Vessie : le point sur les traitements adjuvants et néo-adjuvants dossier thématique Chimiothérapie néo-adjuvante dans le cancer de la vessie envahissant le muscle : pour quels patients, pour quelles tumeurs ? Neoadjuvant chemotherapy in bladder cancer: which patients, which tumors? highlights P o i nt s f o rt s N. Houédé*, G. Roubaud* »»Patients opérables présentant une tumeur T2 à T4 envahissant la musculeuse. »»Gain de survie significatif de 5 % à 5 ans. »»Chimiothérapie à base de cisplatine (CMV, MVAC). »»Chimiothérapie non recommandée pour les patients avec un performance status supérieur ou égal à 2 et une fonction rénale altérée. Mots-clés : Chimiothérapie néo-adjuvante – Tumeur infiltrante de la vessie – Cystectomie – Cisplatine. Patients undergoing curative cystectomy for muscle invasive bladder tumor, T2 to T4a. Significant benefice of 5% in overall survival at 5 years. Cisplatine-based chemotherapy (CMV, MVAC). Chemotherapy non recommended for patients with a performance status ≥ 2 and a renal dysfunction. Keywords: Neoadjuvant chemotherapy – Muscle invasive bladder cancer – Cystectomy – Cisplatin. Objectifs du traitement néo-adjuvant La chimiothérapie néo-adjuvante est un traitement médical systémique réalisé avant le traitement locorégional, décidé de principe pour une tumeur opérable. Ses objectifs sont multiples : ✓✓ éradiquer les micrométastases et éviter l’implantation de cellules tumorales circulantes au moment de la chirurgie ; ✓✓ réduire la taille de la tumeur et éventuellement permettre de conserver l’organe (si obtention d’un pT0) ; ✓✓ prolonger la survie. Mettre en place une chimiothérapie néo-adjuvante a plusieurs avantages : la toxicité est souvent moins marquée qu’en situation métastatique, chez des patients en meilleur état général, et, surtout, elle permet de tester in vivo la chimiosensibilité de la tumeur (2). Le risque est que la chimiothérapie néo-adjuvante se révèle délétère en cas de non-réponse du fait d’un retard à la prise en charge chirurgicale ; ce risque est majoré s’il existe un délai de plus de 12 semaines entre le diagnostic et la prise en charge chirurgicale (3, 4) ou si la toxicité est trop marquée. Principaux résultats L * Département d’oncologie médicale, institut Bergonié, Bordeaux. 122 e cancer de la vessie touche plus de 8 000 personnes par an en France, avec 30 % de tumeurs infiltrant le muscle. En France, c’est la quatrième cause de décès par cancer chez l’homme et la septième chez la femme (1). Malgré un traitement initial agressif, seuls 60 % des patients ayant une tumeur classée T2, 50 % des patients ayant une tumeur classée T3a et 15 % des sujets souffrant d’une tumeur classée T3b seront en vie à 5 ans. L’expérience de l’utilisation de la chimiothérapie néoadjuvante est étayée par de nombreux essais cliniques. L’essai le plus important a été réalisé par l’EORTC et le MRC (5) et a inclus 976 patients, avec une chimiothérapie de type CMV (cisplatine, méthotrexate et vinblastine). Le traitement loco-régional pouvait faire appel à une cystectomie ou à une radiothérapie. Avec un recul important, l’étude est significative en faveur du bras chimiothérapie, avec un gain en survie de 5,5 % (résultats présentés à l’ASCO en 2002) ; le taux de pT0 était Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 Chimiothérapie néo-adjuvante dans le cancer de la vessie envahissant le muscle : pour quels patients, pour quelles tumeurs ? Nouveaux agents en traitement néo-adjuvant De nombreux agents sont développés dans le cadre d’essais thérapeutiques dans le cancer de la vessie à un stade avancé, dont les inhibiteurs des récepteurs au VEGF et à l’EGF. Un certain nombre de ces agents sont en cours d’essai en situation néo-adjuvante, en traitement court entre la biopsie et la cystectomie, avec un objectif pharmacodynamique. À ce jour, aucun de ces agents, utilisé seul ou associé, n’a prouvé sa supériorité par rapport au MVAC (tableau). Chimiothérapie néo-adjuvante et conservation vésicale Après résection transurétrale de la vessie, 15 % des patients sont pT0 sur la pièce de cystectomie, et ce 10 Groupe chimiothérapie néo-adjuvante Groupe témoins 9 8 Survie globale (%) de 32 % chez les patients ayant eu une cystectomie (57 %). Un autre essai, mené par le SWOG et comparant 3 cycles de MVAC (méthotrexate, vinblastine, adriamycine et ciplastine) à un traitement local d’emblée, a inclus 298 patients ; la survie médiane était de 77 mois dans le bras chimiothérapie néo-adjuvante versus 46 mois dans le bras chirurgie seule, avec un taux de pT0 de 38 % après chimiothérapie (versus 15 %) [6]. Une méta-analyse sur données individuelles, regroupant 11 essais et plus de 3 000 patients classés T2 à T4a inclus dans un essai comparant chimiothérapie à base de cisplatine (seul ou en association) à un traitement local d’emblée (chirurgie ou radiothérapie) a été publiée en 2005. Un bénéfice statistiquement significatif en termes de survie à 5 ans de 5 % (HR = 0,86 ; IC95 : 0,770,95 [p = 0,003]) a été retrouvé (7), avec une diminution du risque de décès de 14 % et une amélioration de la survie spécifique de 9 % (figure 1). Cet effet bénéfique n’a pu être attribué à un sousgroupe particulier de patients en fonction de l’âge, du sexe, du stade clinique T ou N, ou du performance status (PS). Néanmoins, cette méta-analyse a montré un avantage modeste mais incontestable d’une combinaison de chimiothérapie à base de cisplatine, mais pas d’une monothérapie par platine, pour une population sélectionnée de patients correspondant aux critères d’inclusion, ayant une tumeur de T2 à T4a N0, avec un bon état général (PS : 0-1), une fonction rénale conservée (clairance de la créatinine > 50 ­ml/­mn) et âgés de moins de 70 ans, soit environ 50 % de la totalité de nos patients. 7 6 5 4 3 É vénements 686 744 2 1 0 0 1 2 Total 1 220 1 213 3 4 5 Année 6 7 8 9 10 Figure 1. Survie globale (extrait de ABC meta-analysis collaboration. Eur Urol 2005;48:202-5). Tableau. Liste des essais évaluant la chimiothérapie néo-adjuvante et déclarés sur clinicaltrials.gov Essai Agents Phase II, MSKCC (en cours) GC + sunitinib Objectif Efficacité/toxicité Phase II, MD Anderson Cancer Center MVAC + bévacizumab (en cours) Efficacité/toxicité Phase II, Lilly (terminé) GC Efficacité/toxicité Phase II, Celldex Therapeutics (en cours) GC + CD1307 Efficacité/toxicité Phase II, Université du Michigan (en cours) Carboplatine-gemcitabine + ABI 007 Efficacité/toxicité Phase II, Fox Chase Cancer Center (en cours) MVAC intensifié Efficacité Phase II, NCI (en cours) GC + bévacizumab Efficacité/toxicité taux atteint 35 % à 45 % après chimiothérapie néoadjuvante (7, 8). Malheureusement, l’absence de tumeur résiduelle ne signifie pas que le patient est guéri. Aucun essai randomisé n’a jusqu’à présent comparé la survie des patients ayant une résection seule versus une cystectomie. Les facteurs pouvant favoriser une conservation vésicale sont le stade clinique, la taille de la tumeur (< 3-5 cm), l’absence d’hydronéphrose, l’absence de masse palpable et l’existence d’une lésion unifocale. Plusieurs essais (9-13) ont tenté d’évaluer une chimiothérapie néo-adjuvante associée à une radiothérapie en cas de réponse histologique complète. La survie globale variait dans ces séries de 48 % à 63 % à 5 ans ; le taux de vessies en place à 5 ans est supérieur à 40 % (8, 14, 15). Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 123 Vessie : le point sur les traitements adjuvants et néo-adjuvants dossier thématique Une chimiothérapie néo-adjuvante pourrait aussi être utilisée, en combinaison avec une résection transurétrale de la vessie optimale, pour préserver la vessie chez des patients en réponse complète histologique (16). Un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) national (dirigé par le Dr Mottet, clinique mutualiste chirurgicale de la Loire) est en cours afin d’évaluer le taux de préservation vésicale à 5 ans. La prise en charge de ces patients commence par une résection maximale. Chaque fois que cela est possible, la résection doit être macroscopiquement complète. Une chimiothérapie néoadjuvante est ensuite réalisée sur une durée de 3 mois (MVAC intensifié). Une nouvelle résection maximaliste standardisée est réalisée à la fin de la chimiothérapie. En cas de réponse favorable (pT < pT2 sur la résection de contrôle), le patient est surveillé ; en cas de récidive infiltrante, le patient est traité selon les recommandations de 2007 du comité de cancérologie de l’Association française d’urologie ; en cas de réponse défavorable (pT > pT1), une cystectomie totale est réalisée. Conclusion À l’ère de la médecine fondée sur le niveau de preuve scientifique, la chimiothérapie néo-adjuvante suivie d’une cystoprostatectomie avec curage ganglionnaire étendu devrait être considérée comme le standard de la prise en charge des tumeurs de la vessie envahissant le muscle opérables (17), chez les patients présentant un état général et une fonction rénale leur permettant de recevoir une chimiothérapie première à base de cisplatine sans compromettre la réalisation de la cystectomie. La méta-analyse des essais randomisés montre en effet clairement un bénéfice en survie à long terme dès le stade T2 clinique, augmentant pour le stade T3b. Un certain nombre de questions reste néanmoins en suspens. ✓✓ Le choix de la chimiothérapie de référence : seuls les protocoles MVAC et CMV ont été évalués dans cette situation. Le GC (gemcitabine-cisplatine) est un proto­cole moins toxique pour lequel une analyse rétrospective (18) a montré des taux de réponse histologiques similaires à ceux publiés avec le MVAC, mais son efficacité reste à évaluer dans un essai prospectif. ✓✓ Le traitement local optimal en fonction de la réponse histologique est souvent un facteur confondant dans l’analyse des résultats. Les recherches translationnelles de génomique et de protéomique de ces tumeurs pour essayer de prédire la réponse au traitement sont prometteuses (19). Un ensemble de 14 gènes pourrait séparer les patients en 2 groupes : répondeurs et non-répondeurs au MVAC Facteurs environnementaux Cibles Nouveaux traitements Transcriptomique Biopsie tissulaire Protéomique Facteurs génétiques Diagnostic Données cliniques Facteurs de risque Traitement personnalisé Essais cliniques Traitement de première ligne Figure 2. 124 Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010 Chimiothérapie néo-adjuvante dans le cancer de la vessie envahissant le muscle : pour quels patients, pour quelles tumeurs ? néo-adjuvant. Ce profil a été réalisé sur un échantillon de 27 patients avec une prédiction positive de 93 % pour les répondeurs et de 100 % pour les non-répondeurs. Cette étude a été validée sur un deuxième groupe de 22 patients (20). Le gène BRCA1 semble également impliqué dans la réponse à la chimiothérapie (21). Dans une analyse réalisée chez 57 patients, la survie médiane des 39 patients exprimant faiblement ou moyennement BRCA1 était de 168 mois, avec un taux de réponse à la chimiothérapie de 66 %, alors que les 18 patients exprimant fortement BRCA1 avaient une survie médiane de 34 mois et un taux de réponse à la chimiothérapie de 22 %, sans différence dans les caractéristiques cliniques pouvant influencer la survie. Ces différents résultats amènent à penser que, d’ici quelques années un traitement “à la carte” pourra être proposé aux patients, en fonction de leur profil génomique (22). Enfin, évaluer en situation néo-adjuvante les nouvelles approches thérapeutiques des tumeurs localisées envahissant le muscle apparaît plus simple et mieux adapté qu’en situation adjuvante, avec un accès facile aux prélèvements tumoraux avant et après traitement. Cela devrait permettre, dans un proche avenir, une analyse précise des effets biologiques. ■ Références 1. 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