Première partie : fondements éthiques et grands principes

La protection des personnes dans la recherche biomédicale.
Première partie : fondements éthiques et grands principes
Grégoire Moutel
Laboratoire d’éthique médicale et de decine légale, Faculté de médecine, Université Paris
5, 45 rue des Saints Pères, 75 006 Paris.
Secrétaire générale de la Sffem, société française et francophone d’éthique médicale.
Fondement historique de la protection des personnes :
C’est dans la Grèce antique que notre civilisation voit naître le premier chaînon de la notion
de personne. Dans la langue hellénique, à côté des mots anthropos (l'homme en général) et
soma, (l'individu animé, parfois même pourvu d'une individualité juridique), existait le terme
prosôpon, qui a d'abord désigné la face, le visage humain, l’autre comme entité à part entière,
consciente et libre. C'est avec Cicéron que toute la plénitude de signification du mot latin
«persona » se met en place avec des repères textuels incontestables : rôle en justice, rôle
social, réalité collective, personnalité marquante, personne juridique par opposition aux
choses. Tant dans la civilisation latine qu'hellénique, c'est donc la dimension ontique de
persona (qui relève de « l’étant », du « je suis ») qui s'est peu à peu imposée, persona
signifiant l'individu concret, singulier, rencontré tous les jours dans sa proximité. En France,
ce sera Descartes, qui exposera la notion de sujet pensant, sujet qui s'assure de son existence
personnelle; il en découvre la certitude au terme du doute méthodique; et dans l'action, le
sujet cartésien exerce son libre arbitre, cette liberté de la volonté . Kant, infléchit quant à lui le
concept de personne vers sa dimension essentiellement morale, car l'attribut essentiel qui lui
sera reconnu est celui de l’autonomie. L'autonomie forge la personnali du sujet moral,
assure sa dignité, le rendant capable de se constituer législateur de sa propre loi, et d'en faire,
par la suite, son devoir.
La notion de protection des personnes dans les pratiques de recherche, telle qu’on l’entend
aujourd’hui, apparaît dans les années 1930. L’éthique de la recherche est à cette époque un
concept issu de la République de Weimar en Allemagne, avant la seconde guerre mondiale,
mais le triste revers de l’histoire a fait en réalité que la prise de conscience elle dans ce
domaine a eu lieu après guerre lors du procès de Nuremberg. En effet après les expériences
atroces pratiquées sur l’homme dans les camps nazis, le code de Nuremberg issu du procès
des médecins nazis, introduit la nécessité d’affirmer des principes éthiques clairs qui doivent
s’imposer à tous chercheurs et médecins lors d’une recherche biomédicale.
Plusieurs thèmes principaux interdépendants sont à la base de ce code :
- le respect du sujet de recherche au travers notamment du consentement
- les responsabilités du chercheur à son égard
- l’expérience doit éviter toute souffrance et tout dommage non nécessaires
- tout risque de provoquer des blessures, l’invalidité ou la mort doit à priori être rejeté
- le sujet ne doit être invité à une recherche que si elle s’inscrit dans une démarche
scientifique rigoureuse
- le sujet doit être libre avant et pendant l’expérience et doit pouvoir interrompre s’il
estime avoir atteint l’état mental ou physique au delà duquel il ne peut aller.
Dans les années 60, une nouvelle prise de conscience a lieu dans la mesure où la communauté
médicale apprend que des essais ont encore lieu sans respect des règles éthiques élémentaires,
à peine 20 ans après la fin du procès de Nuremberg. En 1966, le Dr Henry Beecher, occupant
la chaire de recherche en anesthésie de l’université de Harvard, publie à ce propos dans le
New England Journal of Medicine, un article répertoriant 22 recherches effectuées aux Etats-
Unis au mépris des principes éthiques énoncés précédemment. Il expose ainsi :
- l’injection de cellules cancéreuses vivantes à des personnes âgées et séniles placées en
institutions pour analyse les résistances immunologiques
- la privation de pénicilline pour des syphilitiques d’un groupe témoin participant à une
étude de longue durée sur l’évolution de la syphilis avec et sans traitement
- l’injection du virus de l’hépatite B à de jeunes résidents d’une institution psychiatrique
de l’état de New York pour voir comment se développe la maladie
- l’insertion d’un cathéter dans la vessie de 26 nouveau-nés, avec prise d’une série de
radio pour analyser le remplissage et la vidange vésicale.
Pour ces raisons la communauté internationale promulgue dès 1964 un texte adopté par les
états démocratiques à Helsinki. Cette déclaration d’Helsinki a depuis été adaptée et ratifiée
par de nombreux pays.
La plus récente version comporte les fondements suivants :
- Il est d’abord souligné que le médecine doit exercer la plénitude de son savoir et que
dès lors il est obligé pour faire avancer le progrès médical d’effectuer des recherche
diagnostiques, thérapeutiques et dans le domaine de la prévention.
- La notion de risque est reconnue, mais toutefois la recherche doit protéger au
maximum la santé des participants, bien avant les intérêts de la science ou de la
société.
- La validité scientifique doit être assurée par les pré-requis consistant en l’étude des
publications scientifiques en laboratoires et sur l’animal, par l’écriture d’un protocole
expérimental valide, et par un encadrement assuré par des médecins et scientifiques
compétents et pleinement responsables de l’étude.
- Un comité indépendant doit examiner le protocole ; il doit être indépendant pour éviter
les conflits d’intérêts avec les financeurs et les investigateurs.
- Quoi qu’il en soit et en toute circonstance le médecin doit protéger la vie, la santé, la
dignité et l’intimité de la personne ainsi que son équilibre physique et psychologique.
- La balance bénéfice/risque doit être évaluée et jugée acceptable par le comité ;
toutefois la recherche sur volontaire sain ou une prise de risque sur des patients est
possible, à condition que l’importance de l’objectif recherché soit médicalement et
humainement supérieure aux contraintes et aux risques encourus par le sujet.
- La recherche menée au cours d’un traitement n’est valable que dans un possible intérêt
diagnostic, thérapeutique ou de prévention, si les méthodes existantes sont
insuffisamment efficaces : il s’agit de la reconnaissance de l’innovation
thérapeutique pour offrir un espoir de sauver des vies ou de soulager la souffrance du
malade. Mais cette reconnaissance ne peut avoir lieu que si la démarche est celle
d’une démarche de recherche respectant les principes éthiques de toute recherche. La
méthodologie doit de plus impérativement comparer le nouveau traitement au
traitement de référence.
- L’information doit être appropriée, claire, compréhensible et complète sur les
objectifs, les risques et les contraintes et le médecin doit s’assurer de sa bonne
compréhension.
- Le médecin doit expliquer la prise en charge au patient en différenciant clairement
celle liée aux soins et celle liée à la recherche tout en préservant la même relation
médecin-malade à tout moment quel que soit l’acceptation du patient.
- Après l’information le consentement écrit doit être obtenu de manière libre, c’est à
dire sans aucune pression. En cas de protocoles sur des personnes en état
d’impossibilité juridique de consentir, il faut plusieurs conditions : le choix de cette
population doit être justifié, la recherche doit leur apporter un bénéfice, il faut l’accord
du comité et l’accord préalable du représentant légal.
En France, les principes d’Helsinki sont reconnus comme essentiels et au début des
années 1980, un groupe de travail, constitué de membres du Conseil d’Etat, de
professeurs de médecine, de droit et de membres de la cour de cassation, dirigé par Guy
Braibant en lien avec le Pr Jean Bernard (Président du Comité consultatif national
d’éthique), affirme la nécessité d’une loi en raison d’une contradiction :
- Le fait de porter atteinte au corps d’autrui sans finalité thérapeutique est sanctionnable
en droit. La recherche sans intérêt thérapeutique avait été jugée illicite par la Cour
d’Appel d’Angers en 1978 et le Code de déontologie, dans son article 19, précisait
que les recherches étaient nécessaires à condition de présenter un intérêt direct pour la
personne ;
- or, l’ordonnance du 23 septembre 1967 concernant les Autorisations de Mise sur le
Marché des Médicament (AMM) stipulait que le fabricant devait avoir rifié
l’innocuité des produits, dans des conditions normales d’emploi, et que leur mise en
œuvre devait préalablementcessiter des recherches sur volontaires sains. De plus le
concept même de recherche médicale sur tout patient, mais en particulier sur des
volontaires sains, ne permet pas toujours d’assurer qu’il y aura un intérêt direct pour
les personnes.
Le 2 juin 1988, le Pr Claude Huriet, dépose au Sénat une proposition de loi relative aux
essais chez l’homme. Le Sénat, dans sa séance du 12 Octobre 1988, adopte une
proposition de loi « relative à la protection des personnes qui se prêtent à la recherche
biomédicale », transmise à l’Assemblée nationale. La loi 88-1138 est adoptée le 20
décembre 1998 et publiée au Journal Officiel de la République le 22 décembre 1988.
Cette loi lève les contradictions antérieures et place la France en conformité avec les
règles d’Helsinki. Elle instaure des CCPPRB, comité consultatif de protection des
personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale, dans chaque région. Ces CCPPRB
deviendront en 2004, lors de l’adaptation de la loi Huriet à la directive européenne des
CPP, comité de protection des personnes. Les CPP perdent donc leur caractère
uniquement consultatif, c’est à dire que leur rôle de passage obligatoire est renforcé, mais
aussi que le contrôle de l’Etat est aussi renforcé. Les CPP acquièrent ainsi un nouveau
statut la responsabilité de l’Etat est engagé en cas de faute des comités et les avis et
recommandations prennent désormais un caractère officiel avec possibilité si besoin, de
suivi des protocoles, en particulier pour les effets et évènements indésirables. De plus les
CPP feront l’objet d’une évaluation de leur activité et de leurs compétences.
Rôles et obligations des promoteurs et des investigateurs, garants de la protection de
personnes dans la recherche
On appelle promoteur « la personne physique ou morale qui prend l’initiative d’une recherche
biomédicale » (personne physique ou morale qui se porte garant de l'initiative de la recherche
et de ses conséquences avec en particulier une obligation d’assurance). Le ou les
investigateurs sont « la ou les personnes physiques qui dirigent et surveillent la réalisation de
la recherche ».
Le promoteur a des obligations bien précises :
- il doit s’assurer que les objets matériels ainsi que les médicaments ou produits
expérimentés ou utilisés comme référence dans le cadre d’une recherche biomédicale
sont fournis gratuitement, ou mis gratuitement à disposition pendant le temps de la
recherche par le promoteur.
- il prend en charge les frais supplémentaires liés à d'éventuels fournitures ou examens
spécifiquement requis par la recherche ou pour la mise en œuvre de celle-ci. Lorsque
l'essai est réalisé dans un établissement de soins la prise en charge de ces frais fait
l'objet d'une convention conclue entre le promoteur et le représentant légal de cet
établissement.
- il a obligation de souscrire une assurance en cas d’accident ou faute entrainant un
préjudice lors du protocole (contrat d'assurance garantissant les conséquences
pécuniaires de la responsabilité civile du promoteur)
L’investigageur également :
- Il doit être (sauf exception) un médecin garant de la protection des personnes, de la
qualité des soins et de toute la prise en charge. Il doit respecter avant tout les règles
déontologiques et faire primer le soin sur la recherche.
- Il doit respecter les décisions et avis du CPP et les principes du code de déontologie
médicale qui priment en toute situation.
- Il est également garant du respect des droits des patients en terme:
od’information,
ode consentement,
ode vérification de la situation du patient sur le fichier national des personnes
qui se prêtent à des recherches biomédicales (période d’exclusion et montant
des indemnités perçus) (voir§ correspondant ci après)
od’arrêt du protocole sur la personne en cas de dangerosité ou d’aléas,
o de respect de la volonté du patient de se retirer du protocole à tout moment
sans préjudice et avec prolongation des soins
Information et consentement
« Préalablement à la réalisation d'une recherche biomédicale sur une personne, le
consentement libre, éclairé et exprès de celle-ci doit être recueilli ».
Conformément aux principes philosophiques et dans le respect des textes fondateurs de
l’éthique de la recherche, le consentement de la personne doit être recueilli, gage de la
reconnaissance de son autonomie, quand celle-ci est effective. Les termes de la loi imposent
de recueillir ce consentement par écrit (sauf impossibilité). Si la personne est mineure ou en
situation d’incapacité, l’accord sera recueilli par le représentant légal, sans exclure pour autant
le patient du processus d’information. En absence de représentant légal, le débat est ouvert sur
la légitimité d’avoir ou non recours à la personne de confiance, personne que le patient aurait
préalablement désignée.
Quoi qu’il en soit toute procédure de consentement dans es modalités et dans sa forme doit
recevoir une validation par le comité de protection des personnes (CPP). La personne se
prononce après un processus d’information (sans lequel le consentement est caduque) par
lequel l'investigateur lui fait connaître clairement :
- l'objectif de la recherche, sa méthodologie, sa durée et les bénéfices attendus,
- les contraintes et les risques prévisibles,
- les conditions d'arrêt de la recherche avant son terme,
- son droit de refuser de participer à une recherche ou de retirer son
consentement à tout moment sans encourir aucun préjudice ou responsabilité.
En cas de recherches bio-médicales en situations d'urgence ou de trouble de la conscience qui
ne permettent pas de recueillir le consentement préalable, sera sollici l’avis de ses proches
s'ils sont présents ou de la personne de confiance. L'intéressé sera informé dès que possible et
son consentement lui sera demandé pour la poursuite éventuelle de cette recherche. La
procédure devra recevoir l’avis du CPP.
Signalons par ailleurs que pour des personnes vivant en établissement sanitaire et social, le
consentement devra être recueilli par un médecin indépendant de l’institution.
Enfin un point essentiel mérite d’être mentionné, celui de l’évolution du droit à l’information
durant et à l’issu du protocole. En effet durant la recherche, les personnes doivent être
informés du déroulement, des évolutions du protocoles, et des éventuelles nouvelles
orientations (Le CPP doit d’ailleurs être saisi en cas de réorientation majeure de la recherche).
De plus à l’issu de la recherche (loi du 4 mars 2002 relative aux droits des patients), les
patients ont le droit d’être informé des résultats globaux de la recherche.
La question de la communication des résultats individuels restent en débat et n’a pas été
tranchée par la nouvelle loi : d’un point de vue scientifique il s’agit de résultats de recherche
(donc pas toujours valides d’un point de vue technique et méthodologique), mais des
représentants de patient plaident le fait que plutôt que d’éviter de transmettre des informations
jugées non pertinentes, il serait préférable de les donner en expliquant pourquoi elle ne sont
pas pertinentes. Les associations s’appuient de plus sur la loi de 2002 selon laquelle un patient
a droit a toute information concernant sa santé.
Conclusion :
Ces grands principes de l’éthique de la recherche biomédicale et de la protection des
personnes débouchent aujourd’hui sur de nouvelles règles suite à la récente modification de la
loi Huriet de 1988 réalisée en 2004 dont les décrets d’application sont publiés en 2006.
Les règles pratiques et les nouvelles régulations de la recherche dans le cadre des comités de
protection des personnes (CPP), indispensables pour tout clinicien participant à un
programme de recherche clinique seront exposées prochainement dans un second article
intitulé « La protection des personnes dans la recherche biomédicale. Seconde partie : règles
pratiques pour les promoteurs et investigateurs d’un projet de recherche clinique et nouveaux
éléments de débat ».
Pour en savoir plus :
- Rubrique éthique de la recherche sur www.ethique.inserm.fr, version 2006
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