Pour citer cet article : Julien Guinart, Le tsar félon,
site L’Insulte (en) politique, uB, UMR CNRS 5605, mis en ligne en décembre 2010, disponible sur : http://www.u-bourgogne.fr/insulteenpolitique
La trahison est sans aucun doute le thème le plus fréquemment mobilisé par les journalistes français lorsqu’il
est question de Ferdinand 1er. Ainsi, le Temps considère que « la Bulgarie a abusé de notre confiance trop
naïve jusqu’au dernier moment. Aujourd’hui il ne plus qu’à répondre par des coups de canon à sa brutale
trahison 1 ». La trahison ou plutôt les trahisons du roi bulgare sont tour à tour mises en avant dans les
journaux parisiens qui n’hésitent pas à porter atteinte à sa dignité royale à travers l’emploi de termes
péjoratifs voire familiers. Ainsi, le Matin publie un article consacré à Ferdinand 1er où le souverain bulgare
est qualifié de « roi félon » qui loin de l’image d’humaniste qu’il se plaisait à promouvoir avant-guerre est en
réalité « un anarchiste de la haute » gouvernant « par la fusillade, le nœud coulant ou la hache […] plus cruel
qu’une hyène et plus sournois qu’une taupe 2 ». L’auteur illustre son propos en revenant sur les dérives du
gouvernement de Stephan Stamboulov et à la répression mise en place suite à une tentative d’assassinat sur
sa personne. Selon le journaliste Ferdinand 1er était le « complice de Stanbouloff » qui « tuait pour son
maître ». Outre, la férocité, l’auteur met l’accent sur la trahison du monarque qui s’allie « aux barbares
contre les peuples honnêtes, aux Allemands et aux Turcs contre la France et l’Angleterre ». Ce ralliement
aux puissances centrales est une disgrâce pour Ferdinand 1er qui est rabaissé au rang de « porte-coton 3 de
François-Joseph et [de] copain de revers-Pacha 4 ». Le choix de s’allier avec la Turquie est évidement
souligner par l’auteur car elle symbolise la duplicité du Tzar de Bulgarie qui renie à la fois son peuple qui a
lutté contre le joug ottoman et la religion orthodoxe en pactisant avec le califat. La même thématique est
reprise dans deux articles du Petit Parisien dénonçant le tzar Ferdinand « maître dans l’art de pratiquer
l’indépendance du cœur » en trahissant les anciens libérateurs de la Bulgarie et en s’alliant aux turcs. Pour le
Petit Parisien : « il n’y a plus de Tsar libérateur » et « la croix combat avec le croissant contre les maîtres
libérateurs russes ». Au-delà des considération politico-religieuses s’ajoute la trahison familiale. En effet,
selon le journal, le roi « malgré le sang français dont il semblait si fier n’a jamais oublié sa patrie
d’origine 5 », l’auteur ne manquant pas de souligner que « pendant un de ses voyages à Paris, le roi
Ferdinand de Bulgarie, qui n’était encore que le prince – son « avancement « ne semble pas avoir été bien
favorable – ne cessait d’attester son affection pour la France, patrie de sa mère, la princesse Clémentine
d’Orléans ». Toutefois, si le prince affirme que « la moitié de son cœur est française […] il ne dit pas, alors,
ce qu’était l’autre moitié 6 ».
Cette traitrise est souvent mise en avant dans les semaines qui suivent l’entrée en guerre de la Bulgarie, le
Matin publie une lettre intitulée « À Ferdinand le traite » du Général Romanow dans laquelle il lui annonce
son intention de lui renvoyer les décorations obtenues lors de la guerre de libération. Le journal précise que
cette dénomination est celle couramment employée dans la presse russe ce qui semble indiquer que les
attaques portées à l’encontre de Ferdinand 1er ne se limite à la seule presse française mais vraisemblablement
à l’ensemble de la presse alliée. « Au moment où les trois complices qui s’appellent Guillaume, François-
Joseph et Ferdinand essayent d’avoir raison de l’héroïque Serbie », les cérémonies organisées en Allemagne
en l’honneur de son nouvel allié sont pour la presse parisienne une nouvelle occasion de stigmatiser le
« Cobourg 7 ». Ainsi, le Matin publie un article intitulé « les félons à l’honneur 8 » où il dénonce ces
célébrations en l’honneur de « “triomphes” qui consistent à poignarder par derrière les Serbes attaqués par
devant » et « sont évidement peu glorieux ». À la trahison se rajoute l’asservissement à l’Allemagne qui
semble retirer toute dignité royale au monarque bulgare aux yeux de la presse française. En effet, l’usage de
qualificatif tels que « fourrier des Allemands » ou encore de « premier Vassal de Guillaume II » 9 souligne la
soumission du Tsar des Balkans aux désirs de l’Allemagne et cela bien entendu au détriment des intérêts de
la nation bulgare.
1. Le Temps du 18/10/1915.
2. Le Matin du 08/10/1915.
3. Le porte-coton est la personne devant assister le roi lors de la satisfaction de ses besoins naturels.
4. Le Petit Parisien du 08/10/1915.
5. Le Temps du 19/10/1915.
6. Le Petit Parisien du 09/10/1915.
7. Le Matin du 21/10/1915.
8. Le Matin du 29/10/1915.
9. Le Temps du 19/10/1915.