Chimiothérapie néo-adjuvante dans le cancer de la vessie

Correspondances en Onco-urologie - Vol. I - n° 3 - octobre-novembre-décembre 2010
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dossier thématique
Vessie :
le point sur les traitements
adjuvants et néo-adjuvants
Chimiothérapie néo-adjuvante
dans le cancer de la vessie envahissant
le muscle : pour quels patients,
pour quelles tumeurs ?
Neoadjuvant chemotherapy in bladder cancer:
which patients, which tumors?
N. Houédé*, G. Roubaud*
* Département
d’oncologie médicale,
institut Bergonié,
Bordeaux.
L
e cancer de la vessie touche plus de 8 000 per-
sonnes par an en France, avec 30 % de tumeurs
infiltrant le muscle. En France, c’est la quatrième
cause de décès par cancer chez l’homme et la septième
chez la femme (1). Malgré un traitement initial agressif,
seuls 60 % des patients ayant une tumeur classée T2,
50 % des patients ayant une tumeur classée T3a et 15 %
des sujets souffrant d’une tumeur classée T3b seront
en vie à 5 ans.
Objectifs du traitement néo-adjuvant
La chimiothérapie néo-adjuvante est un traitement
médical systémique réalisé avant le traitement loco-
gional, décide principe pour une tumeur opérable.
Ses objectifs sont multiples :
éradiquer les micrométastases et éviter l’implan-
tation de cellules tumorales circulantes au moment
de la chirurgie ;
réduire la taille de la tumeur et éventuellement per-
mettre de conserver l’organe (si obtention d’un pT0) ;
prolonger la survie.
Mettre en place une chimiothérapie néo-adjuvante
a plusieurs avantages : la toxicité est souvent moins
marquée quen situation métastatique, chez des patients
en meilleur état général, et, surtout, elle permet de
tester in vivo la chimiosensibilité de la tumeur (2).
Le risque est que la chimiothérapie néo-adjuvante
se révèle délétère en cas de non-réponse du fait d’un
retard à la prise en charge chirurgicale ; ce risque est
majoré sil existe un délai de plus de 12 semaines entre
le diagnostic et la prise en charge chirurgicale (3, 4) ou
si la toxicité est trop marquée.
Principaux résultats
Lexpérience de l’utilisation de la chimiothérapie néo-
adjuvante est étayée par de nombreux essais cliniques.
Lessai le plus important a été réalisé par l’EORTC et le
MRC (5) et a inclus 976 patients, avec une chimiothérapie
de type CMV (cisplatine, méthotrexate et vinblastine).
Le traitement loco-régional pouvait faire appel à une
cystectomie ou à une radiothérapie. Avec un recul
important, l’étude est significative en faveur du bras
chimiothérapie, avec un gain en survie de 5,5 % (résul-
tats présentés à l’ASCO en 2002) ; le taux de pT0 était
»
Patients opérables présentant une tumeur T2 à T4 envahissant la
musculeuse.
»Gain de survie significatif de 5 % à 5 ans.
»Chimiothérapie à base de cisplatine (CMV, MVAC).
»
Chimiothérapie non recommandée pour les patients avec un
performance status supérieur ou égal à 2 et une fonction rénale
altérée.
Mots-clés : Chimiothérapie néo-adjuvante – Tumeur infiltrante de la
vessie – Cystectomie – Cisplatine.
Patients undergoing curative cystectomy for muscle invasive bladder
tumor, T2 to T4a.
Significant benefice of 5% in overall survival at 5 years.
Cisplatine-based chemotherapy (CMV, MVAC).
Chemotherapy non recommended for patients with a performance status
≥ 2 and a renal dysfunction.
Keywords: Neoadjuvant chemotherapy – Muscle invasive bladder cancer
– Cystectomy – Cisplatin.
Points fortshighlights
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Figure 1. Survie globale (extrait de ABC meta-analysis collaboration. Eur Urol 2005;48:202-5).
Événements Total
686 1 220
744 1 213
10
6
5
8
9
7
4
3
2
1
1 3 50 4 762 1098
0
Année
Survie globale (%)
Groupe chimiothérapie néo-adjuvante
Groupe témoins
Tableau. Liste des essais évaluant la chimiothérapie néo-adjuvante et déclarés sur clinicaltrials.gov
Essai Agents Objectif
Phase II, MSKCC (en cours) GC + sunitinib Efficacité/toxicité
PhaseII, MD Anderson Cancer Center
(en cours)
MVAC + bévacizumab Efficacité/toxicité
Phase II, Lilly (terminé) GC Efficacité/toxicité
Phase II, Celldex Therapeutics
(en cours)
GC + CD1307 Efficacité/toxicité
Phase II, Université du Michigan
(en cours)
Carboplatine-gemcitabine + ABI 007 Efficacité/toxicité
Phase II, Fox Chase Cancer Center
(en cours)
MVAC intensifié Efficacité
Phase II, NCI (en cours) GC + bévacizumab Efficacité/toxicité
Chimiothérapie néo-adjuvante dans le cancer de la vessie envahissant le muscle :
pour quels patients, pour quelles tumeurs ?
de 32 % chez les patients ayant eu une cystectomie
(57 %). Un autre essai, mené par le SWOG et comparant
3 cycles de MVAC (méthotrexate, vinblastine, adriamy-
cine et ciplastine) à un traitement local d’emblée, a inclus
298 patients ; la survie médiane était de 77 mois dans
le bras chimiothérapie néo-adjuvante versus 46 mois
dans le bras chirurgie seule, avec un taux de pT0 de
38 % après chimiothérapie (versus 15 %) [6].
Une méta-analyse sur données individuelles, regrou-
pant 11 essais et plus de 3 000 patients classés T2 à T4a
inclus dans un essai comparant chimiothérapie à base
de cisplatine (seul ou en association) à un traitement
local d’emblée (chirurgie ou radiothérapie) a été publiée
en 2005. Un bénéfice statistiquement significatif en
termes de survie à 5 ans de 5 % (HR = 0,86 ; IC95 : 0,77-
0,95 [p = 0,003]) a été retrouvé (7), avec une diminution
du risque de décès de 14 % et une amélioration de la
survie spécifique de 9 % (figure 1).
Cet effet bénéfique n’a pu être attribué à un sous-
groupe particulier de patients en fonction de l’âge,
du sexe, du stade clinique T ou N, ou du performance
status (PS). Néanmoins, cette méta-analyse a montré
un avantage modeste mais incontestable d’une com-
binaison de chimiothérapie à base de cisplatine, mais
pas d’une monothérapie par platine, pour une popu-
lation sélectionnée de patients correspondant aux
critères d’inclusion, ayant une tumeur de T2 à T4a N0,
avec un bon état général (PS : 0-1), une fonction rénale
conservée (clairance de la créatinine > 50 ml/ mn) et
âgés de moins de 70 ans, soit environ 50 % de la totalité
de nos patients.
Nouveaux agents
en traitement néo-adjuvant
De nombreux agents sont développés dans le cadre
d’essais thérapeutiques dans le cancer de la vessie à
un stade avan, dont les inhibiteurs des récepteurs au
VEGF et à l’EGF. Un certain nombre de ces agents sont
en cours d’essai en situation néo-adjuvante, en traite-
ment court entre la biopsie et la cystectomie, avec un
objectif pharmacodynamique. À ce jour, aucun de ces
agents, utilisé seul ou associé, n’a prouvé sa supériorité
par rapport au MVAC (tableau).
Chimiothérapie néo-adjuvante
et conservation vésicale
Après résection transurétrale de la vessie, 15 % des
patients sont pT0 sur la pièce de cystectomie, et ce
taux atteint 35 % à 45 % après chimiothérapie néo-
adjuvante (7, 8). Malheureusement, l’absence de tumeur
résiduelle ne signifie pas que le patient est guéri.
Aucun essai randomisé n’a jusqu’à présent comparé la
survie des patients ayant une résection seule versus
une cystectomie. Les facteurs pouvant favoriser une
conservation vésicale sont le stade clinique, la taille
de la tumeur (< 3-5 cm), l’absence d’hydronéphrose,
l’absence de masse palpable et l’existence d’une lésion
unifocale.
Plusieurs essais (9-13) ont tenté d’évaluer une chimio-
thérapie néo-adjuvante associée à une radiothérapie en
cas de réponse histologique complète. La survie globale
variait dans ces séries de 48 % à 63 % à 5 ans ; le taux de
vessies en place à 5 ans est supérieur à 40 % (8, 14, 15).
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dossier thématique
Vessie :
le point sur les traitements
adjuvants et néo-adjuvants
Figure 2.
Traitement personnalisé
Diagnostic Traitement de première ligne
Cibles Nouveaux traitements
Facteurs
environnementaux
Facteurs
génétiques
Biopsie tissulaire
Facteurs de risque
Transcriptomique
Protéomique
Données cliniques Essais cliniques
Une chimiothérapie néo-adjuvante pourrait aussi être
utilisée, en combinaison avec une résection transurétrale
de la vessie optimale, pour préserver la vessie chez des
patients en réponse complète histologique (16).
Un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC)
national (dirigé par le Dr Mottet, clinique mutualiste
chirurgicale de la Loire) est en cours afin d’évaluer le
taux de préservation vésicale à 5 ans. La prise en charge
de ces patients commence par une résection maximale.
Chaque fois que cela est possible, la résection doit être
macroscopiquement complète. Une chimiothérapie o-
adjuvante est ensuite réalisée sur une durée de 3 mois
(MVAC intensifié). Une nouvelle résection maximaliste
standardisée est réalisée à la fin de la chimiothérapie.
En cas de réponse favorable (pT < pT2 sur la résection
de contrôle), le patient est surveil; en cas de récidive
infiltrante, le patient est traité selon les recommanda-
tions de 2007 du comide cancérologie de l’Association
française d’urologie ; en cas de réponse défavorable
(pT > pT1), une cystectomie totale est réalisée.
Conclusion
À l’ère de la médecine fondée sur le niveau de preuve
scientifique, la chimiothérapie néo-adjuvante suivie
d’une cystoprostatectomie avec curage ganglionnaire
étendu devrait être considérée comme le standard de
la prise en charge des tumeurs de la vessie envahissant
le muscle opérables (17), chez les patients présentant
un état général et une fonction rénale leur permet-
tant de recevoir une chimiothérapie première à base
de cisplatine sans compromettre la alisation de la
cystectomie. La méta-analyse des essais randomisés
montre en effet clairement un bénéfice en survie à
long terme dès le stade T2 clinique, augmentant pour
le stade T3b.
Un certain nombre de questions reste néanmoins en
suspens.
Le choix de la chimiothérapie de référence : seuls
les protocoles MVAC et CMV ont été évalués dans
cette situation. Le GC (gemcitabine-cisplatine) est
un proto cole moins toxique pour lequel une analyse
rétrospective (18) a montré des taux de réponse histo-
logiques similaires à ceux publiés avec le MVAC, mais
son efficacité reste à évaluer dans un essai prospectif.
Le traitement local optimal en fonction de la ponse
histologique est souvent un facteur confondant dans
l’analyse des résultats.
Les recherches translationnelles de génomique et de
protéomique de ces tumeurs pour essayer de prédire
la réponse au traitement sont prometteuses (19). Un
ensemble de 14 gènes pourrait séparer les patients en
2 groupes : répondeurs et non-répondeurs au MVAC
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Chimiothérapie néo-adjuvante dans le cancer de la vessie envahissant le muscle :
pour quels patients, pour quelles tumeurs ?
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R é f é r e n c e s
néo-adjuvant. Ce profil a été réalisé sur un échantillon
de 27 patients avec une prédiction positive de 93 % pour
les répondeurs et de 100 % pour les non-répondeurs.
Cette étude a été validée sur un deuxième groupe de
22 patients (20). Le gène BRCA1 semble également
impliqué dans la réponse à la chimiothérapie (21). Dans
une analyse alisée chez 57 patients, la survie médiane
des 39 patients exprimant faiblement ou moyennement
BRCA1 était de 168 mois, avec un taux de réponse à la
chimiothérapie de 66 %, alors que les 18 patients expri-
mant fortement BRCA1 avaient une survie médiane de
34 mois et un taux de réponse à la chimiothérapie de
22 %, sans différence dans les caractéristiques cliniques
pouvant influencer la survie. Ces différents résultats
amènent à penser que, d’ici quelques années un trai-
tement “à la carte” pourra être proposé aux patients,
en fonction de leur profil génomique (22).
Enfin, évaluer en situation néo-adjuvante les nouvelles
approches thérapeutiques des tumeurs localisées enva-
hissant le muscle apparaît plus simple et mieux adapté
quen situation adjuvante, avec un accès facile aux pré-
lèvements tumoraux avant et après traitement. Cela
devrait permettre, dans un proche avenir, une analyse
précise des effets biologiques.
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