Quelle influence exerce la culture religieuse dans
ce rapport à l’ordonnance ? Ces questions se fon-
dent sur le postulat que l’appartenance ou l’ori-
gine religieuse modèle en partie les individus et
que cette empreinte se lit dans leurs conduites
quotidiennes. « Les individus se trouvent mar-
qués, sinon en partie construits, par une histoire
collective et le fait culturel est lui-même partiel-
lement déterminé par un contexte historique »
[2]. Du point de vue de l’anthropologue, la ques-
tion n’est pas de savoir si les personnes se
conforment ou pas à l’ordonnance, mais de
comprendre « à quelles conditions sociales et
culturelles se réalise le suivi ou non de l’ordon-
nance ». Selon le statut du prescripteur – le degré
de savoir qui lui est attribué – le sort de l’ordon-
nance sera différent. Les comportements face à
la maladie, aux médicaments, au corps en géné-
ral et au corps du patient en particulier de même
qu’à la douleur diffèrent selon les cultures reli-
gieuses et selon ce qui peut être nommé la « ges-
tion sociale » du corps : la relation au corps en
termes de prise en charge ou de dépossession
face à l’autorité médicale est directement en lien
avec l’attitude des patients envers l’autorité reli-
gieuse. La prescription étant un ordre écrit, le fait
de suivre ou non cet ordre dépend de la relation
que chacun entretient avec l’autorité, de sa plus
ou moins grande facilité à se soumettre.
Il semble que l’appartenance religieuse joue peu
sur le choix de consulter le médecin, en France,
mais peut influencer les caractéristiques recher-
chées chez le praticien. L’honnêteté, la maturité,
un certain humanisme ou le fait « généraliste »
ou « spécialiste » seront des caractéristiques
plus ou moins recherchées selon les groupes.
Quelle est la crédibilité du médecin discourant sur
la question de la dépendance, alors qu’il fume
une cigarette ? Cette position distancée de l’an-
thropologie, développant un regard critique sur
toute conduite d’observation et d’intervention, y
compris sur celle du chercheur, constitue une
posture utile au service de l’éducation à la santé.
Contextualiser
pour comprendre les pratiques
individuelles
Certains travaux sur le SIDA ont par exemple
montré que le choix de prendre un risque sanitaire
était le moyen d’éviter un risque social : la santé
n’était pas alors la valeur primordiale. Les êtres
humains peuvent faire d’autres choix plaçant leur
vie affective au premier plan. Il est nécessaire de
comprendre que les choix s’inscrivent dans un
ensemble de représentations, de positions, d’en-
jeux en lien avec la place sociale qu’occupe le
sujet, en lien aussi avec son histoire. Le refus de
traitement par chimiothérapie d’une femme ne
peut pas s’expliquer sans la prise en compte
d’une analyse de son contexte à la fois social et
culturel. S’acharner à vouloir transformer les
comportements des individus sans s’intéresser à
la réalité sociale, politique et économique dans
laquelle ils vivent est une position très naïve.
De quoi parle l’anthropologie médicale et comment
peut-elle servir ? Elle aide à comprendre les dyna-
miques de la production des idées dans différents
contextes. Dans le domaine de la prévention, elle
peut affiner le « ciblage » des populations, les ma-
nières de communiquer qui font sens pour les des-
tinataires des informations. Elle apporte un éclai-
rage sur les représentations de la maladie, de la
santé, du soin et du traitement. Elle nous permet de
comprendre les logiques de décision qui sont à
l’œuvre dans les dispositifs de soin, les enjeux du
partage du savoir entre soignants et patients. Elle
interroge les conceptions de l’homme sous-jacen-
tes aux pratiques. Elle questionne l’évolution des
images sociales des soignants, la place de la méde-
cine dans la gestion des vies humaines.
Éducation thérapeutique
Aujourd’hui, le médecin souffre de la perte
d’une grande partie de son pouvoir. De
293septembre 2014MÉDECINE
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