ARTICLE DE REVUE Progrès en Urologie (1999), 9, 219-224
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Place de la chimiothérapie dans le traitement
des tumeurs infiltrantes de la vessie
Jean-Louis PARIENTE (1), Christine THEODORE (2), Jean-Louis DAVIN (3),
Pascal RISCHMANN (4), Dominique CHOPIN (5)
(1) Service d’Urologie, Groupe Hospitalier Pellegrin, Bordeaux, France,
(2) Institut Gustave Roussy, Service de Médecine, Villejuif, France, (3) Clinique Rhône Durance, Avignon, France,
(4) Service d’Urologie, Hôpital Purpan, Toulouse, France, (5) Service d’Urologie, Hôpital Henri Mondor, Créteil, France
Les tumeurs urothéliales de la vessie sont chimiosen-
sibles. Depuis 20 ans environ de nombreux agents thé-
rapeutiques ont été étudiés soit en mono-chimiothéra-
pie soit en protocole multi-drogues. La plupart de ces
essais arrivent maintenant à maturité avec des résultats
particulièrement intéressants. Parallèlement le déve-
loppement récent de la biologie moléculaire permettra
peut-être de mieux identifier et prédire les patients
répondeurs [32, 46].
Le traitement de référence des tumeurs de la vessie non
métastatiques reste la chirurgie radicale basée sur la
cystoprostatectomie chez l'homme et la pelvectomie
antérieure chez la femme. La mortalité de cette chirur-
gie est inférieure à 2%. La survie à 5 ans de ces patients
opérés est de 62 à 88% pour les pT2, de 57 à 74% pour
les stades pT3a et de 29 à 57% pour les stades pT3b.
L'incidence des métastases ganglionnaires varie de 15
à 25%, le taux de récidive locale après chirurgie est
inférieur à 10% [16]. L'indication d'une chimiothérapie
se justifie devant un cancer de vessie d'emblée méta-
statique ou dans certaines conditions, après le traite-
ment local.
Avant toute chose, il paraîtt important de rappeler les défi-
nitions générales et les principes de la chimiothérapie :
- Phase I : étude de toxicité dont l'objectif principal est
la détermination de la dose maximale tolérée.
- Phase II : étude d'efficacité dont l'objectif principal
est la détermination du taux de réponses objectives sur
des tumeurs mesurables.
- Phase III : étude comparative par randomisation du
nouveau traitement contre le traitement de référence
pour préciser si le nouveau traitement apporte un pro-
grès thérapeutique.
La définition des critères de réponse objective doit être
également précisée :
- Réponse complète (RC) : il s'agit de la disparition
complète de tous les signes cliniques du cancer de ves-
sie en incluant les biopsies vésicales négatives et les
examens paracliniques.
- Réponse partielle (RP) : il s'agit de la diminution de
plus de 50% de la somme des produits de deux dia-
mètres perpendiculaires caractérisant la cible.
- Réponse objective (RO) : il s'agit du total des
réponses complètes plus les réponses partielles.
- Une stabilisation de la tumeur correspond à une dimi-
Travail du «sous-comité vessie» du Comité de Cancérologie de l’Association
Française d’Urologie.
Manuscrit reçu : juillet 1998, accepté : décembre 1998.
Adresse pour correspondance : Dr.J.L. Pariente, Service d’Urologie, Tripode,
Groupe Hospitalier Pellegrin, Place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux Cedex.
RESUME
Les tumeurs urothéliales de la vessie sont chimio-sensibles. L’indication d’une chi-
miothérapie se justifie devant un cancer de vessie métastatique. Le protocole M-VAC
reste le traitement de référence. L’efficacité de ce protocole est évaluée à environ 18%
en termes de réponses complètes avec 20% de ces patients répondeurs présentant une
survie à long terme. Des nouvelles combinaisons comportant des drogues comme
l’Ifosfamide, le Nitrate de Gallium, le Paclitaxel ou la Gemcitabine offrent des pers-
pectives prometteuses. Actuellement, le traitement néo-adjuvant et le traitement
adjuvant ne peuvent être considérés comme un standard.
Mots clés : Vessie, tumeur urothéliale infiltrante, chimiothérapie.
220
nution de moins de 50% de la somme des produits de
deux diamètres perpendiculaires, soit une progression
de cette même somme de moins de 25%.
- La progression correspond à une augmentation de plus
de 25% de la somme des deux diatres tumoraux ou
l'apparition de nouvelles sions tumorales tastatiques.
De plus, I'EORTC a défini des critères de réponses plus
précis :
Macroscopique (mesure des cibles, endosco-
pie), Microscopique (biopsie), Cytopathologie urinaire.
Il faut être prudent sur la définition de la réponse com-
plète ou de la réponse partielle pour une étude donnée.
Dans certaines études, la réponse complète est clinique,
alors que dans d'autres la réponse complète inclue des
patients ayant été opérés en plus de la chimiothérapie.
De plus, l’évaluation des réponses est souvent basée sur
l'évolution des images radiologiques sans tenir compte
de la confirmation anatomopathologique notamment en
ce qui concerne les foyers métastatiques [3, 6, 22, 24].
LES MONOTHERAPIES
Ces études sur les monothérapies sont résumées dans le
Tableau 1.
Les dérivés du platine : les taux de réponses objec-
tives (RO) avec le Cisplatine sont de l'ordre de 35% en
phase II. Mais dans les études des phases III dont I des
bras comportait du cisplatine seul, les taux de RO
étaient de 12 à 31% [17, 25, 31, 44]. Le carboplatine en
phase II ou en phase III donne des taux de réponses
inférieurs à ceux du cisplatine [26, 27].
Le méthotrexate donne environ 30% de taux de RO en
essai phase II, la dose optimale n'est pas déterminée,
mais dans la plupart des essais des doses de l'ordre de
30 à 50 mg/m2ont été utilisées [12].
Les Anthracyclines comme la doxorubicine ou l'epi-
rubicine donnent de 10% à 20% de RO [10].
La Vinblastine a donné 18% de RO dans l'étude phase
II du MSKCC [2]. Le 5 fluroro-uracile a donné des
taux de réponses de 7 à 30% [9]. A partir de ces don-
nées, l'élaboration de protocoles d'associations médica-
menteuses plus performantes a été réalisée.
LES POLYCHIMIOTHERAPIES
Trois grandes associations à base de cisplatine se déta-
chent nettement : le CISCA, le CM, et le MVAC
(Tableau 2).
1. Le CISCA (Logothetis [19] 1985)
Toutes les 4 semaines (J1 - J28)
à J1 : cyclophosphamide 650 mg/m2
- doxorubicine 50 à 60 mg/m2
à J2 Cisplatine - 100 mg/m2
2. Le CMV (Harker [13] 1986)
Toutes les 3 semaines (Jl - J21)
à J1 et J8 : vinblastine 4 mg/m2- méthotrexate 30
mg/m2
à J2 : Cisplatine 100 mg/m2
J.L. Pariente et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 219-224
Tableau 1. Monothérapies.
Agent Auteurs Réponse objective/Nb de patients %Intervalle de confiance
95%
Cisplatine Loehrer [17] 200/706 28 26-32
Carboplatine Petrioli [27] 21/186 15 11-19
Méthotrexate Freiha [11]
Dose faible 68/136 29 23-35
Dose élevée 16/57 45 37-50
Vinblastine Blumenreich [2] 6/38 16 4-28
Tableau 2. Polychimiothérapies.
Protocole Auteurs NombreRP +RC RC Mortalité
de patients liée au traitement
CISCA Troner [44] 180 33%
CMV Harker [13] 58 56% 28% 4%
MVAC Scher [31] 121 72% 18% 3%
3. Le MVAC (Sternberg [37] 1985)
Toutes les 4 semaines (Jl - J28)
à Jl : méthotrexate 30 mg/m2
à J2 : vinblastine 3 mg/m2- doxorubicine 30 mg/m2
- cisplatine 60 mg/m2
à J15 et J22 : vinblastine 3 mg/m2- méthotrexate 30
mg/m2
L'efficacité du CMV a été démontrée par le Northen
Californian Oncology Group [13] qui a obtenu un taux
de réponses globales de 56% (intervalle de confiance à
95%, 42 à 70%) avec un taux de réponses complètes de
28%. La médiane de survie des patients répondeurs
était de 11 mois (6 mois pour les non répondeurs) et le
taux de mortalité du traitement de 4%.
Le CISCA a permis d'obtenir en phase III sur 180
patients environ le taux de réponses complètes le plus
élevé de 33%. Malheureusement, ce taux n'est pas sta-
tistiquement différent des autres protocoles.
Le MVAC, développé par le MSKCC (Memorial Sloan
Kettering Cancer Center) de New York a été à l'origine
décrit sur un petit groupe de 24 patients [37] avec un
taux de réponses objectives de 71% et de réponses
complètes de 50% (intervalle de confiance à 95%, 30 à
70%). Les études en phase II réalisées par d'autres
centres retrouvent des taux plus bas avec 13 à 20% de
réponses complètes. Les médianes de survie sont de 10
à 13 mois dans ces études [34, 36, 39, 41].
La mise à jour de cette étude du MSKCC [38] rapporte
121 patients avec un taux de réponses objectives de
72% et de 18% en ce qui concerne les réponses com-
plètes. 20% des patients ayant une réponse complète
ont une survie à long terme [30]. Malheureusement,
cette polychimiothérapie est associée à une morbidité
élevée notamment en ce qui concerne la leucopénie
(58%), la thrombocytopénie (2%) et les troubles diges-
tifs. Ce type de protocole peut être proposé en associa-
tion avec des facteurs de croissance hématopoïétiques
de type G-CSF. La mortalité du traitement est de 3%.
En phase III, le MVAC est supérieur au CISCA et au
cisplatine seul en termes de réponses objectives [20].
Cependant, aucune comparaison entre le CMV et le
MVAC n'a été réalisée. Il semble que la durée de vie
des répondeurs soit supérieure avec le MVA C .
L'escalade des doses du MVAC grâce à l'utilisation des
facteurs de croissance n'a pas permis d'augmenter le
taux de réponses objectives, ni la survie. Une étude réa-
lisée par l'ECOG sur 246 patients permet de retrouver
un taux de réponses de 38% avec une médiane de sur-
vie de l'ordre de 12,5 mois avec une médiane sans pro-
gression de 10 mois [17]. Ces données tendent à mon-
trer que le MVAC pourrait être proposé comme le stan-
dard dans la chimiothérapie des tumeurs de vessie en
attendant les résultats des nouveaux traitements.
Deux problèmes demeurent :
- Il existe 40 à 50% de non-répondeurs (ceci est impor-
tant pour le traitement néoadjuvant).
- La durée moyenne de réponse reste faible et la survie
des répondeurs varie de 14 à 16 mois, d'où l'intérêt des
nouvelles associations.
PLACE DU TRAITEMENT ADJUVANT
L'indication du traitement adjuvant repose sur les don-
nées anatomo-pathologiques retrouvées lors de la chi-
rurgie. Malheureusement, après l'intervention souvent
aucune cible n'est évaluable et le seul critère de pro-
gression est l'apparition d'une métastase.
Dans les études rétrospectives, l'évaluation de 206
patients à faible risque et de 71 patients à haut risque
traités par le protocole CISCA permet de retrouver un
allongement de la survie des patients ayant bénéficié
du traitement adjuvant par rapport aux autres et ce dans
le groupe à haut risque (70% versus 37%) alors que la
survie à 5 ans dans le groupe à faible risque est de 76%
dans le groupe de référence et 70% dans le groupe trai-
té (NS) [18].
4 études prospectives randomisées ont été réalisées
dans les 5 demières années concernant la comparaison
du MVAC, du CISCA, du CMV ou du cisplatine seul
(Tableau 3). Ces études démontrent toutes une aug-
mentation de la durée de survie sans progression et
seule une d'entre elles semble montrer une réelle aug-
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Tableau 3. Traitement adjuvant.
Protocole Auteurs NombreSurvie sans progression Survie (% à 5 ans)
de patients Chimio Traitement Chimio Non traité
CISCA Skinner [33] 91 68 27
CMV Harker [13] 55 37 12 63 36
MVAC Stockle [40] 49 22,9 15,2 58 17
Cisplatine Studer [43] 77 57 54
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mentation de la durée de survie globale. La difficulté
majeure de toutes ces études réside dans le petit nombre
de patients étudiés. L'ensemble de ces données suggère
un bénéfice potentiel de la chimiothérapie adiuvante
pour des patients traités présentant un haut risque de
récidive en particulier en cas de curage ganglionnaire
positif [4, 11, 33, 35, 40, 42, 43].
Il n'y a pas de données objectives pour considérer le
traitement adjuvant comme un standard.
CHIMIOTHERAPIE NEO-ADJUVANTE
La chimiothérapie néo-adjuvante correspond à l'ad-
ministration d'un traitement avant la chirurgie de la
tumeur principale ce qui permet de faire une évalua-
tion de la réponse dite pathologique (Rp) sur la pièce
de cystectomie [5]. La plupart des essais réalisés per-
met d'obtenir entre 20 et 80 % de réponses avec un
taux de réponses complètes de 20 à 30%, ceci avec
une toxicité acceptable en termes de complications
opératoires. Cependant il ne faut pas perdre de vue
que les patients enrôs dans ces essais avaient des
maladies allant du stade pT4b inopérables, au stade
pT2 associés à une résection endoscopique initiale
complète. Il semble que la réponse au traitement néo-
adjuvant permette d'apprécier un pronostic : les
patients pT0, pTis, pTa et pT1, sur la pièce de cystec-
tomie après chimiothérapie ont 75% de survie à 5 ans
alors que les patients pT2-pT4 ont une survie de 20%
seulement [37, 38, 39]. La plupart des essais de chi-
miothérapie néo-adjuvante dans le cancer de vessie
(dont l'essai MRC EORTC sur près de 1 000 patients)
n'a pas prouvé son bénéfice permettant une utilisation
régulière. Chez certains patients la bonneponse
obtenue lors d'une chimiothérapie néo-adjuvante sou-
ve la question concernant l'éventuelle conservation
de la vessie. Des essais thérapeutiques sont en cours
dans cette optique [1, 14, 23].
PERSPECTIVES
Les nouveaux agents
Le nitrate de gallium
Le SWOG [7] rapporte un essai thérapeutique incluant
26 patients traités par perfusion de 30 minutes de 700 à
1 000 mg/m2toutes les deux à trois semaines qui per-
mettent d'obtenir un taux de réponses de 27% avec un
intervalle de confiance à 95% de 11 à 48%. La néphro-
toxicité de cette drogue est le premier facteur limitant,
la névrite optique le second. Le MLKCC a réalisé un
autre essai de phase I et de phase II sur 39 patients à la
dose de 150 à 400 mglm21j en perfusion pendant 5
jours avec un taux de réponses de 17%. L'association
avec le 5FU est possible.
Les Taxanes
Deux Taxanes ont été développés : le premier corres-
pond au paclitaxel (Taxol®) et le second au docétaxel
(Taxotere®). Ils permettent d'obtenir environ 20% de
RO [21, 29].
La gemcitabine a donné 27% de RO dans les essais de
phase I et de phase II [28].
Les nouvelles combinaisons
Le VIG (Vinblastine, Ifosfamide, nitrate de gallium):
ce protocole a été développé par l'Université d'Indiana
à partir d'une étude chez 27 patients avec un taux de
réponses de 67% (intervalle de confiance à 95%, 46 à
84%). Dans cette série, deux faits importants sont à
noter, le premier concerne la réponse au niveau des
métastases viscérales et le deuxième concerne la notion
de réponse sur les tumeurs vésicales non urothéliales.
Carboplatine, Paclitaxel (RO : 37 %)[8]
Paclitaxel, Carboplatine, Méthotrexate (RO :
39%)[45]
Gemcitabine, Cisplatine (RO: 66 %)[15].
CONCLUSION
Les 4 drogues les plus actives en phase II avec les cri-
tères d'évaluation actuels sont le cisplatine, le métho-
trexate, le paclitaxel et la gencitabine. Le MVAC reste
le protocole de référence. Les différents essais de phase
II et de phase III montrent que le protocole de type
M VAC donne actuellement les meilleurs résultats.
Malheureusement, il semble que l'histoire de la mala-
die soit peu modifiée, les rechutes ayant souvent lieu au
niveau du système nerveux central. Le taux de survie
d'un patient métastatique traité par MVAC demeure de
l'ordre de 12 mois et plusieurs études phase III compa-
rant le MVAC à des nouvelles combinaisons sont en
cours.
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J.L. Pariente et coll., Progrès en Urologie (1999), 9, 219-224
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