Il excellait dans l’apprentissage des pièges des
symptômes « banals » : formes insidieuses, aty-
piques d’embolie pulmonaire, d’infarctus du myo-
carde, d’endocardite infectieuse... comme celle
décelée devant la « petite douleur de l’épaule
gauche » du journaliste Jean-Marc Sylvestre, qui
avait failli lui-même en mourir [Ramsay, 2003].
Former à l’art du diagnostic, c’est d’abord former à
E-XA-MI-NER les malades, à commencer par le
TOU-CHER, avec tact et pudeur. Toucher le corps !
Quelle aventure riche en révélations : points dou-
loureux, contractures, tuméfactions, mais aussi
cette aventure émotionnelle dans la mémoire vis-
cérale d’un corps meurtri... Percevoir que j’ai mal
signifie souvent aussi je suis mal, je me sens mal,
handicapé, je ne suis plus comme AVANT !
Comme ces lombalgiques qui en ont plein le dos.
Que de pièges diagnostiques déjoués grâce à un
examen clinique rigoureux que ne remplaceront
jamais l’imagerie et la biologie demandées à
l’aveugle !
Art d’écouter, de voir, de percevoir, art du tou-
cher, art de ressentir l’intime, le subjectif, la dé-
tresse à peine dite, la médecine n’est-elle pas
religion de la sensibilité ? C’est le grand art du
médecin de mettre en jeu la panoplie de ses sens
au service de sa science, de son expérience et
de son bon sens. C’est cela qu’il faut savoir
communiquer à l’étudiant, à l’interne, grâce à la
formation clinique. Sensibiliser à l’art de la mise
en confiance du malade, grâce à l’écoute, l’expé-
rience et... la passion des malades, ça vaut de
l’or !
L'apprentissage du TEMPS
ÀCONSACRER AU MALADE
D’abord, établir la communication avec le malade.
Pas toujours facile ! Laisser le malade se
confier... Sait-on que, si le médecin laisse parler
ses patients jusqu’à ce qu’ils demandent eux-mê-
mes au médecin de reprendre la parole
(Qu’est-ce que vous en pensez, docteur ?), leur
temps moyen de parole s’avère étonnamment
court : une minute et trente-deux secondes en
moyenne ! C’est ce que révèle une étude réali-
sée au Centre de consultations du Département
de médecine interne de l’Université de Bâle :
avec des patients dont l’histoire médicale était
complexe, 4 patients sur 5 terminaient leurs ex-
plications en moins de deux minutes [1]. Que
d’informations perdues en n’accordant pas au
patient ces bienheureuses secondes lui permet-
tant d’exprimer librement sa plainte, avec ses
mots à lui, sa mimique, son attitude. « Écoutez
votre malade, il vous donne le diagnostic »,
confiait William Osler (1849-1919), le « père » de
l’endocardite infectieuse !
Le malade n’est pas un numéro ! [2]. Personne ne doute
de la révolution scientifique et technologique médicale, à
condition que ces progrès soient utilisés à bon escient. Tout
protocole de traitement doit être personnalisé. C’est le
message des concepteurs canadiens de cette médecine
« fondée sur les preuves », qui la définit comme « l’utilisa-
tion consciencieuse et judicieuse des meilleures données
actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge
personnalisée de chaque patient » [3].
Il n'y pas de maladies :
il n'y a que des malades !
La médecine n’est pas une science dure, théori-
que, obéissant à la rigueur glacée de l’anonymat.
C’est une science humaine, avec son cortège
d’incertitudes, sur les risques et le suivi personna-
lisé des traitements. Évidemment, le sur-mesure
est plus exigeant que le prêt-à-porter, infiniment
plus rentable pour les lobbies et vendeurs de kits
ou de boîtes de pilules ! La médecine clinique
n’impose pas le scanner et l’IRM pour tous. Elle
requiert d’écouter et d’examiner attentivement
les malades, avec le TEMPS nécessaire, AVANT
de prescrire les examens complémentaires.
L’exemple de l’urgence : former à diagnostiquer
l’aggravation d’un malade !
La famille de cet insuffisant respiratoire appelle au secours :
« Docteur, regardez, il a le souffle court, ses lèvres sont
bleues » « Mon père se meurt, qu’attendez-vous ? » « Oui,
oui, mais on attend les résultats de la prise de sang », ré-
torque le jeune interne. Heureusement, il appelle aussitôt
le senior, qui transfère d’urgence le malade en réanimation.
Facile, le diagnostic de gravité ? Bien sûr ! Surtout quand
on est un donneur de leçons arrivé après la bataille : « y
avait qu’à... » !
Former à la bonne décision
thérapeutique et à son suivi
La formation hospitalière (en CHU mais aussi à
l’hôpital non universitaire) reste incontournable par
l’immense variété des situations cliniques
101mars 2015MÉDECINE
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