Prise en charge de l`insuffisance cardiaque : un coupable facile à

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études
Prise en charge de l’insuffisance
cardiaque : un coupable facile
à cerner !
Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1154-8
S. Bieler
F. Mach
Dr Sandra Bieler
Service de médecine interne générale
Pr François Mach
Service de cardiologie
HUG, 1211 Genève 14
[email protected]
[email protected]
Management of cardiac failure :
a guilty one easy to target !
The proven benefits of beta blockers and angiotensin converting enzyme (ACE) inhibitors
in the treatment of chronic heart failure, could
be linked, at least in part, to their heart-ratelowering properties. The link between a high
heart rate and cardiovascular morbidity and
mortality has been demonstrated in the general population, as well as in patients with
hypertension, coronary artery disease, and
chronic heart failure. Ivabradine is a specific
inhibitor of the If current in the sino-atrial
node, without any other known cardiovascular effect, such as myocardial contraction or
intracardiac conduction. The effects of ivabradine on reducing resting heart-rate, and,
therefore, cardiovascular outcomes have been
studied in two large studies : BEAUTIFUL,
and, more recently, SHIFT, both of which are
discussed in this article.
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Les effets bénéfiques des bêtabloquants et des inhibiteurs du
système rénine-angiotensine, prouvés dans le traitement de
l’insuffisance cardiaque, pourraient être liés en partie à leur
action chronotrope négative. Le lien entre une fréquence cardiaque de repos (FCR) élevée et les morbidité et mortalité
cardiovasculaires a été démontré dans la population générale,
chez les patients hypertendus, coronariens et insuffisants cardiaques. L’ivabradine est une molécule inhibant spécifiquement les canaux I(f) du nœud sino-atrial, offrant une action
chronotrope négative, sans influencer les autres paramètres
cardiaques. L’effet de l’ivabradine sur la diminution de la FCR,
et donc les événements cardiovasculaires, a été étudié dans
deux larges études, BEAUTIFUL et, plus récemment, SHIFT,
que nous abordons dans cet article.
introduction
Dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, plusieurs
approches thérapeutiques (qu’elles soient comportementales,
médicamenteuses ou chirurgicales) ont prouvé leur efficacité
dans la réduction des symptômes, la diminution de la vitesse de progression de
la maladie et l’augmentation de la durée de survie. Or, nous assistons ces dernières années à l’avènement de plusieurs nouvelles approches thérapeutiques.
Cet article aborde l’une d’entre elles : l’effet de la diminution de la fréquence cardiaque de repos (FCR) sur la morbidité et la mortalité chez l’insuffisant cardiaque.
Il a été démontré, dans plusieurs études observationnelles, qu’une FCR élevée
était associée à une augmentation de la mortalité, ceci non seulement au sein du
règne animal, mais également au sein de la population générale,1,2 chez les patients souffrant d’une hypertension,3 d’une maladie coronarienne,4,5 ou d’une insuffisance cardiaque.6 Si l’on en croit certains auteurs, la FCR est donc non seulement un facteur pronostique mais aussi un facteur de risque cardiovasculaire, au
même titre que le tabagisme ou le diabète par exemple. Certains mécanismes
physiopathologiques qui sous-tendent cette hypothèse sont probablement multiples et ont été déjà largement étudiés. Pour citer l’un des plus importants, une
fréquence cardiaque élevée s’accompagne d’une augmentation de la consommation myocardique en oxygène et en énergie, d’une diminution de la durée de la
diastole et donc, par le biais du flux coronarien, de la perfusion myocardique,
conduisant à un déséquilibre délétère pour les cellules myocardiques, favorisant
leur ischémie. Par ailleurs, il a été démontré qu’une fréquence cardiaque élevée
s’accompagne d’une augmentation du stress oxydatif, favorisant l’athérogenèse.
L’effet bénéfique des bêtabloquants pourrait être en plus ou moins grande partie
lié à leur effet chronotrope négatif, comme le suggèrent certaines méta-analyses.7,8 Toutefois, ces molécules étant dotées d’autres effets sur la dynamique
cardiaque, il est difficile de faire la part des choses de façon formelle. Une nouvelle molécule a été récemment développée, l’ivabradine, qui, via une inhibition
sélective des canaux I(f) du nœud sino-atrial, permet la réduction de la FCR. Elle
n’a donc aucun effet sur la contractilité myocardique, la conduction atrioventriculaire et la pression artérielle, et nous permet par là même d’étudier uniquement
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Dans l’étude prospective BEAUTIFUL,9 10 917 patients
souffrant d’une maladie coronarienne associée à une dysfonction ventriculaire gauche (fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) l 40%), ont été randomisés en deux
groupes : ivabradine versus placebo. L’analyse des résultats
n’a pas montré de différence significative en termes d’événements cardiovasculaires entre les deux groupes (figure 1).
Par contre, dans un sous-groupe de patients avec une fréquence cardiaque de repos M 70 bpm, il a été observé une
diminution du nombre d’hospitalisations pour un infarctus
myocardique, fatal ou non (HR : 0,64 ; IC 95% : 0,49-0,84 ; p =
0,001) et de revascularisation coronaire (HR : 0,70 ; IC 95% :
0,52-0,93 ; p = 0,016). Cela dit, il s’agissait là de critères de
jugement secondaires.
Placebo
Ivabradine p = 0,94
35
30
25
20
15
10
5
0
0
Nombre à risque
Groupe placebo 5438
Groupe ivabradine 5479
0,5
1,0
Années
1,5
2,0
5073
5140
4638
4668
2898
2971
1255
1279
étude shift
L’étude SHIFT10 a voulu tester l’effet de l’ivabradine chez
des patients symptomatiques d’une insuffisance cardiaque
à fonction ventriculaire gauche abaissée (FEVG 35%), ayant
été hospitalisés dans l’année pour une décompensation
cardiaque, et présentant une fréquence cardiaque de repos
de 70 bpm ou plus, en rythme sinusal. Il s’agit d’une étude
randomisée, en double aveugle et contrôlée par placebo,
qui a porté sur 6558 patients, inclus dans 677 centres de 37
pays. Les sujets étaient traités pour leur insuffisance cardiaque selon les recommandations internationales. Le suivi
médian a été de 22,9 mois.
Les analyses ont montré une diminution significative du
risque relatif de 18% (HR : 0,82 ; IC 95% : 0,75-0,90 ; p l 0,0001)
de l’incidence du critère de jugement primaire, combinant
les décès de cause cardiovasculaire et les hospitalisations
Figure 1. Courbes de Kaplan-Meier temps jusqu’à
événement
Elles illustrent le critère de jugement primaire composite combinant les
décès de cause cardiovasculaire, les hospitalisations pour infarctus myocardique, ou les hospitalisations pour une nouvelle ou une récidive de
décompensation cardiaque.
Les courbes montrent l’absence de bénéfice apporté par l’ivabradine sur
l’incidence du critère de jugement primaire composite.
les effets de la réduction de la FCR. Cet article décrit deux
larges études randomisées,9,10 qui se sont intéressées à
l’effet de l’ivabradine sur la réduction de la FCR afin d’en
évaluer l’impact sur la morbidité et la mortalité chez les insuffisants cardiaques avec dysfonction systolique.
Placebo (937 événements)
Ivabradine (793 événements)
HR : 0,82 ; IC 95% : 0,75-0,90 ; p l 0,0001
40
30
20
10
0
0
6
12
18
24
30
Patients hospitalisés pour une
décompensation cardiaque (%)
B
Patients avec critère de jugement
primaire composite (%)
A
C
Placebo (672 événements)
Ivabradine (514 événements)
HR : 0,74 ; IC 95% : 0,66-0,83 ; p l 0,0001
30
20
10
0
0
6
12
18
24
30
Mois
Mois
Patients décédés de causes cardiovasculaires (%)
Proportion avec critère de jugement primaire (%)
étude beautiful
Placebo (491 événements)
Ivabradine (449 événements)
HR : 0,91 ; IC 95% : 0,80-1,03 ; p = 0,128
30
20
10
0
0
6
12
18
24
30
Mois
Nombre à risque
Groupe 3264
placebo
2868
2489
2601
1089
439
3264
2868
2489
2061
1089
439
3264
3094
2817
2391
1318
534
Groupe 3241
ivabradine
2928
2600
2173
1191
447
3241
2928
2600
2173
1191
447
3241
3085
2818
2428
1376
531
Figure 2. Courbes de Kaplan-Meier des événements cumulatifs (A) du critère de jugement primaire composite,
combinant les décès de cause cardiovasculaire et les hospitalisations pour décompensation cardiaque, (B) des
hospitalisations pour décompensation cardiaque, et (C) des décès de cause cardiovasculaire
Les courbes montrent la diminution de l’incidence du critère de jugement primaire composite (A), dont les hospitalisations pour décompensation
cardiaque (B) ; par contre, il n’y a pas de diminution des décès de cause cardiovasculaire (C).
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6
12
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C
p l 0,0001
50
Patients décédés de causes
cardiovasculaires (%)
p l 0,0001
50
Patients hospitalisés pour une
décompensation cardiaque (%)
B
Patients avec critère de jugement
primaire composite (%)
A
40
30
20
10
0
0
6
12
Mois
M 87 bpm
80 à l 87 bpm
75 à l 80 bpm
18
24
30
p l 0,0001
50
40
30
20
10
0
0
6
12
Mois
18
24
30
Mois
72 à l 75 bpm
70 à l 72 bpm
Nombre à risque
M 87 bpm 682
534
441
351
185
66
682
534
441
351
185
66
682
616
544
448
247
94
80 à
639
l 87 bpm
552
464
375
202
81
639
552
464
375
202
81
639
602
538
446
243
100
75 à
777
l 80 bpm
699
616
501
270
110
777
699
616
501
270
110
777
749
683
578
327
131
72 à
702
l 75 bpm
650
580
497
254
111
702
650
580
497
254
111
702
679
642
560
307
128
70 à
461
l 72 bpm
430
385
334
176
69
461
430
385
334
176
69
461
445
407
356
192
79
Figure 3. Courbes de Kaplan-Meier des événements cumulatifs (A) du critère de jugement primaire composite,
(B) d’une première hospitalisation pour une décompensation cardiaque, et (C) des décès de cause cardiovasculaire, chez les patients du groupe placebo, répartis en quintiles selon leur fréquence cardiaque de repos (FCR)
L’étude des courbes de Kaplan-Meier démontre la relation entre l’incidence d’événements des critères de jugements primaires et secondaires avec la FCR,
chez les patients issus du groupe placebo, répartis en quintiles selon leur FCR.
pour une décompensation cardiaque. Aucun bénéfice n’a
été observé quant aux décès de toutes causes ou les décès
de cause cardiovasculaire, néanmoins les analyses démontrent une diminution des décès liés à l’insuffisance cardiaque (HR : 0,74 ; IC 95% : 0,58-0,94 ; p = 0,014), ainsi qu’une diminution du nombre d’hospitalisations pour décompensation cardiaque (HR : 0,74, IC 95% : 0,66-0,83 ; p l 0,0001)
(figure 2). Le traitement d’ivabradine a été bien toléré,
avec toutefois une augmentation significative de certains
effets secondaires tels qu’une bradycardie ou des troubles
visuels (phosphènes).
Il faut souligner que la diminution significative du nombre d’événements du critère de jugement primaire est due
à une diminution du nombre d’hospitalisations liées à une
insuffisance cardiaque, et non du nombre de décès de
cause cardiovasculaire, qui lui n’est pas modifié. Un point
est également à relever par rapport au traitement médicamenteux décrit comme adéquat et basé sur les recommandations internationales. En effet, à côté du fait que 89% des
patients étaient traités par des bêtabloquants, seuls 23%
des sujets recevaient une dose thérapeutique cible, et 49%
d’entre eux en recevaient 50% ou plus.
Une deuxième étude,11 portant sur les patients inclus
dans l’étude SHIFT, a voulu démontrer que la FCR est aussi
un facteur de risque pour les patients souffrant d’une insuffisance cardiaque. Pour cela, les auteurs ont divisé les patients du groupe placebo en cinq groupes, répartis selon la
FCR (70 à 72, 72 à l 75, 75 à l 80, 80 à l 87, et M 87 bpm).
Les chiffres montrent que les patients avec une FCR de
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M 87 sont plus de deux fois plus à risque d’événements
cardiovasculaires que les patients avec une FCR de 70 à 72
bpm (HR : 2,34, IC 95% : 1,84-2,98 ; p l 0,0001). D’une manière
générale, plus la FCR est élevée, plus le nombre d’événements des critères de jugement primaires et secondaires
augmente (figure 3). L’incidence d’événements primaires
s’élève de 3% pour chaque augmentation de 1 bpm (p l
0,0001) et de 16% pour chaque augmentation de 5 bpm.
Dans le groupe ivabradine, l’effet du traitement était
d’autant plus marqué que la fréquence cardiaque de base
était élevée, avec une diminution moyenne de 22,5 bpm
dans le groupe M 87 bpm. Ce phénomène est d’ordre pharmacologique : plus la fréquence cardiaque est élevée, plus
les canaux calciques sont ouverts, et donc plus grand sera
l’effet inhibiteur de l’ivabradine. C’est en effet chez les
patients du groupe M 87 bpm que la diminution du risque
relatif de survenue d’événements primaires est la plus
marquée (HR : 0,69 ; IC 95% : 0,58-0,83).
Il y a donc une corrélation positive et continue entre la
FCR et le risque d’événements cardiovasculaires. La diminution du risque d’événements cardiovasculaires apportée par l’ivabradine semble donc être liée à la diminution
de la fréquence cardiaque.
discussion et conclusion
En résumé, ces deux études soutiennent l’hypothèse
selon laquelle la FCR est un facteur de risque chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. La fréquence carRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 mai 2012
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diaque représente donc une cible thérapeutique de choix,
en association à un traitement médicamenteux basé sur les
recommandations actuelles. Ce dernier point est important,
en ce sens que l’une des limitations majeures de l’étude
SHIFT était la sous-utilisation des bêtabloquants, dont les
effets secondaires peuvent conduire à une mauvaise tolérance et donc une observance thérapeutique parfois moindre. L’ivabradine, étant dépourvue de ces effets secondaires-là via son effet sélectif sur la fréquence cardiaque,
constitue un espoir dans la prise en charge de nos patients
insuffisants cardiaques, toutefois ceci nécessite d’être davantage étudié. Au contraire des bêtabloquants, elle n’a
encore pas prouvé son efficacité dans la réduction de la
mortalité.
Conflits d’intérêt
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
Implication pratique
> Chez des patients symptomatiques d’une insuffisance cardia-
que avec dysfonction ventriculaire gauche, la fréquence cardiaque de repos doit être maintenue en dessous de 80 bpm
Bibliographie
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randomised placebo-controlled trial. Lancet 2010:376:
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* à lire
** à lire absolument
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