M I S E A U P O I N T Chimiothérapie néoadjuvante des cancers urothéliaux de vessie invasifs Un nouveau standard ? P. Beuzeboc* R É S U M É Les résultats de l’étude Intergroup 0080, rapportés en 2001, ont pointé les feux de l’actualité sur la question suivante : la chimiothérapie néoadjuvante par trois cycles de MVAC (méthotrexate, vinblastine, adriamycine, cisplatine) avant cystectomie peut-elle devenir le nouveau standard du traitement des cancers de vessie invasifs localement avancés. À l’effet d’annonce, a fait suite une analyse approfondie de cet essai et des autres essais néoadjuvants, qui ne devrait pas conduire à une modification des pratiques actuelles. L e traitement optimal des cancers infiltrants, notamment des formes localement avancées, reste toujours à définir même si la cystectomie représente le traitement standard de référence. Il est actuellement tenu pour acquis que la radiothérapie pré- ou postopératoire n’améliore pas les résultats. Malgré tous les progrès réalisés ces dernières années, notamment pour réduire la morbidité et la mortalité de la chirurgie radicale, plus de 50 % des patients vont développer des métastases, habituellement dans les deux ans qui suivent la cystectomie. La plupart de ces récidives sont distales, un tiers seulement d’entre elles étant localisées au niveau du pelvis. Les facteurs prédictifs de rechute incluent classiquement le stade, la taille de la tumeur, le grade histologique, la présence d’emboles vasculaires et l’existence d’un envahissement ganglionnaire (6). Ce dernier, présent dans 40 % à 60 % des tumeurs de haut grade et des tumeurs de stades T3-T4, possède un pronostic redoutable. Seuls, en effet, 15 à 20 % des patients avec une tumeur N+ survivront à 5 ans. Toutes ces données peuvent faire considérer le cancer de vessie infiltrant comme une maladie à diffusion métastatique rapide. L’obtention en phase avancée, de taux de réponse élevés, de l’ordre de 50 à 70 % avec des protocoles de polychimiothérapies comme le MVAC ou le CMV (cisplatine, méthotrexate, vinblastine), tant au niveau des métastases que des * Assistant au service d'oncologie médicale du Pr Pouillart, Institut Curie, 26, rue d'Ulm, 75005 Paris. 12 tumeurs primaires, a stimulé ces quinze dernières années la mise en route d’essais de chimiothérapie néoadjuvante dans les cancers de vessie localisés, avec le triple but d’améliorer la survie d’une population ayant une probabilité élevée de micrométastases à distance, d’augmenter le contrôle local, et éventuellement, de conserver la vessie en cas de réponse majeure à la chimiothérapie. Cette chimiothérapie néoadjuvante présente, en outre, le double avantage de pouvoir tester la sensibilité thérapeutique (même s’il est difficile après résection transurétrale [RTU] de pouvoir apprécier la réponse thérapeutique) et d’être mieux tolérée qu’en situation adjuvante, où son application peut poser des problèmes. Son principal inconvénient est de retarder la cystectomie pour des patients non répondeurs, des patients potentiellement opérables pouvant devenir inopérables. Cependant, en dépit des résultats prometteurs des premières études non randomisées, les traitements néoadjuvants n’avaient toujours pas trouvé de place reconnue dans les cancers de vessie infiltrants jusqu’à ce que les résultats de l’étude du SWOG-Intergroup 0080 (16) posent le problème de savoir s’il fallait faire du MVAC néoadjuvant le nouveau standard du cancer de vessie invasif présentant des facteurs de risque de récidive élevés. Face aux défenseurs de cette position se fondant sur les données objectives de cette étude, des critiques importantes se sont élevées lors de débats contradictoires à la session plénière de l’ASCO et de l’AUA de 2001 ; ces critiques ont été reprises dans un article très polémique de Cora Sternberg (29) dans le Journal of Oncology de septembre 2001 proposant une analyse minutieuse de la méthodologie, des résultats de cet essai replacés dans le contexte d’une méta-analyse des autres études randomisées de la littérature. LES ÉTUDES RÉTROSPECTIVES ET NON CONTROLÉES À partir d’une étude rétrospective portant sur plus de 1 300 cystectomies avec curage ganglionnaire, réalisées entre 1971 et 1996, Skinner (25) formulait deux conclusions concernant la chimiothérapie : un allongement significatif de l’intervalle libre sans rechute et une amélioration de la survie des patients traités par une chimiothérapie pour des tumeurs de stade supérieur ou égal à pT3, l’utilité de cette chimiothérapie pour les tumeurs présentant une mutation de p53. La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 De nombreuses études de phase II avaient montré des taux de réponse importants au niveau de la tumeur primaire. Scher (22), en 1990, avait revu 43 essais comprenant plus de 1 000 patients ayant reçu une chimiothérapie néoadjuvante. Il s’agissait d’études non contrôlées, avec des effectifs limités (entre 9 et 49 patients) sauf pour deux d’entre elles ayant inclus 71 et 100 patients. Les traitements, les tumeurs, les critères de réponse étaient hétérogènes. Aucune analyse de l’impact d’une chimiothérapie première ne pouvait être tirée de cette revue globale tant en ce qui concernait le pourcentage de patients présentant une réponse complète ou majeure ayant permis de rendre opérables des tumeurs inopérables initialement, qu’à l’égardde la proportion de traitements conservateurs rendus possibles. Geller (7) concluait alors à la nécessité absolue d’essais randomisés. Au MSKCC (Memorial Sloan Kettering Cancer Center), les premiers traitements néoadjuvants avant chirurgie ont débuté en 1985. Scher, en 1988 (21), a rapporté chez 50 patients un taux de réponse de 63 % avec le MVAC. Dans une série de 111 cancers de vessie avancés localement T2-4 N0 M0, publiée ultérieurement, la survie à 5 ans était de 54 % (22). En analyse uniparamétrique, le stade (T) initial (p = 0,0001), l’existence d’une hydronéphrose (p = 0,007) et d’une masse palpable (p = 0,008) avaient une signification pronostique. En analyse multivariée, seuls le stade pT initial et le stade pT postchimiothérapie conservaient cette signification pronostique. Une association entre le downstaging postchimiothérapie et la survie n’était retrouvée que pour les formes à extension extra-vésicale : le taux de survie à 5 ans était de 54 % en cas de downstaging versus 12 % dans le cas contraire. Avec une médiane de suivi de 5,3 ans, la survie à 5 ans était de 52 % (60 % pour les T2, 58 % pour les T3a, 35 % pour les T3b-T4), similaire aux taux rapportés après cystectomie seule. Cette chimiothérapie avait enfin permis de traiter 26 patients sur 111 par cystectomie partielle (9). Il faut cependant noter que douze patients avaient récidivé entre 5 et 48 mois après la cystectomie partielle (46 %). Ce type de traitement conservateur n’a été réalisé dans le cadre d’un essai que par l’équipe du MSKCC. Il ne fait pas partie des pratiques recommandées. D’autres équipes ont utilisé une chimiothérapie néoadjuvante avant un traitement locorégional utilisant une radio-chimiothérapie concomitante. Kaufman (11) a rapporté en 1995 dans le New England Journal of Medicine l’expérience du MGH (Massachussetts General Hospital) avec un traitement associant, après RTU maximale, une chimiothérapie par CMV suivie d’une radio-chimiothérapie concomitante. Les patients en rémission complète étaient traités par un boost de radiothérapie. Au total, 58 % des patients ont présenté une rémission complète, mais il faut noter que 21 % n’ont pas eu le protocole complet. Avec une médiane de 48 mois, 28 patients (53 %) étaient en vie et seulement 3 avaient rechuté sous une forme invasive. Rubinov (18), avec le même schéma, mais sans qu’une cystectomie soit prévue de principe pour les patients non répondeurs, a publié, chez 56 patients, un taux de rémission complète de 80 % et une survie actuarielle à 2 ans de La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 80 %. Dans un autre essai, rapporté par Cervek (4), ayant inclus 45 patients T2-4 Nx M0 traités par RTU maximale et trois à quatre cycles de CMV avant radio-chimiothérapie concomitante, le taux de réponse complète était de 53 % après chimiothérapie. Avec un suivi médian de deux ans, 68 % des patients avaient conservé leur vessie, 53 % étaient en rémission tumorale et le taux de survie actuarielle était de 73 %. Tester (32) a publié en 1996 les données de l’essai 8802 du RTOG (Radiation Therapy Oncology Group) ayant inclus 91 patients T2-4 M0, traités par deux cycles de CMV suivis d’une radiothérapie de 39,6 Gy avec du cisplatine concomitant (70 mg/m2 J1 et J21). Les patients en rémission complète poursuivaient leur association radio-chimiothérapie, les autres étaient traités par cystectomie. Trente-six des 70 patients (46 %) traités de façon conservatrice ont rechuté au niveau de la vessie. La survie actuarielle à 4 ans était de 62 % (IC 95 % : 52-72 %). Le taux de survie actuarielle avec vessie intacte était de 44 % (IC 95 % : 34-54 %). Enfin, l’équipe de Shipley a présenté à l’ASCO 2001 (12) une actualisation de la longue expérience de 1986 à 1997 du MGH dans le traitement conservateur du cancer de vessie. Cent quatre-vingt-dix patients présentant une tumeur localisée (90 T2, 100 T3-T4a), 90 ayant bénéficié d’une RTU macroscopiquement complète, ont été traités soit par une chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une association radio-chimiothérapie (n = 98), soit par une association radio-chimiothérapie seule (n = 92). Avec une médiane de suivi de 6,7 ans, le taux de rémission complète pour l’ensemble des patients a été de 63 % (74 % pour les tumeurs classées T2, 53 % pour les tumeurs T3-T4a). La présence d’une hydronéphrose représentait un paramètre pronostique péjoratif important pour l’obtention d’une rémission complète (37 % en présence d’hydronéphrose, 68 % en son absence, p = 0,002) et la nécessité d’une cystectomie (31 % en son absence versus 60 % dans le cas contraire, p = 0,004). Le stade clinique influençait la survenue de métastases à distance (22 % pour les T2 versus 37 % dans les T3T4a, p = 0,03) et les pronostics à 5 ans et à 10 ans (respectivement de 62 % et 41 % pour les T2 versus 47 % et 31 % pour les T3-T4a, p = 0,02). La survie spécifique était de 63 % à 5 ans (74 % pour les T2, 53 % pour les T3-T4a) et de 60 % à 10 ans. La survie spécifique avec vessie en place était, à 5 ans, de 57 % pour les T2 et de 35 % pour les T3-T4a et, à 10 ans, respectivement de 50 % et de 34 %. Chez les 121 patients mis en rémission complète, 61 % n’ont pas rechuté, 22 % ont présenté une tumeur superficielle et 17 % une tumeur invasive ; 21 % ont dû subir une cystectomie. Une cystectomie a été réalisée chez 66 patients (35 %) dans le cadre des indications prévues par le protocole. Il n’y a, en revanche, pas eu de nécessité de recours à la cystectomie pour complication. La survie spécifique des patients ayant eu une cystectomie immédiate (n = 41) était de 50 % à 5 ans ; elle était de 45 % en cas de cystectomie de sauvetage (n = 25). Shipley a conclu de cette expérience qu’avec une survie à 5 ans de 55 % et une survie spécifique à 5 ans de 64 %, les résultats de ces traitements conservateurs semblaient comparables à ceux de la cystectomie radicale. Une cystectomie rapide chez les non-répondeurs ou chez les 13 M I S E A U patients en récidive après rémission complète permettait d’avoir 45 % de ces patients en rémission à 8 ans. Parmi les points importants de ces études, il faut relever la valeur pronostique de la réponse complète histologique après chimiothérapie (26). ESSAIS DE PHASE III DE CHIMIOTHÉRAPIE NÉOADJUVANTE (tableau I) Tableau I. Essais randomisés de chimiothérapie néoadjuvante. Groupe Australie Royaume-Uni 1991 (Wallace) Italie (GISTV) 1993 (Pellegrini) Italie (Gènes) 1993 (Vitale) Espagne (Cueto) 1995 (Martinez-Pineiro) Nordic I 1996 (Malstrom) Égypte 1997 (Abol-Enein) MGH/RTOG 1998 (Shipley) EORTC/MRC 1999 Italie (GUONE) (Bassi) Nordic II (Fossa) États-Unis Intergroup (Crawford) Protocole d’étude bras standard patients (n) résultats CDDP/RT RT 255 négatif MVEC/cyst cyst 171 négatif CDDP+FU/RT/cyst cyst 104 négatif CDDP/cyst cyst 121 négatif ADM+CDDP/RT/cyst RT/cyst 311 CMV (CBDA)/cyst cyst 194 CMV/CDDP+RT CDDP+RT 230 15 % de différence en survie global pour les T3-T4a 20 % de différence en survie sans maladie à 2 ans négatif CMV/RT ou cyst RT ou cyst 976 négatif MVAC/cyst cyst 206 en cours CDDP+MTX/cyst cyst 317 négatif MVAC/cyst cyst 306 amélioration en survie global * Abrévations : cyst : cystectomie ; RT : radiothérapie ; ADM : adriamycine ; CBDA : carboplatine ; CDDP : cisplatine ; FU : fluorouracil ; MTX : méthotrexate ; MVAC : méthotrexate, vinblastine, adriamycine, cisplatine ; MVEC : méthotrexate, vinblastine, épirubicine, cisplatine ; CMV : cisplatine, méthotrexate, vinblastine. L’intérêt d’utiliser une monochimiothérapie s’est vite estompé après la publication des résultats négatifs de deux essais randomisés du WMURG (West Midlands Urological Research Group) et de l’ABCSG (Australian Bladder Cancer Study Group) regroupant au total 255 patients et comparant une radiothérapie seule à un traitement médical premier par cisplatine suivi de radiothérapie (34). Une autre étude espagnole utilisant le cisplatine seul n’a pas retrouvé non plus de bénéfice potentiel (15). Rappelons qu’il a été prouvé qu’une monothérapie par cisplatine est significativement inférieure au MVAC en phase métastatique (20). Un seul essai, comparant deux cycles de cisplatine/doxorubicine suivis d’une radiothérapie et d’une cystectomie à la même 14 P O I N T association radiochirurgicale dans une série de 311 patients, avait montré, avant l’étude du SWOG, un avantage statistiquement significatif en survie (13). Cet essai nordique (Nordic Cystectomy Trial I) avait en effet retrouvé une augmentation de la survie à 5 ans de 15 % chez les patients présentant une tumeur de stade T3 ou T4 et traités par chimiothérapie néoadjuvante. Aucune différence n’était retrouvée chez les patients ayant une tumeur de stade T1G3 ou T2 après un long suivi. Ces données n’ont pu être confirmées dans l’essai Nordic II (14). Dans l’essai italien du GUONE (Gruppo Uro-Oncologico del Nord-Est), les patients étaient randomisés entre quatre cycles de MVAC avant cystectomie et cystectomie seule (3). Aucune différence évidente n’était retrouvée, pas plus que dans un autre essai italien du GISTV (Italian Bladder Tumer Study Group), où l’épirubicine était substituée à la doxorubicine (17). Les résultats de l’essai égyptien d’Abol-Enein (1) utilisant un schéma de type CMV (avec carboplatine) n’ont été rapportés que sous forme d’abstract. Il était retrouvé 20 % de différence en termes de survie sans maladie à 2 ans. L’essai RTOG 89-03 (24) comparant une chimiothérapie néoadjuvante par deux cycles de CMV (bras 1 : 61 patients) avant une irradiation pelvienne (39,6 Gy) associée à du cisplatine (100 mg/m2 x 2 cycles à 21 jours d’intervalle) au même traitement sans CMV (bras 2 : 62 patients) n’a pas non plus montré de bénéfice en faveur de la chimiothérapie néoadjuvante. Les patients en rémission complète étaient traités par un complément d’irradiation de 25,2 Gy (64,8 Gy au total) et une dose supplémentaire de cisplatine. Les autres avaient une cystectomie. Avec une médiane de 60 mois, la survie actuarielle à 5 ans était de 48 % dans le bras 1, de 49 % dans le bras 2. Trente-cinq pour cent des patients ont présenté des métastases à distance ; 33 % dans le bras 1, 39 % dans le bras 2. La survie à 5 ans avec une vessie fonctionnelle était de 38 % (36 % et 40 % respectivement pour les deux groupes). Aucune de ces différences n’était statistiquement significative. Surtout la grande étude princeps de phase III menée par l’EORTC et le MRC, publiée dans le Lancet (10) n’a pas permis d’imposer la chimiothérapie comme un standard de traitement des cancers de vessie localement avancés. Ce vaste essai international représente la plus importante étude de chimiothérapie néoadjuvante en termes de nombre de patients. Il a inclus entre novembre 1989 et juillet 1995, 976 patients de 106 institutions et de 20 pays, porteurs d’une tumeur T2 G3, T3, T4 N0-Nx M0, traités soit par trois cycles néoadjuvants de CMV avec de l’acide folinique avant cystectomie ou avant radiothérapie, soit par le même traitement locorégional sans chimiothérapie. Il n’a pas montré l’amélioration de 10 % de la survie à 3 ans qui constituait l’objectif défini pour pouvoir recommander ce traitement comme standard. Avec une médiane de suivi de 4 ans, la différence absolue entre les deux groupes était de 5 % (IC 95 % : 0,5–11,0, La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 On pouvait donc conclure de ces essais que les résultats étaient globalement décevants et que la chimiothérapie néoadjuvante n’avait pas fait la preuve formelle de son intérêt. Elle ne pouvait être recommandée en routine (2). Néanmoins, convenait-il de noter que le délai de 3 mois imposé par la chimiothérapie avant de réaliser le traitement local n’avait pas eu de conséquence négative sur l’avenir des patients. Cette donnée confortait la possibilité d’envisager dans l’avenir des traitements conservateurs chez certains patients bien sélectionnés (28). La chimiothérapie néoadjuvante pouvait peut-être en effet trouver d’éventuelles indications si l’on mettait en évidence des facteurs biologiques prédictifs de sensibilité thérapeutique. Un intérêt tout particulier s’était focalisé sur la p53. Il avait en effet été admis qu’une surexpression nucléaire de p53 possédait une valeur pronostique indépendante sur la survie après cystectomie et après chimiothérapie néoadjuvante (19, 23). Les données rétrospectives de H. Herr (8) avec un recul de plus de 10 ans avaient suggéré que les patients ayant une tumeur classée T2, avec une p53 indétectable en immunohistochimie (non mutée), mis en rémission complète après MVAC pouvaient bénéficier d’une chirurgie conservatrice avec un faible risque de récidive (13 %). Ces données nécessitaient néanmoins confirmation. C’est dans ce contexte que les résultats positifs en termes de survie de l’étude Intergroup 0080 ont été présentés comme un scoop. Cet essai a été coordonné par le SWOG (South Western Oncology Group) avec la participation de l’ECOG (East Cooperative Oncology Group) et du CALGB (Cancer and Leukaemia Group B). Les objectifs étaient de comparer la survie des patients traités par cystectomie seule ou par trois cycles de MVAC suivis d’une cystectomie et d’étudier le downstaging tumoral secondaire à la chimiothérapie néoadjuvante. L’objectif primaire était la survie, avec l’hypothèse d’une augmentation de 50 %. En usant d’un test unilatéral – ce qui signifie que cet essai ne recherchait pas une différence, mais seulement une amélioration dans le bras chimiothérapie – le nombre calculé de patients nécessaires était de 298. Pouvaient être inclus les patients T2-T4a N0 M0, PS 0-1, sans contre-indications cardiovasculaires, hématologiques, rénales ou hépatiques. Trois cent dix-sept patients ont été randomisés (306 éligibles au final) : 159 dans le bras cystectomie, 158 dans le bras néoadjuvant. Les populations étaient parfaitement comparables. Elles ont été stratifiées en fonction du stade (T2 versus T3-T4a) et en fonction de l’âge (plus ou moins 65 ans). La médiane de survie globale s’est avérée significativement meilleure avec le MVAC (72 mois versus 48 mois, p = 0,027) (figure 1). Concernant la toxicité du MVAC, il a été retrouvé La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 Survie globale Bras Contrôle MVAC Nombre de patients 153 153 Nombre Pourcentage de patients de survie morts 5 ans 96 90 43,2 mois 74,7 mois p 0,044 100 75 Survie (%) p = 0,075), 55 % pour le traitement avec chimiothérapie versus 50 % pour le traitement locorégional seul. La médiane de survie dans le bras chimiothérapie était de 44 mois versus 37,5 mois. Il faut noter qu’après CMV, sur les pièces de cystectomies, il n’était retrouvé aucune lésion tumorale résiduelle dans 32,5 % cas (12 % dans l’autre groupe). 50 25 0 48 96 144 168 Figure 1. Courbe de survie globale de l’étude SWOG/Intergroup 0080 présentée à l’ASCO 2001. une toxicité de grades 3-4 chez 108 patients avec, en particulier, une neutropénie de grade 4 dans un tiers des cas (50 patients). La chimiothérapie néoadjuvante n’a pas augmenté la morbidité postcystectomie. Il n’y a eu aucun décès imputable à la chimiothérapie. Le taux de réponse complète histologique (pT0) sur la pièce de cystectomie après MVAC a été de 38 % (48 patients sur 126). Les données de cet essai sont-elles suffisantes pour faire du MVAC néoadjuvant le nouveau standard des formes localement avancées de cancer de vessie ? Cette présentation a fait l’objet d’un débat contradictoire pour savoir si, avec ces résultats, le MVAC néoadjuvant devenait le nouveau standard des cancers de vessie localement avancés. En faveur de cette idée, un certain nombre d’arguments ont été mis en avant : • ce traitement est facile à réaliser avant la chirurgie, • il n’est pas constaté de déséquilibre entre les 2 bras de traitement, • les toxicités rapportées semblent acceptables : pas de décès toxique avec le MVAC dans cette étude, pas d’augmentation de la morbidité de la cystectomie, • enfin, les résultats sont probants, avec une diminution de la mortalité de 26 %, un bénéfice en survie supérieur à 2 ans, un taux de pT0 de 38 %. Concernant la méthodologie, les principales critiques ont concerné : • au plan statistique, l’utilisation d’un test unilatéral (la pratique médicale ne changeant qu’en cas d’amélioration avec la chimiothérapie, les investigateurs ne s’intéressant pas aux effets possiblement délétères de la chimiothérapie). Ce choix n’apparaît pas très logique étant donné la morbidité 15 M I S E A U et la mortalité du MVAC (rappelons que dans l’essai EORTC, il était rapporté une mortalité de 1 % avec le CMV). De plus, l’utilisation d’un test unilatéral gêne la comparaison avec les autres essais randomisés qui ont utilisé un test bilatéral ; • la taille de l’échantillon. Un essai voulant montrer un bénéfice en survie de 10 % requiert approximativement 1 000 patients qu’il faudrait idéalement inclure sur une période de 3-4 ans en ajoutant 1 à 2 ans supplémentaires de suivi, l’enregistrement de 400 décès étant nécessaire pour avoir 90 % de chances de détecter cette différence. Le SWOG a recruté 307 patients. Ce n’est que grâce au suivi prolongé avec 186 décès enregistrés qu’une amélioration en survie de 15 % environ a été retrouvée ; • la durée d’inclusion pour compléter le recrutement de cet essai. Cette étude, débutée voilà 14 ans, n’a achevé ses inclusions qu’au bout de 11 ans (8/87-1/98), ce qui fait environ deux patients par mois pour l’ensemble des États-Unis. Cette sélection de patients peut représenter un biais (40 % des patients étaient à bon pronostic avec une tumeur classée T2) ; • le respect du traitement local. Parmi les patients éligibles dans les deux bras, seulement 80 % ont eu la cystectomie prévue ; • les investigateurs du SWOG n’ont pas présenté les résultats de l’analyse en intention de traitement (tous les patients randomisés n’ont pas été inclus dans les courbes de survie). Cet essai doit être replacé dans le contexte plus général des autres études randomisées. Il est actuellement admis que les résultats d’un seul essai sont rarement suffisants pour imposer un standard et que l’on doit prendre en considération tous les essais randomisés abordant la même question. L’essai du SWOG représente seulement 10 % des essais néoadjuvants alors que l’essai EORTC/MRC représente environ un tiers des patients de tous les essais contrôlés. Avec 485 décès, il apporte environ trois fois le contenu en informations d’un essai comme celui du SWOG. Il n’y a pas de raison de penser qu’une différence d’efficacité entre le CMV et le MVAC soit suffisante pour expliquer les résultats différents de ces deux essais (aucun essai contrôlé n’a comparé les deux protocoles, mais les résultats obtenus en termes de rémission complète histologique dans les deux études semblent assez comparables). Si l’on regarde les données de la méta-analyse rapportée par C. Sternberg (figure 2), il semble que de meilleurs résultats soient obtenus avec les combinaisons comprenant du cisplatine qu’avec le cisplatine seul. Cependant, les résultats ne sont pas clairement en faveur de la chimiothérapie néoadjuvante. Le hazard ratio (HR) est de 0,90 avec un intervalle de confiance de 0,81-1 (un HR de 1 indique l’absence de différence, un HR < 1 est en faveur de la chimiothérapie). Il faut cependant noter qu’il existe des données manquantes concernant de nombreuses études. Les dernières critiques concernent le choix et le meilleur moment d’utilisation de la chimiothérapie. • Ne serait-il pas préférable d’utiliser une chimiothérapie adjuvante qui permettrait une meilleure sélection des patients, 16 P O Étude I N T Chimio cystectomie Cystectomie (b) Néoadjuvant cisplatine seul Australie 29/42 32/54 Grande-Bretagne 59/83 50/76 Espagne 38/62 37/60 Total 126/187 119/190 (b) Néoadjuvant, combinaisons cisplatine Nordic I -/151 -/160 Nordic II -/-/Égypte -/100 -/94 GISTV 35/82 31/71 GUONE -/102 -/104 MRC/EORTC 229/491 256/485 SWOG 90/153 96/154 Sous-total -/1079 -/1068 Total -/1266 1,11 (0,86 - 1,43) 0,78 (0,58 - 1,04) 0,88 (0,77 - 0,97) -/1258 0,90 (0,81 - 1,00) 0,5 En faveur chimiothérapie 1 2 En faveur cystectomie seule Figure 2. Méta-analyse des essais randomisés néoadjuvants. évitant ainsi des traitements toxiques inutiles aux formes à bon pronostic ? Actuellement, les données concernant la chimiothérapie adjuvante sont très limitées (30, 31), la toxicité du MVAC après cystectomie ayant limité son développement potentiel. Un essai prospectif, conduit au M.D. Anderson a comparé deux cycles de MVAC néoajuvants suivis d’une cystectomie et de trois cycles de MVAC adjuvants à cinq cycles adjuvants dans une série de seulement 60 patients. Avec un suivi de 2 ans, 70 % étaient en survie sans récidive dans les deux groupes. L’ECOG a rapporté aussi les résultats d’un essai de phase II de chimiothérapie péri-opératoire utilisant deux cycles de MVAC avant et après cystectomie (10). La survie avec un suivi de 23 mois était de 50 %. Aucune conclusion, en dehors de la faisabilité des deux schémas, ne peut être formulée compte tenu du faible effectif de ces études. Une vaste étude internationale adjuvante (avec utilisation soit du MVAC, soit de l’association gemcitabine-cisplatine, au choix des institutions) devant inclure 1 300 patients est en cours d’activation. • Existe-t-il une meilleure alternative que le MVAC ? L’association de gemcitabine et de cisplatine s’est avérée aussi efficace en étant significativement moins toxique en phase métastatique (33). Notons aussi, toujours en phase métastatique, que le schéma de MVAC intensifié (tous les 15 jours) a permis d’obtenir des taux de réponse supérieurs au MVAC avec une toxicité acceptable, mais sans bénéfice en termes de survie (27). • L’empirisme du choix de trois cycles prête également à discussion, cette durée de traitement paraissant courte par rapport aux traitements adjuvants standardisés dans d’autres localisations tumorales. Pour conclure, en raison de toutes ces incertitudes, il ne semble pas que les données nouvelles apportées par l’essai du SWOG emportent suffisamment les convictions de la communauté médicale pour qu’il y ait modification des pratiques actuelles. .../... La Lettre du Cancérologue - volume XI - n° 1 - janvier-février 2002 M I S E É F É R E N C E S B A U P O I N T .../... I B L I O G R A P H I Q U E S 18. Rubinov R, Sapir D, Steiner M. Combined chemoradiotherapy in the treatment 1. Abol-Enein H, El-Makresh M El-Baz M et al. Neoadjuvant chemotherapy 19. Sarkis AS, Bajorin DF, Reuter VE et al. Prognostic value of p53 nuclear R of invasive bladder cancer. Ann Oncol 1992 ; 3 (suppl. 5) : 109 (abstr.). in the treatment of invasive transitional bladder cancer : a controlled prospective randomized study. Br J Urol 1997 ; 79 (suppl. 4) : 43 (abstr. 174). overexpression in patients with invasive bladder cancer treated with neoadjuvant MVAC. J Clin Oncol 1995 ; 13 : 1384. 2. Bartelink H. 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