LE CANCER DE L’ESTOMAC
Michel Ducreux1
INTRODUCTION
Le cancer de l’estomac reste endémique dans de nombreux pays du monde et pose
encore de difficiles problèmes de prise en charge thérapeutique, bien que son
incidence ait diminuée depuis 20 ans, en particulier par réduction de fréquence du
cancer de l’antre. La survie à 5 ans reste très mauvaise, comprise en 5 et 20% avec
seulement des améliorations modestes.
1. LA CHIMIOTHERAPIE ADJUVANTE
La chimiothérapie adjuvante par fluoropyrimidines n’a donné que des résultats
extrêmement décevants dans le passé avec de nombreuses études négatives.
L’exception à cette règle est apportée par les résultats récents présentés à l’ASCO
GI en 2007: Chez des patients japonais (n = 1034), un traitement adjuvant pendant
un an par S1 nouvel agent oral fluoropyrimidique, améliorait la survie des patients
opérés d’un cancer de l’estomac 80,5% versus 70% (p=0,002) [1].
L’autre monochimiothérapie à avoir montré une certaine efficacité est la mitomycine
C qui, à la suite de résultats Japonais favorables, a été testée dans une étude
Espagnole incluant initialement 70 malades, étendue à 134. Il a été trouvé une
différence de survie en faveur du groupe recevant la mitomycine C versus le groupe
chirurgie seule, 39% versus 26% de survivants à 10 ans [2]. Ces résultats n’ont
jamais été confirmés et ce traitement semble abandonné
Les polychimiothérapies n’ont pas semblé tellement plus efficaces. Une association
« antique » telle que 5FU/CCNU n’a aucun intérêt. Le protocole FAM associant
5FU/adriamycine/mitomycine C a été testé dans trois études sans démontrer d’intérêt
en terme de survie.
En ce qui concerne les polychimiothérapies plus récentes, l’association
5FU/cisplatine pendant 4 cycles après administration initiale d’une cure
1 Unité de gastroentérologie, Institut Gustave Roussy
postopératoire précoce de 5FU seul, a donné des résultats décevants. Malgré
l’inclusion de 260 patients, il a été impossible de mettre en évidence un avantage de
survie en faveur du groupe traité en adjuvant. Le pourcentage de survie à 5 ans était
de 43% pour les patients traités par chirurgie seule et 48% pour les patients traités
par chirurgie suivi de chimiothérapie [3]. Une étude italienne et évaluant le protocole
EAP (etoposide, adriamycine, cisplatine) réalisée à la même époque, était également
complètement négative. Les seules études de polychimiothérapie positives
européennes associent l’UFT et la mitomycine C. Cette association a été comparée à
l’absence de traitement et à la mitomycine C seule. Dans la première étude, 148
patients ont été inclus, la survie à 5 ans des 72 patients recevant la chimiothérapie a
été de 56%, versus 51% pour les 76 non-traités [4]. La seconde étude d’une autre
équipe espagnole, a comparé l’association UFT/mytomycine C, versus la mitomycine
C seule chez 85 patients. La survie à 5 ans a été de 67% pour les patients recevant
la chimiothérapie combinée, versus 44% pour les patients traités par mitomycine C
seule (p = 0,004)[5]. Mais là encore la révolution a été apportée par un essai
asiatique évaluant 6 mois de Xelox en post-opératoire et montrant un bénéfice de
survie indiscutable en faveur du bras traité : 1035 patients, 74% de survie sans
progression à 3 ans versus 59% [6]. La chimiothérapie post-opératoire par Xelox est
donc maintenant une option thérapeutique valide pour traiter ces patients…
A ce jour il existe au moins 5 méta-analyses évaluant l’efficacité de la chimiothérapie
adjuvante dans le cancer gastrique. Quatre de ces méta-analyses posent le même
problème méthodologique, à savoir l’exclusion sans raison claire de nombreux
essais, en particulier Japonais, d’une part, d’autre part l’absence de retour aux
données sources ; il s’agit en fait de méta-analyses faites sur données publiées. Les
résultats de ces méta-analyses sont cependant relativement concordants, en
montrant, sur 2 à 3000 patients un bénéfice marginal de la chimiothérapie, ce qui ne
permet pas de recommander ce traitement à titre de standard [7]. La plus récente a
fait appel aux données individuelles de 1924 patients et rapporte un bénéfice faible
mais indiscutable en faveur de la chimiothérapie adjuvante (HR = 0,82 ; [0,76 0,90 ;
p<0,001) [8].
Un essai de radiochimiothérapie américain associant 5FU acide folinique et 45 Gy de
radiothérapie en postopératoire, a montré chez 556 patients, une efficacité en termes
de survie : médiane = 36 mois dans le groupe radiochimiothérapie versus 27 mois
2
dans l’autre groupe [9]. Cet essai est cependant très critiquable, le pourcentage de
survie à 5 ans n’étant que de 25%, soit très inférieur à ce qui a été observé dans les
essais européens récents, chez les patients traités par chirurgie seule. Ceci
s’explique sûrement par une mauvaise qualité de la chirurgie, puisque moins de la
moitié des patients ont eu un curage ganglionnaire correct. La question qui reste
posée est de savoir si la radiochimiothérapie après une chirurgie de mauvaise quali
« rattrape » les malades et permet un taux de survie équivalent à celui d’une bonne
chirurgie ou si la radiochimiothérapie post-opératoire augmente la survie quel que
soit le niveau de la chirurgie réalisée. Il faudra donc sûrement, dans les années à
venir, tester l’intérêt de la radiochimiothérapie postopératoire chez des patients
traités par une chirurgie de bonne qualité.
2. LES TRAITEMENTS NEO-ADJUVANTS
Des essais favorables ont été rapportés avec une chimiothérapie néo-adjuvante de
type 5FU-cisplatine ou EAP permettant une réduction de la taille tumorale et une
éventuelle résection seconde. Il y a très peu de littérature à ce jour concernant
l’évaluation de ce type de traitement dans le cadre d’études randomisées. Le seul
essai randomisé ayant testé cette hypothèse s’est révélé totalement négatif, mais il
utilisait le protocole FAMTX considéré maintenant comme relativement obsolète et
trop toxique et l’inclusion a été très lente dans cet essai, amenant à son arrêt
prématuré [10](8). Un essai randomisé de grande taille britannique récent a trouvé
des résultats très différents avec un avantage de pourcentage de résection curative,
de down staging et de survie globale en faveur du groupe traité par 3 cures d’ECF
avant et après la chirurgie [11]. Des résultats complètement similaires ont é
rapportés dans l’étude française qui évaluait 2 cures de 5FU cisplatine avant
chirurgie pour cancer gastrique, la médiane de survie a été de 26 mois dans le bras
traité par chirurgie seule versus 38 mois [12]. La chimiothérapie néo-adjuvante est
donc clairement un standard de traitement des cancers gastriques résécables.
3. LA CHIMIOTHERAPIE DES FORMES METASTASEES
3
A la question : « Faut-il traiter par chimiothérapie des adénocarcinomes gastriques
métastasés ? », il est clairement possible de répondre positivement car il existe trois
études prouvant l’intérêt de cette chimiothérapie dans cette pathologie. La première,
publiée en 1993 avait évalué l’association FAMTX versus un traitement
symptomatique, la médiane de survie était triplée dans le bras recevant la
chimiothérapie soit 9 mois, versus 3 mois. Un essai Nordique, publié en 1995
obtenait, avec une association un peu modifiée de type FEMTX, des résultats tout à
fait superposables. Une chimiothérapie mieux tolérée de type 5FU/acide folinique
plus ou moins etoposide s’est révélée également supérieure à l’absence de
traitement dans un essai randomisé [13].
Efficacité des monochimiothérapies
Le cancer de l’estomac est un cancer relativement chimiosensible avec des
monochimiothérapies donnant de 15 à 30% de réponse objectives environ. Parmi
celles-ci le 5FU, la mitomycine C et le cisplatine semblent le plus efficace.
Parmi les nouvelles molécules, le paclitaxel a donné 23% de réponses objectives
lorsqu'il était administré en perfusion continue, le docétaxel 24% de réponses chez
33 patients traités toutes les 3 semaines. L’efficacité du docétaxel semblait identique
que les patients soient traités en première ou deuxième ligne [14]. L’Irinotécan a
également une bonne efficacité en monochimiothérapie avec 6 réponses dont 3
complètes chez 40 patients [15].
Les polychimiothérapies
L’efficacité des polychimiothérapies a été testée dans de nombreux essais de phase
II et III. Jusqu’en 1980, les études de phases II publiées apportaient des résultats
extrêmement décevants avec moins de 35% de réponses. Les protocoles de
seconde génération associant 5FU/cisplatine, 5FU/acide folinique/etoposide (ELF) ou
5 FU/adriamycine/méthotrexate (FAMTX), ont donné des résultats un peu supérieurs
avec en phase II 45 à 50% de réponses. Ces trois protocoles ont été comparés dans
un grand essai randomisé de l’EORTC incluant près de 400 patients. Les résultats
ont été décevants : 20% de réponses pour le 5FU/cisplatine, 12% pour le FAMTX,
9% pour l’ELF avec des survies médianes non différentes d’un protocole à l’autre
4
allant de 6,7 à 7,2 mois [16]. Aucun de ces protocoles ne peut donc être considéré
comme un standard indiscutable de la polychimiothérapie de ces tumeurs.
Un seul protocole utilisant des molécules conventionnelles appelé ECF s’est révélé
supérieur au FAMTX. L’ECF associe 5FU en perfusion continue prolongée, épi-
adriamycine et cisplatine. Quarante cinq pour cent de réponses ont été observées
avec l’ECF versus 21% pour le FAMTX (p= 0,0002), la survie était supérieure à 8,7
mois versus 6,1 mois [17]. La perfusion continue de 5FU a empêché cependant la
diffusion de ce protocole hors de la Grande-Bretagne, ce problème devrait être
résolu avec le remplacement du 5FU en perfusion continue par un analogue oral de
type UFT ou capécitabine, donnant naissance au protocole ECU ou au protocole
ECC. Une étude randomisée a été publiée récemment remplaçant le 5FU en
perfusion continue par la capécitabine et le cisplatine par l’oxaliplatine. Le résultat est
sans appel : l’association EOX qui permet de se passer de la perfusion continue de
5FU et de remplacer le cisplatine par l’oxaliplatine donne des résultats meilleurs !
(médiane de survie 11,2 mois versus 9,9 mois) [18].
Du côté des polychimiothérapies à base de nouvelles molécules, il faut retenir
essentiellement l’utilisation du docétaxel, l’association docétaxel cisplatine a donné
56% de réponses dont 4% de réponses complètes dans une phase II [19]. Le
paclitaxel a une efficacité proche. L’association irinotécan cisplatine, qui semblait
donner des résultats intéressant dans une étude de Phase II Japonaise s’est révélée
inférieure à l’association 5FU acide folinique irinotécan dans une phase II
européenne [20]. C’est ce schéma de 5FU acide folinique irinotécan qui a été
comparé dans une phase III randomisée au 5FU/cisplatine et qui s’est révélé aussi
efficace et plutôt moins toxique ce qui permet de recommander le Folfiri pour le
traitement des cancers de l’estomac [21]. Les combinaisons à base de 5FU acide
folinique oxaliplatine semblent également très actives avec dans une étude de phase
II plus de 50% de réponses objectives [22] confirmés ultérieurement dans une étude
de phase III comparant 5FU cisplatine et Folfox [23] . Ces résultats favorables de
l’oxaliplatine sont confirmés par l’étude britannique déjà citée tentant d’optimiser
l’ECF et comportant une comparaison oxaliplatine versus cisplatine : le pourcentage
de réponses n’était pas différent selon la molécule utilisée, proche de 40%[18]. Plus
récemment une grande étude randomisée (445 patients inclus) a comparé une
trichimiothérapie par docetaxel, 5FU cisplatine versus 5FU cisplatine. La trithérapie
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