
6JULIEN CAZAL, JEAN-PAUL GÉNOLINI
La prévention des maladies cardiovasculaires est devenue, au cours
de la dernière décennie, un enjeu majeur de santé publique. Selon les
recommandations institutionnelles, un traitement précoce des facteurs de
risque (1) permettrait de réduire les maladies cardiovasculaires et la sur-
venue de complications graves à plus ou moins long terme. Certains éta-
blissements de santé proposent une prise en charge dite «globale» du
risque à travers des dispositifs de dépistage, de traitement et de suivi, en
conjuguant le travail médical avec une éducation visant la mise en respon-
sabilité et l’autonomie (Sandrin-Berthon, 2000) du patient à l’égard de sa
maladie. La fonction essentielle du dépistage est d’évaluer, de contrôler le
risque, de prescrire des traitements, d’investiguer la maladie par des ana-
lyses complémentaires, d’orienter vers d’autres services, ou encore de for-
muler des recommandations d’hygiène. Mais les dispositifs de dépistage
ne font pas que qualifier un risque cardiovasculaire, ils le construisent afin
d’exhorter les patients à rester attentifs à leur santé.
La hiérarchisation des risques cardiovasculaires est un point de
départ, voire un point d’appui, à l’éducation pour la santé (2) et la mise en
responsabilité du patient. Au cours du dépistage, celui-ci est confronté à
une «culture du risque» (3). Les fonctions diagnostique et prescriptive,
somme toute banales dans une activité médicale, font elles-mêmes l’objet
d’une appropriation par le patient. Celui-ci peut se montrer sceptique face
à des informations qui ne correspondent pas à des symptômes de souf-
france ou de limitation. Il peut, à l’inverse, s’inquiéter de son état de santé
qu’il découvre alarmant. L’apprentissage du risque cardiovasculaire est
déterminé par le transfert d’une rationalité de type probabiliste, nourrie à
la fois par l’épidémiologie et par la nécessité (tant pour le patient que le
médecin) d’assumer l’incertitude sur l’évolution de l’état de santé.
(1) Selon les termes utilisés en cardiologie, on peut distinguer les facteurs de risque
dits « majeurs » (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, tabagisme, âge), des
facteurs de risque dits « prédisposants » (obésité, sédentarité, hérédité).
(2) La conceptualisation du changement de comportement en santé publique repose
principalement sur des modèles individualistes tels que celui des « croyances pour la
santé » ou Health Belief Model (Rosenstock, 1974). Celui-ci postule « qu’un individu
est susceptible de poser des gestes pour prévenir une maladie ou une condition
désagréable s’il possède des connaissances minimales en matière de santé et s’il consi-
dère la santé comme une dimension d’importance dans sa vie » (Godin, 1991 : 70).
(3) Reprenant cette notion de Giddens (1994), la culture du risque découlerait du pro-
cessus d’individualisation des sociétés modernes, où chacun serait en mesure d’éva-
luer rationnellement les risques qu’il encourt et de mettre en œuvre les conduites
adaptées.
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