1 Existence de nombres transcendants (Liouville

Agrégation Interne de Mathématiques
Université de La Rochelle
Jean-Philippe Furter
novembre 2010
Exercices d’algèbre générale
1 Existence de nombres transcendants (Liouville, 1844)
1.1 Enoncé
Nous qualifions ici de transcendant tout nombre réel transcendant sur Q.
Définition. On dit que ξRest approximable (par les rationnels) à l’ordre n, s’il existe
C > 0et une infinité de rationnels s’écrivant sous la forme p
q(avec pZet qNnon
nécessairement premiers entre eux) tels que
|p
qξ|<C
qn.
a. Soit ξRun nombre algébrique de degré n2. Justifier l’existence de PZ[X]
tel que P(ξ) = 0 et deg P=n.
b. On pose M= supx[ξ1+1] |P0(x)|et C0=1
M+1 . Montrer que (p, q)Z×N
on a |p
qξ|>C0
qn(appliquer le théorème des accroissements finis à Pentre p
qet ξ).
c. En déduire que ξn’est pas approximable à l’ordre n+ 1.
d. On suppose maintenant ξQ. Montrer que ξn’est pas approximable à l’ordre 2.
Le résultat suivant est donc acquis :
Théorème. Tout réel algébrique de degré nn’est pas approximable à l’ordre n+ 1.
e. On pose ξ=
+
X
n=1
10n!et ξm=
m
X
n=1
10n!pour m1. Montrer que |ξmξ|<
2×10(m+1)!.
f. Quel que soit n1, en déduire que ξest approximable à l’ordre n.
g. En déduire que ξest transcendant.
1.2 Corrigé
a. Soit RQ[X]le polynôme minimal de ξsur Q.
On a R=Xn+rn1Xn1+. . . +r0, où chaque riQ, donc ris’écrit sous la forme
ri=pi
qiavec piZet qiN.
Dès lors, il suffit de poser P=dR, où d=q0. . . qn1.
Note. On peut aussi prendre d=ppcm(q0, . . . , qn1).
b. On a C0<1, donc l’inégalité demandée est évidente si |p
qξ|>1, car C0
qn<1.
1
Supposons donc |p
qξ|<1, ie p
q[ξ1, ξ + 1] et appliquons le théorème des
accroissements finis à Pentre p
qet ξ.
Il existe donc α[ξ1, ξ + 1] (plus précisément, αstrictement compris entre p
qet
ξ) tel que P(p
q)P(ξ)=(p
qξ)P0(α). Or |P0(α)| ≤ M, donc |P(p
q)| ≤ M|p
qξ|.
Mais il existe rZtel que P(p
q) = r
qnet r6= 0, car Pest irréductible sur Q(puisqu’à
une constante près, Pest le polynôme minimal de ξsur Q). On a donc |P(p
q)|=|r|
qn1
qn.
Dès lors, il vient 1
qnM|p
qξ|<(M+ 1)|p
qξ|, d’où le résultat.
c. Soit C > 0. Montrons qu’il n’y a qu’un nombre fini de couples (p, q)Z×Ntels
que |p
qξ|<C
qn+1 .
Si (p, q)satisfait cette dernière égalité, on devrait avoir C0
qn<C
qn+1 , d’où q < C
C0.
On a donc |p
q|−|ξ|<C
qn+1 , d’où |p|
q< C +|ξ|, ie |p|<C
C0(C+|ξ|).
Comme pet qsont bornés, on a bien montré le résultat voulu.
d. Il existe (r, s)Z×N, tel que ξ=r
s.
Si p
q6=ξ, où (p, q)Z×N, on a |p
qξ|=|psqr
qs | ≥ 1
qs .
Si C > 0, montrons qu’il n’existe qu’un nombre fini de rationnels p
q(où (p, q)Z×N)
tels que |p
qξ|<C
q2.
En effet, si cette dernière inégalité est vérifiée et si p
q6=ξ, on devrait avoir 1
qs <C
q2,
d’où q < Cs.
Mais alors, |p
q|−|ξ|<C
q2, d’où |p|
q< C +|ξ|, d’où |p|< Cs(C+|ξ|).
e. Remarquons que ξ= 0,
5!=120
z }| {
1100010 . . . 01
| {z }
4!=24
0. . . 01 0 . . ..
On a |ξmξ|=ξξm=X
nm+1
10n!= 10(m+1)! X
nm+1
10(m+1)!n!.
Or X
nm+1
10(m+1)!n!=X
i0
10(m+1)!(m+1+i)!.
Mais quel que soit i0, on a (m+ 1 + i)! (m+ 1)! i. En effet, si i= 0, c’est
évident et si i1, on a
(m+1+i)! (m+ 1)! (m+1+i)(m+ 1)! (m+ 1)! = (m+i)(m+ 1)! i.
Dès lors, X
i0
10(m+1)!(m+1+i)! X
i0
10i=10
9<2, d’où le résultat.
f. Soit n1fixé. Montrons qu’il existe une infinité de rationnels p
q(où (p, q)Z×N)
tels que |p
qξ|<2
qn.
Quel que soit m1, on a ξm=pm
qm, où pm=X
1im
10m!i!Net qm= 10m!N.
Par conséquent, pour mn, on a |pm
qmξ|<2×10(m+1)! =2
(qm)m+1 2
(qm)n.
g. Si ξest algébrique, posons n=degQξ. Alors, par le théorème précédemment
démontré, ξne serait pas approximable à l’ordre n+ 1, contrairement à ce qui a été
démontré à la question précédente. Donc ξest transcendant !
2
2 Transcendance de e(Hermite, 1873)
2.1 Enoncé
Par l’absurde. Si eétait algébrique, il existerait des entiers relatifs a0, . . . , amavec a06= 0
tels que amem+. . . +a1e+a0= 0.
Si pest premier, on pose
f(x) = xp1(x1)p(x2)p...(xm)p
(p1)! ;
F(x) =
X
k=0
f(k)(x) =
mp+p1
X
k=0
f(k)(x) ;
S=
m
X
j=0
ajejZj
0
exf(x)dx.
a. Montrer que [exF(x)]0=exf(x)et que S=
m
X
j=0
mp+p1
X
i=0
ajf(i)(j).
b. Si j∈ {1, . . . , m}, on pose g(x) := (xj)p
(p1)! et il existe alors hZ[X]tel que
f(x) = g(x)h(x).
b1. Montrer que g(i)(j) = 0 si i6=pet que g(p)(j) = p.
b2. En appliquant la règle de Leibniz au produit gh, montrer que f(i)(j)est un
entier divisible par p(quel que soit i0).
c. Si j= 0, on pose g(x) := xp1
(p1)! et il existe alors hZ[X]tel que f(x) = g(x)h(x).
c1. Montrer que g(i)(0) = 0 si i6=p1et que g(p1)(0) = 1.
c2. En appliquant la règle de Leibniz au produit gh, montrer que f(i)(0) est un
entier divisible par psi i6=p1et que
f(p1)(0) = (1)p. . . (m)p.
d. En déduire que SZet que S≡ −a0(1)p. . . (m)p(mod p).
e. En déduire que si p > max{m, |a0|}, alors SZ.
f. Si x[0, m], montrer que |f(x)| ≤ mmp+p1
(p1)! .
g. En déduire que |S| ≤ (
m
X
j=0 |aj|jej)mmp+p1
(p1)! et conclure.
Note. En 1874, Cantor donne une preuve révolutionnaire de l’existence de nombres
transcendants : il établit l’existence de ceux-ci sans en construire explicitement un seul ! Sa
preuve utilise des méthodes de théorie des ensemble et fût l’un des premiers triomphes de
sa théorie des cardinaux infinis. Il est intéressant de signaler que le monde mathématique
d’alors a accueilli sa preuve avec une grande suspicion. Sa démonstration est la suivante :
le cardinal des nombres algébriques est dénombrable et Rne l’est pas, d’où l’existence
de nombres transcendants !
3
2.2 Corrigé
a. On a [exF(x)]0=ex(F(x)F0(x)) = exf(x), donc
S=
m
X
j=0
ajej[exF(x)]j
0=
m
X
j=0
ajF(j)+(
m
X
j=0
ajej)F(0) =
m
X
j=0
ajF(j),
or pour tout j,F(j) =
mp+p1
X
i=0
f(i)(j), d’où le résultat demandé.
b1. Si ip, on a g(i)(x) = p
ii!
(p1)! (xj)piet si i>p, on a g(i)(x)=0.
b2. On a f=gh, donc f(i)(j) = X
0kii
kg(k)(j)h(ik)(j). Mais i
kZ,g(k)(j)pZ
et h(ik)(j)Z, d’où le résultat.
c1. Si ip1, on a g(i)(x) = p1
ii!
(p1)! xp1i=xp1i
(p1i)! et si i>p1, on a
g(i)(x)=0, d’où le résultat.
c2. Quel que soit i0, on a f(i)(0) = X
0kii
kg(k)(0)h(ik)(0).
Si ip2, on a donc f(i)(0) = 0.
Si i=p1, on a donc f(p1)(0) = h(0).
Or h(x)=(x1)p. . . (xm)p, donc f(p1)(0) = (1)p. . . (m)p.
Si ip, on a donc f(i)(0) = i
p1h(ip+1)(0).
Or h(x) = [(x1) . . . (xm)]p, donc h0(x)pZ[x]et pour tout l1h(l)(x)pZ[x],
d’où h(ip+1)(0) pZ, d’où f(i)(0) pZ.
d. Si (j, i)∈ {0, . . . , m} × N, on a montré que f(i)(j)est un entier.
De plus, si (j, i)6= (0, p 1), on a montré que cet entier est divisible par p, donc
S≡ −a0f(p1)(0) mod p, d’où le résultat.
e. Si p > max{m, |a0|}, alors a0et 1, . . . , m ne sont pas divisibles par p, donc Sn’est
pas divisible par p, donc S6= 0.
f. On a |x|,|x1|,...,|xm| ≤ mce qui implique directement l’inégalité demandée.
g. On a |Rj
0exf(x)dx| ≤ mmp+p1
(p1)! Rj
0dx =jmmp+p1
(p1)! , d’où l’inégalité cherchée.
On a limp→∞ mmp+p1
(p1)! = 0 et
m
X
j=0 |aj|jejest une constante,
donc lim
p→∞(
m
X
j=0 |aj|jej)mmp+p1
(p1)! = 0.
Par conséquent, il existe N0tel que p>N=(
m
X
j=0 |aj|jej)mmp+p1
(p1)! 1
2.
Dès lors, si l’on choisit ppremier avec p > max{m, |a0|, N}, on aura d’une part SZ
et d’autre part |S| ≤ 1
2, ce qui est absurde.
4
3 Le cas n= 4 du théorème de Fermat
On se propose d’établir l’énoncé suivant :
Théorème. L’équation x4+y4=z4n’a pas de solution dans N.
Montrer qu’il suffit d’établir le résultat suivant :
Théorème A. L’équation x4+y4=z2n’a pas de solution dans N.
3.1 Résultats préliminaires
1. En remarquant qu’un carré est congru à 0ou 1modulo 4, montrer le
Lemme. Si x,yet zsont des entiers tels que x2+y2=z2, alors xou yest pair.
2. Montrer le
Théorème. La solution générale de l’équation x2+y2=z2, où x, y, z Nsatisfont
pgcd(x, y)=1et 2|xest
x= 2ab,y=a2b2,z=a2+b2,
a, b sont des entiers de parités opposées satisfaisant a > b > 0et pgcd(a, b)=1.
Si A:= z+y
2et B:= zy
2, on pourra d’une part montrer que Aet Bsont des entiers
premiers entre eux et d’autre part montrer que AB est un carré.
3.2 Preuve du théorème A
On utilise un processus de "descente" qui consiste à construire à partir d’une solution
de x4+y4=z2une solution plus petite en un sens à préciser.
On raisonne par l’absurde et l’on suppose que l’équation x4+y4=z2admet une
solution dans N. Choisissons une telle solution avec zminimal. On va exhiber une
contradiction en construisant i, j, k Ntels que i4+j4=k2avec k < z.
1. Montrer que pgcd(x, y)=1.
2. Quitte à échanger xet y, montrer qu’il existe des entiers de parités opposées
satisfaisant a > b > 0et pgcd(a, b)=1tels que
x2= 2ab,y2=a2b2,z=a2+b2.
3. Montrer qu’il existe un entier ctel que b= 2c. À nouveau, on pourra remarquer
que tout carré est congru à 0ou 1modulo 4.
4. Montrer qu’il existe des entiers strictement positifs ket ltels que a=k2,c=l2et
pgcd(k, l)=1. On pourra d’une part montrer que pgcd(a, c) = 1 et d’autre part montrer
que ac est un carré.
5. Montrer qu’il existe des entiers de parités opposées satisfaisant
g > h > 0et pgcd(g, h)=1tels que l2=gh,y=g2h2et k2=g2+h2.
6. Montrer qu’il existe i, j Ntels que g=i2et h=j2.
7. Montrer que i4+j4=k2et conclure.
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