Cette notion de «proches »peut être étendue aux amis, qui
ne sont pas reconnus comme tels «officiellement », même
s’ils jouent un rôle primordial dans la vie du patient. Il est
vrai, comme on a coutume de le dire, que si l’on ne choisit
pas sa famille, en revanche on choisit toujours ses amis, et
cela les rend infiniment précieux dans les périodes difficiles.
Mais l’institution est souvent sourde à ces considérations et
se retranche trop souvent derrière le proche «officiel », celui
qui figure à la rubrique «personne à prévenir ».
La notion de «proche »est d’ailleurs à considérer en double
sens tant l’humain, celui qui est malade et celui qui ne l’est
pas, est toujours le proche de l’autre.
Concernant les parents malades, cette situation entraîne
inévitablement des glissements de fonctions intrafamiliales :
la maladie de telle jeune maman oblige, de fait, son conjoint
à prendre de nouvelles attributions, pour lesquelles il peut
se sentir démuni s’il ne les pratique pas habituellement. Les
enfants risquent alors de doublement souffrir, de la maladie
de leur mère mais aussi de l’embarras de leur père et de
son changement de statut auquel ils ne sont pas habitués.
L’effet peut en être bénéfique, par la «redécouverte »de son
parent, mais il peut aussi être négatif, si ses compétences ne
sont pas au rendez-vous ou mal comprises, ou encore générer
de l’inquiétude quand cette substitution prend toute la place
dans la relation. Ce nouveau rôle bouleverse le schéma fami-
lial mais aussi social, puisque les nouvelles attributions du
conjoint viennent s’ajouter à celles, préexistantes, et parfois
exclusives, dévolues au travail.
À l’inverse, si le père est malade et ne peut plus travailler,
les enfants perdent leurs repères, surtout si la mère est dans
l’obligation d’assurer seule le bien-être familial, y compris
l’apport financier. Dans tous les cas les bases de fonction-
nement de la famille se compliquent considérablement, et
l’épuisement physique et psychique du proche-aidant sur-
vient d’autant plus qu’il ne souhaite pas «se plaindre ».
Enfermé dans la relation au malade il n’envisage pas volon-
tiers de demander de l’aide pour lui-même et s’isole. Mais
ces exemples ne sont pas généralisables, et le propos n’est
pas de stigmatiser tel ou tel modèle familial.
Le conjoint, qu’il soit homme ou femme, se trouve en pre-
mière ligne pour affronter les dysfonctionnements induits par
la maladie. Celle-ci peut entraîner des réactions diverses, rap-
procher et souder le couple, ou au contraire l’éloigner et le
faire éclater. Les relations de couple sont indiscernables pour
les soignants, c’est une histoire d’intimité qui n’appartient
qu’aux personnes concernées. Ceci est particulièrement vrai
pour les «vieux »couples dont le conjoint lui-même âgé et/ou
en mauvaise santé se retrouve dans l’incapacité de s’occuper
de la personne malade.
On peut aussi citer l’exemple d’enfants adultes devenant, par
la force des choses, les parents de leurs propres parents si
leur état de santé le nécessite. Que de perturbations dans la
cellule familiale !
Quant aux parents d’enfants malades, quel que soit leur âge,
mais bien plus encore s’il s’agit d’enfants ou d’adolescents,
la confrontation à la possible perte de cet enfant est légi-
timement vécue comme insupportable et contre nature, le
sentiment d’injustice, parfois de culpabilité, prend toute la
place dans la relation, la rendant difficilement exprimable.
Si certains parviennent à transcender leur souffrance en
l’exprimant (écriture, film, spiritualité, engagement associa-
tif), nombre de ces parents risquent un deuil pathologique
s’ils ne trouvent pas de soutien dans l’équipe ou l’entourage.
Par ailleurs la fratrie est peu prise en compte, ce sont souvent
de jeunes enfants «interdits de séjour »dans le système hospi-
talier, que l’on éloigne de la maladie au risque de les laisser
fantasmer le pire, alors même que leurs parents portent toute
leur attention sur l’enfant malade et qu’ils se sentent délaissés.
Un travail familial avec un psychologue peut permettre alors
l’expression et la compréhension des angoisses de chacun,
et, là aussi, les mentalités changent doucement.
Comment aider le non-malade si l’on part du postulat qu’un
proche-aidant est lui aussi un humain en besoin ? La prise
en compte de leur souffrance est un énorme chantier de
recherche, dès lors que les soignants y sont sensibilisés.
Comment faire alliance avec ces proches ? Nos organisa-
tions de soin prévoient peu, voire pas, cette prise en compte
qui se révèle pourtant essentielle à la bonne harmonie fami-
liale et à une continuité des soins effective, puisqu’elle repose
sur l’investissement de cette famille lors du retour au domicile.
Parmi toutes ces difficultés, il ne faut pas occulter la notion
de précarité sociale, que l’on voit de plus en plus dans
ces périodes de crise économique. Comment pourrait-il y
avoir une quiétude familiale si des embarras financiers, voire
des situations de surendettement ou de chômage prolongé,
induisent déjà un retrait de la vie sociale aggravé parfois de
troubles anxieux ou dépressifs allant jusqu’aux addictions ? Il
faut également parler des dépenses supplémentaires induites
par la maladie et qui ne sont pas prises en compte (frais de
garde des enfants ou d’aide aux personnes malades, tra-
jets non remboursés, temps d’accompagnement non pris en
compte...), La sérénité souhaitable devient alors bien incer-
taine.
En outre, la loi préconise une personne de confiance : ce
sera celle qui relaiera le choix décisionnel en lieu et place
du patient s’il est hors d’état de l’exprimer lui-même ; c’est
une prérogative essentielle pour le confort moral du patient,
surtout si c’est elle qui détient ses directives anticipées.
On voit bien l’importance de prendre en considération toutes
ces personnes, «proches »à des degrés divers, sur lesquels il
revient aux soignants, non de prioriser, mais au contraire de
s’enquérir auprès du patient, pour qu’il ne se sente ni morcelé
ni amputé des personnes importantes pour lui. Son sentiment
de sécurité et la confiance qu’il place dans les soignants sont
à ce prix ; mais sommes-nous prêts à bousculer les habitudes
institutionnelles basées sur le respect du secret professionnel,
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ematologie, vol. 18, n o1, janvier-février 2012
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