S c i e n c e s S o c i a l e s e t S a n t é , V ol . 22 , n ° 1 , m a r s 2 0 04 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Internet et société : reconfigurations du patient et de la médecine ? Michael Hardey* (1) Résumé. Cet article montre que la disponibilité d’informations médicales sur Internet joue un rôle majeur dans la transformation des savoirs médicaux et dans les relations que chacun entretient avec l’information et les conseils en matière de santé. La « e.santé » est ici définie de manière à échapper aux modèles organisationnels, médicaux ou technologiques qui ont donné lieu à l’élaboration de dénominations comme la cybermédecine, la télémédecine ou l’informatique médicale. En nous appuyant sur une théorisation des relations entre réflexivité, santé et information, nous mettons en évidence quelques points-clés dans les évolutions constatées, à savoir les menaces pesant sur l’expertise médicale et la sécurité du public, et les relations médecin/patient. Cette analyse suggère que la nature plurielle des savoirs disponibles sur Internet et la dissolution de la frontière existant entre producteurs et utilisateurs d’information conduisent à des changements importants dans les savoirs médicaux. Mots-clés : Internet, patients, connaissances. * Michael Hardey, sociologue, Claremont Bridge Building, University of Newcastle, Newcastle upon Tyne, NE1 7RU, Great-Britain ; e-mail : [email protected] (1) Traduit de l’anglais par Madeleine Akrich et Cécile Méadel. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 22 MICHAEL HARDEY Au début du XXe siècle, parmi les nouveaux instruments de communication qui apparaissaient à l’époque, la radio était sans doute celui qui déclenchait le plus d’enthousiasme. Pour Bertold Brecht (1964), cette nouvelle technique allait devenir un magnifique medium public, pourvu qu’elle s’avère capable de recevoir aussi bien que de transmettre, qu’elle autorise l’auditeur à parler aussi bien qu’à entendre et qu’elle permette les échanges au lieu de le laisser dans l’isolement. À la fin de ce même siècle, c’est au tour d’Internet de provoquer enthousiasme et spéculation. Média intrinsèquement interactif, il comble le fossé signalé par Brecht en permettant à chacun de « parler » ou de rendre publiques ses informations. Ainsi, peut-on obtenir des conseils personnalisés sur des questions comme la gestion du stress, les exercices physiques, la perte de poids ou l’obéissance aux prescriptions médicales. Or, la portée d’Internet est d’autant plus grande que ce média arrive lors d’une période de transformation sociale : nous sommes de plus en plus appelés à nous prononcer sur des choix de vie qui n’étaient pas offerts aux générations précédentes ; nous sommes ainsi conduits à prendre, avec les professionnels de la médecine, des décisions en matière de santé ou de traitements médicaux. Comme l’a écrit Giddens, « nous n’avons pas d’autre choix que de faire des choix sur notre manière d’être et d’agir… Le choix est devenu obligatoire » (Giddens, 1994). Aujourd’hui, pourtant, les analyses sur les impacts de la « e.santé » (2) fourmillent de spéculations théoriques. D’un côté, les optimistes estiment qu’Internet tient ses promesses en affranchissant les individus des limites, souffrances et inégalités sociales liées à la corporalité et associées à la société moderne ; il contribue ainsi à la démocratisation des échanges et à l’extension des possibles (Giddens, 1991, 1994 ; Turkle, 1995). De l’autre côté, les pessimistes soutiennent que la masse d’informations disponibles sur Internet, dans un contexte général d’incertitude, est une menace pour le bien-être de l’homme et un défi fondamental à la connaissance (Lash, 2002). Ces positions sont bien sûr des idéaux-types et seules des recherches empiriques permettront de savoir comment, sur les questions de santé, les acteurs utilisent les techniques de communication en relation avec leur mode de vie et leurs rapports sociaux. (2) Ehealth. On traduira ici e.health par « e.santé », les autres notions proposées par les dictionnaires terminologiques ne recouvrant pas exactement le même espace ; ainsi, « télémédecine » renvoie plutôt à l’activité des professionnels, « télématique de santé » évoque en France le Minitel. Santé électronique comme cybersanté sont des termes peu usités. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 23 Ces spéculations s’inscrivent dans le contexte plus large du changement théorique des années quatre-vingt où l’on est passé d’une analyse de la production à une analyse de la consommation, comme en témoignent les commentaires sur la « société de consommation ». Baudrillard (1993) affirme ainsi que les biens de consommation et leurs significations culturelles sont devenus la pierre angulaire des relations entre les personnes. Les notions subséquentes de modernité tardive ou de société du risque développées par Giddens (1991) ou Beck (1992) suggèrent que le caractère incertain ou imprévisible du destin des individus joue un rôle primordial dans la compréhension que nous avons de nous-mêmes et de nos relations aux autres. La santé est centrale dans cette auto-réflexivité qui promeut la surveillance, l’entretien et le développement du corps comme éléments déterminants de l’identité des personnes (Shilling, 1993). Comme Feathersone le note, l’information est alors cruciale dans ce contexte, particulièrement pour ceux qui aspirent à un certain mode de vie : « C’est à des groupes sociaux comme la nouvelle classe moyenne, la nouvelle classe laborieuse et les nouveaux riches ou privilégiés que les magazines de consommation, les journaux, livres, programmes de radio ou de télévision consacrés à l’auto-résistance au stress, l’auto-dévelop pement, les transformations personnelles, la préservation des qualités, relations et ambitions, la recherche de modes de vie accomplis… sont des tinés » (Feathersone,1991 : 19). Désormais, Internet vient s’ajouter à cette liste de sources d’informations. La demande en « santé électronique » est de fait tellement forte que ce secteur constitue un des rares domaines d’Internet piloté par la demande des consommateurs plutôt que par des développements technologiques ou commerciaux (McGinns, 2001). Poster soutient que « la magie d’Internet tient à ce qu’il met les faits culturels, les symbolisations de toutes formes, entre les mains de tous ses utilisateurs ; il décentralise radicalement le rôle des discours, publica tions, films, émissions radio ou télévisées, soit, en bref, de l’appareil de production culturelle » (Poster, 1997 : 211). C’est cette interactivité, absente selon Brecht de la radio, qui permet à Internet de transcender tous les autres médias. Il n’est donc pas étonnant qu’existent dans le domaine de la santé électronique de nombreux conflits ou tensions entre acteurs individuels ou collectifs : ils doivent en effet s’accommoder d’un média qui ne privilégie pas nécessairement le savoir-expert par rapport aux autres savoirs. Cet article tente de faire le point de ces débats et de dégager ce qui, à mon sens, constitue les principales ruptures introduites par Internet. Pour ce faire, je m’appuierai sur mes propres travaux, sur ceux des chercheurs en sciences sociales s’intéressant à ces questions, mais aussi sur une importante littérature professionnelle ainsi que sur des approches plus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 24 MICHAEL HARDEY générales comme les théories de la réflexivité (Giddens, 1991) et les approches en terme de « surabondance d’informations » (Lash, 2002). Après avoir resitué la « e.santé » par rapport aux tentatives antérieures d’application des technologies de l’information à la médecine et avoir dégagé ce qui en fait la spécificité, je m’intéresserai à deux questions principales qui font l’objet de débats et de conflits tant dans l’univers académique que dans l’univers médical ou politique : - dans quelle mesure Internet participe-t-il à l’émergence de nouvelles figures du patient et, associée à ces figures, à l’émergence de savoirs profanes, concurrents/complémentaires des savoirs experts ? - quels peuvent être les effets médicaux, sociaux, politiques de la profusion des contenus informatifs et de leur relative indifférenciation sur Internet ? En conclusion, j’identifierai les principaux thèmes potentiels de recherche sur la santé électronique, ainsi que quelques questions importantes qui font l’objet de débats entre chercheurs, professionnels de la santé et consommateurs de « e.santé ». De la télémédecine à la « e.santé » La dénomination « e.santé » vient de l’addition du préfixe « e » devenu usuel dans les médias des années quatre-vingt-dix alors que les technologies de l’information et de la communication (TIC) étaient présentées comme le point de départ d’une révolution économique et sociale. Les formes de commerce les plus rentables et les plus attrayantes deviennent « électroniques » de telle sorte que le « e.commerce » constitue un élément déterminant de ce que l’on a appelé « la nouvelle économie » du XXIe siècle (Castells, 2000). La technologie joue un rôle central dans le développement de la médecine moderne au point que, dans nos systèmes de santé, la priorité est souvent donnée aux interventions de haute technologie plutôt qu’aux soins de base. Depuis le début du siècle au moins, les médecins ont été prompts à tirer avantage des nouvelles technologies d’information et de communication ; ils tentèrent, par exemple, de transmettre des images de rayons X par téléphone dès avant la Première Guerre mondiale. Ce n’est pourtant que dans les années soixante-dix que le mot grec « τελε » qui signifie « à distance » et le mot « médecine » dérivé du latin « mederi » qui veut dire « guérir » furent combinés pour donner « télémédecine ». Ainsi, la télémédecine est-elle centrée sur la distribution d’expertise médicale, le plus souvent dans un contexte institutionnel et pour des patients Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 25 éloignés des centres médicaux d’excellence. Aux États-Unis, par exemple, on a mis particulièrement l’accent sur la diffusion de services, comme des consultations médicales, entre participants distants. Plus récemment, on a proposé d’utiliser les termes de « télésanté » ou « télésoin » pour désigner des projets utilisant les TIC au domicile des patients et facilitant la collaboration entre différents professionnels ou fournisseurs de service (Chief Medical Officer, 2000). Le travail conjoint des spécialistes de technologies d’information, des professionnels de la santé et des administratifs a produit le champ de l’informatique médicale. Au-delà de leur diversité apparente, les différentes applications des TIC à la santé partagent néanmoins une même conception hiérarchique des connaissances et des informations, conforme à l’interprétation de Parsons (1951) sur les relations entre experts et profanes dans son modèle du rôle de malade. Une des ruptures introduite par Internet se situe ici, dans la possibilité de sortir de ce modèle hiérarchique : la « e.santé » se distingue de tous les mariages précédents entre médecine et TIC par ce que Eysenbach désigne comme « un état d’esprit, une manière de pensée, une attitude, un engagement en faveur d’une conception en réseau du progrès des soins médicaux » (Eysenbach, 2001). Grâce à Internet, les technologies de l’information et de la communication ne sont plus, dans le domaine de la santé, l’apanage des professionnels mais sont mises entre les mains des consommateurs. La « e.santé », de nouveaux espaces à investir pour les patients Comment qualifier plus précisément les modifications sociotopographiques introduites par Internet ? En utilisant une analogie géographique, on peut voir Internet comme un ensemble d’espaces indénombrables qui se diversifient et s’étendent rapidement et, ce, de manière décentralisée (Dodge et Kitchin, 2001). Des outils comme le logiciel Microsoft Internet Explorer pour le web sont devenus les plus utilisés des instruments d’exploration, de navigation et de création de ces espaces numériques : par leur intermédiaire, il est possible ainsi de « sauter » d’un espace à l’autre, en cliquant sur du texte ou des icônes qui contiennent des hyperliens, avec le simple bouton d’une souris. Les mêmes applications permettent aux utilisateurs de recevoir et d’envoyer des messages, d’engager des discussions en direct sur les chats (IRC), de regarder des vidéoclips et d’écouter la radio, voire de créer de nouveaux sites et lier ces sites à d’autres sites préexistants. Du point de vue des usagers, ces ressources peuvent être produites n’importe où mais elles sont consommées localement. Cette double caractéristique d’Internet, à la fois local et global, combinée, comme nous Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 26 MICHAEL HARDEY allons le voir, avec la nature essentiellement anonyme des intervenants, façonne l’essentiel des possibilités et des aléas de la « e.santé ». En effet, les espaces Internet sont créés au travers d’un média numérique, ce qui entraîne comme conséquence que « le corps s’arrête à l’écran » (Turkle, 1995) tandis que l’utilisateur agit ou lit des informations en ligne. Aussi, sur Internet, les utilisateurs sont-ils souvent anonymes ou au moins peuvent-ils échapper tant à leur moi encorporé (3) qu’aux attentes et normes de la sociabilité hors-ligne. Dans certains espaces Internet, les participants se modèlent ainsi d’autres personnalités et créent des relations libérées du physique et de la localité, ce qui en soi peut être thérapeutique (Pleace et al., 2000). Un tétraplégique prendra, par exemple, une personnalité de guerrier dans un jeu, de maire dans une communauté virtuelle et, à travers ses pages web personnelles, de soutien aux personnes affectées par une lésion de la colonne vertébrale (Hardey, 2002b). L’émergence de savoirs profanes Un des aspects les plus spectaculaires de la « e.santé » est la possibilité pour chacun de devenir producteur d’informations médicales à travers des groupes de discussion, des chats et des pages web et, ce, comme nous venons de le voir, en contrôlant plus ou moins la forme de son engagement personnel dans ces activités. En conséquence, et à la différence des autres espaces sociaux, Internet permet de réduire, voire d’éliminer la gêne, l’embarras et les risques liés à la révélation d’expériences désagréables ou de comportements potentiellement stigmatisants. Bauman a montré que, dans les chats et dans les émissions de téléréalité, l’apparence des personnes « ordinaires » qui, à la différence des personnalités ou des experts, ont la même vie quotidienne que les spectateurs, peut nous permettre « de tirer quelque chose d’utile de leurs victoires et de leurs défaites » (souligné dans le texte) (Bauman, 2000). Dans le domaine de la santé, les informations diffusées par les groupes de discussions et les pages web sont effectivement importantes et utiles pour les usagers parce qu’elles proposent des récits d’états physiques, de traitements et d’expériences vécus qui transcendent un savoir médical de plus en plus spécialisé, fractionné et modelé par la « médecine des preuves ». Les usagers participent activement à la constitution et à la préservation de ces espaces dans lesquels se déploient ces nouveaux discours sur la maladie. S’il existe quelques groupes de discussion conçus et contrôlés (3) NdT : traduction de embodied self. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 27 par des professionnels, la plupart sont créés par des patients hostiles à l’intrusion des professionnels : ainsi, les groupes de discussions, comme ceux qui sont consacrés aux problèmes d’alcoolisme, tentent de décourager la participation active des personnes identifiées comme praticiens (Muncer et al., 2000). Les usagers cherchent par là à profiter d’un espace qui n’est pas soumis à l’objurgation des médecins de former une « communauté vir tuelle de soin » (Burrows et al., 2000). Internet pourrait ainsi redonner du pouvoir aux usagers en leur fournissant des sources d’informations et des opinions différentes de celles qui leur sont offertes par les sources conventionnelles et les praticiens. Les recherches conduites aux États-Unis ont montré que les communautés virtuelles apportent de manière significative soutien, avis et amitié, en particulier pour les personnes âgées isolées. Dans ces espaces virtuels, les personnes ayant des problèmes de santé qui peuvent les confiner à domicile, voire dans leur lit, peuvent interagir comme participants « normaux » de la société Internet (4). Les patients-experts dans le débat public Certaines personnes utilisent également Internet pour rassembler et publier des informations, ou pour coordonner des campagnes contre des projets qu’ils estiment nuisibles. Une telle approche des savoirs experts par les citoyens s’inscrit dans le vaste mouvement de démocratisation de la science (Couch et Kroll-Smith, 1997), lui-même lié à la perte de confiance dans le pouvoir de la science et dans la capacité des experts à sauver les vies et les corps. Dans le même temps, les politiques publiques de santé tentent de promouvoir l’idée que les citoyens doivent être informés des risques afin de prendre des décisions sur leur régime, exercice physique, etc. (Department of Health, 2001). Cette nouvelle « doctrine » n’est pourtant pas si simple à appliquer : Giddens (1991) a mis en évidence la spécialisation croissante et la différenciation des connaissances caractéristiques de notre modernité, qui se traduisent par une multiplication des sources d’autorité, souvent discordantes ; et cela est plus sensible sur Internet que nulle part ailleurs. En Grande-Bretagne, le débat à propos du vaccin ROR (rougeole, oreillons et rubéole) (5) est significatif de cette évolution. En dépit des (4) Cependant, l’absence de contraintes sociales et d'obligations propres aux relations interpersonnelles peut avoir des conséquences sur la confiance que les usagers portent aux opinions disponibles dans ces lieux (Turner et al., 2001). (5) MMR en anglais. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 28 MICHAEL HARDEY incitations des médecins pour inoculer tous les enfants, les parents se trouvaient face à une surabondance d’informations et d’opinions qui leur ont fait se poser des questions à propos des effets potentiels sur la santé du vaccin combiné et, in fine, militer pour une approche alternative. Ce qui est devenu la « controverse du ROR » a eu une couverture très importante dans la presse et les médias, mais c’est sur Internet que les parents ont pu trouver le plus d’informations et d’avis (Burrows et al., 2000). Internet ne produit pas seulement des patients plus réfléchis, n’accordant pas toute leur confiance aux sources conventionnelles d’autorité, mais aussi des acteurs dotés de nouvelles munitions ; celles-ci leur permettent de questionner ou de contester les avis des professionnels de la santé, et leur donnent les renseignements nécessaires pour demander de l’aide à un vaste ensemble de professionnels hétérodoxes de la santé. De ce point de vue, il est sans doute inapproprié de considérer qu’après une ère marquée par la confiance aveugle des patients vis-à-vis des praticiens, on entre dans l’ère de la défiance ; comme le note Giddens (1991), on assiste probablement à une reconfiguration des relations médecins/patients, plutôt qu’à sa subversion. La « e.santé » ne se contente pas de fournir aux personnes des informations et des avis qui peuvent être contraires à la politique sanitaire nationale, elle leur permet également de partager leur opinion avec d’autres et de constituer des alliances afin de remettre en cause ces mêmes politiques. Certains groupes militants utilisent Internet comme un moyen de joindre leurs partisans, qui peuvent être dispersés autour du monde, et de fournir des informations aux usagers. L’Association pour le syndrome de la guerre du Golfe a ainsi milité dans ses pages web pour obtenir un changement de la politique gouvernementale et une reconnaissance de la maladie par les professionnels de la santé. Sur Internet, les utilisateurs peuvent trouver des articles de presse, des dates de manifestations, des histoires de vie ou des avis sur la façon d’obtenir des aides de la NHS. La production d’informations par ces groupes profanes met au défi le gouvernement et les institutions qui sont vus comme défaillants dans leur diffusion des données de la recherche, tant au niveau national qu’international (Loader, 1999). La reconfiguration des usagers : du patient responsable au consommateur La différence entre les approches des professionnels et celles des patients est depuis longtemps un thème de recherche pour les sciences sociales. Ainsi, l’usage des prescriptions médicales a fait l’objet de tra- Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 29 vaux nombreux qui montrent que les personnes réexaminent en permanence l’utilité de leurs médicaments à la lumière de nouvelles informations ou expériences (Bissell et al., 2001). Dans ce contexte, Internet joue un rôle important : une étude a montré, par exemple, que près de deux tiers des diabétiques sont influencés par des informations provenant d’Internet dans la manière dont ils adhérent à leur traitement (Harris Interactive, 1999). Une telle action réfléchie n’indique pas nécessairement une perte de confiance dans la médecine mais témoigne plutôt d’un engagement personnel dans les soins et d’une autoresponsabilisation face aux décisions médicales. Les informations obtenues par Internet sont reçues de manière substantiellement différente de celles obtenues par les professionnels. Dans les consultations en face-à-face, la confiance s’établit à travers des interactions au cours desquelles le diagnostic et la thérapie sont négociés. De telles rencontres permettent « le partage d’information, le partage d’évaluation, le partage de décision et le partage de responsabi lité » (Coulter, 1999). Cette insistance sur le partage désigne tant les symptômes corporels que des opinions ou des informations, dont certaines peuvent provenir d’Internet. Ainsi, on sait que les patients pourront contester le traitement proposé par leur médecin et accepter des médicaments alternatifs sur la base de données trouvées sur Internet (Hardey, 1999). Dans le même temps, le web, parce qu’il remet en cause, au travers des sites commerciaux, la frontière traditionnelle entre l’éventail des médicaments en vente libre et ceux qui exigent une ordonnance médicale, favorise l’émergence d’un patient consommateur qui échappe aux acteurs de la santé publique. Ce phénomène est loin d’être négligeable et, en tout cas, nourrit les espoirs de nombreuses entreprises qui voient dans Internet la possibilité de développer de nouveaux marchés et d’inventer des stratégies de distribution inédites. Les études sur la place de la santé dans les activités des internautes sont à cet égard encourageantes pour les acteurs économiques : on estime que le nombre d’utilisateurs de l’Internet médical, aux États-Unis, est passé de 53 millions en 2000 à 73 millions en 2001 (Harris Interactive, 2000) ; en Grande-Bretagne, le montant des ventes au détail de médicaments hors prescription est évalué à 126 millions de livres en 2002 (Select Committee on Science and Technology, 2002) ; une étude prospective sur la « e.santé » en Amérique du Nord a montré comment les « nouveaux consommateurs » recherchent activement des informations médicales et des produits pour améliorer leur condition physique (Kyrouz et al., 1998). Nous reviendrons dans la suite sur les implications de cette activité commerciale et de ses liens avec d’autres formes d’activité. 30 MICHAEL HARDEY Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Vers un patient réflexif ? L’autoréflexivité, la planification de la vie et l’insécurité ontologique sont, pour Giddens (1991), déterminantes à notre époque. Nous sommes tous engagés dans un processus de recherche et d’évaluation des informations sur les risques potentiels et les situations qui pourraient transformer notre vie. Ce projet réflexif passe, toujours selon Giddens, par une profusion de ressources réflexives : les thérapies, les manuels d’aide de toutes sortes, les émissions de télévision et les articles des journaux (Giddens, 1992 : 30). Cette masse d’informations reflète « l’ouverture » de la vie sociale contemporaine, le pluralisme des contextes d’action et la diversité des « autorités » ; les choix de vie deviennent de plus en plus importants dans la constitution de l’identité des personnes et de l’activité quotidienne (Giddens, 1991 : 5). Du reste, l’utilisation d’informations en provenance d’une pluralité de sources, potentiellement conflictuelles, est une caractéristique centrale de cette « modernité réflexive » : en retour, se développent de multiples processus de filtrage par lesquels des personnes « profanes » se réapproprient, d’une manière ou d’une autre, le savoir technique et l’utilisent de manière routinière dans leurs activités quotidiennes. On peut voir en œuvre cette ré-appropriation dans les nouvelles relations qu’entretiennent entre eux les consommateurs, dans les espaces de discussion électronique et sur les pages web. L’ambivalence et l’incertitude, l’intimité et la distance, qui marquent la vie sociale contemporaine, sont également présentes sur Internet. Comme l’écrivent Featherstone et Lash, « dans le cyberspace, nous allons au-delà des vieux partages réalistes : espace/temps, récepteur/émetteur, medium/message » (Featherstone et Lash, 1999 : 5). On peut ajouter à cette liste les dualismes médecin/patient et consommateur/producteur. Comme nous l’avons vu, la « e.santé » fournit un espace dans lequel les personnes peuvent proposer leurs avis personnels sur des questions de santé et raconter leurs récits personnels à d’autres. Dans son approche classique du rôle de malade, Parsons (1951) présente le patient comme le récepteur passif de l’expertise du professionnel qui est vu en retour comme devant gérer une interruption temporaire du fonctionnement du corps profane considéré comme acquis. Par contraste, la profusion d’informations autour de la santé sur Internet peut rendre ce modèle du malade obsolète, au profit d’un modèle de la santé (Franck, 1991). Ainsi, la « e.santé » ne contribue pas seulement à éroder les lignes d’autorité et de confiance qui partagent la relation profane/professionnel ; elle brouille également les distinctions entre producteurs et consommateurs de santé et construit une nouvelle dimension au consumérisme médical. Cela signifie que les personnes ont un rapport beaucoup plus proactif avec leur santé et Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MEDECINE 31 leur bien-être, et qu’ils possèdent ce que l’on pourrait appeler un « corps vigilant » attentif non seulement à la peine et à la souffrance mais également au développement de ses aptitudes à l’action, au travail et au plaisir. Si cette évolution se confirmait, les professionnels de la santé seraient moins souvent confrontés à un corps passif et défaillant ; ils devront plutôt traiter un usager actif des services de santé et une information riche et vivante. Des usagers auront ainsi tendance à montrer aux praticiens des symptômes mineurs qu’ils veulent traiter préventivement et à leur demander, non pas simplement de réparer un corps malade, mais de le maintenir dans un état optimal de bien-être. En revanche, il est possible que d’autres usagers, souffrant de maladies chroniques, souhaitent continuer à fonctionner sur les mêmes modèles de soin, tout en tirant parti d’une meilleure information sur un ensemble d’éléments nouveaux, aptes à améliorer leur confort (Robillard, 1999). La « e.santé » pourrait permettre de ré-outiller les usagers profanes en modifiant leurs connaissances sur la médecine et la santé, et les échanges avec les praticiens (Giddens, 1991). Il pourrait en résulter une démocratisation des relations entre professionnels et profanes dans laquelle le jugement et l’autorité seraient soumis à investigation et justification ou, au moins, une érosion de la confiance dans un système expert incapable de se justifier par un dialogue raisonné. Rappelons-nous que tout le monde n’est pas capable de tirer avantage des possibilités offertes par la riche société de l’information. La possession d’un ordinateur et l’accès à Internet restent rares dans les groupes sociaux défavorisés, même si l’on note une progression ces dernières années : la dernière enquête statistique britannique montre que, dans les 30 % de foyers les moins riches, l’accès à Internet en 2001-2002 varie entre 11 % et 15 %, contre une fourchette de 58 % à 80 % pour les 30 % de foyers les plus aisés (6). L’association reconnue entre pauvreté et maladie et l’écart ou la « fracture numérique » entre les pauvres et les mieux nantis constituent un problème sérieux pour ceux qui défendent Internet comme facteur d’égalité sociale (Department of Health, 1998) ou placent au premier plan les nouvelles technologies d’information et de communication dans la diffusion de services aux citoyens (Blair, 2000 ; Cabinet Office, 2000 ; Department of Health, 2000). De surcroît, comme l’anglais est la langue dominante d’Internet, ceux qui ne la maîtrisent pas sont de fait exclus de la plupart des ressources disponibles (Berland, 2001 ; Jordan, 2001). On voit le danger : les privilégiés de l’économie et de la culture pourront utiliser Internet d’une manière telle que cela creusera encore l’écart avec les déshérités. Le problème crucial de ce que l’on (6) On peut trouver les statistiques gouvernementales complètes sur http://www.statistics.gov.uk 32 MICHAEL HARDEY appelle la « cyberdémocratie » en matière de santé consiste dans cette exclusion de certaines catégories de personnes, disqualifiées par leur incapacité à entrer dans ce modèle du citoyen-expert, alors qu’elles font probablement partie de la population qui a le plus besoin de soins et d’assistance sociale. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Reconfiguration ou brouillage des savoirs ? En Grande-Bretagne, comme ailleurs, la pratique professionnelle a été transformée par le modèle de la preuve scientifique : elle doit être informée par des résultats de recherche établis selon des méthodes rigoureuses (Department of Health, 1999). La présentation de ces résultats se fait en fonction d’une pyramide méthodologique qui place au sommet de la crédibilité scientifique les essais contrôlés randomisés et les enquêtes systématiques. À la suite de Michel Foucault (1983, 1991), on peut analyser cette médecine régie par le système de la preuve comme une technique de gouvernement qui promeut à la fois l’expertise des professionnels et une « vérité » particulière dans la mesure où le savoir médical est validé selon les principes de la science positiviste. Confusion des genres Parce qu’il construit une topographie des contenus radicalement différente, affranchie a priori de tout principe hiérarchique, Internet introduit une rupture forte par rapport aux media traditionnels. Va-t-on vers une sorte de chaos informationnel et dans quelle mesure cette situation peutelle conduire à une remise en cause des savoirs et pratiques médicaux dominants ? Lash a récemment soutenu que la masse actuelle d’informations prise comme un tout devient irrationnelle car il est impossible de la comprendre de manière réfléchie : « Ce qui est en jeu est une société désinformée. Pour comprendre cela, il suffit de regarder ce qui est pro duit et qui ne relève pas de services ou de biens riches en informations, mais apparaît comme des kilo-octets plus ou moins incontrôlés » (Lash, 2002). Confrontés à cette masse considérable d’informations et enfermés dans une recherche indéfinie, leur capacité à réfléchir et à faire des choix pour leur santé en serait détruite. Les travaux portant sur la manière dont les personnes recherchent de l’information sur la santé produisent une image sensiblement différente de celle proposée par Lash. Les internautes utilisent plus ou moins les mêmes Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 33 méthodes dans tous les domaines et commencent par entrer des termes généraux dans des moteurs de recherche comme Google (Pew Research Centre, 1999). Les portails dédiés à la santé et autres sites officiels apparaissent tout au long de ces recherches, au même titre que d’autres ressources comme les sites commerciaux, ceux d’associations caritatives ou les sites d’individus qui veulent partager leur expérience de la maladie avec d’autres (Hardey, 2001), sites entre lesquels chacun fait sa sélection en fonction de ses intérêts, de son niveau de connaissance, etc. Contrairement à ce que soutient Lash, les usagers font rarement cette expérience de surabondance d’informations (Bawden, 1999). C’est la rapidité d’accès plus que la consommation d’informations en elle-même qui intéresse au premier chef les usagers d’Internet (Pew Research Centre, 1999). Il en découle alors une tension entre le comportement, par nature diversifié du consommateur d’informations sur la santé, et le désir d’imposer un système d’évaluation de la qualité reposant sur des critères scientifiques. Dans ce contexte de relative indifférenciation des contenus tels que perçus par les usagers, certaines autorités médicales prônent un contrôle de ces contenus, ou au moins une signalisation permettant d’identifier les données qui sont jugées « correctes ». Aux dangers de la surabondance d’informations, elles substituent les dangers de la désinformation liée à l’indifférenciation des contenus : les revues médicales et la presse grand public se font souvent l’écho de « bugs thérapeutiques» dus à Internet ; un récit des Annals of Internal Medicine décrit ainsi comment un patient est mort d’un problème de rein et de foie pour avoir suivi un traitement à base de sulfate d’hydrazine préconisé dans les pages web d’un site consacré aux traitements alternatifs du cancer (Black et Hussain, 2000). Le British Medical Journal et le Journal of American Medical Association (2002) ont publié récemment des numéros spéciaux consacrés au problème de la qualité des informations sur Internet et à leurs dangers potentiels. De telles approches reposent sur l’hypothèse que le public est pour l’essentiel incapable de comprendre le savoir médical sur lequel repose l’expertise des professionnels (Parsons, 1951). Cette asymétrie de la relation patient/médecin permet aux professionnels de soutenir que le public doit être informé, éduqué et protégé, et que c’est l’expertise médicale qui doit servir à bâtir le contour et le contenu de cette information, de cette éducation et de cette protection. Ce rôle met en valeur l’autorité professionnelle et l’installe au centre de la politique de l’Internet médical. Le serveur NHS Direct OnLine, qui fournit des informations sur les maladies et les symptômes, développe, par exemple, à l’heure actuelle, un système d’assurance-qualité fondé sur des indicateurs scientifiques rigoureux. L’élaboration et la mise en place de tels indicateurs de qualité, qui se tra- Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 34 MICHAEL HARDEY duiraient concrètement par une labellisation des sites, sont difficiles et ont des conséquences peu évidentes en dépit des nombreuses initiatives (par exemple, HON Code, American Medical Association, Internet HealthCare Coalition, Hi-ethics, MedCertain 2). Certes, il peut être souhaitable d’élaborer un guide permettant de mesurer la crédibilité scientifique des données d’Internet ; certains auteurs soutiennent néanmoins que la qualité des informations fournies par Internet n’est ni plus ni moins discutable que celle des nouvelles provenant d’autres médias comme les magazines ou la télévision (Rosen, 1993). Le débat sur cette qualité et sur la nécessité d’une régulation revêt deux formes. D’une part, il fait écho à un litige ancien entre les médecins du XIXe siècle et ceux qu’ils définissaient comme des « charlatans ». Ainsi, un site web appelé « Quackwatch » (7) rassemble, diffuse et critique les sites sur lesquels sont présentées des informations médicales qui ne sont pas appuyées par un argumentaire scientifique recevable par la « médecine de la preuve » : on y trouve pêle-mêle des attaques virulentes contre certaines médecines alternatives telles l’homéopathie, la chiropractie, etc., et même contre des praticiens a priori « orthodoxes » qui osent mettre en doute certaines assertions communes, comme l’utilité de la Ritaline® dans le traitement du syndrome du déficit d’attention chez l’enfant. D’autre part, il réactive la tension entre la médecine occidentale et les autres thérapies. Sur Internet, la médecine traditionnelle, les traditions Ayurvédiques et d’autres approches de la santé partagent le même espace et le même public que la médecine occidentale (Hardey, 2002a). La dispute entre la philosophie et les pratiques des approches occidentales et non-occidentales fait écho aux conflits anciens de la colonisation autour des questions de santé (Ernst, 2002). Dans ces deux débats, l’alliance de l’état et de la médecine aboutit à un discours qui les investit du rôle de gardien de l’intérêt public et de la sécurité sanitaire. Confusion des rôles Au-delà de cette menace que pourrait constituer la juxtaposition, sur un plan d’égalité, de savoirs médicaux considérés par certains comme incommensurables, un autre danger guette à la fois le système médical dominant et les usagers : parce que l’architecture d’Internet permet de passer par un simple clic d’un espace « informatif » à un espace marchand, un certain nombre de relations qui, selon les interprétations, servent à pro- (7) Jeu de mot sur « quackery » : charlatan (http://www.quackwatch.org). Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 35 téger les patients ou les intérêts professionnels, se trouvent court-circuitées. L’existence de sites qui mettent en prise directe les distributeurs de produits médicaux avec les consommateurs éventuels, reconfigure non seulement les relations entre médecin et patient, mais, en transformant ce dernier en consommateur, le font échapper à la régulation étatique. La demande des consommateurs pour le Viagra® (sildenafil) et sa disponibilité sur Internet contrarient par exemple la régulation par des institutions publiques comme le National Institute for Clinical Excellence (NICE) en Angleterre. La publicité directe pour des médicaments auprès des consommateurs est pourtant interdite en Grande-Bretagne, mais le marché américain se développe très rapidement et, le web ignorant les frontières nationales, est accessible dans le reste du monde (Jenkins, 1998) : il est aujourd’hui possible d’envoyer des informations sur des produits pharmaceutiques qui ne sont pas autorisés dans un pays et d’en vendre à ses habitants, éventuellement en violant les règles qui régissent le commerce extérieur. Les producteurs et les champions d’une approche non régulée d’Internet ont réussi à contrecarrer la tentative de l’OMS visant à encourager les pays à agir de concert pour réglementer la publicité transnationale et la vente de produits médicaux (JAMA, 1997). On voit ainsi que la « e.santé » ne transforme pas seulement les rapports entre médecins et patients, mais aussi les limites à l’automédication qu’imposent tous les États (8). Plus encore, les caractéristiques techniques d’Internet, qui favorisent une mise à plat des contenus et autorisent toutes sortes de liens inédits, brouillent les frontières entre des institutions et des activités ordinairement séparées. En effet, le secteur de l’Internet commercial est entré dans une phase de convergence : ainsi, aux États-Unis, Lycos, Excite et MSM travaillent de concert avec un détaillant (CVS.com) auquel ils ont donné l’exclusivité de la vente de produits pharmaceutiques ; un consommateur qui recherche des informations médicales en passant par un portail comme Lycos sera dirigé vers « CVS.com » de préférence à d’autres distributeurs. On voit ici clairement qu’Internet n’est pas un espace neutre, et que certains acteurs cherchent à tirer parti stratégiquement des routes qu’empruntent les utilisateurs à la recherche d’informations. Un second (8) Bien sûr les acteurs cherchent des parades à ce phénomène en utilisant différents outils de la législation existante : une opération (Operation Cure All) de la Commission fédérale du commerce (Federal Trade Commission) a utilisé la législation protégeant les consommateurs pour agir contre des produits dangereux vendus sur des sites Internet de santé. Certains pays, comme la Chine, ont réussi à limiter à la fois l’accès à Internet et le contenu des sites hébergés sur leur territoire. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 36 MICHAEL HARDEY phénomène de convergence, cette fois entre médias, devient de plus en plus évident à mesure que les sociétés de radiotélévision développent des productions numériques. En Grande-Bretagne, la BBC est l’un des fournisseurs d’informations médicales les plus populaires. Les données de son site s’inscrivent dans le champ large de la santé et des conseils sur les modes de vie. Très attentif à l’actualité, il propose des liens directs vers des nouvelles fraîches et oriente vers certaines pages offrant aux utilisateurs des possibilités d’interactivité. Ainsi, il permet aux usagers de poser des questions en ligne à un expert sur un sujet donné ; ce faisant, il s’érige en quelque sorte à une place de prescripteur et non plus seulement d’informateur en sélectionnant les acteurs susceptibles de jouer un rôle d’expert. Dans d’autres situations, les mass media deviennent les instruments des politiques publiques, comme lors de la campagne « Stop smoking » qui utilisait à la fois la radio, la télévision, Internet et des groupes de soutien pour fumeurs organisés par les sites web associés. Se mêlent ici la politique sanitaire publique et la diffusion de programmes éducatifs. On constate la même confusion dans les informations médicales fournies par les sites commerciaux dans lesquels la frontière entre informations, opinions et publicité devient indistincte. Conclusion : opportunités et défis de la recherche sur l’« e.santé » Dans cet article, nous avons voulu mettre en évidence deux mouvements, en partie contradictoires, qui émergent de la progressive évolution de l’Internet médical. D’un côté, on assiste apparemment à une forme d’appropriation par les patients des questions relatives à leur santé : la disponibilité d’informations médicales leur permet de se constituer une certaine expertise qui les rend plus aptes à discuter avec leurs médecins, à prendre des décisions et à les assumer, voire à contester individuellement et collectivement un certain nombre de principes établis en matière de soins ou de traitement ; par ailleurs, le partage d’expériences autorisé par Internet permet la constitution d’une expertise propre des patients, basée sur le vécu de la maladie, qui ne se laisse en aucun cas réduire à l’expertise médicale. À côté d’autres formes de mobilisation comme les mouvements associatifs, on assisterait donc à une reconfiguration du patient, défini non plus seulement par son rapport au monde médical, mais de manière en partie autonome, dans des allers et retours incessants entre individus et collectifs. De l’autre côté, on a observé les effets produits par la structure d’Internet, immense toile dépourvue de centres, de hiérarchies, de fron- Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 37 tières et, face à cette mise à plat des contenus, les efforts des acteurs qui cherchent, selon les cas, à tirer parti de cette continuité pour créer des courts-circuits avec les usagers, ou, à l’inverse, à réintroduire des marquages, des délimitations, réinstaurant les différences existant à l’extérieur du net. On assiste donc à une bataille de positions dans laquelle les partisans de la médecine « moderne » se sentent particulièrement menacés, à la fois parce que leurs savoirs se trouvent dangereusement mis à égalité avec des savoirs hétérodoxes ou « exotiques », et parce qu’un certain nombre d’acteurs commerciaux, se passant de leur intermédiaire, entrent directement en relation avec les patients. Si ces tendances ont déjà fait l’objet d’un certain nombre d’analyses, il reste beaucoup à faire en matière de recherches empiriques pour suivre l’évolution rapide du domaine de la « e.santé », en particulier du côté des usages effectifs d’Internet, et non seulement du côté de l’analyse des contenus proposés. Les recherches doivent être attentives à la diversité des usagers et s’intéresser à des facteurs comme le genre, l’origine ethnique, la classe sociale et les histoires préalables des maladies qui interagissent activement dans la « e.santé ». En se centrant sur la nature de la « e.santé », la manière dont elle modifie l’information, les modes de vie et les rapports sociaux, trois importants thèmes de recherche peuvent être identifiés. Le premier porte sur l’émergence d’un nouveau modèle de patient. Comment l’information collectée par les patients est-elle effectivement mobilisée dans leurs relations avec leurs médecins ? Dans quelle mesure le partage d’expériences leur donne-t-il une plus grande autonomie dans la gestion de leur maladie et de ses traitements ? Par quels mécanismes cette addition de contributions individuelles peut-elle donner lieu à l’émergence de savoirs reconnus en tant que tels ? L’émergence de mouvements collectifs se situant sur le terrain politique est-elle l’exception ou est-elle appelée à se développer ? Quels peuvent être les liens entre ces mouvements virtuels et des formes plus traditionnelles de mobilisation ? À l’autre bout du spectre, comment décrire et qualifier les nouvelles formes de consumérisme médical liées à Internet ? En quoi contribuentelles à effacer les frontières entre une médecine préoccupée du traitement des corps défectueux et une médecine englobant le maintien en bonne santé, le bien-être et le confort ? Le deuxième thème concerne la nature d’Internet, à la fois nonrégulé, global et désincarné. Aussi, la « e.santé » représente un défi pour les usagers et les producteurs qui doivent comprendre et utiliser des informations avec, en toile de fond, les frontières créées par les politiques publiques de la santé, l’organisation professionnelle et les pratiques nationales. Comme nous l’avons vu, face à une masse considérable d’informa- Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 38 MICHAEL HARDEY tions potentiellement utiles, mais aussi conflictuelles, voire perturbantes, les personnes peuvent élaborer des stratégies individuelles pour affronter les aléas de la santé et les risques de la société moderne. Les informations ne sont pas toujours d’une qualité optimale pour aider les usagers à mener une vie saine, à s’instruire sur les traitements efficaces ou à prendre des décisions sur leurs soins. Aussi, a-t-on besoin de travaux portant sur la perception que se donnent les usagers de la qualité et de l’utilité. Cela implique de s’interroger sur la manière dont les personnes trouvent, définissent et sélectionnent l’information (qui peut s’avérer bénéfique, neutre ou même dangereuse pour leur santé), et dont elles évaluent l’utilité de ces connaissances (une évaluation qui peut ou non leur permettre d’accéder à des services et des biens correspondants à leurs besoins). Nous devons comprendre l’impact de la « e.santé » sur la formation et les pratiques des professionnels de la santé et nous pencher sur la manière dont elle peut éventuellement stimuler la collaboration entre différents praticiens et institutions. Nous devons aussi nous demander si la « e.santé » contribue à former une expertise ou un « instrument de style de vie » permettant aux usagers de modifier leurs comportements en fonction de principes concernant par exemple les régimes, l’exercice physique ou la médecine alternative. Le troisième thème touche à la transformation des anciens rapports sociaux, alliances, savoirs et à l’émergence de nouvelles configurations. Cela est probablement la question la plus difficile dans la mesure où les développements dans la « e.santé » sont si rapides qu’ils ne peuvent être suivis par le trop lent cycle de la recherche. L’importance des savoirs fondés sur des preuves scientifiques pour les professionnels de la santé et pour l’état ouvrent des possibilités pour de nouvelles alliances qui pourraient chercher à redéfinir et à contrôler à la fois les connaissances sur la santé et les thérapies jugées légitimes. Quoi qu’il en soit, le public n’a jamais, jusqu’à ce jour, eu accès à une telle diversité d’informations qui englobent des approches non occidentales de la santé, les recommandations des industries pharmaceutiques pour l’usage de tel médicament spécifique ou des récits personnels sur une maladie. Cela ne met pas seulement en cause leur confiance dans la médecine, mais crée également des possibilités pour de nouvelles relations et de nouveaux échanges d’informations ou d’idées entre thérapeutes et consommateurs sur Internet. Nous devons comprendre si cela conduit à un savoir médical pluriel ou si, au contraire, celui-ci devient plus spécialisé et exclusif dans sa défense de l’autorité professionnelle et du pouvoir. Nous devons également nous interroger sur les possibilités ouvertes par la nature locale/globale d’Internet et sur les tensions que cela peut créer. Quels sont, par exemple, les effets des portails de la Communauté européenne consacrés à des Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 39 aspects spécifiques de la santé sur la diffusion d’information, d’avis et de services aux consommateurs ? Dans quelle mesure la « e.santé » modifiet-elle les canaux de communication établis entre médecin et patient, entre état et citoyen et entre soignant et soigné ? Quels effets cette nouvelle situation est-elle susceptible d’avoir sur ceux qui n’ont pas accès à ces technologies, aussi bien dans les pays du Nord que dans ceux du Sud ? Pour résumer, allons-nous vers la dégradation et la surabondance d’informations annoncées par Lash (2002) qui menacent de rompre ou de gâter notre compréhension des questions de santé ou bien nous dirigeons-nous plutôt vers l’émergence et la production d’un nouveau savoir (Giddens, 1991) qui crée de nouvelles possibilités et de nouveaux rapports sociaux ? RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Baudrillard J., 1993 (1988), Symbolic exchange and death, London, Sage. Bauman Z., 2000, Liquid modernity, Cambridge, Polity Press. Bawden D., 1999, Perspectives on information overload, ASLib Proceedings, 518, September, 249-255. Beck U., 1992, Risk society. Towards a new modernity, London, Sage. Berland G.K., 2001, Health information on the Internet. 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Theoretical conceptualisations of the relationship between reflexivity, health and information are used to identity key issues that include threats to medical expertise, risks to public safety and the doctor/patient relationship. This analysis suggests that the plural nature of knowledge available through the Internet and the blurring of the distinction between the producers and users of information is changing the nature of medical knowledge. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. INTERNET ENTRE PATIENT ET MÉDECINE 43 RESUMEN Internet y sociedad : una nueva configuración del paciente y de la medicina ? Este artículo muestra que la disponibilidad de informaciones médicas sobre Internet tiene una función importante en la transformación de los conocimientos médicos y en las relaciones que cada persona mantiene con la información y los consejos en materia de salud. La « e.salud », tal como está definida aquí, escapa a los modelos de organización médicos o tecnológicos que dieron lugar a la elaboración de denominaciones tales como la ciber-medicina, la tele-medicina o la informática médica. Apoyándonos en la teorización de las relaciones entre reflexividad, salud e información, ponemos en evidencia algunos puntos- clave en las evoluciones constatadas respecto a los peligros que pesan sobre el peritaje médico y la seguridad del público y las relaciones médico/paciente. Este análisis sugiere que la múltiplicidad de los conocimientos disponibles sobre Internet y la disolución de la frontera existente entre productores e utilizadores de información, conducen a cambios importantes en los conocimientos médicos.