Les recours contre les marchés publics Le Conseil d'Etat autorise désormais les concurrents évincés d'un marché public à former, après sa conclusion, un recours de plein contentieux en contestant la validité 23 juillet 2007 Par un arrêt en date du 16 juillet 2007 (« Société Tropic travaux signalisation »), le Conseil d’Etat a considérablement modifié sa jurisprudence concernant la recevabilité des recours formés par des tiers, en l’occurrence les soumissionnaires dont la candidature n’a pas été retenue, à l’encontre des marchés publics. 1- LES VOIES DE RECOURS JUSQU’ALORS OUVERTES AUX TIERS EN MATIERE DE MARCHES PUBLICS Outre le contentieux pénal afférent aux marchés publics, deux principales voies de recours contentieux étaient jusqu’alors ouvertes aux tiers en matière de marchés publics, à savoir : a) Avant la conclusion du marché : le référé précontractuel Conformément aux dispositions de l’article L. 551-1 du code administratif, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics, les entreprises ayant un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement, ainsi que le préfet dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, peuvent saisir le président du tribunal administratif avant la conclusion du marché. Le président du tribunal, ou le magistrat qu’il délègue, peut alors : - ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations ; - suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte ; - annuler les décisions correspondantes ; - supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent les obligations de publicité et de mise en concurrence ; - enjoindre, dès qu’il est saisi, de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. Le référé précontractuel ouvre ainsi au candidat qui s’estime lésé par le non-respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, une voie de recours avant que le marché ne soit conclu entre le pouvoir adjudicateur et l’attributaire. Les conséquences de ce référé sont parfois radicales. Le juge peut ainsi, par exemple, annuler la totalité de la procédure de passation du marché s’il constate que la violation des obligations légales entache l’avis d’appel public à la concurrence (en début de procédure). b) Le recours pour excès de pouvoir contre « les actes détachables du contrat » Jusqu’alors, et en dehors du référé précontractuel, le juge administratif ne reconnaissait pas le droit aux tiers à un marché public d’introduire un recours pour demander l’annulation dudit marché. Cette jurisprudence traditionnelle visait à préserver la bonne marche de l’administration et des services publics. En conséquence, seules les parties au contrat (le pouvoir adjudicateur et l’attributaire du marché) pouvaient arguer de la nullité, totale ou partielle, du marché en cause. Une exception était toutefois admise par le juge administratif, en permettant à un tiers d’intenter un recours, non pas contre le contrat lui-même, mais contre un « acte détachable » de celui-ci, faisant grief à l’intéressé et lui donnant intérêt à agir (jurisprudence constante depuis l’arrêt de principe : Conseil d’Etat – 4 août 1905 – Martin). « L’acte détachable » est un acte unilatéral, ayant le caractère d’une décision faisant grief, pris en vue de la conclusion du marché ou détachable de son contenu. Il est alors susceptible de recours pour excès de pouvoir. Il s’agit, par exemple, de la délibération d’un conseil municipal autorisant le maire à signer le marché avec une entreprise déterminée. Faisant grief aux autres entreprises évincées, cette délibération, qui est un acte « détachable » du contrat proprement dit, peut donc être attaquée par lesdites entreprises par voie du recours pour excès de pouvoir. Mais il n’en reste pas moins que l’annulation d’un acte détachable ne peut aboutir automatiquement à l’annulation d’un contrat. : "il appartient à l’administration, selon les circonstances propres à chaque affaire et sous le contrôle du juge, de déterminer les conséquences à tirer de l’annulation » (CE - 24 mai 2001 - Avriller). C’est cette possibilité, jusqu’alors limitée, qui était ouverte aux entreprises évincées de mettre en cause la régularité d’un marché public par le seul biais des « actes détachables », que le Conseil d’Etat vient d’élargir par son arrêt du 16 juillet 2007. 2- LA PORTEE DE LA NOUVELLE JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ETAT a) La possibilité désormais reconnue aux candidats évincés de contester directement la validité des marchés publics après leur conclusion Dans son arrêt précité, le Conseil d’Etat admet désormais que : « tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former (devant le juge compétent) un recours en pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires.» Il convient de souligner que : - contrairement à ce que lui proposait le commissaire du gouvernement, le Conseil d’Etat n’a admis cette nouvelle possibilité de recours qu’en faveur des candidats évincés lors de la passation d’un marché public, et non au profit d’autres catégories de tiers pouvant également justifier de droits lésés (par exemple : les contribuables locaux) ; - ces candidats évincés peuvent ainsi contester directement la validité du marché lui-même après sa conclusion, et demander son annulation, dans le cadre d’un recours de plein contentieux ; - outre l’annulation du marché en cause, les candidats évincés peuvent également demander une indemnisation financière au titre du préjudice causé par l’irrégularité éventuelle dudit marché. b) Ses conditions de recevabilité Le Conseil d’Etat a précisé les conditions dans lesquelles cette nouvelle possibilité de recours ouverte aux candidats évincés d’un marché public devait s’exercer, à savoir : - le recours doit être engagé, y compris pour les marchés relatifs aux travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement, par le pouvoir adjudicateur, des mesures de publicité appropriées, « notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect de secrets protégés par la loi » ; - à partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu’il dispose du recours ci-dessus défini, « le concurrent évincé n’est, en revanche, plus recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables » ; - une requête contestant la validité d’un contrat peut être accompagnée d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution. c) Les pouvoirs du juge dans le cadre de ce nouveau recours de plein contentieux Le Conseil d’Etat a également défini l’étendue des pouvoirs du juge administratif dans le cadre de ce nouveau recours de plein contentieux. Celui-ci peut, après avoir constaté et pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise : - soit prononcer la résiliation du contrat ou modifier certaines de ses clauses ; - soit décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante ; - soit accorder des indemnisations en réparation des droits lésés ; - soit, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, annuler totalement ou partiellement le contrat, le cas échéant avec un effet différé. d) Une nouvelle voie de recours ne pouvant être exercée qu’à l’encontre des marchés publics dont la procédure de passation a été engagée postérieurement au 16 juillet 2007, sous réserve des actions en justice ayant le même objet et déjà engagées avant cette date. Cette dernière précision du Conseil d’Etat vise, bien entendu, à ne pas porter une atteinte excessive à la sécurité juridique des relations contractuelles en cours. Enfin, il convient de noter que l’arrêt du Conseil d’Etat du 16 juillet 2007 semble s’inscrire dans le cadre, plus général, de l’évolution du droit communautaire en ce domaine, et plus particulièrement le projet de nouvelle directive, en cours d’élaboration, visant à modifier les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE relatives aux recours dans le domaine des marchés publics. Ainsi, par exemple, ce projet de directive pose notamment le principe selon lequel : « Les Etats membres veillent à ce que les procédures de recours soient accessibles, selon des modalités que les Etats membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée » (nouvelle rédaction proposée pour le paragraphe 3 de l’article 1er de la directive 89/665/CEE). Lettre hebdomadaire du Carrefour n° 297 du 23 juillet 2007 © Sénat