22/06/2015 Recours aux thérapies ciblées en oncologie: Comment sauvegarder un principe d’universalité des soins? G é i Moutel Grégoire M t l Ethique médicale et médecine légale Unité de médecine sociale, Hôpital Corentin Celton APHP EA MOS Management des organisations de santé, PRES Sorbonne Paris Cité, Université Paris Descartes – EHESP Paris-Rennes Membre du Comité d’Ethique de l’Inserm Allocation de ressources et cancer: éléments contextuels (1) • Cinq molécules les plus prescrites (72,3 % des dépenses des anticancéreux) sont pour les trois premières des thérapies ciblées et pour les deux suivantes des chimiothérapies dites cytotoxiques. • Alors que le marché global du médicament stagne, les ventes d'anticancéreux d anticancéreux augmentent en valeur de 6% / an © G Moutel 1 22/06/2015 Allocation de ressources et cancer: éléments contextuels (2) Trois facteurs essentiels: • L’impact de l’innovation: traitements ciblés individualisés, 30000 et 50000 euros par an par patient /coûts moyens par patient 50000 à 150000 euros. • L’ augmentation des cas de cancers dans la population avec un tiers des cancers qui touche des personnes de plus de 75 ans. • L’augmentation de la durée de traitement par patient (le cancer maladie chronique) © G Moutel Allocation de ressources et cancer: éléments contextuels (3) • Coût global de la prise en charge des cancers, 14 milliards d'euros par an (dont 11 Assurance maladie / 150). • Coût des médicaments en cancérologie 3 milliards (multiplié par trois entre 2001 et 2012). • Dans les 10 années à venir, le coût pourrait doubler et passer de 8 à 20% des dépenses de santé; alors que les dépenses de santé augmentent entre 2,4 et 2,6% par an. • 50% des nouveaux coûts= thérapies ciblées • Mais aussi, la question des cibles rares: non rentables à cibler / cancer orphelin Rapport Centre d'analyse stratégique sur la lutte contre le cancer © G Moutel 2 22/06/2015 Progression démographique Valorisation économique des progrès thérapeutiques Maîtrise des dépenses nationales de santé (Déficit maladie entre 6 et 7 M) © G Moutel Des questions complexes à poser… - «Combien vaut une vie?» Titi Fojo et Christine Grady, Journal of National Cancer Institute, 2009 A propos d'un traitement contre le cancer du poumon (prolongation de vie des patients de 1,2 mois en moyenne / coût de 56.000 euros). - Bénéfice individuel / recherche d’un équilibre collectif - Limites de la solidarité entre les bien portants et les malades? Le malade (Ferdinand Hodler) © G Moutel 3 22/06/2015 …Qui s’inscrivent dans un contexte d’éthique politique (1) Conseil national de la Résistance (Pierre Laroque et Ambroise Croizat) Ordonnance du 4 Octobre 1945 « art. t 1er — Il estt institué i tit é une organisation i ti de d la l sécurité é ité sociale i l destinée d ti é à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. » Préambule de la Constitution française « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » Principe d’universalité © G Moutel …Qui s’inscrivent dans un contexte d’éthique politique (2) ‐ ‐ Otto von Bismarck Lois sur l’assurance maladie, 1883 L’universalité passe par une système « assurantiel » obligatoire et collectif Mais cotisations qui ne sont pas proportionnelles aux risques – comme dans la logique assurantielle pure – mais aux salaires = « socialisation du risque » Lord W. Beveridge Social Insurance and Allied Services, Report presented to Parliament by command of Her Majesty, November Majesty November 1942, Agathon 1942 Agathon Press New York, 1969. New York 1969 Afin d’assurer une réelle universalité trois déclinaisons: ‐ Les mêmes droits pour tous ‐ Tout au long de la vie, "du berceau à la tombe » ‐ Sous forme de prestations ou services gratuits 4 22/06/2015 …Qui s’inscrivent dans un contexte d’éthique politique (3) 1,2 million de personnes vivent en France avec un cancer ou après avoir eu un cancer Un sujet sensible dans l’ensemble de la population Un sujet de démocratie sanitaire © G Moutel Une décision entre rigueur, complexité et subjectivité (1) Combien vaut une vie? = Jugement sur le sens et la valeur du progrès - Décision qui revient aux autorités de santé / politique - Mission du CEPS (Comité économique des produits de santé); Fixe un prix de remboursement Inscription sur la liste des médicaments remboursables (articles L.162‐17 du code de la sécurité sociale et L.5123‐2 du code de la santé publique). - En fonction du bénéfice médical définit par la commission de transparence (HAS) La CT apprécie, après l’AMM, le service médical rendu (SMR) ainsi que l’amélioration que le médicament est susceptible d’apporter par rapport aux traitements déjà disponibles sur le marché (amélioration du service médical rendu – ASMR) - 5 niveaux d’ASMR (appréciation du progrès) I : majeur II : important III : modéré IV : mineur V : absence de progrès © G Moutel 5 22/06/2015 Une décision entre rigueur, complexité et subjectivité (2) - 3 Facteurs de complexité - La « relativité » du concept de contrainte économique - La « fragilité » du gain de survie significatif/ notion de progrès dit incrémental - L’ « acceptabilité » des critères de limitation © G Moutel Quelques principes guidant la décision Ethique du compromis: équilibre entre les firmes qui se réfèrent à la légitime logique du retour sur investissements (condition essentielle au progrès de la recherche et à la production du médicament) et le prix acceptable par la société Ethique de la non discrimination: rendre accessible ou non le progrès pour tous, sur des arguments collectifs, transparents et équitables au sein de chaque catégorie concernée. Ethique de responsabilité: respecter des critères validés de prescription/ C'est la prescription qui déclenche la dépense. Le cas échéant, faute d’accord, l’accès aux traitements innovants dépendrait totalement de la capacité des individus à se les financer. © G Moutel 6 22/06/2015 L’Acceptation des critères (1) « Tout critère peut porter en lui la froideur d’inclure et d’exclure, mais il peut aussi porter la Justice. » ‐ Redéfinir collectivement le cadre du principe d’universalité: débat sur l’équité (définir les règles d’application du principe de Justice)= poser des critères d’éligibilité ‐ Un chemin culturellement complexe: ‐ Une société française habituée à une démarche où tout ce qui semblait possible était accessible. ‐ Un nouveau paradigme : évaluer ce qui est possible Objectifs Respecter des équilibres entre tous les domaines de la santé. Ne pas mettre à mal notre système collectif solidaire. © G Moutel L’Acceptation des critères (2) Des questions d’avenir qu’il faut affronter Débat sur la nature des critères à prendre en compte ‐ Critères purement bio‐scientifiques: durée de survie, taille tumorale, marqueurs bio Hiérarchie de la maladie ‐ Critères socio‐comportementaux: âge, capacité psychique… Hiérarchie des individus pour ce qu’ils sont ‐ Critères socio‐économiques: revenus, système assurantiel personnel Hiérarchie des individus pour ce qu’ils possèdent © G Moutel 7 22/06/2015 L’Acceptation des critères (3) Le refus ou l’abandon d’un traitement médicamenteux, ne doit pas être entendu comme un refus des soins, ou l’abandon de la personne ‐ Evolution de la relation de soins: ‐ La techno‐science et le médicament ne doivent pas être sacralisés, comme seule réponse aux patients ‐ Défendre le patient sans surenchère, uniquement si bénéfice réellement escompté ‐ Savoir aborder les limites/ Annonce / Vérité ‐ Accompagner; développer les autres modes de prise en charge: ‐ Tenir sur un même plan innovation biomédicale / Autres innovations: douleurs, conforts, f t palliatives, lli ti psycho‐sociales h i l ‐ Investissement alternatifs / Valorisation +++ ‐ ‐ ‐ Tom L. Beauchamp et James F. Childress, Principles of Biomedical Ethics, New York/Oxford, Oxford University Press, [1983] 1994. A Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, (1992), trad. par Rusch P., Paris, Cerf, 2000 Moutel G, Médecins‐patients : l’exercice de la démocratie sanitaire. Ouvrage. Ed L’Harmattan 2009. © G Moutel L’Acceptation des critères (4) Clarté et transparence: éthique de la critériologie ‐ L’élaboration des critères et des décisions doit être transparente, publique, di t bl ( t ôl discutable (contrôle collectif): éviter la perte de Confiance ll tif) é it l t d C fi ‐ Le suivi de l’application des critères doit aussi respecter ces principes. Question des lieux de décision et d’évaluation : relation médecin‐patient et/ou RCP ou autres autorités régionales. ‐ Sujet démocratiquement sensible (touche à la santé et à la vie des citoyens): être vigilant sur la nature des liens et conflits d’intérêts / Malfaisance ‐ Enfin un effort pédagogique sera essentiel (public/information patient): comprendre la démarche et le sens des choix. Mal explicité ou mal compris, tout choix pourrait entretenir troubles, doutes, voire suspicions. © G Moutel 8 22/06/2015 Conclusion: Notre principe d’universalité à la croisée des chemins Les évolutions peuvent suivre le principe de Justice… …ou s’en écarter. Objectifs: Maintenir les fondements de la solidarité et la confiance dans les valeurs du soin © G Moutel 9