La chimiothérapie adjuvante après cystectomie pour

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Progrès en Urologie (1997), 7, 102-104
La chimiothérapie adjuvante après cystectomie
pour tumeur vésicale de stade supérieur ou égal à pT3
Hans-Peter SCHMID, Urs E. STUDER
Clinique Urologique, CHU Berne, Suisse
La cystectomie radicale avec lymphadénectomie pelvienne est le traitement standard du cancer de la vessie
avec infiltration musculaire. La présence d’un cancer
de stade pT3b à pT4, avec ou sans évidence de lymphadénopathies régionales représente un pronostic
défavorable, car la plupart de ces patients possèdent
déjà au moment de la chirurgie des métastases occultes
à distance. Ce fait, associé à l’observation que le cancer
urothélial est une tumeur chimiosensible [7] ont
conduit à développer des études dans le but de mettre
en place une chimiothérapie adjuvante après cystectomie radicale.
La première étude prospective randomisée a été publiée
par SKINNER et ses collaborateurs en 1991 [5]. Après
cystectomie radicale et lymphadénectomie chez un collectif de 91 patients, 44 d’entre eux étaient prévus pour
une chimiothérapie adjuvante à l’aide de 4 séances de
type
CISCA
(Ci splati ne,
Doxorubicine,
Cyclophosphamide), alors que les 47 autres patients
n’ont eu aucun autre traitement complémentaire à la
chirurgie (Tableau 1). Cette étude a été sévèrement critiquée en raison de plusieurs points faibles. La critique
principale porte sur le fait que sur un collectif total initial de 229 patients ayant un stade tumoral P3-P4 et/ou
des ganglions positifs, seuls 160 de ces patients ont été
sélectionnés, et parmi ces derniers, seuls 91 d’entre eux
randomisés. Enfin, ne figurent dans le bras «chimiothérapie adjuvante avec 4 séances de type CISCA» que 21
des 44 patients (48%). Toutefois, selon les auteurs la
survie médiane dans le groupe des patients traités serait
meilleure (4,3 versus 2,4 ans). Après analyse corrective ultérieure des courbes de survie à l’aide du «log
rank» test, il ne persiste toutefois aucune différence statistiquement significative entre les 2 groupes (p=0,12).
STÖCKLE et ses collaborateurs ont utilisé dans leur protocole l’association M-VAC (Methotrexate, Vinblastine,
Doxorubicine, Cisplatine), respectivement M-VEC
(Epirubicine remplaçant la Doxorubicine) [8], qui semble
supérieure dans les tumeurs urothéliales, à la monothérapie par cisplatine aussi bien qu’à la combinaison de type
CISCA [2, 3]. Après 3 séances de chimiothérapie adjuvante la survie sans récidive était, en comparaison du
groupe traité par chirurgie seule, nettement meilleure, de
sorte que l’étude a été interrompue de façon anticipée en
raison d’une analyse intermédiaire. Parmi les 18 patients
effectivement traités, on observait une progression chez
seulement 3 d’entre eux (17%), en comparaison de 18 sur
23 patients (78%) dans le groupe contrôle. En effet, les
auteurs n’ont analysé que la période jusqu’à la progression tumorale, ce qui n’est pas un fait essentiel, et pas la
survie totale qui est par contre beaucoup plus importante.
En outre, les patients du bras contrôle, chez lesquels on
observait une récidive, n’ont bénéficié d’aucune chimiothérapie, ce qui semble douteux et ne correspond pas à la
pratique clinique habituelle.
Dans la seule étude multicentrique randomisée actuelle
faisant état de l’administration d’une monothérapie
post-opératoire à base de cisplatine, 77 patients ayant
un stade tumoral pT1-pT4 sont répertoriés (Tableau 1).
La valeur médiane du suivi s’élève à 5 ans et 9 mois (de
3 à 8 ans). Cinq ans après cystectomie radicale, 57%
des patients ayant bénéficié de 3 séances de chimiothérapie adjuvante à base de cisplatine et 54% des patients
n’ayant pas reçu de cisplatine sont encore en vie. Cette
différence n’est toutefois pas significative [9]. Il est à
noter d’une part que ces patients ont été sélectionnés de
manière stricte (bon état général, fonction rénale correcte, stades pT1-2 confondus) et d'autre part, que
l’évolution post-opératoire était extrêmement bonne,
de même que dans le groupe contrôle.
Dans l’étude de Stanford, la moitié des patients a reçu,
durant la période post-opératoire, 4 séances de type
CMV (Cisplatine, Methotrexate, Vinblastine) [1]. La
survie totale médiane s’élève à 63 mois dans le groupe
adjuvant et à 36 mois dans le groupe contrôle. Cette
différence n’est statistiquement pas si gni ficative
(p=0,32). Il faut souligner que les patients n’ayant pas
de chimiothérapie adjuvante recevaient, en cas de récidive, une thérapie associative de type CMV, ceci ayant
permis de sauver quelques-uns d’entre eux. Dans ce
sens, cette étude pourrait être interprétée comme faisant
intervenir un traitement chimiothérapeutique immédiat
versus retardé dans les cas de cancer vésical à progression locale. D’après les considérations ci-dessus, il est
à remarquer que les études randomisées citées [1, 5, 8,
9] portent au grand jour les principales difficultés rencontrées dans le domaine médical et statistique.
Le problème principal porte sur la sélection des
patients. Ceux d’entre eux ayant une haute probabilité
Manuscrit reçu : septembre 1996.
Adresse pour correspondance : Priv. - Doc. Dr. H.-P. Schmid, Clinique Urologique,
Université de Berne, Hôpital de l’Ile, 3010 Berne, Suisse.
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Tableau 1. Etudes prospectives randomisées concernant l’application de la chimiothérapie adjuvante après cystectomie radicale.
Premier Auteur
(référence)
Chimiothérapie
adjuvante
Collectif total de
patients
(traitement/contrôles)
Age (années)
médiane, échelle
Stade
Terme de l’étude
Skinner 1991 [5]
CISCA
91 (44/47)
61/62 22-75
P3, P4
ou N+
Temps jusqu’à la
progression
Survie médiane
Stöckle 1992 [8]
M-VAC/M-VEC
49 (26/23)
61,5/63 32-74
pT3b, pT4a
± pN1-2
Taux de progression
Studer 1994 [9]
Cisplatine
77 (37/40)
64/61 41-73
pT1 - pT4a
+ pN1-2
Survie totale
Freiha 1996 [1]
CMV
50 (25/25)
61,5* 41-78
pT3b, pT4
± pN+
Temps jusqu’à la
progression
Survie médiane
CISCA
M-VAC/M-VEC
CMV
* moyenne
Cisplatine, Doxorubicine, Cyclophosphamide.
Methotrexat, Vinblastine, Doxorubicine/Epirubicine, Cisplatine.
Cisplatine, Methotrexat, Vinblastine.
de récidive (obstruction urétérale et insuffisance rénale
concomitante, évidence d’adénopathies sur le scanner
pré-opératoire) ne sont pas admis dans de tels protocoles. Ainsi, restent les patients en bon état général
ayant un stade de faible malignité. Ces patients n’atteignent donc pas le terme de l’étude (progression
tumorale, décès en raison du cancer) ou bien que très
tardivement. La compétitivité pour la mortalité en raison de maladies intercurrentes - pouvant d’ailleurs être
influencée par la toxicité due à la chimiothérapie - fait,
en effet, que très peu de patients meurent du fait de la
progression tumorale et n’atteignent donc pas le terme
de l’étude. La marge relativement étroite des patients
observables, est encore amputée en raison de la haute
toxicité de la chimiothérapie adjuvante. Ceci fait que
seule une partie de la dose initialement prévue est
maintenue. Dans les 4 études mentionnées dans le
tableau, seulement entre 48% [5] et 88% [1] des
patients initialement prévus ont été traités. Enfin, à cela
vient s’ajouter le fait que près de 35% des patients
ayant des ganglions positifs après chirurgie seule (cystectomie et lymphadénectomie méticuleuse) survivent
plus de 5 ans [4, 6]. De ce fait, le résultat éventuel
d’une chimiothérapie adjuvante n’est absolument pas
évaluable, puisque les patients se trouvent de toute
façon guéris. Pour ces patients, la chimiothérapie
représente même un traitement inutile.
En raison du faible nombre de patients (Tableau 1) et
de la période trop courte du suivi, le résultat se trouve
immédiatement fortement influencé par un nombre
même faible d’évènements intercurrents. Ceci n’a donc
aucune puissance de discernement statistique. De façon
générale, l’on peut dire que moins de patients sont
nécessaires si le terme de l’étude est atteint précocément, les évènements intercurrents apparaissent fré-
quemment et la chimiothérati ve est curative. Par
contre, lorsque la différence entre 2 groupes est faible,
la performance statistique (power) ne suffit souvent pas
à déceler une telle différence [9]. Le recrutement lent
des patients représente également un problème, car, de
cette façon, la puissance de discernement sur le plan
statistique s’en trouve amoindrie en soi. Dans les 4
études citées, l’enregistrement des patients s’élève à
plus de 3 ans et demi [8] et 8 ans et demi [5]. Enfin, les
résultats dépendent de leur exploitation même, ainsi
que du type de test appliqué. Le test de Wilcoxon
montre une différence précoce entre 2 populations et,
de ce fait, ne devrait pas être utilisé pour l’analyse de
courbes de survie [5]; tandis que le «log rank» test
accentue une différence retardée [1, 8, 9].
Il n’en reste pas moins et tout le monde s’accorde à dire
que les traitements de type M-VAC et CMV représentent à l’heure actuelle les formes chimiothérapeutiques
les plus efficaces dans les cas de cancer urothélial. En
outre, l’adénocarcinome, le carcinome à cellules épithéliales purs - ainsi que le carcinome in situ - répondent misérablement à ce type de thérapie et devraient
être exclus des protocoles [5, 8]. L’extension locale de
la tumeur [9], ainsi que le nombre de ganglions positifs
[5, 8], sont les facteurs pronostiques négatifs les plus
importants. A l’heure actuelle, on ne sait toujours pas
dans quelle mesure le pronostic après cystectomie radicale, peut être amélioré par l’application d’une chimiothérapie adjuvante. Il existe, en général, très peu de
données consistantes objectives qui parlent en faveur
d’un tel traitement. Par ailleurs, en raison du taux élevé
de progression reconnu dans les stades pT3 ou plus, la
majorité de ces patients sera tôt ou tard confrontée au
problème de la chimiothérapie. Dans l’attente de résultats d’études prospectives randomisées, le problème de
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savoir si l’application d’une chimiothérapie adjuvante
immédiate est équivalente ou supérieure à un traitement systémique, dans les cas de récidives documentées, reste posé.
Les auteurs remercient le Docteur Alain Bitton pour la rédaction
du manuscrit.
REFERENCES
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Influence de la lymphadénectomie et de la localisation des métastases ganglionnaires dans le carcinome vésical invasif sur le pronostic à long terme (abstract). Prog. Urol., in press.
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trial. J. Urol., 1991, 145, 459-467.
6. SKINNER D.G. Management of invasive bladder cancer : a meticulous pelvic node dissection can make a difference. J. Urol., 1982,
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7. STERNBERG C.N., YAGODA A., SCHER H.I., WATSON R.C.,
AHMED T., WEISELBERG L.R., GELLER N., HOLLANDER
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Preliminary results of M-VAC (Metho trexate, Vinblastine,
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8. STÖCKLE M., MEYENBURG W., WELLEK S., VOGES G., GERTENBACH U., THÛROFF J.W., HUBER C., HOHENFELLNER
R. Advanced bladder cancer (stages pT3b, pT4a, pN1 and pN2) :
improved survival after radical cystectomy and 3 adjuvant cycles of
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1992, 148, 302-307.
9. STUDER U.E., BACCHI M., BIEDERMANN C., JAEGER P.,
KRAFT R., MAZZUCCHELLI L., MARKWALDER R., SENN E.,
SONNTAG R.W. Adjuvant cisplatin chemotherapy following cystectomy for bladder cancer : results of a prospective randomized
trial. J. Urol., 1994, 152, 81-84.
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