Il pleut il pleut bergère
Fabienne Bergmann
A partir du septième jour du mois de Hechvan et ce jusqu'au printemps, on ajoute à la
prière du Chmona Essré : (Ten tal ou matar livraha, Donne la rosée
et la pluie pour le bien). Cette bénédiction, ne devant être dite qu'une partie de l'année,
figure en petits caractères dans les livres de prières, ce qui a engendré l'expression
רטמו לט תויתוא (otiyot tal ou matar, littéralement : lettres de tal et matar) pour
qualifier des graphies nécessitant des lunettes de lecture… Par opposition, la une des
journaux sera imprimée en lettres énormes dites הנבל שודיק תויתוא (otiyot kidouch
levana), expression inspirée de la bénédiction de la lune lue à la belle étoile et
imprimée en gros caractères pour en faciliter la lecture.
La pluie est certes un bienfait. Mais de quelle pluie parlons-nous ?
D'une petite bruine ( guéchem dac), d'un (tiftouf) qui tombe par grosses
gouttes sans vent, du (délèf), cette pluie incessante et ennuyeuse, ou d'un petit
crachin (zarzif) ? A moins qu'il ne s'agisse d'une ondée − (chéver anan) ?
Les (guichmé braha, pluies bienfaisantes) pour lesquelles nous prions sont
sans doute les (revivim) bibliques, ces grosses averses. Si elles tombent
généreusement, se sont des (guichmé nedava) ou (guichmé oz),
excellentes pour l'agriculture. Mais cette pluie torrentielle ( guechem chotef)
n'est pas toujours appréciée par tous et si en plus il fait venteux, on la qualifiera de
(guéchem zaaf) ou (guéchem zalafot), noms faisant allusion à la
colère divine. Et ma grand-mère, qui avait le sens de l'exagération, n'hésitait pas à
employer le mot (maboul, déluge).
Rappelons aussi les noms particuliers de la première pluie de l'année, le (yoré) et
de la dernière, le (malkoch).
Et si la pluie − quelle qu'elle soit − ne fait en français que « tomber », l'hébreu
discerne maintes nuances pour décrire le phénomène. La pluie tombe, (yored
guechem) certes, mais aussi (dolèf coule à flot), (notef, du mot tipa
goutte) ou (metaftèf) ou (menatef) [même racine, schèmes différents] ou
encore si elle tombe à flot, (mezarzef), (koléah), (chotef) ou
(nitah). Pour exprimer l'idée de violence on dira même (matslif, fouette). On
trouve aussi dans la Bible le mot (araf, décapiter, peu employé et plutôt littéraire).
Si la pluie a pour effets des glissements de terrains, on dira aussi (sohèf, du
verbe entrainer).
Comme quoi, parler de la pluie et du beau temps varie beaucoup selon les horizons.
D'ailleurs, l'expression hébraïque אה לעו אד לע רבדל (ledaber al da véal ha −
littéralement : parler de ceci et de cela, ou parler de choses et d'autres) n'a aucune
connotation atmosphérique). C'est qu'en Terre d'Israël, on ne badine pas avec la pluie!