Et si l`éducation thérapeutique des patients n`était pas à sa place ?

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ÉDITORIAL
Et si l'éducation
thérapeutique
des patients n'était pas
à sa place ?
éditorial
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Éric Drahi
Médecin généraliste,
SFDRMG
Membre du réseau
de diabétologie
« Diabolo »
Mots clés : éducation
du patient,
maladie chronique,
relation
médecin-patient
La HAS, l'INPES, des sociétés
savantes, des associations de
patients, l'IGAS, bien d'autres
encore, parlent de l'éducation
thérapeutique des patients
10.1684/med.2009.0376
La future loi Hôpitaux, Patients, Santé et Territoires
lui consacre une large place. Un rapport récent [1]
vise à promouvoir une politique nationale d’éducation thérapeutique des patients atteints de maladies chroniques. Les maladies chroniques représentent en effet une part croissante des
pathologies prises en charge par les médecins de
premier et de second recours, et augmentent d’autant les dépenses de santé. Mais le système de
santé est surtout organisé pour faciliter l’accès aux
soins et en valoriser les aspects biomédicaux et
techniques aux dépens de ce qui représente pourtant pour les patients une part essentielle de leurs
préoccupations : les aspects psychosociaux. De
nombreux auteurs ont insisté sur la nécessité de
construire avec les patients une décision partagée,
une alliance thérapeutique, une coopération stratégique visant à améliorer l’observance ou la prise
en charge de la maladie [2]. L’éducation thérapeutique pour les patients atteints de maladie chronique apparaît comme une panacée, qui pourrait sauver le système de santé de sa perte annoncée.
Mais de quoi parle-t-on ?
L’éducation thérapeutique du patient, telle que la
définit l’OMS « vise à aider les patients à acquérir ou
maintenir les compétences dont ils ont besoin pour
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gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique.
Elle fait partie intégrante et de façon permanente de
la prise en charge du patient. Elle comprend des
activités organisées, y compris un soutien psychosocial, conçues pour rendre les patients conscients
et informés de leur maladie, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, et des
comportements liés à la santé et à la maladie. Ceci
a pour but de les aider (ainsi que leurs familles) à
comprendre leur maladie et leur traitement, collaborer ensemble et assumer leurs responsabilités dans
leur propre prise en charge dans le but de les aider
à maintenir et améliorer leur qualité de vie. Une information orale ou écrite, un conseil de prévention
peuvent être délivrés par un professionnel de santé
à diverses occasions, mais ils n’équivalent pas à une
éducation thérapeutique du patient » [3].
Cette définition insiste sur la prise en charge par les
patients de leur propre maladie, les professionnels
étant facilitateurs dans cette démarche. Pourtant,
pour beaucoup de médecins, l’éducation thérapeutique se résume à la transmission de connaissances [4]. S’il s’agit bien de permettre au patient de
devenir acteur de sa maladie, cette transmission de
connaissance ne suffit pas : il s’agit bien ici de
compétences, de savoir-faire, et de savoir être. Les
développer suppose une pédagogie appropriée.
Nos patients ont un « savoir »
et des « représentations »
sur leur maladie
La démarche n’est pas d’apporter des données
à des personnes vierges de toute connaissance
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ou de toute pratique, mais de tenir compte des
comportements et des savoir-faire déjà existants,
selon les méthodes bien connues de la pédagogie pour adultes : pédagogie par objectifs, travaux
sur les représentations des apprenants, démarches d’appropriation fondées sur la dynamique
de groupe.
Dans les groupes de formation médicale continue, ces méthodes sont des moteurs essentiels [5]. Un très grand nombre de médecins participent ou ont participé à des formations initiales
ou continues utilisant ces techniques pédagogiques visant à améliorer les compétences des apprenants. Il reste aujourd’hui surprenant que des
techniques et des méthodes largement répandues dans le monde de la formation professionnelle ne soient pas intégrées à la pratique professionnelle elle-même quand il s’agit de former les
patients. Certes, il n’est pas habituel qu’un professionnel libéral regroupe quelques-uns de ses
patients souffrant d’une même pathologie pour
mettre en place des groupes d’éducation. Certes,
les techniques dont nous parlons sont des techniques de groupe, et l’essentiel de la pratique médicale se fait en face à face, dans un entretien
singulier. Mais pourquoi les professionnels de
santé n’ont-ils pas eux-mêmes développé des
compétences pour mettre en œuvre en face à
face des techniques de pédagogie actives centrées sur l’acquisition de compétences [5] ?
des actions de groupe. Mais des techniques de
face à face ont montré leur efficacité [6].
• Il est vrai aussi qu’aujourd’hui, de nombreux services hospitaliers et réseaux pratiquent l’éducation thérapeutique de groupe,
alors que très peu d’expériences en ville en face
à face sont publiées [6].
• De nombreuses actions de formation médicale continue intègrent des séquences consacrées à l’éducation thérapeutique, mais la
transposition à la pratique de soins ne paraît
pas évidente. C’est sans doute le manque de
durée de ces séquences qui ne permet pas une
mise en œuvre facile. L’éducation thérapeutique
est avant tout une attitude, une ouverture vers
l’écoute, le développement de l’autonomie du patient, la mise en retrait du professionnel pour laisser le patient s’exprimer et l’aider à s’approprier
une nouvelle stratégie.
Une pratique dont l’objectif affiché est l’autonomie du patient se situe à l’opposé de ce qui est
enseigné en formation initiale, où le médecin est
celui qui sait, qui interroge, qui « ordonne », qui
prend la « bonne » décision « pour » le patient.
La déformation initiale dure 10 ans, ce n’est pas
en quelques minutes que ces années de conditionnement peuvent être contrebalancées.
Du médecin qui sait au médecin
qui aide le patient à développer
son autonomie...
Pourquoi les professionnels de santé sont-ils
aussi indifférents, voire réticents, à la pratique de
l’éducation thérapeutique ? Plusieurs réponses
sont possibles :
• L’éducation thérapeutique n’est pas ou peu
enseignée en formation initiale, et les stages
hospitaliers ne sont le plus souvent que des
contre-exemples, témoins du pouvoir médical et
de la circulation descendante de l’information.
• Les formations à l’éducation thérapeutique
en face à face sont peu nombreuses, voire
inexistantes. Aujourd’hui, c’est l’éducation thérapeutique de groupe qui est privilégiée dans les
différentes formations proposées aux professionnels. Il est vrai que la plupart des évaluations positives de l’éducation thérapeutiques portent sur
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Et si l'éducation thérapeutique
des patients n'était pas
à sa place ?
Les maladies chroniques nécessitent des stratégies qui leur sont adaptées, notamment pour développer les compétences des patients. L’éducation thérapeutique répond bien à cette
préoccupation. Mais elle n’est que l’un des éléments de réponse, parmi de nombreux autres qui
s’appellent écoute, empathie, disponibilité, soutien psychosocial, compétence du professionnel
sur les spécificités de chacune des pathologies
et sur ce qu’elles ont en commun, notamment
les phases d’acceptation.
L’acquisition des compétences du patient
n’est que l’un de ces aspects. Vouloir développer une éducation thérapeutique comme seule
réponse aux besoins des malades chroniques ne
répond qu’à une partie de la question, notamment parce que l’éducation thérapeutique en
groupes est forcément discontinue, et qu’elle ne
permet pas le suivi nécessaire.
Mais encore ? Quels professionnels rencontrent
le plus volontiers ces patients ? Ce sont avant
tout leurs soignants de premier recours. Le bon
sens voudrait que l’éducation thérapeutique
soit réalisée là où sont les patients, d’une manière continue, dans un type de relation
soignant-soigné qui n’est pas spécifique à
l’éducation thérapeutique, mais générique à
toute rencontre entre un professionnel et un
malade. L’éducation thérapeutique n’est qu’une
modalité technique, un ensemble de méthodes
et d’outils au service d’un projet, l’autonomie du
patient. Les Anglo-Saxons utilisent un terme issu
des sciences sociales, l’empowerment (les Québécois traduisent par « empouvoirment »). La
Charte d’Ottawa disait bien dès 1986, dans son
chapitre « Acquisition d’aptitudes individuelles » :
« La promotion de la santé soutient le développement individuel et social en offrant des informations, en assurant l’éducation pour la santé et
en perfectionnant les aptitudes indispensables à
la vie. Ce faisant, elle permet aux gens d’exercer
un plus grand contrôle sur leur propre santé, et
de faire des choix favorables à celle-ci ». Elle recommandait d’orienter les services de santé dans
ce sens [7].
Les objectifs d’un système de santé devraient
bien être ceux-ci. Pour toutes les rencontres entre un soignant et un soigné, cette préoccupation
devrait être au premier plan. Il serait temps que
les principes de développement de l’autonomie
des patients soient utilisés en routine dans toutes nos consultations, et que l’on ne voie pas
l’éducation thérapeutique comme le seul lieu de
cette mise en œuvre.
Références :
1. Saout C, Charbonnel B, Bertrand D. Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient. Paris ; Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative ;
2008 (171 pages).
2. Epstein RM, Communicating evidence for participatory decision making.Alper BS, Quill TE. JAMA. 2004 19;291(19):2359-66.
3. OMS – Europe. Éducation thérapeutique du patient. Copenhague : OMS ; 1998.
4. Bourit O. Drahi E. Éducation thérapeutique du diabétique et médecine générale : une enquête dans les départements de l’Indre et du Loiret. Médecine. 2007; 229-234.
5. Gallois P, ed. La Formation Médicale Continue. Paris : Flammarion Médecine-Sciences ; 1998.
6. Bourit O. L’éducation thérapeutique des patients diabétiques de type 2 en médecine générale [Thèse Médecine]. Tours : UFR Médecine ; 2006.
7. Charte d’Ottawa. Sur http://www.euro.who.int/AboutWHO/Policy/20010827_2 ?language=french Site visité le 19/01/09.
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