Récurrences linéaires à coecients constants Dans tout ce qui suit, on désigne par E l'espace vectoriel sur C des suites à valeurs complexes. 1. Les espaces Pq ( ) Pour tout q ∈ N, on désignera par Pq le sous-espace des suites de la forme P (n) n∈N où P est un polynôme de degré inférieur ou égal à q ; en particulier, P0 est l'espace des suites constantes. Pour tout k ∈ N, on notera ek la suite (nk ) ; en particulier, e0 est la suite constante égale à 1. ( ) L'application P 7−→ P (n) est clairement linéaire. De plus, si la suite (P (n)) est la suite nulle, alors P = 0 ; cette application est donc injective. Par suite, elle réalise un isomorphisme de Cq [X] dans Pq ; en particulier, (e0 , e1 , . . . , eq ), image de la base canonique de Cq [X] par cet isomorphisme, est une base de Pq . 2. L'opérateur de diérence ∆ Pour toute suite u = (un ), on dénit la suite ∆(u) = (u′n ) par u′n = un+1 − un pour tout n ∈ N. On vérie aisément que ∆ est un endomorphisme de E . Proposition 2.1. Le noyau de ∆ est l'espace P0 des suites constantes. C'est immédiat. Proposition 2.2. Pour tout q ∈ N, ∆(Pq+1 ) = Pq . on a Considérons la restriction de ∆ à Pq+1 . Puisque Ker ∆ = P0 ⊂ Pq+1 , le noyau de cette restriction est aussi P0 , donc est de dimension 1. La formule du rang nous dit alors que ∆(Pq+1 ) est de dimension dim Pq+1 − 1 = q + 1. D'autre part, ∆(Pq+1 ) est le sous-espace engendré par les vecteurs images (des vecteurs de) la base (e0 , . . . , eq+1 ). Or ∆(e0 ) = 0 et, pour tout k ∈ [[1, q + 1]], ∆(ek ) = (n + 1)k − nk est un polynôme de degré k − 1 en n, donc appartient à Pq ; par suite ∆(Pq+1 ) ⊂ Pq . Puisque ces deux sous-espaces sont de même dimension, ils sont donc égaux. Proposition 2.3. Pour toute suite u de E et tout q ∈ N, on a ∆(u) ∈ Pq ⇐⇒ u ∈ Pq+1 La proposition 2.2 fournit l'implication u ∈ Pq+1 =⇒ ∆(u) ∈ Pq . Réciproquement, soit u ∈ E vériant ∆(u) ∈ Pq . La proposition 2.2 montre qu'il existe une suite v ∈ Pq+1 telle que ∆(v) = ∆(u). Il existe alors une suite w ∈ Ker ∆ = P0 telle que u = v + w. Puisque w ∈ P0 ⊂ Pq+1 , on a bien u = v + w ∈ Pq+1 . Proposition 2.4. Pour tout q ∈ N∗ , Ker(∆q ) = Pq−1 . On raisonne par récurrence sur q . Pour q = 1, c'est la proposition 2.1. Supposons le résultat établi à un rang q > 1. Alors, pour tout u ∈ E : ( ) u ∈ Ker ∆q+1 ⇐⇒ ∆q ∆(u) = 0 ⇐⇒ ∆(u) ∈ Ker ∆q = Pq−1 ⇐⇒ u ∈ Pq d'après la proposition 2.3, ce qui achève la démonstration. ▹1◃ Récurrences linéaires 3. Récurrences linéaires On cherche à déterminer l'ensemble F des suites complexes vériant la relation de récurrence (R) ∀n ∈ N un+q = aq−1 un+q−1 + aq−2 un+q−2 + · · · + a1 un+1 + a0 un = q−1 ∑ ak un+k k=0 dans laquelle a0 ,. . ., aq−1 sont des nombres complexes xés ; on supposera de plus a0 ̸= 0. On considère d'autre part l'opérateur de décalage T sur les suites, déni par : si u = (un ) ∈ E , alors T (u) est la suite (vn ) dénie par vn = un+1 pour tout n. On vérie immédiatement que T est un endomorphisme de E ; et que, pour tout k ∈ N et toute suite u = (un ), la suite T k (u) est la suite (un+k ). La relation de récurrence peut donc se réécrire q T (u) = où ∑q−1 q−1 ∑ ak T k (u) soit [P (T )](u) = 0 k=0 est le polynôme caractéristique de la relation (R). L'ensemble F des suites cherchées est donc le noyau de P (T ) ; ce qui montre en particulier que c'est un espace vectoriel. P =X − q k=0 ak X k D'autre part, décomposons P dans C[X] sous la forme P = r ∏ (X − bi )mi où les bi i=1 sont les racines (deux à deux distinctes) de P , et les mi leurs ordres respectifs. Le lemme des noyaux montre alors que F = Ker P (T ) = r ⊕ r ( ) ⊕ ( ) Ker [(X − bi )mi ](T ) = Ker (T − bi IdE )mi i=1 4. Étude de Ker 4.1. Cas i=1 ( ) (T − bIdE )m b=1 On a alors T −( IdE = ∆, l'opérateur de diérence étudié plus haut. La proposition 2.4 ) donne donc Ker (T − IdE )m = Pm−1 . 4.2. Cas général Notons déjà que l'hypothèse a0 ̸= 0 fait que 0 n'est pas racine de P : on peut donc supposer b ̸= 0. Considérons l'application Φ, de E dans lui-même, qui, à une suite u, associe la suite v dénie par ∀n ∈ N Φ(u)n = vn = bn un L'application Φ est clairement linéaire, et bijective, de réciproque (un ) 7−→ (un /bn ). Soient alors u = (un ) ∈ E , v = Φ(u) et w = [T − bIdE ](v) = [(T − bIdE ) ◦ Φ](u). On a pour tout n : wn = vn+1 − bvn = bn+1 un+1 − bn+1 un = b.bn (un+1 − un ) et donc (T − bIdE ) ◦ Φ = bΦ ◦ (T − IdE ) soit T − bIdE = bΦ ◦ (T − IdE ) ◦ Φ−1 . ▹2◃ Récurrences linéaires Une récurrence simple fournit alors (T − bIdE )m = bm Φ ◦ (T − IdE )m ◦ Φ−1 . Puisque b ̸= 0 et que Φ est bijective, on en déduit, pour toute suite u : u ∈ Ker(T − bIdE )m ⇐⇒ bm [Φ ◦ (T − IdE )m ◦ Φ−1 ](u) = 0 ⇐⇒ [(T − IdE )m ◦ Φ−1 ](u) = 0 ⇐⇒ Φ−1 (u) ∈ Ker(T − IdE )m = Pm−1 Autrement dit, la suite u appartient à Ker(T −bIdE )m si et seulement si il existe un polynôme P de degré au plus m − 1 vériant un /bn = P (n) soit un = P (n)bn pour tout n. L'ensemble de ces suites est clairement isomorphe à Cm−1 [X] ; il est donc de dimension m. 5. Bilan ∑ L'ensemble F , somme directe des espaces Ker(T −bi IdE )mi , est donc de dimension mi = deg P = q où q est l'ordre de la relation de récurrence. Les suites vériant (R) sont les suites de la forme r ∀n ∈ N un = ∑ Pi (n)bni i=1 où les bi sont les racines du polynôme caractéristiques, et les Pi des polynômes de degré strictement inférieur à mi , ordre de la racine bi dans le polynôme caractéristique. Une base de cet espace est fournie par les suites (bn nk ) où b est une racine du polynôme caractéristique, et k ∈ N est strictement plus petit que l'ordre de la racine b. En particulier, si les racines sont toutes simples, les suites vériant (R) sont les combinaisons linéaires des suites (bni ). 5.1. Le cas a0 = 0 Dans ce cas, 0 est racine du polynôme caractéristique. Notons m son ordre : on a donc a0 = a1 = · · · = am−1 = 0 et am ̸= 0. Dans l'étude précédente, cela rajoute à la décomposition en somme directe de F le terme Ker T m . Or, ce sous-espace est clairement constitué des suites nulles à partir du rang m. Rajouter ce terme revient donc à ajouter aux suites solutions une suite quelconque nulle à partir du rang m ; autrement dit, les termes u0 ,. . ., um−1 des suites solutions peuvent être choisis arbitrairement. Cela traduit le fait que la récurrence est en réalité une récurrence d'ordre q − m, mais qui ne s'applique à la suite qu'à partir du rang m, puisque le terme de plus petit indice apparaissant réellement dans la récurrence est un+m , avec donc n + m > m. ▹3◃