalisable, on construit une matrice P en juxtaposant sur ses
colonnes une base de chaque sous-espace propre. Elle est inversible puisque c’est la matrice
de passage entre deux bases. La matrice D = P −1 AP est alors diagonale, sur sa diagonale
se trouvent les valeurs propres, dans le même ordre que ceux des vecteurs propres sur les
colonnes de P . Une valeur propre λ est donc répétée ν = dim Eλ (A) fois.


3
3 2
3 2 vérifie Sp(A) = {0, 4} et n’est pas diagonalisable.
Exemple : A =  3
−1 −1 2


0 0 1
Exemple : A = 1 1 −1 vérifie Sp(A) = {0, 1} et est diagonalisable.
0 0 1
19.2.5.2 Méthode du polynôme annulateur
n
Soit P (X ) =
k=0
b k X k ∈ K[X ]. Pour A ∈ Mn (K), on pose :
n
P (A) =
k=0
et pour f ∈ L (E) :
b k A k ∈ Mn (K)
n
P(f ) =
k=0
b k f k ∈ L (E)
Définition 19.35 Polynôme annulateur
1. On dira que P est annulateur de A lorsque P (A) = 0n .
2. On dira que P est annulateur de f lorsque P ( f ) = 0L (E) .
� ATTENTION : on ne peut pas dire que A (resp. f ) est racine de P ! ! En effet, par définition, les racines d’un polynômes sont des scalaires de K, et ici A ∈ M n (K) (resp. f ∈ L (E)).
Tout ce qui a été dit sur les racines des polynômes ne s’applique pas ici. Par exemple le polynôme X 2 − X est de degré 2 et on peut trouver une infinité de matrice A (resp. d’endomorphismes f ) tel(le)s que P (A) = 0n (resp. P ( f ) = 0L (E) ).
Nous allons voir qu’un polynôme annulateur est utile pour déterminer les valeurs propres.
Définition 19.36 Spectre et polynôme annulateur
On note Z (P ) l’ensemble des racines dans K de P .
1. Si P est annulateur de A, alors Sp(A) ⊆ Z (P ).
2. Si P est annulateur de f , alors Sp( f ) ⊆ Z (P ).
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19.2. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARÉES
423
Malheureusement cela ne donne pas directement les valeurs propres. Mais cela réduit
très fortement le nombre de candidats, puisqu’un polynôme (non nul) a un nombre de racines inférieur ou égal à son degré.
Pour savoir quelle sont les valeurs propres, on peut par exemple déterminer une base de
Ker(A − λ.I n ) (resp. Ker( f − λ.i d E )) pour chaque λ ∈ Z (P ). Si on trouve que cette espace est
réduit à {0n,1 } (resp. {0E }), c’est que λ n’est pas une valeur propre. On est alors ramené au
point 3. du paragraphe précédent.


0 −1 2
0 . Vérifier que A 3 + A 2 − 2A = 0n . En déduire que A est diagoExemple : Soit A = 0 1
1 1 −1
nalisable.
19.2.5.3 Réduction partielle grâce des sev supplémentaires stables
Parfois, on essaye juste de trouver la matrice la plus simple possible, sans parvenir à une
matrice diagonale.
Supposons que E = F ⊕ G avec F et G stables par f :
f (x) ∈ F
∀x ∈ F,
et
∀x ∈ G,
f (x) ∈ G
Dans ce cas si on considère une base B de E adaptée à la somme directe (ie B = BF ∪BG
avec BF base de F et BG base de G), alors :
Mat( f ) =
B
0p,n−p
B
A
0n−p,p
où p = dim(F), A = Mat f |F et B = Mat f |G .
BF
BG
Exemple : Projecteur. Si A ∈ Mn (K) est une matrice de projecteur alors A est semblable à :

Ip
0n−p,p
0p,n−p
0n−p




=





1
..









.
1
0
..
.
0
où p = rg(A).
Exemple : Symétrie. Si A ∈ Mn (K) est une matrice de symétrie alors A est semblable à :
Ip
0n−p,p
0p,n−p
−I n−p

1
 ..

.


1
=

−1


..

.










−1
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424
CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
où p = rg(A + I p ).


1 ... 1
.
.
Exemple : Matrice dont le rang est « petit ». A =  .. 0n−2 .. . Montrer que R n = Ker(A) ⊕
1 ... 1
Vect(u 1 , u 2 ) où u 1 = (1, 1, . . . , 1) et u 2 = (1, 0, . . . , 0, 1). En déduire que A est semblable à la matrice :

 

0
0
0
0
0

..
.. 
.. 
..

..

.
0
.
. 
. 
.
n−2

 




=

0
0  
0
0
0 




2
2 
2
2   0 ... 0
 0 ... 0
0
...
0 ... 0 n −2 0
0 n −2 0
19.3 Applications de la diagonalisabilité
19.3.1 Puissances d’une matrice carrée
C’est la principale application. Si A ∈ Mn (K) est semblable à une matrice diagonale D =
Diag(λ1 , . . . , λn ) :
A = P DP −1 avec P ∈ Mn (K) inversible
alors on a :
∀k ∈ N,
Exemple : Si A =
que :
A k = P D k P −1
où D k = Diag(λk1 , . . . , λkn )
3 −4
5 0
−2 1
alors A = P DP −1 avec D =
et P =
. On en déduit
−2 1
0 −1
1 1
∀n ∈ N,
An =
1 2 × 5n + (−1)n −2 × 5n + 2 × (−1)n
n
n
5n + 2 × (−1)n
3 −5 + (−1)
19.3.2 Suites récurrentes couplées
Si (u n )n∈N et (v n )n∈N sont deux suites à valeurs dans K telles que :
∀n ∈ N,
u n+1 = au n + bv n
v n+1 = cu n + d v n
avec (a, b) ∈ R2 , on se ramène à l’étude d’une suite de matrices colonnes.
Pour cela on pose, pour tout n ∈ N, X n =
∀n ∈ N,
un
et on remarque que :
vn
X n+1 = AX n
avec
A=
a b
c d
On en déduit que :
∀n ∈ N,
X n = An X 0
et le calcul de A n par réduction permet donc de calculer les termes généraux u n et v n en
fonction de n.
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19.3. APPLICATIONS DE LA DIAGONALISABILITÉ
425
On peut bien évidemment généraliser à un nombre quelconque de suites.
Exemple : Déterminer le terme général des suites (u n )n∈N et (v n )n∈N définies par u 0 = 0, v 0 =
1 et :
u n+1 = 3u n − 4v n
∀n ∈ N,
v n+1 = −2u n + v n
19.3.3 Suites récurrentes linéaires
On peut aussi se ramener à l’étude d’une suite d’ordre 1 de matrices colonnes.
Par exemple si (u n )n∈N vérifie :
∀n ∈ N,
u n+3 = au n+2 + bu n+1 + cu n

un
on pose X n = u n+1  et on remarque que :
u n+2


∀n ∈ N,
On a alors :
X n+1 = AX n
avec

0 1 0
A = 0 0 1 
c b a

∀n ∈ N,

 
un
u0
n
n 


X n = u n+1 = A X 0 = A u 1
u n+2
u2
Le calcul de A n par réduction permet donc de calculer le terme général u n en fonction
de n.
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426
CHAPITRE 19. RÉDUCTION DES ENDOMORPHISMES ET DES MATRICES CARRÉES
19.4 Exercices
Exercice 19.1 Les matrices suivantes sont-elles diagonalisables dans R ou dans C ? Si oui,
les diagonaliser.


0 1 0
A =  0 0 1
1 −1 1
Exercice 19.2 Soient A =
M2 (R) ?


0 −1 2
0 .
B = 0 1
1 1 −1
−5 3
et n ∈ N∗ . L’équation X n = A a-t-elle une solution X ∈
6 −2
Exercice 19.3 Soit n ∈ N. On considère l’application :
u : Rn [X ] −→ Rn [X ]
P
−→ (X − 1)P ′ − X P ′′
1. Montrer que u est un endomorphisme de Rn [X ], et déterminer sa matrice relativement
à la base canonique de Rn [X ].
2. u est-il diagonalisable ?
Exercice 19.4 Soit u un endomorphisme de E (où E de dimension finie) vérifiant : u 2 +u =
0 L (E ) .
1. Montrer que Sp(u) ⊂ {−1, 0}.
2. Vérifier que : E = Ker(u) ⊕ Ker(u + IdE ).
3. En déduire que u est diagonalisable.
Exercice 19.5 (Diagonalisation simultanée) Soient A et B deux matrices de Mn [K) qui
commutent. On suppose que A admet n valeurs propres distinctes. Montrer qu’il existe P ∈
Mn (K) inversible telle que P AP −1 et P BP −1 sont diagonales.
Le résultat reste vrai si on suppose seulement A diagonalisable, mais il est plus difficile à démontrer. . .
Exercice 19.6 Soient (n, p) ∈ N∗ , f ∈ L (Rn , Rp ) et g ∈ L (Rp , Rn ).
1. Montrer que f ◦ g et g ◦ f ont les mêmes valeurs propres non nulles.
2. Si n = p, montrer que f ◦ g et g ◦ f ont les mêmes valeurs propres.
Exercice 19.7 Soit n un entier supérieur ou égal à 2 et A ∈ Mn (R), une matrice de terme
général ai ,j défini par :
∀ i ∈ 1, n , a i ,i = i et ∀(i , j ) ∈ 1, n 2 , i = j =⇒ a i ,j = 1

x1
 . 
1. Soit λ ∈ R et X =  ..  ∈ Mn,1 (R). On pose s =

xn
n
k=1
xk . Montrer que :

s
= λx 1



 s
= (λ − 1)x 2
AX = λX si et seulement si
..
.
..

.



s = (λ − n + 1)x n
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19.4. EXERCICES
2. Montrer que si λ est une valeur propre de A, alors
427
n−1
k=0
1
λ−k
= 1.
3. Établir la réciproque de la question précédente, à savoir :
une valeur propre de A.
4. En déduire que A est diagonalisable.
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si
n−1
k=0
1
λ−k
= 1, alors λ est
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