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Le Courrier de l’Arcol (1), n° 2, juin 1999
– et enfin, la prise de médicaments ou la
suppression du tabac qui imposent de nou-
velles habitudes ou contraintes, et peuvent
influencer l’image même que le patient peut
avoir de lui, en lui conférant parfois un
statut de “malade potentiel”, alors que, par-
ticulièrement en prévention primaire, il
n’est porteur d’aucune pathologie clinique-
ment symptomatique.
Une telle approche nécessite d’analyser
comment s’intègrent au sein de la relation
médecin-patient :
– la qualité de l’information et de l’éduca-
tion à la santé offerte, sachant que celle-ci
sous-tend la prise de responsabilité indivi-
duelle ; ceci devant amener à considérer les
éléments objectifs qui peuvent être exposés
aux patients et l’esprit dans lequel ils sont
abordés, en prenant soin de tenir compte
autant des aspects bénéfiques que des incer-
titudes sous-tendues par la démarche pré-
ventive, en particulier en termes de bénéfice
individuel ;
- la prise de conscience des problèmes que
posent l’ingérence dans la vie des patients
et les limites qu’il faut définir dans un
champ qui interfère avec la liberté des
personnes.
Avec cette approche, le clinicien s’inscrit
alors dans une réelle démarche de médiation
où il doit rechercher l’acceptation et l’adhé-
sion des personnes à l’attitude médicale,
mais également respecter leur autonomie et
leurs choix.
Nécessité d’intégrer
les incertitudes de
la démarche de prévention
Peut-on aujourd’hui envisager des règles
standardisées applicables à tous nos
patients, alors même que le domaine de la
santé recèle des dimensions variables qui
différent selon les personnes, en fonction de
leurs origines, de leur environnement socio-
économique et de leurs cultures, sans comp-
ter que tout individu ne valorise et ne per-
çoit pas sa vie et sa santé de la même
façon ?
Qui plus est, comme le rappelle
H. Allemand, la prévention est par défini-
tion de nature probabiliste ; il en résulte que
ses effets sont difficiles à objectiver dès lors
que l’on considère la vie des personnes dans
leur réalité. S’il existe aujourd’hui des argu-
ments épidémiologiques pour décider d’in-
tervenir auprès d’une communauté de per-
sonnes afin qu’elle soit en meilleure santé, il
n’en demeure pas moins que les bénéfices
individuels de la prévention sont souvent
difficiles à percevoir pour une personne
donnée, d’autant qu’ils sont parfois
aléatoires et décalés dans le temps, parti-
culièrement en ce qui concerne le risque
cardiocirculatoire.
Les patients nous le rappellent d’ailleurs de
temps à autre : nous connaissons tous l’his-
toire d’un voisin qui présente une nécrose
myocardique alors qu’il ne fume pas, n’a
pas de dyslipémie athérogène ni d’autres
facteurs de risque apparents, et, à l’inverse,
celle de Sir Winston Churchill, qui est décé-
dé à un âge vénérable avec cigare et verre de
whisky à la main !
En outre, la prévention doit intégrer l’évolu-
tion, la diversité voire les contradictions des
discours médicaux eux-mêmes. Ainsi, en
fonction des générations de médecins, les
régimes diététiques proposés en cas d’hyper-
cholestérolémie, de diabète ou d’hyperten-
sion ont pris soit des formes très contrai-
gnantes (régimes strictement sans graisse,
sans pain ou sans sel, ou régimes très hypo-
caloriques), soit au contraire très permis-
sives, faisant qu’un même patient a pu se voir
proposer différentes attitudes, voire des atti-
tudes opposées. Par ailleurs, la légitimité
scientifique de certaines recommandations
(régime sans sel strict dans l’hypertension,
contrôle strict du niveau de cholestérol en cas
de contraception orale) est aujourd’hui enco-
re l’objet de débat. Ce constat souligne la
nécessité de travailler à la qualité et à l’éva-
luation des données médicales offertes aux
patients, ainsi qu’à l’harmonisation et à l’ac-
tualisation de la formation des médecins dans
le domaine des politiques de prévention.
Cette complexité à laquelle la prévention
doit faire face est renforcée par le fait que
cette dernière s’adresse à des personnes en
bonne santé apparente, pour lesquelles la
maladie est lointaine et abstraite, faisant
appel à des concepts non palpables. C’est
pourquoi il convient de souligner que le
médecin acquiert un nouveau rôle dès lors
qu’il s’adresse à des personnes non
malades, et que la relation fondée sur une
plainte ou une souffrance n’existe pas. On
se trouve ici au cœur d’une nouvelle relation
entre le médecin et le patient-citoyen, et non
plus dans une simple relation médecin-
malade. Le praticien n’a donc plus un rôle
d’ordonnateur, mais un rôle de conseiller
fondé sur la pédagogie et l’explication de sa
démarche.
Une information prise
entre le désir de convaincre
et le danger de contraindre
et d’exclure
Aujourd’hui, on assiste, à travers le discours
médical et le relais des médias de santé, à la
mise en œuvre de réelles politiques de com-
munication visant à sensibiliser les popula-
tions. Cette approche débouche sur de nou-
velles normes qui influencent directement
les images sociales. Ainsi, les personnes
présentant une surcharge pondérale voient,
au-delà du repérage médical, leur image
sociale stigmatisée jusqu’à apparaître
comme exclue d’une nouvelle normalité où
la personne mince aurait non seulement un
risque cardiovasculaire moindre mais incar-
nerait également le canon esthétique d’une
époque. Il faut souligner le risque d’un dis-
cours faussement scientifique qui caution-
nerait une ascèse de superficialité et une
psychosociologie normative du corps, déca-
lée de la réalité, où seule la minceur serait
acceptable. Sinon, les “gros” pourraient
alors être perçus uniquement comme des
malades en puissance, et dans le pire des cas
comme des personnes hors norme, voire des
handicapés. On perçoit ici la force que peut
prendre un discours scientifique ou médical,
qui n’est pas neutre en termes de consé-
quences sociales, surtout quand il est relayé
par des médias de large audience.
En matière de démarche préventive, le
médecin a donc une forte responsabilité
quant à l’information qu’il délivre, puisqu’il
assortit un acte de soin d’un message que le
patient et le public vont percevoir en bien ou
en mal selon les images qui seront véhicu-
lées.
Le discours médical doit ici intégrer le fait
que la norme médicale n’est pas forcément
universelle, qu’elle n’est qu’une norme
parmi d’autres, soumise à des incertitudes.
De son côté, le patient a ses propres normes
et une vision, qui lui est propre, de son
corps, de sa vie et de ses choix.
L’information du patient ne saurait donc
reposer uniquement sur l’exposé des résul-