Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) Déséquilibre significatif : précisions quant à l’action du ministre de l’économie le 23 mars 2015 AFFAIRES | Concurrence - Distribution Dans un important arrêt du 3 mars 2015, la chambre commerciale apporte des précisions sur la portée de l’action du ministre de l’Économie et sur l’appréciation de la notion de déséquilibre significatif. Com. 3 mars 2015, FS-P+B, n° 13-27.525 L’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce poursuit un objectif d’intérêt général qui est la stabilité économique. Par conséquent, et en vertu du III de cet article, le ministre de l’Économie peut contrôler les clauses du contrat. Certains auteurs se sont interrogés sur le bien-fondé de l’action du ministre qui dépossède les cocontractants de leur liberté d’agir en justice (V. C. Lucas de Leyssac, M. Chagny, Le droit des contrats, instrument d’une forme nouvelle de régulation économique, RDC 1er juill. 2009, n° 3, p. 1268). Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel juge cette disposition conforme à la Constitution car il s’agit d’une action en défense d’un intérêt général (Cons. const., 13 mai 2011, n° 2011-126 QPC, Dalloz actualité, 24 mai 2011, obs. E. Chevrier ; D. 2011. 1833, point de vue C. Rougeau-Mauger ; ibid. 2961, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2012. 577, obs. D. Ferrier ; Constitutions 2011. 507, chron. J. Barthélemy et L. Boré ). En l’espèce, le ministre chargé de l’Économie a assigné la société Eurauchan, centrale d’achats des magasins à l’enseigne Auchan, en raison d’une pratique créant un déséquilibre significatif résultant des clauses des conventions régissant les relations entre cette société et ses fournisseurs, en nullité de ces clauses, en cessation des pratiques et en paiement d’une amende civile. En cours d’instance, le ministre a renoncé à sa demande de nullité. Le deuxième et le cinquième moyen du pourvoi de la société Eurauchan concernent la recevabilité de l’action du ministre. Dans le deuxième moyen, la société reproche à la cour d’appel d’avoir considéré recevable l’action du ministre alors que cette action est, selon elle, subordonnée à l’information des parties qui s’impose au ministre quel que soit la teneur de sa demande. La Cour de cassation rejette ce moyen en rappelant qu’en vertu de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, l’information des parties concerne uniquement l’action du ministre visant la nullité des conventions, à la restitution de sommes indûment perçues et à la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés. Or la chambre commerciale juge que celui-ci ayant retiré son action en nullité, l’information des parties n’était plus nécessaire. Son action portant sur la cessation des pratiques et le prononcé d’une amende civile est par conséquent recevable. Le cinquième moyen du pourvoi soutenait que le ministre n’était pas recevable à demander préventivement la suppression de clauses estimées illicites dans un contrat type proposé à la négociation entre les cocontractants. Ce moyen est également rejeté par les juges du droit qui retiennent que la demande du ministre concernait une suppression de clauses pour l’avenir, ce que l’article L. 442-6 lui permet de faire. L’arrêt commenté revient, également, sur l’appréciation de la notion déséquilibre significatif, notion incertaine issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 et que l’article L. 442-6, I, 2°, ne définit pas. Sa prohibition est perçue par certains auteurs comme une nouvelle limite à la liberté contractuelle (RTD com. 2014. 267, obs. E. Gicquiaud ). Toutefois, la disposition ci-dessus a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 janvier 2011 (Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC, Dalloz actualité, 19 janv. 2011, obs. E. Chevrier ; D. 2011. 415, note Y. Picod ; ibid. 392, chron. M. Chagny ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; ibid. 2961, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017 Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) AJ pénal 2011. 191, obs. J.-B. Perrier ; RTD civ. 2011. 121, obs. B. Fages ; RTD com. 2011. 655, obs. B. Bouloc ). Dans le sixième moyen du pourvoi, la société Eurauchan conteste la qualification de déséquilibre significatif provoqué par l’articulation de deux articles de la convention litigieuse. Cependant, la Cour de cassation précise que les juges du fond doivent apprécier non seulement les clauses qui leur sont soumises mais aussi le contrat dans son contexte et son économie. L’un des critères mis en avant par les juges du fond pour caractériser un déséquilibre significatif est celui de l’absence de réciprocité des dispositions contractuelles contestées. Ce critère est invoqué par la Cour de cassation dans l’affaire Eurauchan concernant d’une part la clause de révision du prix (septième moyen) et, d’autre part, la clause du taux de service fournisseur (huitième moyen). Dans le second cas, la Cour de cassation relève également une absence de contrepartie. Selon un auteur l’absence de contrepartie viendrait aggraver l’absence de réciprocité et serait plutôt un indice du déséquilibre significatif qu’un véritable critère (E. Gicquiaud, préc.). Par ailleurs, la décision commentée répond à une question que des auteurs ont déjà évoquée : est-ce qu’une clause déséquilibrée au détriment du fournisseur pourrait être compensée par une autre clause déséquilibrée en sa faveur ? Lors de l’examen des deux clauses, la Cour de cassation constate que la société Eurauchan n’apporte pas la preuve que d’autres clauses du contrat pourraient compenser le déséquilibre ainsi créé à son avantage. Ce qui suppose que si la convention avait comporté des clauses favorisant les fournisseurs les juges n’auraient pas retenu le déséquilibre significatif. Toutefois, une question demeure : la sanction consistant à enjoindre la cessation de la pratique litigieuse présente-t-elle une nature délictuelle ou contractuelle ? Gageons que la jurisprudence nous apportera rapidement une réponse (V. égal. l’arrêt du même jour, n° 14-10.907, F-D, Provera ) . par Laura Constantin Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017