e traitement optimal des cancers infiltrants, notam-
ment des formes localement avancées, reste toujours
à définir même si la cystectomie représente le traite-
ment standard de référence. Il est actuellement tenu pour
acquis que la radiothérapie pré- ou postopératoire n’améliore
pas les résultats. Malgré tous les progrès réalisés ces dernières
années, notamment pour réduire la morbidité et la mortalité de
la chirurgie radicale, plus de 50 % des patients vont dévelop-
per des métastases, habituellement dans les deux ans qui sui-
vent la cystectomie. La plupart de ces récidives sont distales,
un tiers seulement d’entre elles étant localisées au niveau du
pelvis. Les facteurs prédictifs de rechute incluent classique-
ment le stade, la taille de la tumeur, le grade histologique, la
présence d’emboles vasculaires et l’existence d’un envahisse-
ment ganglionnaire (6).Ce dernier, présent dans 40 % à 60 %
des tumeurs de haut grade et des tumeurs de stades T3-T4,
possède un pronostic redoutable. Seuls, en effet, 15 à 20 % des
patients avec une tumeur N+ survivront à 5 ans.
Toutes ces données peuvent faire considérer le cancer de ves-
sie infiltrant comme une maladie à diffusion métastatique
rapide. L’obtention en phase avancée, de taux de réponse éle-
vés, de l’ordre de 50 à 70 % avec des protocoles de polychi-
miothérapies comme le MVAC ou le CMV (cisplatine, métho-
trexate, vinblastine), tant au niveau des métastases que des
tumeurs primaires, a stimulé ces quinze dernières années la
mise en route d’essais de chimiothérapie néoadjuvante dans les
cancers de vessie localisés, avec le triple but d’améliorer la
survie d’une population ayant une probabilité élevée de micro-
métastases à distance, d’augmenter le contrôle local, et éven-
tuellement, de conserver la vessie en cas de réponse majeure à
la chimiothérapie.
Cette chimiothérapie néoadjuvante présente, en outre, le
double avantage de pouvoir tester la sensibilité thérapeutique
(même s’il est difficile après résection transurétrale [RTU] de
pouvoir apprécier la réponse thérapeutique) et d’être mieux
tolérée qu’en situation adjuvante, où son application peut poser
des problèmes. Son principal inconvénient est de retarder
la cystectomie pour des patients non répondeurs, des patients
potentiellement opérables pouvant devenir inopérables.
Cependant, en dépit des résultats prometteurs des premières
études non randomisées, les traitements néoadjuvants
n’avaient toujours pas trouvé de place reconnue dans les can-
cers de vessie infiltrants jusqu’à ce que les résultats de l’étude
du SWOG-Intergroup 0080 (16) posent le problème de savoir
s’il fallait faire du MVAC néoadjuvant le nouveau standard du
cancer de vessie invasif présentant des facteurs de risque de
récidive élevés. Face aux défenseurs de cette position se fon-
dant sur les données objectives de cette étude, des critiques
importantes se sont élevées lors de débats contradictoires à la
session plénière de l’ASCO et de l’AUA de 2001 ; ces cri-
tiques ont été reprises dans un article très polémique de Cora
Sternberg (29) dans le Journal of Oncology de septembre 2001
proposant une analyse minutieuse de la méthodologie, des
résultats de cet essai replacés dans le contexte d’une méta-ana-
lyse des autres études randomisées de la littérature.
LES ÉTUDES RÉTROSPECTIVES ET NON CONTROLÉES
À partir d’une étude rétrospective portant sur plus de
1300 cystectomies avec curage ganglionnaire, réalisées entre
1971 et 1996, Skinner (25) formulait deux conclusions concer-
nant la chimiothérapie : un allongement significatif de l’inter-
valle libre sans rechute et une amélioration de la survie des
patients traités par une chimiothérapie pour des tumeurs de
stade supérieur ou égal à pT3, l’utilité de cette chimiothérapie
pour les tumeurs présentant une mutation de p53.
12
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
MISE AU POINT
Chimiothérapie néoadjuvante
des cancers urothéliaux de vessie invasifs
Un nouveau standard ?
P. Beuzeboc*
*
Assistant au service d'oncologie médicale du Pr Pouillart, Institut Curie,
26, rue d'Ulm, 75005 Paris.
RÉSUMÉ
Les résultats de l’étude Intergroup 0080, rapportés en
2001, ont pointé les feux de l’actualité sur la question
suivante : la chimiothérapie néoadjuvante par trois
cycles de MVAC (méthotrexate, vinblastine, adriamycine,
cisplatine) avant cystectomie peut-elle devenir le
nouveau standard du traitement des cancers de vessie
invasifs localement avancés. À l’effet d’annonce, a fait
suite une analyse approfondie de cet essai et des
autres essais néoadjuvants, qui ne devrait pas conduire
à une modification des pratiques actuelles.
L
De nombreuses études de phase II avaient montré des taux
de réponse importants au niveau de la tumeur primaire. Scher
(22), en 1990, avait revu 43 essais comprenant plus de
1000 patients ayant reçu une chimiothérapie néoadjuvante. Il
s’agissait d’études non contrôlées, avec des effectifs limités
(entre 9 et 49 patients) sauf pour deux d’entre elles ayant
inclus 71 et 100 patients. Les traitements, les tumeurs, les cri-
tères de réponse étaient hétérogènes. Aucune analyse de
l’impact d’une chimiothérapie première ne pouvait être tirée
de cette revue globale tant en ce qui concernait le pourcentage
de patients présentant une réponse complète ou majeure ayant
permis de rendre opérables des tumeurs inopérables initiale-
ment, qu’à l’égardde la proportion de traitements conserva-
teurs rendus possibles. Geller (7) concluait alors à la nécessité
absolue d’essais randomisés.
Au MSKCC (Memorial Sloan Kettering Cancer Center), les
premiers traitements néoadjuvants avant chirurgie ont débuté
en 1985. Scher, en 1988 (21), a rapporté chez 50 patients un
taux de réponse de 63 % avec le MVAC. Dans une série de
111 cancers de vessie avancés localement T2-4 N0 M0,
publiée ultérieurement, la survie à 5 ans était de 54 % (22). En
analyse uniparamétrique, le stade (T) initial (p = 0,0001),
l’existence d’une hydronéphrose (p = 0,007) et d’une masse
palpable (p = 0,008) avaient une signification pronostique. En
analyse multivariée, seuls le stade pT initial et le stade pT
postchimiothérapie conservaient cette signification pronos-
tique. Une association entre le downstaging postchimiothéra-
pie et la survie n’était retrouvée que pour les formes à exten-
sion extra-vésicale : le taux de survie à 5 ans était de 54 % en
cas de downstaging versus 12 % dans le cas contraire. Avec
une médiane de suivi de 5,3 ans, la survie à 5 ans était de 52 %
(60 % pour les T2, 58 % pour les T3a, 35 % pour les T3b-T4),
similaire aux taux rapportés après cystectomie seule. Cette chi-
miothérapie avait enfin permis de traiter 26 patients sur 111
par cystectomie partielle (9). Il faut cependant noter que douze
patients avaient récidivé entre 5 et 48 mois après la cystecto-
mie partielle (46 %). Ce type de traitement conservateur n’a
été réalisé dans le cadre d’un essai que par l’équipe du
MSKCC. Il ne fait pas partie des pratiques recommandées.
D’autres équipes ont utilisé une chimiothérapie néoadjuvante
avant un traitement locorégional utilisant une radio-chimiothé-
rapie concomitante. Kaufman (11) a rapporté en 1995 dans le
New England Journal of Medicine l’expérience du MGH
(Massachussetts General Hospital) avec un traitement asso-
ciant, après RTU maximale, une chimiothérapie par CMV sui-
vie d’une radio-chimiothérapie concomitante. Les patients en
rémission complète étaient traités par un boost de radiothéra-
pie. Au total, 58 % des patients ont présenté une rémission
complète, mais il faut noter que 21 % n’ont pas eu le protocole
complet. Avec une médiane de 48 mois, 28 patients (53 %)
étaient en vie et seulement 3 avaient rechuté sous une forme
invasive. Rubinov (18), avec le même schéma, mais sans
qu’une cystectomie soit prévue de principe pour les patients
non répondeurs, a publié, chez 56 patients, un taux de rémis-
sion complète de 80 % et une survie actuarielle à 2 ans de
80 %. Dans un autre essai, rapporté par Cervek (4), ayant
inclus 45 patients T2-4 Nx M0 traités par RTU maximale et
trois à quatre cycles de CMV avant radio-chimiothérapie
concomitante, le taux de réponse complète était de 53 % après
chimiothérapie. Avec un suivi médian de deux ans, 68 % des
patients avaient conservé leur vessie, 53 % étaient en rémis-
sion tumorale et le taux de survie actuarielle était de 73 %.
Tester (32) a publié en 1996 les données de l’essai 8802 du
RTOG (Radiation Therapy Oncology Group) ayant inclus
91 patients T2-4 M0, traités par deux cycles de CMV suivis
d’une radiothérapie de 39,6 Gy avec du cisplatine concomitant
(70 mg/m2J1 et J21). Les patients en rémission complète pour-
suivaient leur association radio-chimiothérapie, les autres
étaient traités par cystectomie. Trente-six des 70 patients
(46 %) traités de façon conservatrice ont rechuté au niveau de
la vessie. La survie actuarielle à 4 ans était de 62 % (IC 95 % :
52-72 %). Le taux de survie actuarielle avec vessie intacte était
de 44 % (IC 95 % : 34-54 %).
Enfin, l’équipe de Shipley a présenté à l’ASCO 2001 (12) une
actualisation de la longue expérience de 1986 à 1997 du MGH
dans le traitement conservateur du cancer de vessie. Cent
quatre-vingt-dix patients présentant une tumeur localisée
(90 T2, 100 T3-T4a), 90 ayant bénéficié d’une RTU macrosco-
piquement complète, ont été traités soit par une chimiothérapie
néoadjuvante suivie d’une association radio-chimiothérapie
(n = 98), soit par une association radio-chimiothérapie seule
(n = 92). Avec une médiane de suivi de 6,7 ans, le taux de
rémission complète pour l’ensemble des patients a été de 63 %
(74 % pour les tumeurs classées T2, 53 % pour les tumeurs
T3-T4a). La présence d’une hydronéphrose représentait un
paramètre pronostique péjoratif important pour l’obtention
d’une rémission complète (37 % en présence d’hydronéphrose,
68 % en son absence, p = 0,002) et la nécessité d’une cystecto-
mie (31 % en son absence versus 60 % dans le cas contraire,
p=0,004). Le stade clinique influençait la survenue de méta-
stases à distance (22 % pour les T2 versus 37 % dans les T3-
T4a, p = 0,03) et les pronostics à 5 ans et à 10 ans (respective-
ment de 62 % et 41 % pour les T2 versus 47 % et 31 % pour
les T3-T4a, p = 0,02). La survie spécifique était de 63 % à
5ans (74 % pour les T2, 53 % pour les T3-T4a) et de 60 % à
10 ans. La survie spécifique avec vessie en place était, à 5 ans,
de 57 % pour les T2 et de 35 % pour les T3-T4a et, à 10 ans,
respectivement de 50 % et de 34 %. Chez les 121 patients mis
en rémission complète, 61 % n’ont pas rechuté, 22 % ont pré-
senté une tumeur superficielle et 17 % une tumeur invasive ;
21 % ont dû subir une cystectomie. Une cystectomie a été réa-
lisée chez 66 patients (35 %) dans le cadre des indications pré-
vues par le protocole. Il n’y a, en revanche, pas eu de nécessité
de recours à la cystectomie pour complication. La survie spéci-
fique des patients ayant eu une cystectomie immédiate (n = 41)
était de 50 % à 5 ans ; elle était de 45 % en cas de cystectomie
de sauvetage (n = 25). Shipley a conclu de cette expérience
qu’avec une survie à 5 ans de 55 % et une survie spécifique à
5ans de 64 %, les résultats de ces traitements conservateurs
semblaient comparables à ceux de la cystectomie radicale. Une
cystectomie rapide chez les non-répondeurs ou chez les
13
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
patients en récidive après rémission complète permettait
d’avoir 45 % de ces patients en rémission à 8 ans.
Parmi les points importants de ces études, il faut relever la
valeur pronostique de la réponse complète histologique après
chimiothérapie (26).
ESSAIS DE PHASE III DE CHIMIOTHÉRAPIE NÉOADJUVANTE
(tableau I)
L’intérêt d’utiliser une monochimiothérapie s’est vite estompé
après la publication des résultats négatifs de deux essais rando-
misés du WMURG (West Midlands Urological Research
Group) et de l’ABCSG (Australian Bladder Cancer Study
Group) regroupant au total 255 patients et comparant une
radiothérapie seule à un traitement médical premier par cispla-
tine suivi de radiothérapie (34). Une autre étude espagnole uti-
lisant le cisplatine seul n’a pas retrouvé non plus de bénéfice
potentiel (15). Rappelons qu’il a été prouvé qu’une monothéra-
pie par cisplatine est significativement inférieure au MVAC en
phase métastatique (20).
Un seul essai, comparant deux cycles de cisplatine/doxorubi-
cine suivis d’une radiothérapie et d’une cystectomie à la même
association radiochirurgicale dans une série de 311 patients,
avait montré, avant l’étude du SWOG, un avantage statistique-
ment significatif en survie (13). Cet essai nordique (Nordic
Cystectomy Trial I) avait en effet retrouvé une augmentation
de la survie à 5 ans de 15 % chez les patients présentant une
tumeur de stade T3 ou T4 et traités par chimiothérapie néoad-
juvante. Aucune différence n’était retrouvée chez les patients
ayant une tumeur de stade T1G3 ou T2 après un long suivi.
Ces données n’ont pu être confirmées dans l’essai Nordic II
(14).
Dans l’essai italien du GUONE (Gruppo Uro-Oncologico del
Nord-Est), les patients étaient randomisés entre quatre cycles
de MVAC avant cystectomie et cystectomie seule (3). Aucune
différence évidente n’était retrouvée, pas plus que dans un
autre essai italien du GISTV (Italian Bladder Tumer Study
Group), où l’épirubicine était substituée à la doxorubicine
(17).
Les résultats de l’essai égyptien d’Abol-Enein (1) utilisant un
schéma de type CMV (avec carboplatine) n’ont été rapportés
que sous forme d’abstract. Il était retrouvé 20 % de différence
en termes de survie sans maladie à 2 ans.
L’essai RTOG 89-03 (24) comparant une chimiothérapie
néoadjuvante par deux cycles de CMV (bras 1 : 61 patients)
avant une irradiation pelvienne (39,6 Gy) associée à du cispla-
tine (100 mg/m2x 2 cycles à 21 jours d’intervalle) au même
traitement sans CMV (bras 2 : 62 patients) n’a pas non plus
montré de bénéfice en faveur de la chimiothérapie néoadju-
vante. Les patients en rémission complète étaient traités par un
complément d’irradiation de 25,2 Gy (64,8 Gy au total) et une
dose supplémentaire de cisplatine. Les autres avaient une cys-
tectomie. Avec une médiane de 60 mois, la survie actuarielle à
5 ans était de 48 % dans le bras 1, de 49 % dans le bras 2.
Trente-cinq pour cent des patients ont présenté des métastases
à distance ; 33 % dans le bras 1, 39 % dans le bras 2. La survie
à 5 ans avec une vessie fonctionnelle était de 38 % (36 % et
40 % respectivement pour les deux groupes). Aucune de ces
différences n’était statistiquement significative.
Surtout la grande étude princeps de phase III menée par
l’EORTC et le MRC, publiée dans le Lancet (10) n’a pas
permis d’imposer la chimiothérapie comme un standard de
traitement des cancers de vessie localement avancés.
Ce vaste essai international représente la plus importante étude
de chimiothérapie néoadjuvante en termes de nombre de
patients. Il a inclus entre novembre 1989 et juillet 1995,
976 patients de 106 institutions et de 20 pays, porteurs d’une
tumeur T2 G3, T3, T4 N0-Nx M0, traités soit par trois cycles
néoadjuvants de CMV avec de l’acide folinique avant cystec-
tomie ou avant radiothérapie, soit par le même traitement loco-
régional sans chimiothérapie. Il n’a pas montré l’amélioration
de 10 % de la survie à 3 ans qui constituait l’objectif défini
pour pouvoir recommander ce traitement comme standard.
Avec une médiane de suivi de 4 ans, la différence absolue
entre les deux groupes était de 5 % (IC 95 % : 0,5–11,0,
14
MISE AU POINT
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
Groupe Protocole d’étude bras patients résultats
standard (n)
Australie
Royaume-Uni CDDP/RT RT 255 négatif
1991 (Wallace)
Italie (GISTV) MVEC/cyst cyst 171 négatif
1993 (Pellegrini)
Italie (Gènes) CDDP+FU/RT/cyst cyst 104 négatif
1993 (Vitale)
Espagne (Cueto)
1995 CDDP/cyst cyst 121 négatif
(Martinez-Pineiro)
Nordic I 15 % de différence
1996 ADM+CDDP/RT/cyst RT/cyst 311 en survie global
(Malstrom) pour les T3-T4a
Égypte 20 % de différence
1997 CMV (CBDA)/cyst cyst 194 en survie sans
(Abol-Enein) maladie à 2 ans
MGH/RTOG CMV/CDDP+RT CDDP+RT 230 négatif
1998 (Shipley)
EORTC/MRC CMV/RT ou cyst RT ou cyst 976 négatif
1999
Italie (GUONE) MVAC/cyst cyst 206 en cours
(Bassi)
Nordic II CDDP+MTX/cyst cyst 317 négatif
(Fossa)
États-Unis
Intergroup MVAC/cyst cyst 306 amélioration
(Crawford) en survie global
Tableau I. Essais randomisés de chimiothérapie néoadjuvante.
* Abrévations : cyst : cystectomie ; RT : radiothérapie ; ADM : adriamycine ;
CBDA : carboplatine ; CDDP : cisplatine ; FU : fluorouracil ; MTX : méthotrexate ;
MVAC : méthotrexate, vinblastine, adriamycine, cisplatine ; MVEC : méthotrexate,
vinblastine, épirubicine, cisplatine ; CMV : cisplatine, méthotrexate, vinblastine.
p=0,075), 55 % pour le traitement avec chimiothérapie versus
50 % pour le traitement locorégional seul. La médiane de sur-
vie dans le bras chimiothérapie était de 44 mois versus
37,5 mois. Il faut noter qu’après CMV, sur les pièces de cys-
tectomies, il n’était retrouvé aucune lésion tumorale résiduelle
dans 32,5 % cas (12 % dans l’autre groupe).
On pouvait donc conclure de ces essais que les résultats
étaient globalement décevants et que la chimiothérapie
néoadjuvante n’avait pas fait la preuve formelle de son intérêt.
Elle ne pouvait être recommandée en routine (2). Néanmoins,
convenait-il de noter que le délai de 3 mois imposé par la chi-
miothérapie avant de réaliser le traitement local n’avait pas eu
de conséquence négative sur l’avenir des patients. Cette don-
née confortait la possibilité d’envisager dans l’avenir des trai-
tements conservateurs chez certains patients bien sélectionnés
(28). La chimiothérapie néoadjuvante pouvait peut-être en
effet trouver d’éventuelles indications si l’on mettait en évi-
dence des facteurs biologiques prédictifs de sensibilité théra-
peutique. Un intérêt tout particulier s’était focalisé sur la p53.
Il avait en effet été admis qu’une surexpression nucléaire de
p53 possédait une valeur pronostique indépendante sur la sur-
vie après cystectomie et après chimiothérapie néoadjuvante
(19, 23). Les données rétrospectives de H. Herr (8) avec un
recul de plus de 10 ans avaient suggéré que les patients ayant
une tumeur classée T2, avec une p53 indétectable en immuno-
histochimie (non mutée), mis en rémission complète après
MVAC pouvaient bénéficier d’une chirurgie conservatrice
avec un faible risque de récidive (13 %). Ces données nécessi-
taient néanmoins confirmation.
C’est dans ce contexte que les résultats positifs en termes
de survie de l’étude Intergroup 0080 ont été présentés comme
un scoop.
Cet essai a été coordonné par le SWOG (South Western Onco-
logy Group) avec la participation de l’ECOG (East Coopera-
tive Oncology Group) et du CALGB (Cancer and Leukaemia
Group B). Les objectifs étaient de comparer la survie des
patients traités par cystectomie seule ou par trois cycles de
MVAC suivis d’une cystectomie et d’étudier le downstaging
tumoral secondaire à la chimiothérapie néoadjuvante. L’objec-
tif primaire était la survie, avec l’hypothèse d’une augmenta-
tion de 50 %. En usant d’un test unilatéral – ce qui signifie que
cet essai ne recherchait pas une différence, mais seulement une
amélioration dans le bras chimiothérapie – le nombre calculé
de patients nécessaires était de 298. Pouvaient être inclus les
patients T2-T4a N0 M0, PS 0-1, sans contre-indications car-
diovasculaires, hématologiques, rénales ou hépatiques. Trois
cent dix-sept patients ont été randomisés (306 éligibles au
final) : 159 dans le bras cystectomie, 158 dans le bras néoadju-
vant. Les populations étaient parfaitement comparables. Elles
ont été stratifiées en fonction du stade (T2 versus T3-T4a) et
en fonction de l’âge (plus ou moins 65 ans).
La médiane de survie globale s’est avérée significativement
meilleure avec le MVAC (72 mois versus 48 mois, p = 0,027)
(figure 1). Concernant la toxicité du MVAC, il a été retrouvé
une toxicité de grades 3-4 chez 108 patients avec, en particu-
lier, une neutropénie de grade 4 dans un tiers des cas
(50 patients). La chimiothérapie néoadjuvante n’a pas aug-
menté la morbidité postcystectomie. Il n’y a eu aucun décès
imputable à la chimiothérapie. Le taux de réponse complète
histologique (pT0) sur la pièce de cystectomie après MVAC a
été de 38 % (48 patients sur 126).
Les données de cet essai sont-elles suffisantes pour faire
du MVAC néoadjuvant le nouveau standard des formes
localement avancées de cancer de vessie ?
Cette présentation a fait l’objet d’un débat contradictoire pour
savoir si, avec ces résultats, le MVAC néoadjuvant devenait
le nouveau standard des cancers de vessie localement avancés.
En faveur de cette idée, un certain nombre d’arguments ont
été mis en avant :
ce traitement est facile à réaliser avant la chirurgie,
il n’est pas constaté de déséquilibre entre les 2 bras de traite-
ment,
les toxicités rapportées semblent acceptables : pas de décès
toxique avec le MVAC dans cette étude, pas d’augmentation
de la morbidité de la cystectomie,
enfin, les résultats sont probants, avec une diminution de la
mortalité de 26 %, un bénéfice en survie supérieur à 2 ans, un
taux de pT0 de 38 %.
Concernant la méthodologie, les principales critiques ont
concerné :
au plan statistique, l’utilisation d’un test unilatéral (la pratique
médicale ne changeant qu’en cas d’amélioration avec la chi-
miothérapie, les investigateurs ne s’intéressant pas aux effets
possiblement délétères de la chimiothérapie). Ce choix
n’apparaît pas très logique étant donné la morbidité
15
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
Figure 1. Courbe de survie globale de l’étude SWOG/Intergroup 0080
présentée à l’ASCO 2001.
0
25
50
75
100
48 16814496
Survie (%)
Bras
Contrôle
MVAC
Nombre
de patients
153
153
Nombre
de patients
morts
96
90
Pourcentage
de survie
5 ans
43,2 mois
74,7 mois
p
0,044
Survie globale
et la mortalité du MVAC (rappelons que dans l’essai EORTC,
il était rapporté une mortalité de 1 % avec le CMV). De plus,
l’utilisation d’un test unilatéral gêne la comparaison avec les
autres essais randomisés qui ont utilisé un test bilatéral ;
la taille de l’échantillon. Un essai voulant montrer un béné-
fice en survie de 10 % requiert approximativement
1000 patients qu’il faudrait idéalement inclure sur une
période de 3-4 ans en ajoutant 1 à 2 ans supplémentaires de
suivi, l’enregistrement de 400 décès étant nécessaire pour
avoir 90 % de chances de détecter cette différence. Le
SWOG a recruté 307 patients. Ce n’est que grâce au suivi
prolongé avec 186 décès enregistrés qu’une amélioration en
survie de 15 % environ a été retrouvée ;
la durée d’inclusion pour compléter le recrutement de cet
essai. Cette étude, débutée voilà 14 ans, n’a achevé ses inclu-
sions qu’au bout de 11 ans (8/87-1/98), ce qui fait environ
deux patients par mois pour l’ensemble des États-Unis. Cette
sélection de patients peut représenter un biais (40 % des
patients étaient à bon pronostic avec une tumeur classée T2) ;
le respect du traitement local. Parmi les patients éligibles
dans les deux bras, seulement 80 % ont eu la cystectomie
prévue ;
les investigateurs du SWOG n’ont pas présenté les résultats
de l’analyse en intention de traitement (tous les patients
randomisés n’ont pas été inclus dans les courbes de survie).
Cet essai doit être replacé dans le contexte plus général
des autres études randomisées.
Il est actuellement admis que les résultats d’un seul essai sont
rarement suffisants pour imposer un standard et que l’on doit
prendre en considération tous les essais randomisés abordant
la même question. L’essai du SWOG représente seulement
10 % des essais néoadjuvants alors que l’essai EORTC/MRC
représente environ un tiers des patients de tous les essais
contrôlés. Avec 485 décès, il apporte environ trois fois le
contenu en informations d’un essai comme celui du SWOG. Il
n’y a pas de raison de penser qu’une différence d’efficacité
entre le CMV et le MVAC soit suffisante pour expliquer les
résultats différents de ces deux essais (aucun essai contrôlé n’a
comparé les deux protocoles, mais les résultats obtenus en
termes de rémission complète histologique dans les deux
études semblent assez comparables).
Si l’on regarde les données de la méta-analyse rapportée
par C. Sternberg (figure 2), il semble que de meilleurs résul-
tats soient obtenus avec les combinaisons comprenant du cis-
platine qu’avec le cisplatine seul. Cependant, les résultats ne
sont pas clairement en faveur de la chimiothérapie néoadju-
vante. Le hazard ratio (HR) est de 0,90 avec un intervalle de
confiance de 0,81-1 (un HR de 1 indique l’absence de diffé-
rence, un HR < 1 est en faveur de la chimiothérapie). Il faut
cependant noter qu’il existe des données manquantes concer-
nant de nombreuses études.
Les dernières critiques concernent le choix et le meilleur
moment d’utilisation de la chimiothérapie.
Ne serait-il pas préférable d’utiliser une chimiothérapie
adjuvante qui permettrait une meilleure sélection des patients,
évitant ainsi des traitements toxiques inutiles aux formes à
bon pronostic ? Actuellement, les données concernant la chi-
miothérapie adjuvante sont très limitées (30, 31), la toxicité
du MVAC après cystectomie ayant limité son développement
potentiel. Un essai prospectif, conduit au M.D. Anderson a
comparé deux cycles de MVAC néoajuvants suivis d’une cys-
tectomie et de trois cycles de MVAC adjuvants à cinq cycles
adjuvants dans une série de seulement 60 patients. Avec un
suivi de 2 ans, 70 % étaient en survie sans récidive dans les
deux groupes. L’ECOG a rapporté aussi les résultats d’un
essai de phase II de chimiothérapie péri-opératoire utilisant
deux cycles de MVAC avant et après cystectomie (10). La
survie avec un suivi de 23 mois était de 50 %. Aucune conclu-
sion, en dehors de la faisabilité des deux schémas, ne peut être
formulée compte tenu du faible effectif de ces études. Une
vaste étude internationale adjuvante (avec utilisation soit du
MVAC, soit de l’association gemcitabine-cisplatine, au choix
des institutions) devant inclure 1 300 patients est en cours
d’activation.
Existe-t-il une meilleure alternative que le MVAC ? L’asso-
ciation de gemcitabine et de cisplatine s’est avérée aussi effi-
cace en étant significativement moins toxique en phase méta-
statique (33). Notons aussi, toujours en phase métastatique,
que le schéma de MVAC intensifié (tous les 15 jours) a permis
d’obtenir des taux de réponse supérieurs au MVAC avec une
toxicité acceptable, mais sans bénéfice en termes de survie
(27).
L’empirisme du choix de trois cycles prête également à dis-
cussion, cette durée de traitement paraissant courte par rapport
aux traitements adjuvants standardisés dans d’autres localisa-
tions tumorales.
Pour conclure, en raison de toutes ces incertitudes, il ne
semble pas que les données nouvelles apportées par l’essai
du SWOG emportent suffisamment les convictions de la
communauté médicale pour qu’il y ait modification des
pratiques actuelles.
16
MISE AU POINT
La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002
.../...
Figure 2. Méta-analyse des essais randomisés néoadjuvants.
Chimio
É
tude cystectomie Cystectomie
(
b) Néoadjuvant cisplatine seul
A
ustralie 29/42 32/54
G
rande-Bretagne 59/83 50/76
E
spagne 38/62 37/60
T
otal 126/187 119/190
(
b) Néoadjuvant, combinaisons cisplatine
N
ordic I -/151 -/160
N
ordic II -/- -/-
É
gypte -/100 -/94
G
ISTV 35/82 31/71
G
UONE -/102 -/104
M
RC/EORTC 229/491 256/485
S
WOG 90/153 96/154
S
ous-total -/1079 -/1068
T
otal -/1266 -/1258
0,5 1 2
En faveur chimiothérapie En faveur cystectomie seule
1,11 (0,86 - 1,43
)
0,78 (0,58 - 1,04)
0,88 (0,77 - 0,9
7)
0,90 (0,81 - 1,00
)
1 / 6 100%